J’apprends avec un grand plaisir qu’une nouvelle génération de socialistes s’est engagée dans la bataille des idées, mais vous conviendrez que cela ne se voit pas, de l’extérieur. Ce congrès s’est cristallisé sur la question clé de la relation avec LFI, et les vainqueurs de cet affrontement, Olivier Faure et Boris Vallaud ont précisé qu’ils ne souhaitent pas « sortir de l’ambiguïté stratégique vis à vis de LFI »1 et ont donc refusé de s’engager à ce qu’il n’y ait « plus d’accord national et programmatique aux législatives pour gouverner ensemble avec la France insoumise ».
Cette position n’est pas seulement moralement inacceptable, elle est suicidaire politiquement parce qu’elle éloigne durablement le PS de l’exercice des responsabilités. Ce parti en perdant sa culture de gouvernement se transforme en parti protestataire, domaine dans lequel il ne fait pas le poids face à LFI ou même au PCF. La marginalisation est l’hypothèse la plus probable. Pour conserver à court terme quelques circonscriptions, il se prive d’une réflexion de long terme sur sa stratégie et ses idées. Comme le souligne Gérard Grunberg dans Telos, « l’ambiguïté que représentait le chevauchement entre le Nouveau Front Populaire et le Front républicain (aux élections de 2024) ne pourra sans doute pas être reproduite aux prochaines législatives. Il faudra probablement que le PS choisisse entre ressusciter le NFP et ranimer le Front républicain. »2 Il semble qu’Olivier Faure et Boris Vallaud aient déjà choisi d’abandonner le Front républicain, mais dans l’ambigüité, cela va de soi. Il est tout aussi incompréhensible que le PS ne joue pas un rôle moteur en faveur de la proportionnelle, et que cela n’ait pas été un sujet phare du congrès. L’obsession de la présidentielle, encore et toujours.
Et pour en venir au chantier des idées, c’est une très bonne chose de travailler sur les différents thèmes que vous évoquez, mais un parti qui aspire à revenir au pouvoir doit être capable d’expliquer aux Français comment il va résoudre le problème de la dette publique auquel notre pays est confronté. Et si la taxation des ultra-riches est peut-être une mesure de justice fiscale, elle ne résout en rien cette crise de la dette et du modèle social français. Un parti qui refuse d’affronter cette difficile question, accepte de facto d’être éloigné du pouvoir pendant les dix ou quinze prochaines années, et de se complaire dans la protestation.
Vous revenez aussi sur ce concept de démarchandisation, qui semble beaucoup vous plaire. Sans rentrer dans une discussion de fond, je rappelle que la forme juridique d’un acteur économique ne définit pas son activité. L’économie sociale et solidaire est une activité marchande, tout comme le mutualisme, et les associations agissent aussi dans la sphère marchande, pour la partie de leur activité assujettie à la TVA. Vous semblez convaincus que l’anticapitalisme est au cœur de la démarche socialiste. Ce n’est pas le cas. Si vous avez un peu de temps, prenez connaissance de cette vidéo de Michel Rocard que La Grande Conversation a publié récemment, où il explique clairement que la social-démocratie a pour vocation de corriger l’économie de marché par une régulation constante en faveur de la justice sociale et fiscale, et non pas de détruire le capitalisme.
Le congrès de Nancy est une occasion manquée, et pour la gauche, le temps presse.