Les élections européennes de 2024 en Suède peuvent partiellement s’analyser comme un jugement sur l’exécutif en place depuis septembre 2022. La baisse de participation (53,39% contre 55,2% en 2019) est singulière dans un contexte de scrutin facilité par un vote en avance (förtidsrösta) ouvert dès le 22 mai dans les bibliothèques ou les supermarchés.
Première surprise : l’extrême droite (Démocrates Suédois) qui avait dominé les législatives de 2022 recule à 13,17%, perdant deux points par rapport aux européennes de 2019. Deuxième surprise : les Libéraux et des Chrétiens-Démocrates, partenaires de la coalition informelle des droites (soutien sans participation ministérielle des Démocrates Suédois au Premier Ministre Kristersson) se maintiennent au-dessus de la barre des 4% nécessaires pour obtenir un député européen, échappant à la sanction annoncée par les médias suédois, même si le choc est sévère pour les Chrétiens-Démocrates qui perdent 2,9 points d’un scrutin européen à l’autre, et un eurodéputé, un membre en moins pour le groupe PPE. A l’inverse, le parti du Centre, qui s’était distingué en refusant d’intégrer un exécutif soutenu par l’extrême droite, ne tire aucun profit de cette position morale, puisqu’il n’atteint que 7,2%, en recul de trois points par rapport aux dernières européennes. Plus surprenant, les Écologistes bénéficient de leur situation dans l’opposition avec 13,85% des suffrages. Les Libéraux sauvent leur siège et préservent ainsi les intérêts du groupe Renew du Parlement Européen.
D’après un sondage sorti des urnes de la télévision publique (SVT), les jeunes de 18-29 ans auraient voté 4 points de plus pour la Gauche (gauche radicale) et 8 points de plus pour les Écologistes que les plus de 65 ans…. Mais 11 points de moins pour les Sociaux-Démocrates, ce qui interroge sur le renouvellement générationnel de la social-démocratie scandinave. Ainsi la ville très étudiante de Lund a octroyé 22% des suffrages aux écologistes contre 19% aux sociaux-démocrates. Le rebond de la Gauche peut aussi s’analyser comme une réaction à l’entrée de la Suède dans l’OTAN, ce parti étant un des derniers à soutenir la neutralité historique du royaume. Une même dynamique a eu lieu le 9 juin en Finlande où l’Alliance de Gauche, dernier parti opposé à l’adhésion du pays à l’alliance militaire, a dépassé les Sociaux-Démocrates dans le scrutin.
L’équilibre politique précaire issu des législatives de 2022 persiste. La Suède reste gouvernée par un parti de centre droit, les Modérés, qui réunissent toujours moins d’un électeur sur cinq (17,53% le 9 juin, 19,1% il y a deux ans) : ils ont fini troisième des dernières législatives et deuxième le 9 juin, sept points derrière les sociaux-démocrates, et n’occupent la première place dans aucune région, étant même battu dans celle de Stockholm par les Sociaux-Démocrates. Ce parti n’est en tête dans aucune catégorie sociale hormis les chefs d’entreprise et les agriculteurs. Les Sociaux-Démocrates, eux, sont en tête chez les hommes et les plus de 65 ans (30% des voix, ce qui est singulier pour un parti de centre-gauche en Europe). Le Premier ministre de centre droit, Ulf Kristersson, n’a pas réussi à convaincre. De leur côté, les trois partis de gauche dépassent les 49% et incarnent une certaine dynamique mais sans constituer pour le moment une coalition d’alternative, tant les sujets de défense ne sont pas encore réglés entre eux (les Sociaux-Démocrates sont devenus atlantistes et la gauche radicale défend encore la neutralité), tout comme l’énergie : quel choix faire face au retour du nucléaire prôné par la coalition des droites, ce qui demeure un tabou pour les écologistes ?
Les Sociaux-Démocrates restent le parti le plus populaire du pays mais de façon contrastée, avec des scores très importants dans des régions septentrionales moins peuplées, une concurrence de l’extrême-droite dans le sud du pays (même si le parti bat nettement les Démocrates Suédois dans le Blekinge et en Scanie) et la progression des mouvements plus à gauche dans les villes étudiantes. Les Sociaux-Démocrates se trouvent dans la situation étrange d’un « premier parti pour rien » : clairement populaire et consensuel, proche des syndicats et de l’électorat plus âgé, ils obtiennent des scores dans les classes populaires qu’envierait le centre-gauche de bien des États-membres de l’UE mais sans possibilité de gouverner, faute d’alliés assez forts auprès de lui.