Doublement des franchises médicales : faire payer les malades ?

Doublement des franchises médicales : faire payer les malades ?
Publié le 24 octobre 2023
  • Responsable du pôle Santé de Terra Nova
  • Économie de la santé, Université Paris-Dauphine, Collège des économistes de la santé
Alors que le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) arrive aujourd'hui 24 octobre en discussion plénière à l'Assemblée nationale, on ne connaît pas encore l'arbitrage qui sera rendu quant à l'annonce faite par le gouvernement cet été de doubler le montant des franchises médicales. S'agit-il ainsi de renflouer les caisses de la sécurité sociale ou bien, comme le dit le gouvernement, de "responsabiliser les patients" ? Dès lors que le "signal prix" qu'est censé constituer la franchise concerne notamment des consommations de médicaments qui sont médicalement prescrites, ne risque-t-on pas plutôt d'aggraver le non-recours aux soins ?

Le gouvernement a annoncé cet été qu’il envisageait de doubler le montant des franchises médicales et des participations forfaitaires des assurés sociaux pour « responsabiliser les patients et réduire la surconsommation de médicaments ». Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, juge par exemple que « la gratuité ou la quasi-gratuité peuvent conduire à déresponsabiliser le patient ». Le but d’une telle mesure serait de mettre un terme aux « dépenses de confort et de facilité ». Le ministre de la santé, Aurélien Rousseau, parle d’un doublement « probable » des franchises médicales en 2024 et annonce travailler sur le dossier. La somme qui, pour chaque boîte de médicament achetée, reste à la charge des patients pourrait ainsi passer, en 2024, de 0,50 centime à 1 €.

La mesure est actuellement discutée avec pour toile de fond les débats sur le Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), présenté en Conseil des ministres le 27 septembre 2023. Elle n’y figure cependant pas en tant que telle : « la franchise médicale n’est pas dans le PLFSS car ce n’est pas une mesure de niveau législatif. Le sujet est sur la table et il concerne à la fois les Français mais aussi tous les professionnels », a indiqué le ministre aux comptes publics, Thomas Cazenave. Selon Bercy, la mesure pourrait être « matérialisée » dans la partie du PLFSS qui concerne la « responsabilisation des acteurs », budgétée à hauteur de 1,25 Md€, ou bien « trouver sa mise en œuvre potentielle par voie réglementaire ».

Franchises : les enjeux du dispositif

Les franchises ont été créées en 2008 avec l’objectif politique assumé non pas simplement de trouver une source additionnelle de financement des dépenses de santé, mais de « responsabiliser » les patients. Le mot est loin d’être anodin : il tient pour acquis qu’il est justifié de soupçonner les patients d’une tendance à la « sur-consommation » de soins.

La première question qui se pose est de savoir si la surconsommation de soins existe. Les données révèlent avant tout l’ampleur des phénomènes problématiques de sous-consommation, liés aux recours tardifs au système de soins, aux suivis chaotiques ou à des renoncements aux soins pour raisons financières et de non-disponibilité des soins ; une sous-consommation de soins que l’on sait délétère à terme pour l’état de santé (Dourgnon et al., 2012). Au-delà de ce premier constat, il s’agirait de savoir à quelle aune on jugerait d’une consommation exagérée : moyenne de consommation ? norme médicale ? Dans notre système de santé, le remboursement des soins par l’Assurance maladie est conditionné par leur efficacité clinique. Ainsi, de nombreux médicaments sont régulièrement déremboursés, et dans ce cas ne font plus l’objet de franchises. Les médicaments qui font l’objet de franchises sont donc des médicaments qui ont été jugés utiles par les autorités de régulation, et qui ont été prescrits par un médecin au patient dont le remboursement est ponctionné d’une franchise. On peut argumenter que certains patients ont des consommations très élevées et que l’on peut douter de l’adéquation de leur prescription. Mais dans ce cas, est-il moralement pertinent de faire peser la sanction sur les patients et non sur les prescripteurs ? Surtout, les franchises s’appliquent à tous les médicaments, y compris les médicaments les plus nécessaires. On peut alors s’interroger sur le bien-fondé d’une mesure qui conduirait les ménages à restreindre leur consommation de soins nécessaires, ou à faire peser une partie du coût des soins sur les seuls usages et non plus l’ensemble des assurés sociaux ou complémentaires.

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Enfin, on peut se demander si les franchises médicales ont une quelconque efficacité sur la réduction des dépenses d’assurance maladie ; pour autant que l’on arrive à définir les soins prescrits qui seraient utiles et ceux qui ne le seraient pas, la seconde question est de savoir si les franchises médicales sont le bon instrument pour réduire les dépenses jugées non justifiées d’assurance maladie. Enfin, on peut se demander si, dans le cas où ces dépenses resteraient inchangées, il est moralement pertinent de les faire en partie peser sur les seuls usagers, et non plus sur l’ensemble des assurés sociaux (ou sur les complémentaires) : le principe de solidarité entre malades et non-malades est en effet au fondement de notre système d’assurance maladie. En réalité, le paysage sous-jacent au discours gouvernemental semble être que la croissance des dépenses serait forcément le signe d’un dysfonctionnement du système, imputé en l’espèce aux consommateurs et non aux prescripteurs. Mais cette approche s’inscrit dans un constat plus large que chacun connaît : notre système de soins fait face à des défis que l’on sait structurels : vieillissement de la population et innovation thérapeutique contraignent forcément à trouver de nouvelles sources de financement. C’est dans ce contexte-là que s’ouvre le débat.

PLFSS pour 2024 : un mot d’ordre de « responsabilisation des acteurs »

Le gouvernement a présenté, ce 27 septembre 2023, en Conseil des ministres le Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024. Un texte qui doit « poser un jalon important pour renforcer la soutenabilité et l’acceptabilité » du modèle social, selon le dossier de presse.

Le PLFSS prévoit un déficit de 8,8 Mds€ de la Sécurité sociale (régimes de base et FSV) pour 2023 confirmant le redressement opéré depuis 2020, année où la Sécu a enregistré un déficit record de près de 40 Mds€ sous l’effet de la crise du Covid. Mais les comptes se détériorent à nouveau pour les trois prochaines années, avec des déficits prévisionnels de 11,2 Mds€ en 2024, de 15,8 Mds€ en 2025 et de 17,1 Mds€ en 2026. En cause, un creusement du déficit de l’assurance vieillesse alors que celui de l’assurance maladie se maintient aux environs de 10 Mds€.

Concernant la branche maladie, le PLFSS pour 2024 fixe l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) à 254,7 Mds€ de dépenses (hors crise).  « L’Ondam connaît une hausse de 3,2 %, supérieure à l’inflation [2,6 % prévue], tout en prévoyant 3,5 Mds€ d’économies en 2024, qui passent notamment par un effort de maîtrise des dépenses de soins de ville et par une responsabilisation de l’ensemble des acteurs », indique le ministère des Comptes publics.

Le rendement du dispositif des franchises était estimé à 877 millions € pour 2010, dont 85 % au titre des médicaments (744 millions), 13 % des actes d’auxiliaires médicaux (111 millions) et 2 % des transports sanitaires (22 millions).

Les franchises concernent l’ensemble des régimes d’assurance maladie, sauf le régime des mines. A la différence des tickets modérateurs, ces franchises sont non réassurables. Elles sont donc uniquement à la charge des usagers du système de soins, sans pouvoir être remboursées par leur assurance complémentaire santé. Certains usagers sont toutefois exonérés : les personnes mineures, les bénéficiaires de la CSS (ex CMU-c et ACS) et de l’assurance maternité, ainsi que des pensionnés militaires d’invalidité. Au total, près de 19 millions d’assurés, soit 29 % de la population, sont exonérés du paiement des franchises.

Deux autres limites ont été mises en place : le montant annuel par assuré est plafonné à 50 € ; la participation journalière maximale est fixée à 2 € pour les actes d’auxiliaires médicaux et à 4 € pour les transports. 25 % des assurés atteignent le plafond annuel de 50 €, ce qui représente en fait 35 % de la population concernée par les franchises en excluant celle qui en est exonérée. Surtout, la moitié des personnes en affection de longue durée (ALD) atteint le plafond annuel. D’ailleurs, le montant total de franchise à la charge des personnes en ALD est de 352 millions € en 2010, soit 40 % du total. Le montant annuel des franchises est certes plafonné, mais s’ajoute à celui des participations forfaitaires de 1€ par consultation qui est lui aussi plafonné à 50 € par an.   

Un impact sur les plus fragiles

Beaucoup d’autres pays – la Suisse, les Pays-Bas, les Etats-Unis ont aussi des stratégies de franchises, mais qui sont très différentes de la nôtre. En France, un montant très petit s’applique à tous les patients concerne tous les soins reçus : franchises sur les médicaments, donc, mais aussi franchises sur les consultations qu’on appelle « participations forfaitaires » (1€ non-réassurable sur chaque consultation, acte médical (hors hospitalisation complète), acte de radiologie et de biologie médicale), franchises sur les transports sanitaires, etc. Ces montants s’additionnent. Dans la plupart des pays, le dispositif fonctionne sur une année : les 150 ou 200 premiers € de dépenses sur l’année ne sont pas remboursées, après quoi le patient est couvert. En France, c’est le principe de la franchise automobile, dont le nom a d’ailleurs été repris, qui s’applique – chaque soin comporte une petite fraction non-remboursée, à concurrence d’un premier plafond de 50€ pour les franchises sur les boîtes de médicaments, transports etc., et d’un autre plafond de 50€ pour la participation forfaitaire.

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Il faut aussi se souvenir que, dans un registre comparable à celui des franchises, les patients doivent par ailleurs s’acquitter, à chaque point de contact avec le système de soins, du « ticket modérateur », ce « reste à charge » qui, dans la consommation de soins, n’est pas couvert par l’Assurance maladie. La différence est toutefois que le patient peut être couvert par une assurance complémentaire pour ce ticket modérateur alors que les franchises sont non réassurables.

La question est bien sûr de déterminer l’efficacité des choix faits en 2008. Il n’y a pas eu d’évaluation de l’impact quantitatif sur les dépenses de santé de l’introduction des franchises en France. Des travaux, notamment l’expérience de la Rand aux Etats-Unis (Manning, 1987), ont démontré qu’une augmentation importante du reste-à-charge avait bel et bien un impact causal sur la réduction de la consommation de soins chez les patients. Cependant, il s’agissait là d’une augmentation très sensible des prix, et il n’est pas du tout certain que ces conclusions puissent s’appliquer au contexte français. La seule étude en France est celle de l’IRDES en 2008, et elle repose sur la déclaration par les ménages

Comme les franchises touchent indistinctement tous les patients, la crainte naturelle est bien sûr que les plus modestes, pour qui la somme n’est pas forcément anodine, et surtout les plus malades, qui paient nécessairement davantage que les autres, soient plus durement touchés. En réponse, l’argument avancé par le gouvernement est généralement que cette politique de franchises n’est pas inéquitable dès lors que les plus modestes, bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire [CSS, ex-CMU-C] en sont exonérés. Mais les données produites depuis 2008 montrent que cet argument n’est pas suffisant pour écarter l’inéquité profonde des franchises. En effet, le taux élevé de non-recours à la CSS que nous connaissons est un problème majeur.

Une étude de l’Institut de Recherche en Economie de la Santé menée en 2008 après l’introduction des franchises sur les médicaments a montré qu’en moyenne 12 % des personnes déclaraient avoir modifié leurs achats de médicaments suite à la mise en place des franchises (Kambia-Chopin et Perronnin, 2010). Les résultats montrent que tous les patients n’ont pas été touchés de la même manière par cette mesure. Les plus modestes et les plus malades ont été deux fois plus nombreux à limiter leurs achats de médicaments. Globalement, la mesure n’a donc pas eu d’effet sur les dépenses de santé mais elle a eu un effet notable chez les plus modestes. De plus, elle a eu pour conséquence une augmentation du paiement direct des usagers, qui sont plus nombreux parmi les plus âgés et les plus modestes en raison des fortes inégalités sociales de santé.

Les patients couverts par la complémentaire santé solidaire [CSS, ex-CMU-C] sont au nombre de 7,4 millions, en France métropolitaine, soit près de 11 % de la population. Or près de 9,2 millions de personnes (15% de la population) vivent sous le seuil de pauvreté. En confrontant ces chiffres, on voit bien les difficultés dans lesquelles se trouvent des ménages qui vivent un peu au-dessus des minimas, et qui, parce qu’ils n’ont pas d’assurance complémentaire, voient leur budget grevé de manière inéquitable par la politique des franchises.

Ces résultats avaient d’ailleurs conduit la Commission des affaires sociales du Sénat à demander la suppression des franchises dans le cadre de la discussion sur le PLFSS pour 2012 ; le groupe communiste au Sénat argue des mêmes constats pour dénoncer, par des propositions de loi régulières (2012, 2015,…), que « les différentes franchises médicales sont d’autant plus injustes qu’en réalité, si elles n’ont pas permis de « responsabiliser » les patients face à leur rapport aux soins et aux médicaments – ils l’étaient déjà par ailleurs – elles ont malheureusement contribué à accroître les inégalités sociales en santé ». 

De quelle « responsabilisation » veut-on parler ?

Au chapitre de la supposée « responsabilisation », il faut en outre souligner que le dispositif est en réalité très peu lisible pour les patients : le paiement de la franchise n’intervient pas à l’instant de la consommation, mais il est défalqué du remboursement ultérieur, dans la même année civile. Cette caractéristique rend de surcroît le dispositif potentiellement peu efficient, puisque le recouvrement n’est pas toujours possible chez les assurés, que ce soit lorsqu’il y a un tiers-payant intégral ou lorsqu’ils n’ont pas d’autre consommation dans l’année.

Il reste qu’en cas d’augmentation des franchises, comorbidités oblige, les patients chroniques et les personnes âgées seront plus exposés. La période est particulièrement mal choisie pour augmenter le reste à charge des assurés sociaux. L’inflation paralyse déjà de nombreux ménages. Dans la conjoncture actuelle, le soin pourrait devenir fonction du coût et non plus du besoin. C’est ce qui rend cette mesure potentiellement « contre-productive pour la santé publique », selon le mot qu’utilise Brigitte Dormont.

Certains s’étonnent peut-être que de « petites sommes » aient un impact sur les comportements. Il est vrai qu’en France nous avons, c’est heureux, un « reste à charge » parmi les plus faibles d’Europe, en moyenne. Mais nous savons aussi qu’il existe des patients pour lesquels se cumulent les dépenses – de médicaments, de consultations en ville, de soins hospitaliers, etc. – et qui, sans assurance complémentaire, se retrouvent avec des restes à charge sur l’année susceptibles d’atteindre 2.000 à 3.000 €. Ce sont souvent des malades chroniques, dont certains soins, mais pas tous, sont couverts par la sécurité sociale dans le cadre d’une Affection de longue durée (ALD), et qui ne sont pas exonérés des franchises. Et si nous avons un reste à charge final si faible, c’est parce que la quasi-totalité des Français sont couverts par une assurance complémentaire en complément de la sécurité sociale. Ces derniers ont donc à payer des primes de complémentaires qui augmentent avec l’âge et sont le plus souvent indépendantes du niveau de revenu. Les personnes sans complémentaire, le plus souvent en raison de difficultés financières, ne paient pas ces primes mais font déjà face à un reste à charge élevé en raison des tickets modérateurs, qui est donc augmenté par les franchises.   

Le maintien d’un plafonnement annuel des franchises médicales à 50 €, comme cela existe depuis 2008, est crucial. Début septembre, Aurélien Rousseau a assuré de sa volonté de le maintenir. Ne pas le garantir reviendrait de fait à rompre avec le principe de solidarité de notre système.

Le ministre a également exprimé sa volonté de respecter, en cas d’augmentation des franchises, « une exigence » à ses yeux : que les personnes ayant besoin d’avoir un accès à des médicaments pour des maladies de longues durées « ne soient pas pénalisées ». Aurélien Rousseau semble de fait prendre une forme de distance avec le discours critique à l’encontre de patients supposés surconsommateurs de médicaments par confort : « il faut sortir le médicament de l’idée que ce serait un bien de consommation comme un autre », a-t-il déclaré à la sortie du conseil des ministres sur le PLFSS. Il se rapproche en cela des positions que la gauche a tenues sur les franchises et, plus largement, sur le discours de « responsabilisation » des malades, pourfendu par exemple par Marisol Touraine au Sénat en novembre 2014 : « L’accès aux soins est notre priorité et, je le dis avec force, je ne crois pas à l’idée erronée d’une « responsabilisation » des patients, qui revient à considérer que les malades se soignent par plaisir. Dans le contexte financier contraint que nous connaissons, nous refusons tout transfert de charges vers les patients : ni déremboursement, ni forfait, ni franchise ». En effet, l’argument d’une surconsommation choisie est difficile à tenir lorsque l’on parle de médicaments prescrits par des professionnels de santé. Il est en outre difficile de supposer que les franchises conduiraient les patients à ne supprimer que les médicaments « inutiles » qui leur sont prescrits et non à supprimer des médicaments essentiels pour leur état de santé.

D’autres ressources que le portefeuille des malades sont accessibles

D’autres grands leviers sont disponibles pour obtenir les résultats attendus par la mesure d’augmentation des franchises : proposer des conditionnements adaptés à la durée des traitements prescrits ; coordonner les prescriptions et les actions de conciliation médicamenteuse, en particulier chez les personnes âgées et polymédiquées. Plus largement, il est clair que faire peser le levier d’économies sur les patients plutôt que sur les médecins qui ont la responsabilité légale de la prescription des médicaments concernés, est un choix discutable. Mieux piloter les pratiques de prescription serait une voie alternative. Notre pays est celui où le panier de soins remboursables est le plus large d’Europe. Les médicaments y sont aussi assez peu chers – moins chers en tout cas que chez beaucoup de nos voisins. Nous avons tous l’habitude de sortir de chez le médecin avec une ordonnance, et, qui plus est, une ordonnance de plusieurs lignes. Une ambition politique possible serait de remettre à plat cette logique-là : mais cela impliquerait de réformer les représentations de tous les acteurs du système, à commencer par les médecins très attachés à leur « liberté de prescription ».

Plus largement, comme le démontre par exemple l’économiste de la santé Brigitte Dormont, cette mesure « purement budgétaire » du gouvernement est un « choix politique difficile à défendre » : en faisant porter une charge de financement sur la consommation de soins, c’est-à-dire sur les malades seuls, elle porte un coup au principe cardinal de la Sécurité sociale, qui est la solidarité entre les malades et les bien-portants.

Un levier plus puissant est disponible pour renflouer les caisses de la Sécurité sociale, en augmentant les recettes plutôt qu’en ponctionnant le remboursement des malades : revenir sur les exonérations de cotisations sociales pour les salaires supérieurs à 2,5 smic. Rappelons qu’une exonération de 1,8 point de cotisations sociales pour des salaires très élevés, jusqu’à 3,5 smic (soit plus de 6.000 euros brut mensuel), a été accordée sous la présidence Hollande. Ce choix a été contesté par nombre d’économistes ; dans une tribune du Monde en octobre 2022, Philippe Martin, Pierre Cahuc, Thomas Philippon et d’autres plaidaient pour la suppression de cet abattement, en montrant qu’il n’y a pas vraiment de problème de chômage pour les salariés très qualifiés, et que les salaires de ces derniers n’influencent pas la compétitivité. Ils s’appuyaient notamment sur une évaluation de cet abattement publiée en 2019 par le Conseil d’analyse économique ; sa conclusion, corroborée par France Stratégie, est que les exonérations de cotisations sur les salaires supérieurs à 2,5 smic n’ont eu aucun effet sur le chômage et la compétitivité. Revenir aujourd’hui sur ces exonérations pour les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic augmenterait d’environ 1,5 milliard d’euros les recettes de la Sécu – à comparer aux quelque 800 millions d’économies attendues grâce au doublement des franchises.

A l’Assemblée nationale, des voix s’élèvent en ce sens dans le débat qui s’ouvre sur le PLFSS, y compris chez Renaissance ; la suppression des abattements de cotisations sociales sur les salaires supérieurs à 2,5 smic avait été proposée par des députés Renaissance il y a un an : leur amendement au PLFSS pour 2023 avait été rejeté par le gouvernement. De nouveau, cette année, le jour même de la présentation du PLFSS en conseil des ministres, la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a remis un rapport d’information sur les exonérations de cotisations sociales qui recommande cette voie : pour les rapporteurs Jerôme Guedj et Marc Ferracci, « ces exonérations généraient des questionnements quant à leur efficacité sur l’emploi et la compétitivité ; nous confirmons que leur efficacité ne semble pas avérée. C’est la raison pour laquelle nous en proposons la suppression ».

Ce jeudi 19 octobre, cette suppression a finalement été actée par la Commission des affaires sociales, sur un amendement de Marc Ferracci. La réaffectation des économies qui seraient ainsi réalisées reste cependant débattue, y compris au sein de la Commission des affaires sociales ; le débat en séance plénière à compter du 24 octobre, qui devra confirmer ou infirmer le choix de cette commission, inclura-t-il une possible mise en perspective du débat parallèle sur l’augmentation des franchises ?

Au regard de telles sources disponibles de recettes pour la sécurité sociale, le choix politique de ponctionner de préférence le budget des malades, et notamment des plus fragiles au plan médical et social, en invoquant leur « responsabilisation », semblerait difficile à défendre.

Dourgnon P., Jusot F., Fantin R. (2012), « Payer nuit gravement à la santé : une étude de l’impact du renoncement financier aux soins sur l’état de santé », Economie Publique, 28-29 : 123-147

Bidénam Kambia-Chopin B. , Perronnin M. (2010), Les franchises ont-elles modifié les comportements d’achats de médicaments ?, Questions d’économie de la santé, 158.

Manning WG, Newhouse JP, Duan N, Keeler EB, Leibowitz A, Marquis MS. Health insurance and the demand for medical care: evidence from a randomized experiment. Am Econ Rev. 1987 

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Mélanie Heard

Responsable du pôle Santé de Terra Nova

Florence Jusot