Les pratiques dites de développement personnel ont-elles leur place dans un meeting politique ? C’est ce qu’a défendu le parti Les Ecologistes pour le lancement de la campagne de Marie Toussaint aux élections européennes, samedi 2 décembre 2023 à Paris. Sous le titre « Pulsations », l’affiche du meeting présente une Marie Toussaint en pleine méditation, yeux clos et sourire paisible, avec pour slogan « la vie ne tient qu’à un battement », et pour projet « un meeting qui met à l’honneur la nature et les pulsations du vivant ». Au programme, entre deux discours militants : trente minutes de « Booty therapy » (traduire : « thérapie par les fesses ») collective en musique qui ont été largement médiatisées, où il ne s’agissait pas tant de danser que de « reconnecter corps et esprit » afin de dépasser son stress, sa colère et même de soigner ses traumatismes intimes. La référence affichée ? Rien de moins que le « féminin sacré » : un mot d’ordre « bien-être » en pleine expansion depuis quelques années, que la Miviludes (la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) a identifié dans son rapport 2021 comme une dérive sectaire protéiforme particulièrement juteuse pour ses zélatrices, et dangereuse pour ses émules.
Mais qu’est-ce que cette « booty therapy » que les militants verts ont pratiquée ensemble pour lancer leur campagne ? La définition en a été proposée sur scène, par ses zélatrices invitées à lancer le combat des europénnes : « La booty therapy, c’est un concept qui regroupe toutes les danses afro-caribéennes et des exercices de théâtre. C’est toutes les danses autour du bassin et des fesses. En effet, dans ce monde où nos têtes et tout ce qu’il y a dedans sont mis au centre et hypervalorisés, où nos émotions sont inhibées, où le stress et l’anxiété sont permanents et grandissants, on oublie beaucoup trop souvent de se connecter à notre corps et aux messages qu’il transmet. C’est ici que se trouve le pouvoir thérapeutique de la « booty therapy », en nous reconnectant à nous, en pouvant ainsi prendre soin de nous et surtout libérer les émotions qui sont stockées dans notre bassin. Et la « booty therapy » c’est aussi un outil puissant de revendications politiques. (…) Pour revendiquer notre droit de « shaker », de danser, d’exister dans l’espace public, avec tous nos corps différents, nos corps de femmes et autres, et tout le féminin que chacun a en soi : le féminin sacré ».
Ainsi les bases ont-elles été posées d’une exaltation collective en première partie du meeting des Verts pour les élections européennes. Après un temps de « spectacle » des trois danseuses conviées sur scène, séquence avec le public : les danseuses enseignaient aux militants, divisés en deux groupes, celui de « Marie » (Toussaint) et celui de « Yannick » (Jadot) tous deux au premier rang, une « chorégraphie ». Il s’agissait pour les participants de secouer leur bassin à toute force, en criant et en musique, pour exprimer leur colère ou leur anxiété, et pour « transmettre l’énergie » de ces émotions aux fesses de leurs voisins. « Laissez vos fesses s’envoler, laissez vos fesses s’exprimer » : les danseuses invoquent explicitement le « pouvoir thérapeutique » de leur proposition, capable selon elles de « rallumer ta puissance de vie ».
Sur les réseaux sociaux, on a pu mettre en doute le sérieux d’un moment de danse collective effrénée, ou bien, plus encore, le bien-fondé de la référence explicite à l’écoféminisme, critiqué depuis les années 1980 pour sa tendance mystique à l’essentialisation du corps des femmes. De très nombreux militants écologistes ont surtout exprimé sur X (ex-Twitter) leur profond désarroi devant cette séquence. Parmi les motifs d’incompréhension, plusieurs militants soulignent le risque que prend ainsi le parti écologiste de paraître immature, déconnecté des réalités de l’opinion et des rigueurs du pouvoir qu’il brigue. Plus encore, certains militants déplorent la tonalité ésotérique de ce meeting de lancement et défendent la nécessité d’un discours écologiste fondé sur les preuves du dérèglement climatique, les consensus scientifiques et les capacités de négociation politique.
Mais ce qui interroge aussi dans cette séquence largement médiatisée, c’est l’allégeance assumée à un discours qui chante le développement dit « personnel » (et singulièrement les spécificités de celui des femmes), à rebours donc de la logique politique des combats collectifs, et en tangentant sans scrupules la dérive sectaire du « féminin sacré » aujourd’hui largement dénoncée par l’Etat. Donnant à voir un parti qui souscrirait donc ainsi à la quête de la justesse de l’intime, bien plus qu’à celle de la justice politique, sociale et climatique en tant que bien public.
Le « féminin sacré » dans le viseur de la Miviludes
Comme l’ont rappelé ses praticiennes sur scène, la « booty therapy » se réfère explicitement à la mouvance du « féminin sacré ». Or la Miviludes a justement choisi de consacrer un chapitre entier de son rapport 2021 au « féminin sacré » face auquel elle « recommande une vigilance particulière ». Elle note en introduction qu’il lui « est apparu essentiel d’évoquer le sujet afin de sensibiliser le plus grand nombre aux potentiels dangers de cette doctrine », qu’elle caractérise ainsi : « la théorie du féminin sacré est en pleine expansion et trouve un véritable succès sous couvert de l’émancipation des femmes, alors même que l’objectif premier semble être purement financier ».
Le « féminin sacré » est présenté comme un travail « de reconnexion du corps et de l’esprit », comme l’a dûment rappelé la praticienne de « booty therapy » sur la scène du meeting des Ecologistes. Il est souvent « enseigné » lors de stages à destination des femmes, durant lesquels une grande place est accordée au rituel et à l’ésotérisme. La Miviludes souligne que les femmes sont incitées « à faire appel au karma et autre énergie quantique » en se référant à des figures mystiques, comme celle de la sorcière dans le cadre d’une inspiration nommée « WICCA ».
La Miviludes s’appuie sur les signalements qu’elle a reçus consacrant la mouvance du « féminin sacré » pour considérer que « ce mouvement lucratif repose essentiellement sur des stages et pratiques non réglementées ». Durant ces stages, poursuit le rapport, il est par exemple affirmé que si une femme a des règles douloureuses, c’est qu’elle n’est pas « en accord avec sa nature profonde de femme ». De nombreux rituels sont présentés comme impératifs pour le bien-être féminin, comme la « bénédiction de l’utérus » dans la mouvance dite des « Moon mothers », « technique énergétique qui cherche à harmoniser et synchroniser les énergies de la femme ». Souvent décrit comme une dérive ésotérique problématique de l’écoféminisme, le « féminin sacré » se donne pour un outil d’émancipation de la femme alors que ses rites semblent tout droit issus de l’adage bien connu « tota mulier in utero » (« la femme est tout entière dans son uterus »).
Le développement personnel féminin, un marché en vogue très juteux
La référence au « féminin sacré » remporte un grand succès : sur Instagram, le hashtag concerne plus de 300.000 publications. A titre de comparaison, le tag « #climat » en concerne 251.000, et « #électionseuropéennes », toutes orthographes confondues, autour de 6.000.
Même si la Miviludes souligne combien Internet favorise des mouvements comme le « féminin sacré », le marché du « bien-être » et du « développement personnel » féminins est singulièrement florissant dans le domaine de l’édition. Entre 2017 et 2020, la production éditoriale de non-fiction consacrée aux femmes a augmenté de 15 %, avec une croissance de 72% dans les domaines de la santé, du bien-être et de l’ésotérisme selon les données de Livres Hebdo, rapportées par l’Express.
Les abonnements à des formations en ligne, capsules et modules de visio-conférences sont également en pleine explosion. Par exemple, le compte « sacré_féminin » qui compte plus de 130.000 abonnés sur Instagram propose une formation en ligne de 20 heures en capsules et bonus vidéo, au tarif de 297 euros, auxquels s’ajoute l’achat de différents jeux de cartes au prix de 40 euros pièce.
Après le record de ventes atteint par Mona Chollet avec son livre Sorcières, la puissance invaincue des femmes, Lauren Bastide, journaliste au féminisme revendiqué dont le podcast « La Poudre » revendiquait en 2021 plus de 10 millions d’écoutes cumulées, a interviewé à plusieurs reprises des « sorcières modernes ». Il est aussi possible de « devenir sorcière » à « l’École des mystères » en s’initiant aux « treize clés de la magie féminine » avec « les éveilleuses du féminin » : pour 835 euros, on y accède, au « niveau 1 », à une newsletter envoyée par mail pendant treize mois, trois séances de rituels d’une heure en présentiel, et un accès à la communauté facebook ; ensuite, le tarif des retraites en présentiel pour les niveaux 2 et 3 dépasse les 500 euros pour trois jours sans hébergement.
Détaillons un exemple d’offre du « féminin sacré »
Via google, en cherchant un stage de « féminin sacré » à Paris, on tombe par exemple sur le site Eveil de femmes, « le site des femmes en chemin ». Il s’agit d’une association qui offre un cursus de formation en vue d’un « processus personnel de transformation profonde » à base de « Tantra femme, Féminin sacré, Chamanisme, Danse intuitive et Thérapie psychocorporelle ». Le cursus comprend quatre retraites, chacune de 3,5 jours au tarif de 600 euros en pension complète, soit 2400 euros, auxquels peuvent s’ajouter 2700 euros pour un « voyage spirituel et initiatique » en Inde. Des séances individuelles sont également envisageables en visio.
Ces retraites sont animées par une « femme de la lune et de la terre » qui se présente comme ayant été formée aux « pratiques psychocorporelles et chamaniques » et au « Life Art Process® », co-fondatrice d’un éco-village, ainsi que par une « thérapeute psychocorporelle » qui, « après une enfance déjà très en connexion avec le multidimensionnel », s’est formée en « biodynamique », en « énergétique », en « naturopathie », en « accouchement naturel » et en « slow sexe et guérison du féminin », ainsi qu’en accompagnement du couple « A nos amours® » et « Imago® ». (A voir les labels en « ® » fleurir dans ces biographies, on a le sentiment d’un marché de la formation à l’ésotérisme plus florissant, plus concurrentiel, et potentiellement plus procédurier encore que celui de l’industrie pharmaceutique !)
Au programme des retraites que proposent ces « thérapeutes » : « guérir son féminin sacré » ou encore son « enfant intérieur » et atteindre une « sexualité consciente », le tout « en s’immergeant dans la sororité et la puissance du féminin ». Grâce à cela, est-il affirmé sur ce site qui s’adresse au visiteur en le vouvoyant, vous pourrez « nettoyer votre lignée, et vos idées limitantes, faire jaillir votre plein potentiel, votre beauté et votre énergie de vie ! Contacter votre plaisir, votre désir, votre profondeur. Faire face à vos ombres et vos peurs, pour les apprivoiser et les dépasser, devenir actrice de votre sexualité et apprendre à vous aimer, à faire confiance en vos intuitions, sensations et la puissance de votre corps ».
Le projet d’Eveil de femmes est bien de réveiller chez ses émules la magie de leur part féminine, définie comme « celle qui sait, celle qui sent, celle qui voit au-delà des apparences, celle qui fait confiance en son corps et ses ressentis, celle qui est en lien avec ses émotions, sa lenteur, sa douceur, pleine de ressources et de vie ! ». Une essentialisation de la féminité, placée sous le signe de la « connexion » avec le corps et singulièrement le bassin, qui résonne avec la démonstration bien connue de Simone de Beauvoir dans Le deuxième sexe en 1949 : « il est entendu que le fait d’être un homme n’est pas une singularité ; un homme est dans son droit en étant homme, c’est la femme qui est dans son tort. Pratiquement, de même que pour les Anciens il y avait une verticale absolue par rapport à laquelle se définissait l’oblique, il y a un type humain absolu qui est le type masculin. La femme a des ovaires, un utérus – voilà des conditions singulières qui l’enferment dans sa subjectivité ; on dit volontiers qu’elle pense avec ses glandes »1.
Une nébuleuse d’offres centrées sur le féminin
Le « féminin sacré » et ses rituels d’utérus et de sorcières ne sont que la partie la plus ostensible d’une mouvance protéiforme d’offres ésotériques centrées sur le corps des femmes et plaidant les vertus curatives de la « reconnexion » entre corps et mental. Le socle commun de nombreuses approches psycho-corporelles est d’inviter les femmes à chercher dans leur corps, et souvent singulièrement dans leur bassin, l’énergie qui leur permettra de retrouver une posture ferme, une confiance en soi revivifiée, une pleine conscience de leurs émotions, et la guérison de leurs traumas, stress, anxiétés et troubles psychiques hérités de l’enfance. Nées au carrefour de la critique de la psychanalyse freudienne et de celle de la psychologie béhavioriste, les thérapies psychocorporelles invitent à renouer avec le plaisir d’exister dans son corps. C’est ainsi qu’à partir de la fin des années 1960, Alexander Lowen développe la bioénergie, Fritz Perls la Gestalt thérapie, ou Ida Rolf, le rolfing, un « massage psychologique ».
Dans leurs mouvances orientées vers les femmes, ces approches s’adressent au corps des femmes et à son « langage » comme la porte d’entrée incontournable vers le mieux-être. Elles s’appuient sur la théorie de Wilhelm Reich, selon laquelle une émotion refoulée s’accompagne toujours d’une rigidification des muscles, qu’il nomme « la cuirasse musculaire somatique » de nos « blessures émotionnelles ». Mouvement, verbalisation des émotions, danse, relaxation et massages sont donc mêlés dans des pratiques comme la fasciathérapie, le yoga tantra, la biodynamique, le rolfing, l’analyse bioénergétique, la danse-thérapie, etc. Ces pratiques sont mixtes mais leurs cibles premières sont les femmes : toutes s’intéressent ainsi particulièrement au bassin, au pelvis, au périnée, à l’utérus, au nerf vague, au plexus solaire… toutes zones cruciales au fondement du corps féminin qu’il s’agit de reconnecter, par « intégration structurale » au sein d’une approche toujours « holistique », à la respiration et au mental.
Simili-thérapies pelviennes et dérives d’obédience sectaire
Outre qu’elle multiplie les références à l’écologie et à la nécessité de retrouver une harmonie avec la nature à l’abri du stress, la langue utilisée par les sociétés de promotion du bien-être féminin ésotérique singe ouvertement le langage médical et présente les rites proposés comme des « thérapies » à vocation curative, soignant conjointement le corps et l’esprit grâce à la « reconnexion » professée.
Ainsi, pour la société « Rites de femmes » qui n’hésite pas à réinventer l’étymologie en se disant adepte de la « gyn-écologie » sous le mot d’ordre « depuis mon corps jusqu’à ma pensée », il est important de favoriser chez les femmes une « réappropriation du schéma corporel du système nerveux central, périphérique, neurovégétatif, glandulaire et hormonal ». Un chemin qui leur apprendra combien « l’équilibre hormonal passe par l’équilibre nerveux » puisqu’aussi bien « le plexus solaire est une porte d’accès pour nous en self-help dans l’auto-régulation du système nerveux ».
C’est ainsi que « notre corps est notre première médecine ». Rituel de femmes tutoie sur son site ses visiteuses et futures clientes pour leur montrer qu’il suffit de mieux connaître « le centre de régulation de la vie en toi ». Pour cela, il importe d’acquérir, en véritable thérapeute, « des notions de physiologie et d’anatomie vivante, des explications analogiques et énergétiques, avec l’expérience des disciplines somato-psychiques ». Ceci cependant ne saurait aboutir sans une « pratique corporelle pour corporéiser les acquisitions théoriques et te fournir un ancrage perceptif ». La formation labellisée Gynexploration®, qui s’adresse en particulier aux femmes naturopathes et professionnelles de thérapies alternatives qui prennent en charge des clientes femmes, est proposée au tarif de 380 euros pour treize leçons, puis 48 euros par mois d’appartenance à la communauté. Différents stages, au tarif de 480 euros sans hébergement pour trois jours, proposent en outre de « jardiner sa paix » en reconnectant son système hormonal, son mental, ses émotions et son corps. Les mots d’ordre évoquent les caractéristiques de la dérive sectaire au sens de la définition que la Miviludes propose dans son guide de repérage des dérives sectaires dans le secteur « Santé et bien-être » : dans le registre du tutoiement et avec photos pastel à l’appui, sont proposés à la fois une explication métaphysique du monde tel qu’il va à sa perte, et une voie curative pour tous les troubles regroupés sous des entités floues à consonance médicale. C’est ainsi que les femmes pourront, avec des « rites de femmes », autour de l’énergie que donnent la danse ou le massage entre femmes, trouver leur voie, par la connaissance de la « géométrie sacrée du corps », le « réalignement postural », la « spatialisation » de leur « réajustement intime » et la « danse de l’équilibre hormonal ». Il s’agit, selon Rites de femmes, de retrouver du sens face à un monde « qui est en train de détruire les équilibres, les nôtres et ceux de l’environnement ».
Comment le développement personnel peut-il trouver sa place dans un projet politique ?
Replacé dans le contexte de ce business ésotérique, à qui s’adresse le projet politique des Verts pour les élections européennes ? S’agit-il de cibler le vote des femmes, et notamment des jeunes femmes ? Il est vrai que certains sondages montrent de façon inquiétante que les femmes sont plus portées à l’ésotérisme que les hommes : selon une récente étude de la Fondation Jean-Jaurès sur la mésinformation scientifique des jeunes, 53 % des jeunes femmes de 18-24 ans estiment par exemple que « l’astrologie est une science » contre 44 % des jeunes hommes ; et 43 % des jeunes femmes considèrent que les envoûtements et la sorcellerie sont fondés, quand seuls 29 % des jeunes hommes le pensent.
Dans un autre registre, s’agit-il là pour les Ecologistes de proclamer leur inspiration arcadienne, plus sensible à l’épanouissement des individus qu’aux combats scientifiques et politiques contre le dérèglement du climat ? Rappelons l’importance de ce courant français de l’écologie, porté en particulier par André Gorz : visant l’épanouissement de l’existence humaine, du bien-être à l’émancipation en passant par les aménités de l’existence et la désaliénation, il maintient, comme l’écrivent Dominique Bourg et Kerry Whiteside dans leur essai de typologie des écologies politiques, les aspects scientifiques « à l’arrière-plan » et privilégie la référence aux « savoir intuitifs, aux savoir-faire vernaculaires » au sens d’Illich. Citons ainsi André Gorz en 1992 : « La « nature » dont le mouvement exige la protection n’est pas la Nature des naturalistes ni celle de l’écologie scientifique : c’est fondamentalement le milieu qui paraît « naturel » parce que ses structures et son fonctionnement sont accessibles à une compréhension intuitive ; parce qu’il correspond à un besoin d’épanouissement des facultés sensorielles et motrices ; parce que sa conformation familière permet aux individus de s’y orienter, d’interagir, de communiquer « spontanément » en vertu d’aptitudes qui n’ont jamais eu à être enseignées formellement ».
Cet « épanouissement des facultés sensorielles et motrices » est-il le cœur du message politique des Ecologistes à la veille des élections européennes ? C’est bien ce qu’évoquait la référence aux énergies du fessier et au « féminin sacré » lors de ce meeting de lancement. Il n’empêche : placer ce meeting sous les auspices du développement personnel et conférer au « féminin sacré » une portée « thérapeutique » suggère nettement une forme d’allégeance à l’égard de discours que tout porte à identifier comme des discours dont la tendance sectaire est assumée et dangereuse. Parce qu’ils s’adressent au sentiment de perte de sens et à l’anxiété. Parce qu’ils prétendent avoir la réponse la plus bienfaisante et la plus efficace à toutes les questions que chacun se pose quant au cours du monde et quant aux découragements intimes. Parce qu’ils sacralisent et mysticisent une forme d’immutabilité naturelle et ancestrale du corps des femmes, auquel ils confèrent de fait, du moins pour celles qui auront trouvé le chemin de la comprendre en conscience, une vertu rituelle de communication magique. Parce qu’enfin, et c’est là la caractéristique du discours des dérives sectaires, ils font bel et bien reposer la quête d’un mieux-être à venir sur l’effort personnel et l’engagement actif de l’adepte conscient, distingué, grâce à des paiements répétés et conséquents, des masses passives avalées par les dérives insensées du monde tel qu’il court à sa perte.
La question n’est évidemment pas de savoir s’il est approprié de danser heureux et ensemble pour lancer le combat d’une campagne, ou bien, plus substantiellement, si l’écoféminisme peut trouver sa place, quelles que soient les critiques qui lui sont adressées pour son essentialisation d’une supposée féminité volontiers mystique, dans la lutte contre le dérèglement climatique.
Laissons ces débats de côté. Le point, ici, est qu’un discours du « féminin sacré », un discours de développement personnel décliné dans une mouvance protéiforme de glorification du corps des femmes, très clairement dénoncé pour ses dérives sectaires actuelles par une instance gouvernementale, soit tout bonnement propulsé en guise de référence culturelle partagée dans un meeting politique. Or les discours du « développement personnel » portent dans leur titre même l’idée que la solution face aux désordres du monde est intérieure à chacun. Parce qu’ils prétendent offrir à ceux que leur conscience aura amenés à payer formations, séances ou stages, il fait signe vers une vision individualiste de l’épanouissement : chercher la solution en soi, et en payant, n’est-ce pas là le contraire du projet qu’un parti politique devrait afficher ? Si la solution aux maux du quotidien est intérieure, faite de conscience intime, de danses, de massages ou de méditations entre adeptes, pourquoi militer ? pourquoi même voter ? Se placer sous les auspices de théories dédiées au développement personnel est une triple faute politique :
- C’est mettre à l’écart, voire isoler et culpabiliser s’ils se sentent perdus, ceux qui, faute d’argent peut-être, ou bien par conviction, refusent d’emprunter le chemin quasi-sectaire des rites, pratiques ésotériques, antiennes holistiques, danses, massages et représentations cosmogoniques ;
- C’est assumer de refuser d’offrir, en tant que parti, un chemin de luttes collectives à ceux que l’urgence climatique anime de colère politique, en les renvoyant sans ambages à la souplesse expressive de leur fessier, dont la charge énergétique est ici vantée pour elle-même ;
- C’est placer du côté du soi intime des fesses, et non du collectif, les ressorts de la compréhension du monde tel qu’il va et des combats qui permettent d’y trouver sa juste place : le combat pour la justice ici, dans sa dimension publique, sociale et collective, adossé aux données de la science, est simplement supplanté par la justesse du rapport à soi et aux autres, ressort intime et non politique du sens de l’existence ;
- C’est mettre en scène, sans autre forme de procès, le soupçon que l’Etat, dans sa lutte contre les dérives sectaires et singulièrement depuis 2021 contre le « féminin sacré » sous l’égide de la Miviludes, impose un carcan illégitime et ratiocinant à la libre inventivité des énergies pelviennes personnelles en quête d’épanouissement communicatif ;
- C’est, enfin, hystériser, sur scène et dans un public militant, avec force cris aigus et invitations forcenées à la transe pelvienne, les ressorts du combat politique – réduit ici à l’invocation de la « part de féminin » que chacun découvrira en soi en « shakant » son bassin.
Ceci ne fera que risquer d’enrichir davantage les charlatans en vogue et sans scrupules du bassin féminin ; qu’enfermer davantage dans leurs dépenses risquées les trop nombreuses femmes en quête d’un chemin de sens qu’on leur vend si bien pavé de consolations pelviennes intimes ; et, surtout, que confirmer les 58% d’électeurs qui jugeaient lors de la dernière élection présidentielle que le projet des écologistes pour la société n’est « pas réaliste ».