Entretien

« L’apport majeur de la convention citoyenne est d’éclairer le travail du législateur »

« L’apport majeur de la convention citoyenne est d’éclairer le travail du législateur »
Publié le 18 avril 2023
Figure majeure des débats sur la fin de vie, Alain Claeys est ancien député, membre du Comité consultatif national d’éthique. A ce titre, il a été co-rapporteur de la loi de 2016 qui organise le cadre législatif actuel de la fin de vie, ainsi que de l’avis de septembre 2022 du Comité d’éthique. Il revient ici sur les travaux de la Convention citoyenne sur la fin de vie qui a remis ses travaux au président de la République le 3 avril dernier. Il en retient pour intérêt majeur un travail en profondeur, qui n’a reculé devant aucune des difficultés du sujet. Charge maintenant au Gouvernement et au législateur de s’emparer, avec le même esprit de sérieux, de toutes les facettes difficiles de ce débat, en vue d’un projet de loi annoncé pour l’été.
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Le président de la République a annoncé une évolution législative sur l’aide à mourir et souhaite qu’un projet de loi soit prêt avant l’été : ce calendrier vous paraît-il adapté ? 

La Grande Conversation

Alain Claeys : S’il est tenu, ce calendrier est un bon calendrier. Au Comité consultatif nationale d’éthique (CCNE), nous nous sommes saisis de ce sujet en septembre 2021 et nous avons présenté nos conclusions au président de la République en septembre 2022. L’engagement du président, à ce moment-là, a été de confier au Conseil économique, social et environnemental l’organisation d’une convention citoyenne sur ce sujet, comme nous l’appelions de nos vœux. Le calendrier a été tenu, et, après 9 semaines de délibération des conventionnels, le président, en recevant leur travail, a souhaité qu’un projet de loi soit préparé d’ici l’été dans le cadre d’une co-construction entre l’exécutif et le Parlement, par exemple au travers d’une mission d’information et d’une commission spéciale, en vue d’un vote probablement à la fin de l’année ou au début de 2024. 

Ce calendrier me semble juste et sans précipitation. En effet, en parallèle de la convention citoyenne, plusieurs initiatives ont été menées. A l’initiative des espaces éthiques régionaux et en relation avec le CCNE, des centaines de réunions ont été tenues ces derniers mois en France, permettant à des milliers de citoyens de s’informer et d’échanger. Dans le même temps, le Parlement a pris deux initiatives : d’une part, une mission présidée par le député Olivier Falorni a procédé à l’évaluation de la loi de 2016 et présenté ses travaux le 29 mars dernier ; d’autre part, un rapport de la Cour des comptes sera prochainement remis à la Commission des affaires sociales, qui permettra de faire un point nécessaire sur les soins palliatifs dans notre pays. Enfin, les associations, la société civile, les professionnels et les courants philosophiques et religieux se sont exprimés et s’expriment encore. Du côté du monde de la santé, la Mutualité, l’Ordre des médecins ont pu prendre position. Le débat a touché toutes les composantes diverses de notre société. 

Je tiens à souligner combien toutes les réunions auxquelles j’ai pu assister ont été respectueuses. Je n’ai pas vu de réunions militantes conduisant à l’affrontement irréductible de deux camps. C’est un point important, car on a vu encore récemment sur des sujets bioéthiques, par exemple la procréation médicalement assistée, des débats beaucoup plus tendus que ceux que nous avons connus sur la fin de vie ces derniers mois. 

Quel bilan politique tirez-vous de cette convention citoyenne ?

La Grande Conversation

Chacun s’est félicité, et moi le premier, de la qualité des travaux issus de cette convention. Il ne s’agit pas, bien sûr, de l’expression de la société française en tant que telle, mais d’un panel de citoyens tirés au sort. En quoi leur contribution est-elle exemplaire ? D’abord, il me semble important de souligner que les conventionnels se sont attachés à explorer une question qui, dans nos sociétés, est souvent « escamotée » : la question de la mort. Le sujet de la mort et de la fin de vie est réapparu brutalement dans notre société comme une réalité collective avec la pandémie de Covid-19. Les conventionnels se sont pleinement emparés de cette question difficile. Ils n’ont pas abordé la question qui leur était posée comme une question technique, ils ont pris pleinement conscience de la complexité du sujet. Les soignants, les associations, les familles, les courants religieux ont pu se retrouver pour une réflexion commune, avec un grand respect de la diversité : c’est pour moi le principal succès de cette démarche participative. A l’heure où la critique des élites émerge volontiers, où nos démocraties sont bousculées, les conventionnels ont pu dépasser l’idée d’une division entre sachants d’un côté, et citoyens de l’autre : tous étaient réunis, dans le respect, l’échange et la réflexion commune, autour d’un sujet qui concerne chacune et chacun d’entre nous. Chacun a pu s’exprimer : on sait que, parmi les conventionnels, certains ont changé d’avis grâce à la délibération, et ceux dont l’opinion est restée minoritaire ont dit s’être senti entendus. La diversité a été respectée. 

L’autre grand succès de cette convention, selon moi, c’est la méthodologie suivie. Sans elle, les débats n’auraient pu aller au fond des sujets comme cela a été le cas. L’essentiel n’est pas le résultat des nombreux votes, même s’il est important bien sûr de voir les grandes tendances qui se sont dégagées. Mais au fond, les conventionnels n’ont pas seulement répondu à la question : « faut-il ou non ouvrir une aide à mourir ? ». Ils ont, plus fondamentalement, montré la nécessité de traiter une multitude de questions, de n’escamoter aucun sujet. Les citoyens, avec le comité de gouvernance, se sont donné les moyens de traiter toutes les facettes d’un sujet éminemment complexe. 

Je pense pouvoir affirmer que la notion de fraternité, la plus difficile à conjuguer de notre devise républicaine peut-être, a été le fil conducteur de leur réflexion. Pour moi, cela constitue leur contribution majeure. 

Nous le voyons aujourd’hui : plus personne n’aborde ce débat en invoquant un droit à la vie ou un droit à la mort. Le sujet est, comme le dit très bien Frédéric Worms, dans la recherche d’un parcours de fin de vie qui soit le moins douloureux possible. C’est ainsi que, y compris dans leur réflexion sur la distinction entre suicide assisté et euthanasie, les conventionnels ont surtout, je crois, développé une approche qui soit conforme au principe de fraternité. Leur refus d’opposer soins d’accompagnement et aide à mourir, de même que leur refus d’appréhender la fin de vie comme une succession de gestes techniques : ceci témoigne qu’ils ont apporté une exigence plus profonde, celle d’une attitude de fraternité que la société doit avoir. 

Quels sont les sujets qui seront selon vous au cœur du débat parlementaire à venir ? 

La Grande Conversation

L’un des sujets qui ressort de cette convention, c’est qu’il n’y a pas, pour les citoyens, de rupture entre les soins palliatifs, que j’aime appeler plutôt soins d’accompagnement, et l’aide à mourir. Le CCNE, dans son avis de septembre 2022, avait cherché à pointer cette convergence à travers la notion d’équilibre entre solidarité et autonomie. 

Même si l’essentiel ne relève pas du niveau de la loi, il faudra travailler dans les mois à venir sur les soins palliatifs : ces soins d’accompagnement, qui sont une médecine de la personne, doivent enfin entrer dans l’ensemble de nos structures médicales et paramédicales, de nos structures médicosociales et à domicile. Il y a un travail considérable à faire sur la formation initiale et continue, la recherche : les soins palliatifs doivent devenir une spécialité reconnue à part entière, ce qui n’est clairement pas le cas quand on voit qu’il n’y a quasiment pas de postes de PU-PH dans nos hôpitaux, pas de ligne de recherche à l’Inserm ou à l’Agence nationale de la recherche sur ce sujet. Pour avancer, il faut bien sûr des financements, mais aussi une prise de responsabilité de tous les acteurs, des doyens, des agences régionales de santé et des hôpitaux au travers de leurs projets d’établissement. 

Le deuxième sujet, c’est la mise en place d’une collégialité effective dans l’aide à mourir. Elle doit associer bien sûr les équipes de soins, mais aussi, peut-être, les associations de patients qui sont présentes dans les territoires et les établissements de soins. Naturellement, l’aide à mourir repose nécessairement sur une prescription médicale, ce qui pose la question de la place du médecin et des équipes soignantes dans cette toute dernière partie de la vie. Ce sujet-là fait sans doute partie des débats les plus difficiles. 

Enfin, le débat portera nécessairement aussi sur le périmètre de l’aide à mourir. Sur le suicide assisté, je crois qu’un chemin existe. La question difficile, c’est celle des patients qui, tout en entrant dans le cadre qui serait défini, ne pourraient pas effectuer par eux-mêmes le geste. Il me semble que la Convention citoyenne a montré qu’il y a un chemin sur ce point, en ayant des débats moins cristallisés qu’on aurait pu l’imaginer. 

On dit beaucoup que les médecins seraient opposés à toute évolution législative : à la lumière de votre expérience de législateur, en 2016 notamment, qu’en pensez-vous ?

La Grande Conversation

Il est clair qu’il y a une vraie diversité de positions des médecins. Il est normal que les médecins de soins palliatifs, qui sont en première ligne, aient interpelé fortement la société. C’est avec eux, d’ailleurs, qu’en 2016, pour la loi dont j’étais co-rapporteur, nous avions notamment débattu du caractère « continu » de la sédation profonde jusqu’au décès à laquelle nous ouvrions un droit. Il est primordial aujourd’hui d’être à l’écoute de la diversité des positions qui peuvent s’exprimer dans le monde médical, et d’en tenir compte. 

Qu’apportera le travail de la Convention aux débats à venir au Parlement ? 

La Grande Conversation

Le travail de cette convention doit être assurément un atout pour le Parlement. Pour ma part, l’attachement à la démocratie représentative me rend rétif à l’égard de la voie référendaire, mais en revanche l’apport d’une convention citoyenne, et des débats qu’elle nourrit autour d’elle, est d’une grande utilité pour le législateur. En l’espèce, la convention citoyenne sur la fin de vie a montré qu’on avait tiré les leçons de la précédente convention sur le climat. 

Sur un sujet comme celui-là, dans un Etat laïc, il n’y a ni vainqueurs ni vaincus. La loi qui sera votée ne privera pas de libertés telle ou telle catégorie de citoyens, et la clause de conscience pour les médecins respectera la liberté de chacun. 

Si l’on regarde les vingt ans de lois sur le sujet qui sont passés (en 1999 avec les soins palliatifs, en 2002 sur l’arrêt des traitements, en 2005 avec l’interdiction de l’obstination déraisonnable, et en 2016 avec de nouveaux droits), c’est l’illustration que chacune a apporté sa pierre à la fraternité, le législateur ayant su toujours trouver cet équilibre. 

Mais il faut aussi se souvenir que la mort est un événement toujours singulier qui réunit la personne, ses proches et ses soignants : la loi fixe à ce sujet le cadre général, mais elle ne saurait prendre en compte toutes les situations singulières. N’oublions pas, non plus, qu’il y a sur ces sujets une dimension sociale qui est fondamentale. Les inégalités sociales et territoriales sont terribles face à la mort : l’absence d’accès aux soins palliatifs dans vingt de nos départements, parfois l’éloignement d’un hôpital ou même d’un médecin généraliste, laissent nombre de nos concitoyens dans des situations trop difficiles. Le législateur doit en tenir compte. 

Pour un sujet comme celui-là, une convention citoyenne est d’une utilité majeure. Non tant parce qu’elle dessine les grandes tendances d’opinion qui se dégagent en son sein, même si bien sûr c’est aussi là un apport essentiel ; mais, surtout, par sa capacité à aborder toutes les facettes d’un sujet complexe, d’une manière qui prépare les choix sur lesquels le législateur devra délibérer. Cette richesse du travail de la convention est un acquis : à présent, c’est au législateur d’explorer toutes les facettes ainsi ouvertes pour y apporter des réponses dans la fabrication de la loi. 

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Alain Claeys