Le bébé, le martien et l’immigré : comment s’invente-on lorsque tout conspire à faire de nous une caricature ?

Le bébé, le martien et l’immigré : comment s’invente-on lorsque tout conspire à faire de nous une caricature ?
Publié le 7 novembre 2023
  • Blogueuse, membre de la deuxième promo du programme « Social Demain », diplômée en économie sociale et solidaire, actuellement chargée de communication au sein d’une fondation d’entreprise
Comment l’expérience migratoire est-elle vécue par une nouvelle arrivante ? Dans le rapport à la société d’accueil, les attentes sociales et les aspirations personnelles se confrontent. Au-delà de la singularité des parcours individuels, la nécessité de définir une nouvelle identité s’impose, entre projections extérieures et désir de reconnaissance. Après une phase d’idéalisation puis de revendication, peut-on parvenir à une forme d’apaisement ?

Je devais avoir 25 ans et vivais en France depuis 3 ans déjà. C’était aux débuts de mon premier stage en entreprise. Un monde nouveau peuplé de réunions d’équipe, de diplômés de « grandes écoles » françaises, de déjeuners à la cantine et autres curiosités de ce genre se dépliait quotidiennement sous mes yeux impressionnés. J’opérais un saut vertigineux dans une socialisation presque parallèle à celle que j’avais jusque-là connue. Un jour, au détour d’une conversation, un de mes collègues de l’époque m’a demandé si j’avais l’impression d’être repartie à zéro à mon arrivée en France. Ma réponse fut sans équivoque : « Oui. Carrément ! »

Cette affirmation illustre une réalité dont seul le recul m’a permis de me rendre compte. Être primo-arrivant dans un pays d’accueil, qui plus est considéré comme étant plus développé que celui d’origine, c’est parfois porter en soi des biais et complexes qui induisent une mésestime pour toutes les expériences qui ont précédé l’exil. La position qu’on occupe est, somme toute, celle d’un être disposé à tout pour s’intégrer et avide d’être « éduqué » de sorte à atteindre ce but. Un être supposément élastique et malléable à souhait. Cette position est semblable à celle d’un nouveau-né que les parents s’attelleront à modeler selon une éducation faite entre autres d’aspirations et de fantasmes qui, d’après leur conception, en fera un être convenable.

Le poids des aspirations et fantasmes d’autrui n’est d’ailleurs pas que le fait du pays d’accueil. Les personnes laissées derrière soi portent aussi des attentes plus ou moins oppressantes. Il peut, par exemple, s’agir d’une certaine idée de la réussite qui devrait découler de l’exil, au risque d’en faire une aventure échouée.

Les chances de se dissoudre dans ce flot de projections et d’attentes sont grandes lorsqu’on s’attelle à y correspondre. Mais comment y résister ? Comment échapper au destin caricatural qui nous est prédit, et réussir à se frayer un chemin vers l’invention de soi, à laisser exister l’individu en perpétuel mutation, pétri de complexités et de nuances que façonnent nos expériences ?

La métamorphose comme condition d’intégration

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La conversation que je mentionnais plus haut a fait écho à un classique de la science-fiction que j’ai découvert il y a quelques semaines, Les Chroniques Martiennes de Ray Bradbury. Dans ce recueil de nouvelles, Bradbury met en scène une planète Mars colonisée et peuplée par des terriens évidemment résolus, comme tout bon colon, à faire au mépris de toute autre considération, du nouvel espace conquis un monde à leur image. Parmi la trentaine de nouvelles qui compose le livre, celle intitulée Le Martien a particulièrement résonné avec les réflexions que je tenterai d’exprimer tout au long de ce texte, avec probablement moins d’éloquence que le récit dont voici un résumé.

Mme et M. LaFarge font partie des terriens venus s’installer sur Mars. Ils ont laissé derrière eux Tom, leur fils décédé longtemps avant l’expédition martienne. Par une nuit pluvieuse, le vieux LaFarge aperçoit dans la cour la silhouette d’un jeune garçon qui ressemble étrangement à Tom. Ils décident de l’accueillir, d’autant que ce dernier semble fort désireux de demeurer à leurs côtés. De plus, malgré l’invraisemblance de la situation, ce garçon vient combler le vide de tristesse qu’a creusé jour après jour l’absence du fils décédé. Les choses se délitent un soir lorsque Mme LaFarge insiste, malgré les réticences de Tom, pour que le garçon les accompagne en ville. Ils y découvriront après une série d’événements, que l’enfant est peut-être une créature martienne issue « d’une ultime petite race d’autochtones ayant survécu à l’arrivée des fusées venues de la Terre ». Un être que la solitude et le besoin d’acceptation ont poussé vers le camp des humains, où l’unique issue a été d’adopter l’identité qui suscite leur désir de le garder auprès d’eux. Seulement, peut-être lui est-il aisé de se transformer en un petit garçon dont la résurrection ferait le plus grand bonheur de deux parents endeuillés, mais que se passe-t-il face à plusieurs promeneurs, dont chacun voit en lui un reflet différent, relié à un souvenir personnel ? Celui d’une fille perdue, d’un prisonnier évadé, d’un époux ou d’une épouse décédés. Chacun exigeant qu’il endosse en même temps l’identité souhaitée ? Il en résulte la scène suivante :

« Tom, lui, tremblait de tous ses membres. Il avait l’air au plus mal. La foule se pressait autour de lui, des mains se tendaient fiévreusement, l’empoignaient, le revendiquaient. Tom hurla. Et sous leurs yeux il se transforma. Il fut Tom et James, un nommé Switchman, un Butterfield, il fut le maire de la ville, la jeune Judith, William le mari, et Clarisse l’épouse. C’était une cire molle qui se modelait selon leurs pensées. Ils criaient, se bousculaient, imploraient. Il se remit à hurler, les mains en avant, son visage se décomposant à chaque supplique. « Tom » cria Lafarge, « Alice » lança une autre voix, « William » … Ils lui agrippaient les poignets, le faisait tourner en tous sens quand, dans un dernier cri de terreur, il s’effondra. Il gisait sur les dalles, cire fondue qui refroidissait, mille visages en un. Un œil bleu, l’autre doré, les cheveux à la fois bruns, roux, blonds, noirs, un sourcil épais, l’autre mince, une grosse main, l’autre petite.»

Les projections des terriens qui ont croisé le chemin de ce Martien métamorphe n’avaient pas systématiquement une visée destructrice, tout comme celles de toutes les parties prenantes qui gravitent autour de l’immigré. Il n’est même pas question d’en vouloir à Mme et M. LaFarge et leurs compères, puisque si le Martien n’avait pas mis en scène sa capacité à prendre diverses apparences, il n’aurait pas fini sa course en se liquéfiant sous la pression du désir de la foule. Mais la question est de savoir si ce Martien aurait bénéficié du même accueil, de l’acceptation et de l’adoption au sein de la communauté terrienne s’il n’avait pas camouflé son identité initiale ?

L’expérience migratoire en quelques étapes

La leçon que je tire des Chroniques martiennes, c’est qu’il existe un pacte implicite entre l’immigré et la société qui l’accueille : celui du reniement systématique de soi comme condition d’intégration. Voilà ce qui me questionne.

Nous naviguons au sein de sociétés où l’individualité et l’altérité du nouvel arrivant, ses différences culturelles, ethniques, religieuses qui, par défaut, pourraient être perçues comme une occasion d’enrichissement mutuel, tendent, pour certains, à passer pour un honteux boulet et, pour d’autres, comme une menace à anéantir. Des sociétés dans lesquelles la première injonction plus ou moins explicite qui est faite au nouvel arrivant est celle de gommer la plupart des caractéristiques qui, n’épousant pas une certaine vision fantasmée, serait fatalement considérée comme une aspérité à élaguer.

Sans vouloir énoncer de théories dépourvues de fondements scientifiques, je pense que le parcours migratoire, du moins le mien et celui de quelques-uns de mes compagnons d’exil, répond à quelques étapes dont je me sens capable de faire le bilan, au bout de bientôt sept années.

L’idéalisation :

« Le monde était enrobé de brume ; elle voyait la forme des choses mais pas assez clairement, jamais assez. » Ce monde brumeux est celui que relate Ifemelu, héroïne Nigériane du roman Americanah, au tout début de sa nouvelle vie aux États-Unis. Le flou et la perte de repères qui caractérisent cette première étape imposent à l’immigré une docilité et un effacement de soi plus ou moins complet. Il observe, écoute, admire, absorbe, ne l’ouvre pas trop, se sent et se sait petit. Il ne faut surtout pas faire de vagues. L’important ici est de se faire accepter et, puisque le passage obligé pour s’intégrer est celui de l’assimilation, les plus radicaux se retrouvent à changer de prénom, d’autres mettent simplement au placard la langue d’origine afin de laisser toute la place à celle du pays d’accueil et, pour la plupart, dont moi-même à une époque, la volonté d’éviter que les deux langues n’interfèrent l’une avec l’autre conduit à gommer avec plus ou moins de succès son accent d’origine. Ainsi s’enclenche la spirale de la supposée intégration.

Dans le même roman Americanah, l’écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie raconte une anecdote inspirée de son histoire personnelle. Un interlocuteur avec lequel elle discutait au téléphone lui fait remarquer qu’elle avait un accent américain parfait, qui rend impossible à deviner son origine nigériane. Prenant cette remarque pour un compliment, elle lui répond « merci ». Plus tard, la romancière repensera à cet épisode avec honte, en se demandant « pourquoi remercier quelqu’un qui me fait remarquer que je m’étais éloignée de la personne que j’étais réellement ? ».

L’expérience de Chimamanda est loin d’être marginale. J’ai des souvenirs qui, à mon plus grand regret, demeurent encore très précis, des heures passées à m’abreuver de podcasts et autres vidéos YouTube traitant de sujets pour lesquels je n’avais parfois aucun intérêt, mais que j’écoutais religieusement dans le but unique et bien défini d’aiguiser mon oreille à « l’accent français ». Le but étant évidemment de me débarrasser des résidus de l’accent togolais qui résistaient au nettoyage méthodique dans lequel je m’étais engagée.

Cette phase correspond, selon moi, à celle où d’aucuns essentialisent à tort les immigrés africains – subsahariens – comme représentant une entité dotée d’une affabilité quasi génétique. Erreur, mesdames et messieurs, certaines de ces contorsions ne sont que l’expression d’un instinct de survie.

Réclamer son identité :

En réalisant que l’effacement de soi ne le prémunit en rien contre la rudesse du parcours migratoire et des aléas dont il est jonché (racisme, mépris de classe, mysoginoir etc.), l’individu fait volte-face. Il remet en question l’absurdité des attentes qui pèsent sur lui et les conteste avec plus ou moins de virulence.

Pour ma part, cette étape a été marquée par une sur-identification à mes origines subsahariennes. Me vêtir en Wax, porter plus souvent ma coupe afro, parler plus souvent Éwé (ma langue natale)… chacun de ces actes autrefois neutres, légers et évidents, étaient soudain chargés d’une dimension volontariste, quasi revendicatrices.

« On le sait, les opprimés revendiquent avec force les aspects de leur culture décriés par les oppresseurs, avec le danger de voir des théories se former à partir de pathologies identitaires ». Cette citation de L’autre langue des femmes, décrit parfaitement ma vision de cette phase.

Durant cette période, j’ai ressenti la nécessité de renouer avec une « identité » symbolisée entre autres par les vêtements ou la langue.

L’apaisement :

Faire le choix définitif de se figer dans une identité que l’on enclot elle-même dans les limites d’un style vestimentaire, d’une coupe de cheveux ou d’une langue donnée, peut vite s’avérer étouffant. L’entreprise n’est ni apaisante, ni libératrice, surtout lorsqu’on sait qu’en réalité, le but poursuivi est simplement celui d’affirmer son individualité. L’étape précédente ne me semble donc pas pérenne. Il faudrait, dans l’intérêt de tous et pour une cohabitation apaisée, que nous, immigrés, puissions atteindre cette étape de l’apaisement, dont l’avènement, me semble-t-il, est entre autres conditionné par le sentiment d’être entièrement accepté par le pays d’accueil. Cela peut advenir de diverses manières dont je laisse le soin de la définition aux spécialistes de la migration et des politiques qui y sont appliquées.

Je m’empresse de préciser, au cas où un quelconque doute subsisterait que je suis moi-même loin de d’avoir atteint cet état tant souhaité de félicité absolue. D’ailleurs, qui parmi nous, immigré ou non, pourrait se targuer d’une prétention aussi inouïe ? Toutefois, l’horizon inatteignable de cet idéal ne devrait pas freiner le besoin et la nécessité d’organiser nos sociétés de sorte à nous en approcher. Pour ma part, la légitimité et la reconnaissance qu’il m’est arrivé de trouver à travers mes activités professionnelles et associatives m’ont (entre autres) à certains moments permis de toucher du doigt cet état d’apaisement que je chéris. Il me semble ici important de préciser que l’assise et la légitimité professionnelles ont été grandement facilitées par quelques tuteurs et autres mentors qui ont eu la charge d’encadrer mon parcours depuis mon entrée dans le monde du travail, et l’ont fait de sorte à ne pas l’entacher de quelque préjugé que ce soit.

S’octroyer la liberté de se définir soi-même

Je ne peux ici que relater encore une fois mon expérience car, même si le parcours migratoire tel que vécu par une certaine catégorie de populations semble emporter des similitudes, il reste avant tout une expérience individuelle. La mention précédente est d’autant plus nécessaire que je m’exprime depuis la position bien définie d’une diplômée, avec un parcours spécifique à ce sociotype d’immigrés qui arrivent pour la plupart dans les pays d’accueil munis d’un bagage qui leur permet de naviguer avec un peu plus de fluidité dans les eaux parfois troubles de la migration (la langue, l’habilité à investir des espaces de socialisation tels que l’université, l’entreprise, les associations etc).

Certains arrivent en France ou aux États-Unis, par exemple, en ayant une maitrise du français ou de l’anglais, en logeant dans une résidence étudiante et en ayant en vue, malgré les galères relatives au statut d’étudiants étrangers, la perspective assez réaliste d’accéder après la période impartie aux études, à un emploi socialement valorisé. D’autres au contraire arrivent en n’ayant pour acquis qu’une connaissance sommaire de la langue et, à l’image de la famille Joad dans Les raisins de la colère de John Steinbeck, en trainant pour seules possessions leurs baluchons comprenant quelques vêtements, de la vaisselle et autres objets indispensables qui, bien qu’usés et fragiles, ont été sommés de traverser avec eux les intempéries du long trajet. Pour la plupart, ceux-là sont systématiquement parqués dans des quartiers qui ne leur offrent aucune occasion de mixité sociale, avec un champ des possibles professionnel fatalement réduit à des métiers qui bien qu’essentiels, sont rarement reconnus et traités comme tels. L’expérience est forcément vécue différemment selon que l’on appartient à l’une ou l’autre des deux catégories.

Je reconnais donc que la mixité d’abord ethnique et culturelle puis sociale dont j’ai été abreuvée à mon arrivée en France et dans la continuité de mon parcours ont fortement déterminé le déroulement des trois étapes précédemment citées. Me frotter aux autres, faire l’expérience de ce style particulier d’altérité qu’impose l’exil, a été initialement source d’inconfort parce que j’ai été malgré moi assignée à une identité que je n’avais auparavant jamais vécue comme telle. Mais une fois la conscience de ces projections extérieures acquise, je pouvais m’octroyer la liberté de choisir de me construire soit en concordance ou en discordance à ces attentes ou encore en adoptant les deux postures à la fois, sur la base de calculs purement personnels, selon l’intérêt que j’y trouve.

Un autre avantage dont l’appartenance à la catégorie des diplômés m’a permis de jouir est l’orientation consciente vers la culture à la fois comme exutoire, outil de résistance et matériau pour bâtir mon individualité.

Par exemple lorsque, quatre ans plus tôt, j’ai été confrontée à l’une des expériences les plus amères qu’une personne immigrée puisse imaginer : faire l’objet d’une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français), l’un de mes premiers réflexes fut de me tourner vers les livres.

Les jours qui ont suivi la réception du courrier m’annonçant l’arrêté d’OQTF dans un délai d’un mois, à la suite d’une série d’informations erronées communiquées par l’école que je fréquentais à la Préfecture de police de ma ville de résidence, la première chose que j’ai faite après avoir mobilisé mon cercle associatif et mes amis juristes a été de déambuler frénétiquement dans les limbes d’internet pour amasser le plus grand nombre de romans et d’essais que je n’avais jamais acheté. Les récits fictionnels ou non que je lisais à foison à cette époque m’ont littéralement accompagnée du début à la fin de ces longs mois qui me reviennent aujourd’hui comme la traversée d’un tunnel glauque et sombre.

Certains d’entre eux m’ont aidée à m’évader du fond des 22m2 où je m’étais tapie, confinée pendant plusieurs semaines d’affilée, clouée par la peur que la sans papiers que j’étais alors devenue du fait de cette décision, subisse dehors un contrôle d’identité qui aurait entrainé mon enfermement dans un Centre de Rétention Administrative (CRA), antichambre de l’expulsion vers Lomé sans aucune possibilité de retour.

D’autres m’ont donné le courage de braver l’anxiété qui naissait de la menace constante du fameux CRA et de sortir de chez moi le visage à moitié dissimulé sous une capuche, lorsque mon frigo vide ou les rendez-vous avec mon avocat l’imposaient. Il y en a d’ailleurs qui m’ont fourni les armes pour résister à la puissance de cet appareil administratif qui réduisait à néant mon espoir de poursuivre sereinement mes études et m’enfonçait par la même occasion dans le gouffre visqueux d’une dépression et d’une angoisse dont les séquelles restent encore sensibles. D’autant que, même si cette mesure a été levée au bout de neuf mois, après une bataille judiciaire menée à coup de pétitions organisées par mes camarades d’association, de production de preuves de mon assiduité à l’école et, au final, grâce à un contrat de stage, la présence de sa trace dans mes données administratives représente un point noir qui, sauf nouvelle procédure judiciaire, pourrait entacher toute velléité de naturalisation en France.

Il est parfois arrivé que la situation paraisse si désespérée que j’explorais presque sereinement l’éventualité de l’expulsion de la France. Dans ces moments-là, l’idée qui me rassurait était que les connaissances que j’amassais ne seraient pas vaines, elles feraient de moi, au moment de mon retour à Lomé, une version augmentée d’après l’acception spinoziste. Je retournerai au pays plus cultivée et aguerrie.

Longtemps après l’épisode de l’OQTF, je me suis entichée du cinéma qui m’ouvre sans cesse à des réalités alternatives.

Je rejoins donc l’affirmation de Romain Gary selon laquelle nous serions tous des irrémédiables « additionnés », des unités formées à partir de la somme des personnes ou des personnages, des objets, des œuvres, des circonstances que nous côtoyons. Une fois cette affirmation intégrée, nous pouvons accueillir la complexité et les contradictions qui fondent notre nature humaine et nous laisser modeler par les fragments qui continuent d’étoffer notre personne au gré des expériences quotidiennes.

Dans sa dernière pièce, Il n’y a pas de Ajar : Monologue contre l’Identité, Delphine Horvilleur exprime également avec justesse la propension humaine à une mutation perpétuelle. Dire « je suis X » aujourd’hui n’implique pas que je doive m’interdire de dire demain « je suis également Y ». Pire encore, personne ne devrait, sur la base du « je suis X » d’hier, m’emprisonner dans les carcans des termes dans lesquels je m’étais auparavant définie.

Lorsqu’on a conscience des mouvements qui s’effectuent en soi et la possibilité d’associer à ces mouvements, des expériences qui nous ont marquées, des œuvres ou des personnes qui nous ont touchées, des voyages qui nous ont transformés, j’estime qu’il est de notre devoir d’y tendre l’oreille et de les invoquer à chaque fois que nous nous sentons pris en étau dans des exacerbations identitaires caricaturales.

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