Mixité sociale et ségrégation, l’importance des politiques de logement

Mixité sociale et ségrégation, l’importance des politiques de logement
Publié le 29 mars 2023
L’étude menée par l’Atelier parisien d’urbanisme avec l’Insee Ile de France sur la mixité sociale dans le Grand Paris apporte un enseignement essentiel sur le rôle crucial des politiques de logement pour lutter contre la ségrégation résidentielle. Qu’il s’agisse des « quartiers de riches », générés par les processus d’auto-ségrégation des plus aisés, ou des « quartiers de pauvres », générés par la concentration du logement social dans des territoires déjà largement pourvus, il apparaît qu’une répartition équilibrée de logements sociaux, en accession et à loyers libres, et une politique de peuplement des logements sociaux sont la clé de la mixité sociale dans la Métropole du Grand Paris.
Écouter cet article
00:00 / 00:00

Si la Métropole du Grand Paris est la plus inégalitaire de France, les revenus les plus élevés y étant huit fois supérieurs aux plus bas, elle n’est pas l’aire urbaine la plus ségréguée comme en témoigne une publication nationale de l’Insee. Autrement dit, l’intensité des inégalités sociales ne se reflète pas entièrement dans les inégalités spatiales. L’étude menée par l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) avec l’Insee Ile-de-France révèle un état des lieux et une dynamique sur 15 ans avec une précision inédite. Réalisée à partir du critère de revenu mesuré au travers de l’indice de Theil, elle donne à lire pour la première fois l’écart entre la distribution des ménages par catégorie de revenus à l’échelle de carreaux de 200 mètres de côté et les évolutions intervenues depuis 2004.

État des lieux et évolutions de la mixité sociale dans le Grand Paris

Proches des tendances observées en matière d’inégalités sociales, les résultats présentent une cartographie singulière où les secteurs les plus ségrégués modestes au nord-est et aisés à l’ouest jouxtent des quartiers plus mixtes. Les secteurs aisés les plus ségrégués se situent dans les 7e, 8e, 16e arrondissements de Paris et plus largement dans l’ouest de la Métropole (Marne-la-Coquette, Neuilly-sur-Seine, Ville d’Avray, St Cloud, Rueil Malmaison, Vaucresson, Garches), mais également au sud à Antony et Sceaux par exemple et dans quelques secteurs de l’est (quartiers de Saint-Maur-des-Fossés, de Vincennes et le long de la Marne).  

En regard, les quartiers modestes les plus ségrégués se situent dans certains quartiers des territoires de Plaine Commune (à Villetaneuse, L’Ile-Saint-Denis, Saint-Denis, Aubervilliers, Epinay-sur-Seine, La Courneuve, Stains), de Boucle Nord de Seine (à Argenteuil, Gennevilliers et Villeneuve-la-Garenne), de Paris Terres d’Envol (à Dugny, Villepinte, Sevran, Le Blanc Mesnil et Aulnay) et d’Est Ensemble (à Bagnolet, Bobigny et Bondy), ou encore dans des communes comme Clichy-sous-Bois, Villeneuve-Saint-Georges et Valenton.

Mais l’étude permet aussi de distinguer de fortes disparités infra-départementales avec plusieurs types de quartiers. C’est le cas en Seine-Saint-Denis avec certains secteurs très ségrégués concentrant des catégories de ménages modestes, d’autres bien plus mixtes associant classes moyennes et populaires (comme dans des quartiers d’Aulnay-sous-Bois, de Rosny-sous-Bois, de Coubron, de Montreuil, des Lilas, du Pré-Saint-Gervais, de Pantin ou des Pavillons-sous-Bois), et même quelques secteurs très localisés de ségrégation de ménages aisés (au Raincy et à Noisy-le-Grand).

Abonnez-vous à notre newsletter

En outre, elle offre la possibilité d’analyser les dynamiques mettant en évidence quatre trajectoires fortement liées aux mobilités et contraintes résidentielles :

  • Un recul de la mixité en lien avec une dynamique d’embourgeoisement dans des quartiers favorisés de Paris Centre, du 9e, du sud du 17e et d’une partie du 11e arrondissement, et dans des quartiers aisés de Puteaux, Levallois Perret, Boulogne Billancourt ou encore Vincennes. Ces quartiers attirent toujours plus de ménages à hauts niveaux de revenus. Les prix de l’immobilier y ont fortement augmenté. L’auto-ségrégation d’une partie des catégories aisées s’y renforce.
  • Un recul de la mixité associé à un phénomène de « paupérisation » lié à l’installation de ménages disposant de revenus moins élevés dans des quartiers déjà populaires, voire à la baisse des revenus des ménages installés (pertes d’emploi, emplois précaires, retraites) et/ou au départ de ménages plus aisés. Cette tendance s’observe en particulier dans des quartiers du territoire Paris Terres d’Envol (dans les communes du Bourget, de Villepinte, du Blanc Mesnil et de Sevran). Elle se distingue également dans des quartiers au nord de Plaine Commune à Pierrefitte-sur-Seine ou Epinay-sur-Seine par exemple, ou encore dans des quartiers de Villeneuve-Saint-Georges au sud de la Métropole.
  • Une nouvelle mixité dans des communes jusqu’alors modestes pouvant s’expliquer par l’installation de ménages aux revenus plus élevés ou bien au départ de ces mêmes quartiers de ménages modestes. C’est ce qu’on désigne communément par le terme de gentrification. Cette trajectoire s’observe dans des quartiers du nord-est parisien (18e et 19e arrondissements) et dans quelques secteurs de communes limitrophes de Paris (Saint-Ouen-sur-Seine, Montreuil, Pantin). Cette nouvelle attractivité résulte dans certains cas d’opérations d’aménagement, d’amélioration de l’habitat ou de renouvellement urbain comme cela est le cas aux Docks de Saint-Ouen, à Paris Rive Gauche (13e), dans le secteur « Paris Nord Est » couvrant un triangle nord-est allant du 10e au 18e / 19e arrondissements, au sud d’Aubervilliers (ZAC Front Populaire) et au sud de Saint-Denis (secteur Pleyel).
  • Une nouvelle mixité (plus sporadique) dans des communes aisées qui s’explique par l’évolution du niveau de vie des habitants sur place et/ou par l’installation de ménages plus modestes, bénéficiant par exemple du développement de logements sociaux dans des quartiers aisés. C’est le cas par exemple au sud du 16e arrondissement à Paris, mais aussi dans quelques secteurs de Rueil-Malmaison.

L’étude confirme ainsi le rôle primordial du logement dans la compréhension de la structure sociale et des dynamiques à l’œuvre dans la Métropole. L’évolution des niveaux de ségrégation observés est directement corrélée à la structure du parc de logements, dont la diversité favorise la mixité, et inversement. L’absence de logements sociaux dans certains quartiers est vectrice de ségrégation. De même, une concentration forte du parc social dans certains secteurs augmente de fait le niveau de ségrégation des plus modestes. Ainsi, dans les quartiers les plus mixtes du Grand Paris, 25 % des ménages résident dans le parc social, 36 % dans le parc locatif privé et 39 % sont propriétaires occupants. En miroir, dans les quartiers aisés les plus ségrégués, seuls 1 % des ménages sont locataires du parc social, contre 71 % pour les quartiers ségrégués modestes. 

Quels enseignements et perspectives à l’horizon 2030 ?

L’analyse des résultats ouvre ou confirme plusieurs pistes de recherche : sur les processus d’auto-ségrégation des plus aisés, sur le caractère relativement circonscrit du point de vue spatial des dynamiques de gentrification, sur les évolutions plus fortes concernant les quartiers mixtes ou modestes…

Elle confirme le fait que les politiques publiques favorables au maintien ou au renforcement de la mixité sont susceptibles d’avoir des effets à des échelles fines. On pense en particulier aux politiques d’habitat favorables à l’accès et au maintien dans le logement des ménages modestes et de classes moyennes (production de logements sociaux, stratégies de peuplement / attributions de logements, encadrement des loyers, programmation d’opérations d’aménagement…) et à celles favorables à l’amélioration du cadre et des conditions de vie (renouvellement urbain, projets d’aménagement, infrastructures de transport et désenclavement, aménités et services urbains, économie territoriale…).

Rappelons cependant que l’objectif de mixité sociale en lui-même, et de ses différents effets, fait l’objet de nombreux débats depuis les années 1990. De même, proximité spatiale ne signifie pas proximité sociale, ce dont témoignent les enjeux en matière de mixité scolaire. Dans les années à venir, les nombreux projets d’aménagement engagés dans le Grand Paris, la mise en service du Grand Paris Express et les investissements entrepris en vue des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 constituent des leviers pour maintenir ou renforcer la mixité résidentielle à l’échelle des quartiers.

Leurs effets en matière de mixité dépendront :

  • Du nombre et de la part de logements sociaux et abordables créés à destination des classes populaires et moyennes. La diversité du parc de logements produit et de son peuplement (politiques d’attributions, réponses publiques à la paupérisation d’une partie des ménages locataires du parc social) sur le temps long déterminera le maintien ou le renforcement de la mixité sociale au niveau local.
  • Des projets d’infrastructures, d’équipements et services associés (transports, équipements de petite enfance, scolaires, culturels, sportifs ou encore de santé, commerces et services de proximité…) qui y seront développés, vecteurs d’attractivité et d’identité des territoires.

Au regard de ces objectifs, une attention peut être portée à l’évolution des objectifs de programmation dans les projets et du peuplement des logements construits. Quels mécanismes pour garantir le maintien dans le temps des intentions initiales et objectifs affichés ? L’héritage contesté des JO de Londres de 2012 en constitue une illustration.

Une autre question renvoie aux modalités d’intervention en dehors des dynamiques de projet, dans un contexte d’urgence climatique. Alors que les possibilités de constructions seront nécessairement limitées (foncier disponible, cadre réglementaire de non-artificialisation des sols…) dans les prochaines années, comment renforcer la mobilisation des logements et/ou bureaux vacants (taxation des logements inoccupés, réquisitions…), l’optimisation des espaces sous-utilisés (taux d’usage) et le développement de nouveaux usages mixtes du bâti (partage des lieux entre logements et espaces d’activité, chrono-urbanisme…) pour contribuer aux besoins en logements et à la mixité résidentielle ?

Enfin, trois situations particulières peuvent être soulignées à partir de l’étude.

  • La première concerne les dynamiques d’auto-ségrégation des ménages aisés. Le recul de la ségrégation et le renforcement de la mixité apparaissent très limités dans les quartiers les plus favorisés sur 15 ans, alors que l’attention médiatique et les politiques publiques se centrent sur les secteurs les plus modestes. Quelles politiques territoriales volontaristes envisager dans ces secteurs, pour y développer du logement social ? Au-delà du seul critère de revenu, se pose la question des modalités de prises en considération des inégalités en termes de patrimoine, source principale de l’accroissement des inégalités, pour appréhender la mixité résidentielle.
  • La deuxième porte sur le décrochage social et économique d’une partie de la population résidant dans les quartiers populaires les plus ségrégués, notamment aux franges de la Seine-Saint-Denis, dont une partie se situent aujourd’hui à l’écart des dynamiques de projets d’aménagement ou de transports engagés. Quelles stratégie et solidarités métropolitaines en direction de ces territoires, alors que le Schéma de Cohérence Territoriale métropolitain (SCoT) doit être voté en juin 2023 et que le Schéma directeur environnemental de la région Île-de-France (Sdrif-E) est en cours de révision ?
  • Enfin, la troisième se relie aux actions possibles pour favoriser le maintien et l’accès au logement des ménages de classes moyennes, dans un contexte de marché de l’habitat tendu. L’augmentation des prix fonciers et immobiliers, d’autant plus dans un contexte d’inflation marquée depuis 2022, pèse particulièrement sur les catégories intermédiaires dont on voit qu’elles sont relativement peu représentées dans les secteurs de mixité au cœur de la Métropole. Le maintien d’un parc abordable et accessible pour ces ménages constitue un défi, intégrant les actions d’encadrement des loyers, le soutien à l’accession sociale à la propriété et un déploiement plus massif des baux réels solidaires.
Envie de contribuer à La Grande Conversation ?
Venez nourrir les débats, contredire les études, partager vos analyses, observations, apporter un éclairage sur la transformation du monde, de la société, sur les innovations sociales et démocratiques en cours ou à venir.

Emilie Moreau

Atelier parisien d’urbanisme

Clément Boisseuil

Atelier parisien d’urbanisme

Sandra Roger

Atelier parisien d’urbanisme