Éric Zemmour : le miroir de Poutine et la nostalgie de l’empire

Éric Zemmour : le miroir de Poutine et la nostalgie de l’empire
Publié le 4 mars 2022
« La Russie, j’en prends le pari, n’envahira pas l’Ukraine » déclarait le candidat Eric Zemmour sur France 2 le 9 décembre 2021. Depuis le début de l’invasion, Eric Zemmour doit s’expliquer sur ses déclarations pro-Poutine. Comment comprendre sa position ? La Russie joue un rôle particulier dans l’idéologie de Zemmour : ancienne puissance impériale qui cherche à prendre sa revanche historique, elle préfigure le positionnement international que le candidat voudrait voir la France adopter.

L’admiration du candidat de « Reconquête » pour Vladimir Poutine n’est pas un mystère, elle est hautement revendiquée depuis des années. Elle découle de trois considérations développées par l’éditorialiste, désormais candidat.

La première est une lecture qui se veut réaliste des relations internationales. Selon elle, le dirigeant russe défend naturellement les intérêts de son pays, comme tout leader politique « patriote » doit le faire. S’il est dans l’intérêt de la Russie d’intervenir dans son « étranger proche » pour protéger son flanc Ouest en contact avec l’UE, il faut prendre en compte cette réalité comme une donnée de fait, indépendamment de tout jugement de valeur.

La deuxième vient d’une lecture historique en longue période prenant en compte le ressentiment né de l’« humiliation » d’un ancien empire. Le révisionnisme historique de Poutine, que Zemmour reprend complètement à son compte, vise à prendre une revanche sur le déclassement subi par son pays lors de la désintégration de l’URSS. Là encore, la vision historique du poutinisme est reprise sans aucun recul comme s’il fallait accepter comme une loi de l’histoire qu’un Empire aspire à rétablir sa grandeur passée par tous les moyens. Éric Zemmour ne mentionne d’ailleurs jamais le fait que ce sont les peuples « alliés » au sein du Pacte de Varsovie qui ont voulu s’émanciper de la tutelle russe, et qu’ils voient dans l’Otan et dans l’UE la meilleure protection contre la tentation hégémonique de leur grand voisin.

C’est qu’Éric Zemmour privilégie en effet – troisième considération – une lecture géopolitique, à nouveau complètement congruente avec celle du Kremlin, selon laquelle la Russie ne ferait que se défendre contre l’agressivité américaine qui aurait « étendu » outre mesure sa zone d’influence en Europe centrale et orientale via l’Otan.

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Dans les trois cas, l’effet de miroir avec la situation française est manifeste, et explique la centralité de ce sujet pour le candidat. On s’est souvent demandé pourquoi un candidat « patriote » revendiqué était aussi perméable à la défense des intérêts, pour ne pas dire à la propagande, d’une puissance étrangère – puissance en outre, par bien des aspects, ouvertement hostile à notre pays, comme on le voit en Centrafrique, au Mali et bien sûr en Ukraine. La vision géopolitique développée par Zemmour consiste dans un gaullisme défiguré plaçant l’indépendance nationale au-dessus de toute autre considération, un « devoir de puissance » à l’abri de nos frontières. En prologue de ce beau programme, on fait huer en meeting l’Union Européenne, l’OTAN et l’ONU. Le cas russe est central dans cet argumentaire parce qu’il sert de projection actualisée à sa vision de l’histoire française. Un ancien empire humilié qui doit retrouver sa puissance et sa voix dans le monde, quitte à briser les règles du jeu international : c’est un portrait de la France telle que la voit Zemmour. Quand il déclare qu’il rêve d’un Poutine français, c’est qu’il voit dans la Russie une image de la France. La Russie ne se remet pas d’avoir perdu son « bloc » en 1989, la France garde les cicatrices de la fin de l’Algérie française (dont sa famille est originaire). La Russie est menacée par l’impérialisme américain, la France est menacée par le « Grand remplacement » migratoire du Sud. La Russie mène une politique étrangère selon ses propres règles, la France est bâillonnée par sa volonté d’intégration européenne et sa place dans le « camp » occidental.

Il est donc bien difficile pour Éric Zemmour de condamner l’aventurisme militaire russe en Ukraine. Car c’est l’ensemble de sa vision internationale, ancrée dans une lecture partielle, et souvent falsifiée, de l’histoire nationale, qui le conduit à exalter le besoin de revanche sur l’humiliation de la défaite impériale. Il est exact de dire que le candidat Zemmour joue sur les affects de la peur (du « grand remplacement »), de la colère (contre « les élites »), de la fierté (de la « grandeur » nationale). Mais il faut voir comment ces passions s’articulent entre elles dans un récit où la France ne pourrait paradoxalement retrouver un rang de premier plan qu’en s’identifiant à l’image malheureuse d’un empire humilié à la recherche légitime de la « reconquête » (nom de son mouvement) de sa place dans l’histoire.

Dans cette conception, seules les grandes puissances se parlent entre elles. Éric Zemmour réclame par exemple la neutralisation de l’Ukraine, sans jamais imaginer prendre en compte l’avis des Ukrainiens. Il condamne l’élargissement de l’Otan sans se demander pourquoi les Polonais, les Baltes, les Hongrois… ont demandé à y entrer. Cette vision de la puissance reste coloniale : certains décident, parce qu’ils sont les plus forts, les autres ne comptent pas. « Dans l’histoire, on ne négocie qu’entre Seigneurs, jamais avec un vassal », déclare-t-il par exemple lors de son « meeting pour la paix » à Chambéry. Et les rapports de domination ou de conflit entre les peuples restent, de même, empreints de préjugés coloniaux. On prend ainsi la mesure de la régression historique du programme de Zemmour car le projet européen est né sur les ruines de la Seconde Guerre Mondiale, mais aussi sur l’échec des projets coloniaux européens et le choix d’une autre lecture historique de la puissance. Au final, sa conception de la puissance apparaît anachronique, intoxiquée de nostalgie coloniale et d’un goût étrange pour l’orgueil revanchard des « vaincus de l’histoire ».

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Marc-Olivier Padis