Pour un pacte vert entre l’Europe et la Chine

Pour un pacte vert entre l’Europe et la Chine
Publié le 6 novembre 2025
  • Économiste, senior fellow à Bruegel (Bruxelles) et au Peterson Institute for International Economics (Washington). Il enseigne à Sciences Po Paris.
  • Présidente du Center for Economic Policy Research (CEPR) et professeure d'économie internationale à l'Institut universitaire des hautes études internationales de l'Université de Genève (IHEID)
Puissance économique et puissance régulatrice, l’Union européenne est aujourd’hui mise sur la touche par la rivalité croissante entre la Chine et les Etats-Unis. L’imprévibilité du Président américain et son agressivité envers les Européens créent une situation où l’Europe ne peut pas simplement s’aligner sur les intérêts américains. Pour autant, l’affirmation d’intérêts convergents avec ceux de la Chine requiert des préalables importants.

Début 2021, l’Union européenne a mis en suspens l’accord global sur les investissements qu’elle avait négocié avec la Chine après que les États-Unis lui avaient fait part de leur désapprobation. À l’époque, il semblait opportun de se rapprocher de la nouvelle administration américaine, car l’Europe était désireuse de rétablir l’unité transatlantique après le premier mandat de Donald Trump. Pendant un certain temps, cette décision a semblé judicieuse : le président américain Joe Biden a rapidement réintégré l’accord de Paris sur le climat et proclamé que « l’Amérique était de retour ».

Certes, les relations entre l’Europe et l’administration Biden n’étaient pas sans friction, en particulier après l’adoption de la loi sur la réduction de l’inflation (IRA), qui mobilisait des dizaines de milliards de dollars pour soutenir les industries américaines. Dans l’ensemble, cependant, les différends transatlantiques avaient été contenus et le soutien constant des États-Unis à l’Ukraine semblait avoir renforcé les relations transatlantiques.

Mais depuis le retour de Trump à la Maison Blanche, la solidarité transatlantique s’est à nouveau transformée en vulnérabilité stratégique. Les nouveaux droits de douane américains ont frappé aussi bien les amis que les ennemis. Craignant un arrêt complet du soutien militaire américain à l’Ukraine (ou pire), la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a conclu en Écosse avec Trump un accord commercial déséquilibré. En parallèle, les États-Unis ont entrepris de démanteler méthodiquement l’ordre hérité de l’après-guerre, allant jusqu’à le tenir, comme l’a dit le Secrétaire d’État Marco Rubio, pour « une arme utilisée contre nous ».

Après avoir une nouvelle fois fait sortir les États-Unis de l’accord de Paris sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, Trump sape activement les énergies renouvelables et l’action climatique de manière plus générale. À la mi-octobre, Washington a saboté un accord sur le point d’être conclu par l’Organisation maritime internationale sur la réduction des émissions du transport maritime ; et ce mois-ci, Trump fera tout son possible pour faire échouer un accord ambitieux lors de la Conférence des Nations unies sur le climat (COP 30) au Brésil.

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Malheureusement, alors que le monde s’éloigne des objectifs de limitation du réchauffement fixés il y a dix ans à Paris, le risque d’un effondrement du système climatique global s’est accru. Cela peut convenir aux intérêts à court terme des États-Unis et à ceux des lobbies des énergies fossiles, mais cela sera catastrophique pour la planète, en particulier pour les pays en développement les plus vulnérables.

Le seul point sur lequel républicains et démocrates s’accordent est qu’il ne faut pas laisser la Chine supplanter les États-Unis dans la position de leader de facto de l’ordre international. Si le récent rapprochement entre Donald Trump et Xi Jinping peut, dans l’immédiat, apaiser les tensions bilatérales, il ne réduit en rien la rivalité entre les deux puissances. Celle-ci va continuer à façonner les relations internationales pendant de nombreuses années, voire des décennies.

Face au nationalisme américain et à la volonté de puissance chinoise, l’Europe ne peut plus se permettre de demeurer passive. Malgré son poids économique, elle n’a jusqu’ici pas été un acteur dans ce jeu, et elle ne prétend certainement pas à la domination mondiale.

En tant que partisane d’un ordre fondé sur des règles, l’Europe ne peut se ranger sans réserve ni du côté de la Chine, ni de celui de l’Amérique de Trump. Mais dans un monde de plus en plus multipolaire, elle dispose d’une influence suffisante pour faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Si elle s’est jusqu’à présent tenue du côté des États-Unis, l’imprévisibilité et l’agressivité de l’administration Trump lui donnent des raisons d’envisager d’autres options.

Certes, l’UE a ses propres griefs à l’égard de la Chine. Mais les deux parties ont également de nombreux points communs, notamment en matière de politique climatique et de transition énergétique. En tant que premier émetteur mondial de gaz à effet de serre et premier producteur de technologies propres, l’avenir industriel de la Chine dépend du succès de la transition écologique mondiale.

La Chine et l’Europe partagent donc un intérêt stratégique à faire progresser la transition climatique dans les marchés émergents et les pays à faible revenu. Après tout, le sort du climat – et de l’environnement naturel – dépend de plus en plus de ces économies, qui représentent déjà la majeure partie des émissions actuelles et futures. Si leur croissance continue d’être fondée sur les combustibles fossiles, les dommages climatiques qui en résulteront imposeront des coûts croissants à tout le monde. Comme nous le montrons dans un récent rapport, il est beaucoup plus rentable d’aider les marchés émergents et les économies en développement à se développer grâce aux énergies renouvelables que de payer des coûts de l’adaptation au changement climatique qui augmentent rapidement.

À cette fin, un partenariat pragmatique entre l’Europe et la Chine pourrait aider non seulement l’Europe et la Chine, mais aussi toutes les générations actuelles et futures. Que faudrait-il pour y parvenir ? Compte tenu du faible niveau de confiance mutuelle, plusieurs conditions doivent être remplies.

Tout d’abord, les frictions commerciales ne doivent pas devenir un obstacle alors que les exportations nettes chinoises augmentent (en raison de la faiblesse de la demande intérieure) et qu’elles se détournent des États-Unis pour se diriger vers l’Europe. Pour éviter une aggravation de ces frictions, les deux parties doivent faire preuve de maturité et s’entendre sur des principes clairs.

Comme l’ont proposé des économistes français et allemands dans une note récente adressée aux deux gouvernements, l’accès de la Chine au marché européen devrait être inconditionnel pour certains produits tels que les panneaux solaires, mais rester conditionné à des investissements directs chinois et à des transferts de technologie vers l’Europe pour des produits tels que les véhicules électriques ; dans le même temps, les importations devraient rester strictement limitées dans certains secteurs jugés critiques pour la sécurité nationale.

La deuxième condition, la plus difficile à remplir, est d’ordre géopolitique. La plupart des analystes chinois considèrent l’Europe comme un simple vassal des États-Unis et voient la guerre en Ukraine comme un conflit entre ces derniers et la Russie pour la délimitation de leurs sphères d’influence respectives.

Les Européens ont bien sûr une lecture différente. Ils considèrent la Russie comme une puissance néo-impériale agressive qui vise à mettre la main sur l’Europe en commençant par s’attacher à neutraliser l’Ukraine. Dans un contexte où les États-Unis se concentrent de plus en plus sur l’Asie et la rivalité avec la Chine, la guerre hybride effrontée menée par la Russie contre l’Europe occidentale révèle clairement ses intentions.

Un partenariat commercial et climatique servirait les intérêts communs de la Chine et de l’Europe. Mais il ne peut être envisagé que si la Chine met fin à son soutien à l’agression russe et adopte une position plus neutre. En contrepartie, l’Europe doit s’engager sur le chemin d’une véritable autonomie stratégique vis-à-vis des États-Unis.

Si l’Europe et la Chine parviennent à remplir ces conditions, elles pourront jeter les bases d’un partenariat vert et fondé sur des règles, non pas contre l’Amérique, mais pour la défense des communs mondiaux et de leur propre avenir.

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