Acte 1. Mélenchon impose son récit
Le premier acte s’est joué dès le dimanche 7 juillet, à l’issue du second tour des législatives, avec la prise de parole de Jean-Luc Mélenchon, à 20h07. Il affirme que le Nouveau Front Populaire a gagné les élections et qu’il appliquera « son programme, rien que son programme, mais tout son programme ». Avec ses 182 sièges, il manque au NFP 107 sièges pour atteindre la majorité, il n’a donc pas gagné les élections, il est simplement la coalition de partis qui dispose du plus grand nombre de sièges, cela ne lui permet pas d’appliquer tout son programme, et Jean-Luc Mélenchon le sait très bien. Alors que cache ce message radical qui prend beaucoup de libertés avec la vérité ? Le leader de La France Insoumise a compris très vite tous les dangers que recèle pour lui la nouvelle configuration politique issue du scrutin législatif. Une assemblée divisée en trois blocs, un Rassemblement National battu grâce à un Front Républicain où des adversaires se sont alliés avec ce seul objectif. Des députés NFP élus avec des voix macronistes, et vice versa. Le risque est que cette alliance négative puisse déboucher sur une gouvernance partagée, où les partis modérés du NFP joueraient un rôle clé de partis-charnières, en marginalisant LFI et en obérant les chances de son leader de participer à la prochaine élection présidentielle. Enfin, il voit que s’il rend impossible la formation d’un gouvernement, il peut forcer Macron à la démission et avancer la date de la seule élection qui l’intéresse.
Acte 2. Emmanuel Macron invente une trêve
Après cette prise de parole en forme de coup de force, les trois autres partenaires du NFP auraient dû mener bataille contre ce récit fantaisiste et rétablir la réalité des faits : le NFP est en tête mais ne dispose pas d’une majorité, beaucoup d’élus NFP l’ont été grâce au front républicain, il faut maintenant rechercher les voies d’un compromis pour que le pays soit gouvernable. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait alors que c’était leur intérêt politique bien compris et que cela leur aurait permis de desserrer l’étau de la France Insoumise et, accessoirement, de tenir compte de l’intérêt national ? Il est difficile de répondre à cette question. Manque d’expérience politique, euphorie de la victoire, calcul politique pour marginaliser Raphaël Glucksmann, vainqueur des élections européennes, peur d’être accusés de trahison ? C’est sans doute un mélange de toutes ces raisons qui les conduit à adhérer au narratif mélenchonien, au lieu d’en proposer un autre en exigeant que le NFP prenne contact avec d’autres forces politiques. Ils se lancent alors dans la quête improbable d’un Premier ministre qui satisfasse toutes les composantes de la coalition, après que Jean-Luc Mélenchon a mis son veto à la candidature d’Olivier Faure.
Emmanuel Macron aurait alors pu jouer un rôle décisif en confiant une mission de préfiguration à ce dernier ou, mieux encore, à un tandem Olivier Faure-Marine Tondelier. Cela leur aurait conféré une légitimité institutionnelle et donné l’autonomie nécessaire pour entamer des démarches au-delà du NFP. Et cela aurait aussi permis de tester la solidité du NFP face à la perspective de l’exercice du pouvoir. Les Français auraient bien compris la nécessité d’une telle mission préliminaire, et qu’elle soit confiée à ceux qui étaient arrivés en tête des législatives. Au lieu de cela, le Président de la République invente une trêve olympique étendue aux institutions de la Ve République, et estime qu’il est urgent de ne rien faire. Essayer de comprendre ses motivations est intéressant. Beaucoup d’analystes ont jugé qu’il ne voulait pas d’un gouvernement qui détricote son bilan mais, plus fondamentalement, sa vision d’un bloc central entouré de deux forces extrêmes l’incitait à empêcher l’émergence d’un pôle social-démocrate-écologiste qui risquait d’entrer en concurrence (et coopération) avec les forces centristes. Dans cette affaire, les intérêts d’Emmanuel Macron et de Jean-Luc Mélenchon étaient alignés. Et la mascarade de la réception des dirigeants du NFP, accompagnés de leur Première ministre virtuelle à l’Elysée le 23 août, a été le point d’orgue de ce jeu de dupes : d’un côté des leaders qui savaient que leur gouvernement potentiel avait une espérance de vie de 48 heures avant une motion de censure, de l’autre un Président qui voyait la possibilité de fermer la porte de Matignon à cette gauche unie mais fragile, sans majorité, ni volonté de compromis.
Acte 3. Laurent Wauquiez et Nicolas Sarkozy dansent le tango
Laurent Wauquiez partage avec Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen une focalisation sur la prochaine échéance présidentielle qui explique tous ses choix stratégiques et tactiques. C’est pourquoi il refuse toute coalition avec le macronisme en déclin et propose un pacte législatif pour faire passer quelques textes législatifs, sans se compromettre avec un Président démonétisé. Les élus républicains sont encore une fois déchirés entre cette posture qui refuse tout compromis, et celle prônée par Nicolas Sarkozy. Ce dernier voit l’espace politique ouvert par la position du NFP. Dans le dispositif parlementaire issu du scrutin, si le Parti socialiste refuse de jouer le rôle de parti-charnière à gauche, alors Les Républicains peuvent jouer ce rôle à droite. Olivier Faure et François Hollande ayant achevé d’enterrer l’hypothèse Bernard Cazeneuve, cette logique politique s’impose à Laurent Wauquiez qui est contraint de changer de position et de soutenir un gouvernement dirigé par un membre de son parti. Il doit faire le pari que cet exercice du pouvoir ne va pas abimer son image et il envisage même d’entrer au gouvernement dans un grand ministère régalien.
Acte 4. Marine Le Pen entre dans la danse
Un élément est essentiel pour bien comprendre la suite de la pièce : dans la configuration de l’Assemblée nationale, un Premier ministre n’a de chances de survivre que s’il obtient un accord de non-censure de l’un des deux partis situés aux extrémités de l’hémicycle, LFI à gauche ou Rassemblement National à droite. C’est d’ailleurs l’argument d’Olivier Faure pour justifier son absence de soutien à Bernard Cazeneuve : les autres partis du NFP n’en voulaient pas. Il aurait donc été contraint de casser l’alliance pour le soutenir. Exit la non-censure du NFP, reste celle du RN. C’est ainsi que Marine Le Pen revient dans le jeu et peut choisir le nom du Premier ministre. Pourquoi a-t-elle choisi une posture différente de celle de Jean-Luc Mélenchon ? Leurs situations politiques sont asymétriques. Son capital électoral est tel qu’elle ne craint pas la concurrence de Laurent Wauquiez ou de Michel Barnier pour la prochaine présidentielle. Tout le monde spécule sur le nom de son adversaire de second tour en 2027 mais personne n’imagine qu’elle peut échouer au premier tour de l’élection. Elle va être jugée par un tribunal à partir du 30 septembre pour détournement de fonds européens, elle est donc moins pressée que Jean-Luc Mélenchon de précipiter l’échéance présidentielle. Elle a compris que le mode de scrutin actuel pour les élections législatives rendait difficile pour son parti d’atteindre la majorité absolue, c’est pourquoi elle réclame au nouveau Premier ministre un passage à la proportionnelle avec prime majoritaire qui, sur la base de 35% des suffrages, lui offrirait une majorité absolue des sièges à l’Assemblée. Et à tout moment elle peut appuyer sur le bouton du siège éjectable de l’occupant de Matignon. Jean-Luc Mélenchon, lui, ne pèse que 10% des suffrages des Français, comme l’ont montré les élections européennes, et il craint par-dessus tout qu’un Raphaël Glucksmann ou un autre social-démocrate l’empêche d’être le candidat dominant de la gauche lors de la prochaine présidentielle, comme il l’a été en 2022. Interdire à la gauche de gouvernement de gouverner est donc essentiel dans sa stratégie.
Acte 5. Michel Barnier commence son parcours du combattant
Soixante jours pour trouver un Premier ministre. Combien de jours pour constituer un Gouvernement ? Quel programme d’action pour ce gouvernement ? Quel budget ? Combien de jours avant qu’il ne tombe sur une motion de censure ? Michel Barnier est pris dans l’étau d’une double cohabitation, l’une avec le Président, l’autre avec l’Assemblée nationale. Il n’a pas de majorité dont il serait le chef, il est issu d’un parti qui dispose de 41 sièges et, s’il s’est forgé une culture du compromis à Bruxelles, il entre dans un monde totalement étranger à cette culture. La suite de la pièce s’annonce pleine de rebondissements et de tête-à-queue. Qu’y a-t-il d’étonnant à ce qu’une dissolution absurde débouche sur une pièce de théâtre de l’absurde ?