Les dernières élections législatives de juin et juillet derniers ont amorcé des changements majeurs du paysage politique français. La gauche, arrivée en tête, n’a pas pris le risque de gouverner, en partie suite à l’intransigeance de membres insoumis obstinés et de socialistes pris au piège de leur alliance électorale ; la droite en a profité et est miraculeusement ressuscitée à travers la figure de Michel Barnier et les Républicains font leur retour dans un gouvernement après une traversée du désert longue de douze années.
Les membres du bloc central, eux, font face à une nouvelle donne politique. Au soir de la dissolution prononcée par le président, il fallait être bien téméraire pour penser que ce bloc allait continuer de jouer un rôle clé. Les prévisions étaient sombres : seulement 60 à 90 députés, sur les 250, devaient revenir. Pourtant, au soir du 7 juillet, 166 députés sont sauvés. Une perte notable, certes, mais qui permet encore aux macronistes, centristes et philippistes de jouer un rôle majeur dans le gouvernement de Michel Barnier avec 10 ministres de plein exercice.
Comme le gaullisme ou le radicalisme en son temps, Emmanuel Macron a créé un courant central, qu’on appelle donc bloc central, d’une importance majeure dans notre vie politique puisqu’il a redessiné les frontières entre les partis.Pourtant, c’est un camp qui fait face à la peur du lendemain. Son chef est affaibli, il ne peut pas se représenter pour un troisième mandat, la bataille de la succession a déjà commencé.
Composite, monté au fur et à mesure de l’avancée du projet macroniste, le bloc central agrège trois partis aux ambitions différentes :
- Renaissance devenue Ensemble pour la République (EPR), dirigé par Gabriel Attal qui distille des marqueurs de gauche en vue de la présidentielle à venir ;
- L’allié centriste historique du MoDem qui se veut constructif mais très vigilant à l’égard de la droitisation du gouvernement ;
- Horizons mené par Édouard Philippe, les yeux rivés sur 2027, qui penche plus à droite et se satisfait de la nomination de Barnier.
Dès lors que la page Macron va se tourner, il convient maintenant de se poser quelques questions : Qu’a représenté le macronisme d’un point de vue politique ? Le bloc central a-t-il été centriste ? Enfin, comment peut-on envisager l’avenir de ce bloc central ?
Le macronisme, échec centriste mais réussite centrale ?
La victoire d’Emmanuel Macron en 2017 n’est pas le fruit d’une union des centres mais bien de l’affaiblissement de la droite et de la gauche, dont une partie des électeurs ont préféré le choisir lui, plutôt que François Fillon, Benoit Hamon ou Jean-Luc Mélenchon. Le macronisme a été rendu possible par l’épuisement politique, intellectuel et culturel des principales organisations de droite et de gauche qu’étaient le PS et LR.
Quel était le triptyque du macronisme originel ? Dépassement, transformation du pays et rénovation de la vie politique. S’il vient de la gauche, Emmanuel Macron n’a pas hésité à piocher dans les idées de droite. Quand il gagne en 2017, il n’est pas un président centriste mais plutôt une réponse opportune à ce qu’on imaginait être les attentes profondes des Français.
Sommairement, on peut le décrire comme un politique inspiré par l’universalisme républicain français et le social-libéralisme européen. Il a poussé pour le dépassement du clivage gauche-droite, la conversion des Français au libéralisme économique et sociétal ou encore la fin de l’assignation à résidence. Les réformes qu’il a mise en place (apprentissage, assurance-chômage, retraites) avaient pour objectif d’augmenter la quantité de travail pour créer plus de richesses et préserver le modèle social français. Son plus grand succès se situe sur le plan économique (hors débat sur le déficit budgétaire actuel) : baisse des impôts, réforme du droit du travail, baisse du chômage, hausse des investissements et de l’attractivité, lutte contre la désindustrialisation du pays … Cependant, les critiques adressées au macronisme sont nombreuses : déconnexion, technocratie, pouvoir solitaire, faible organisation, rejet du parlementarisme, des méthodes et prises de parole qui ont suscité un profond malaise chez des Français qui répondirent par de fortes contestations sociales (Gilets jaunes, manifestations contre la réforme des retraites).
Au-delà des critiques et attaques inhérentes à toutes les présidences, il a extrêmement bien perçu la demande massive de renouvellement du personnel politique en 2017, a compris que les vieux partis n’attiraient plus et a su constituer, au centre de l’échiquier, une force suffisamment puissante, capable de redéfinir les contours de notre vie politique. En cela, le macronisme a constitué une force centrale majeure, comme l’ont été le radicalisme au début du XXe siècle, puis le gaullisme dans les années 1960.Son émergence a fait apparaître une tripartition politique, chose absolument inédite et imprévue sous le régime actuel, qu’on ne voyait que sous la Troisième République, lorsque des blocs centraux faisaient en sorte de bloquer les extrêmes.
Si nous sommes sortis de la bipolarisation qui s’imposait depuis 66 ans, c’est parce que le macronisme a reconfiguré un paysage politique à bout de souffle. Ce mouvement a changé notre système comme jamais depuis le retour de de Gaulle en 1958.
Un bloc central centriste ?
Est-ce que ce bloc central est centriste ? Cette question peut sembler bizarre, mais elle est légitime tant le macronisme est difficile à cerner, fluctuant, indécidable. Notre vie politique est l’héritière de la Révolution française qui reste en partie l’inspiratrice de nos clivages idéologiques. Le centrisme, par définition, rejette aussi bien la réaction contre-révolutionnaire que la prise du pouvoir révolutionnaire par la rue. Il s’adresse à un électorat modéré et s’oppose à toute forme de violence. Surtout, il a le compromis dans son ADN alors que celui-ci reste connoté négativement, comme une forme de compromission, voire de trahison.
C’est un problème existentiel pour les centristes qui, bien que décriés, moqués comme étant trop « mous », « ni de de gauche, ni de gauche » ou « au fond à droite », selon les mots d’esprit de François Mitterrand, existent bel et bien. Des citoyens s’y reconnaissent, des partis politiques, des candidats aux élections présidentielles portent ces valeurs et, souvent, soulèvent des espoirs. La Troisième force sous la Quatrième république qui luttait contre les communistes et les gaullistes soupçonnés de préparer un coup de force pour faire revenir le général de Gaulle ; Jean Lecanuet, en 1965, qui a autant combattu le général que la gauche menée par François Mitterrand ; Valéry Giscard d’Estaing qui affirmait que la France voulait être gouvernée au centre ; ou encore François Bayrou en 2007 qui, en centriste critique du sarkozysme, voulait mettre fin à la « guerre civile » entre droite et gauche et atteignit 18,7 % des suffrages.
Le centre est une idée, une vision de la société qui doit son existence à la réalité du clivage gauche-droite, mais qui a aussi son identité propre. C’est une idée forte qui revendique sa tradition parlementaire, collégiale ainsi que son opposition claire et constante, sous la Cinquième République, au fait majoritaire gaulliste, au pouvoir personnel et à la bipolarisation forcée.
C’est un courant qui porte des valeurs qui lui sont propres : l’humanisme chrétien, la défense de l’idée européenne, un libéralisme juridique, politique et économique, le souci de la justice sociale ou encore l’attachement au parlementarisme.
Le centrisme est aussi une façon de gouverner qui repose sur un triptyque fondé sur la confiance en l’humain, son intelligence individuelle, collective et sa prise directe de responsabilité, la décentralisation, le dialogue permanent et organisé avec les partenaires sociaux ou encore la cohésion sociale assurée par l’État.
Pour la première fois depuis 1974, à travers Macron et avec le concours du parti historiquement créé par François Bayrou, le Mouvement Démocrate, c’est la victoire d’un centre d’un nouveau genre. Car ce centre macronien est d’inspiration sociale-libérale, plus proche d’un Michel Rocard que d’un Giscard héritier de la droite orléaniste ou d’un Bayrou démocrate-chrétien dont le mouvement ne se reconnaît pas entièrement dans le bloc central actuel.
Il y a une idée puissante dans le centrisme : on se réunit davantage sur des projets que sur des idéologies, ce qui a justifié une alliance avec Emmanuel Macron. Le président, lui, ne s’est jamais dit centriste mais central, pas davantage qu’il n’a convoqué les figures centristes du passé dans ses discours ou ses positions. Être « central » politiquement signifie que c’est un point flottant entre droite et gauche, au gré du contexte et de l’opportunité. Être centriste, c’est se rattacher à un corps de doctrine.
Emmanuel Macron est bien lié à la tradition centriste française à travers son profond et constant engagement européen. Mais, président omniprésent, actif, décidant de tout et reléguant le Parlement, il s’est démarqué des valeurs cardinales du centrisme. Au fond, il a incarné tout ce que le centrisme originel a rejeté dans les figures du général de Gaulle ou de Nicolas Sarkozy récemment.
C’est en tant que président central, c’est-à-dire un point flottant agrégeant des forces diverses autour de lui, sans cohésion idéologique, qu’il a réussi. Entre 2017 et aujourd’hui, nous avons vécu un moment crucial du centrisme mais pas une pratique centriste du pouvoir.
L’avenir du bloc central
Depuis les législatives 2024, confirmation de celles de 2022, on peut le dire : c’en est terminé de la bipolarisation.
Nous avons aujourd’hui trois blocs : le central, celui de gauche représenté par le NFP et celui de la droite extrême RN-UDR. On peut aisément envisager que la fragmentation se poursuive avec sept, huit ou neuf forces au sein de la droite et de la gauche, surtout si l’on passe au système proportionnel.
La dissolution de l’Assemblée a révélé les failles du bloc central. Ses divisions font craindre une destinée similaire à celle du PS de la fin du quinquennat Hollande : un parti totalement miné par les rivalités internes et idéologiques, les différences politiques et les désirs de revanche. C’est une tendance que l’on voit poindre. Les principales têtes du bloc commencent à raconter leur propre histoire. Gabriel Attal met progressivement en avant des marqueurs de gauche et sociétaux (droits lgbt, avortement) ; Edouard Philippe fait cavalier seul en annonçant déjà qu’il est candidat et proposera un projet de rupture d’avec Macron (« un projet massif »). Un des défis à venir pour le bloc central sera de survivre avec des successeurs qui sont nés et ont émergé en son sein mais dont aucun n’est profondément guidé par la culture centriste du compromis.
Les partis politiques eux-mêmes, ces structures lourdes qui ont besoin de travailler leurs idées et leurs programmes, vont devoir se repositionner. Ensemble pour la République, le nouveau parti présidentiel, ne sera pas, malgré l’idée persistante de dépassement des clivages, un parti centriste mais simplement une écurie présidentielle de plus dans la galaxie centrale, sans corps de doctrine. Il continuera à flotter tantôt à gauche, tantôt à droite et saura faire des concessions pour ne pas s’écarter du centre tandis que le MoDem, désormais au centre gauche, sera l’unique parti traditionnellement centriste, poursuivant son histoire. Et Horizons occupera le centre-droit, abandonné par LR.
Les adversaires en face seront tout aussi dangereux pour le bloc central qui doit garder en tête que nous sommes un pays où l’idéologie commande la politique. Il va lui falloir affronter les populismes de gauche et de droite qui, par essence, sont simplistes, vendent du rêve, des projets inatteignables ou irresponsables. Face à cette vague constatée dans beaucoup de démocraties libérales, l’espace central va devoir inventer des propositions fortes et marquantes pour dépolariser l’opinion. Le positionnement « ni révolutionnaire ni réactionnaire, raisonnable » ne suffira pas, après dix ans de présidence d’Emmanuel Macron, face au chaos, pour emporter les élections. Il lui faudra rompre avec ses pratiques et ses réflexes, proposer un récit moderne.
Le bloc central risque, s’il se divise à cause des personnalités, des égos, des différences entre aile droite et aile gauche ou du manque de consistance de son programme, de devenir une nébuleuse de petits groupes qui, dans un système proportionnel, devront nouer des accords électoraux en amont au risque de disparaître. Le moyen de survivre passera peut-être par la désignation d’un candidat à la présidentielle derrière lequel tout le bloc se rangerait. Actuellement, à ce jeu le plus à même de vaincre Marine le Pen est Edouard Philippe. Le bloc central dans son entier acceptera-t-il de pencher plus d’un côté que de l’autre quand celui qui faisait tenir l’attelage originel, Emmanuel Macron, ne sera plus là pour faire régner l’ordre ? On peut en douter.
Le macronisme a redessiné le système politique français d’une façon inédite et décisive pour les décennies à venir. Le président n’a été centriste que sur le plan européen mais il a surtout été central en additionnant les personnalités et les ralliements à un projet bâti autour de sa personne. Le bloc central risque la division tant les personnalités souhaitant le diriger sont nombreuses, les objectifs différents, comme on le voit déjà à l’assemblée, et que, face aux populismes, il ne sera pas aisé de faire oublier dix ans de gouvernance jupitérienne. Ce n’est pas un remake de 2017 qui permettra au bloc central de continuer à gouverner la France, mais au contraire la promesse d’un centrisme authentique.