« 10 ans, ça fait 10 ans que nous attendions la première place sur le podium. Je ne cacherai pas que j’ai réprimé des larmes de joie, je suis très ému ». C’est en ces termes que le Premier ministre polonais, Donald Tusk, a salué le 9 juin le score de son parti : 37 % des votes, 21 sièges au Parlement européen. « Parmi les partis démocratiques, nous avons le meilleur résultat en Europe », a-t-il ajouté et, en se référant à la situation en Allemagne et en France, « nous avons montré qu’ici triomphaient la démocratie, l’honnêteté, l’Europe. Nous sommes un pays leader de l’Union européenne ».
Les « unes » de la presse sont à l’avenant : « Tusk gagne en Europe » titrait Rzeczpospolita, « La première défaite du PiS depuis une décennie », se réjouissait le quotidien Gazeta Wyborcza. Pour Le Monde, « le parti pro-européen de Donald Tusk détrône le PiS ».
Si rien n’est formellement discutable dans ces réactions et évaluations, le dragon de l’extrême droite est loin d’avoir été terrassé. Et à y regarder de plus près, le paysage est moins tranché que ne le suggèrent ces commentaires euphoriques.
Lors des précédentes élections européennes, en 2019, le PiS l’avait largement emporté, de 7 points, sur le parti de Tusk, la « Coalition civique ». De même, celle-ci avait été, aux élections législatives d’octobre 2023, devancée de près de 5 points par le parti d’extrême droite. Mais c’était là la conséquence de la stratégie de Tusk : affronter ce scrutin par une coalition de trois partis, capables de ratisser plus large. Ce choix était bien inspiré puisqu’il leur a permis de prendre le pouvoir en s’appuyant sur près de 54 % des suffrages exprimés, soit près de 20 points d’avance sur le parti de Kaczynski, dépourvu d’alliés.
Après 6 mois aux affaires, et dans un pays très polarisé, le parti de Tusk devance d’un point seulement le PiS, avec 36 % des suffrages exprimés, mais en siphonnant les voix de ses deux partenaires de coalition, la « Troisième voie », qui s’effondre littéralement, passant de plus de 14 % à 7 %, et la gauche, dont la jauge tombe également, de 9 % à 6 % des suffrages.
Par ailleurs, « Confédération », une formation d’extrême droite plus radicale encore que le PiS, fait une percée en accroissant son score de 7 % à 12 % des bulletins de vote. Les sondages indiquent que ce parti aurait recueilli un tiers du vote des jeunes. Même si les scrutins ne sont pas de même nature, celui du 9 juin montre un quasi-équilibre des voix, entre celles qui se sont portées sur la coalition de gouvernement (50 % et 27 sièges au Parlement), et les deux partis d’extrême droite (48 % et 26 sièges). Par comparaison, la proportion des voix qui se sont portées sur ces deux partis en octobre 2023 était de 42,5%, soit plus de 10 % en dessous des quelque 53% de résultats agrégés de la coalition de gouvernement.
Un des facteurs explicatifs en est la mobilisation très forte déclenchée par l’enjeu majeur de l’élection d’octobre 2023, avec un taux de participation de plus de 70 %. Aux élections européennes, ce taux était très inférieur, de 40 %, plus accentué dans les régions rurales et dans l’est du pays, avantageant le parti de Donald Tusk.
Au total, si celui-ci peut légitimement se réjouir d’une position renforcée de son gouvernement dans la constellation européenne, en se comparant très favorablement à ses homologues du Triangle de Weimar, qu’il a explicitement cités, le socle de l’extrême droite ne s’est guère effrité. Et elle continue de faire jeu presque égal avec le camp de la démocratie libérale, divisant le pays autour du rapport à l’Europe et à l’Etat de droit. Elle pourrait également chercher à exploiter le changement de rapport des forces au sein de la coalition gouvernementale pour tenter de la défaire par des débauchages et un renversement d’alliance.