Révisons la législation pharmaceutique européenne pour plus de solidarité

Révisons la législation pharmaceutique européenne pour plus de solidarité
Publié le 21 février 2024
Le Parlement européen doit voter en avril, avant les élections, une révision de la législation pharmaceutique européenne. Sur la table de la commission Environnement et santé publique du Parlement depuis septembre, la proposition de la Commission vise à rendre la législation pharmaceutique de l'Union plus souple, plus flexible et plus adaptée aux besoins des citoyens et des entreprises. Il s'agit de la plus grande réforme en la matière depuis plus de 20 ans. Ses conséquences s’annoncent majeures pour les citoyens européens, en termes d’accès à l’innovation, de gestion des pénuries de médicaments ou encore de réponse aux crises sanitaires. La députée Renew Catherine Amalric, rapporteure du texte pour son groupe, en détaille ici les principaux enjeux.
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L’Europe de la santé se trouve à un moment charnière. Après s’être dotée d’un budget santé important, EU4HEALTH, dépassant les 5 milliards d’euros, de règles et d’agences sanitaires renforcées pour répondre de manière plus coordonnée et plus efficace aux menaces sanitaires, après avoir lancé un plan cancer à l’échelle d’un continent, l’Union européenne s’attelle désormais à la révision de l’un des piliers garantissant la santé des Européens : la législation pharmaceutique.

Cette révision, déclenchée par la pandémie de COVID-19, est motivée par trois grandes prises de conscience :

  • le rôle essentiel des médicaments et des thérapies dans les politiques de santé ;
  • la dépendance à l’égard de pays tiers pour les produits vitaux ;
  • l’impératif d’anticiper et d’innover dans les solutions thérapeutiques pour faire face aux risques émergents et aux défis sanitaires.

Ces impératifs soulignent la dimension profondément politique de la révision de la législation pharmaceutique, cruciale pour l’autonomie stratégique de l’Europe sur la scène mondiale.

Une nouvelle ambition politique

La santé, telle que définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. Son champ est global, elle vaut pour tous, sans limites de frontières. La pandémie de COVID-19 a démontré la formidable mobilisation de l’Europe en faveur d’un accès équitable aux vaccins. Aujourd’hui, cette vision guide le développement d’un modèle de santé commun transfrontalier, renforcé par la démonstration de la force de l’unité européenne lors de la crise pandémique.

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L’efficacité guide la valeur ajoutée de l’Union européenne. On constate une mutualisation croissante de diverses pratiques et outils au bénéfice de la santé des Européens, sans remettre en cause les prérogatives nationales d’organisation des soins :

  • le plan européen pour vaincre le cancer, qui englobe des mesures de prévention, des objectifs de dépistage, une spécialisation des prises en charge ;
  • les réseaux européens de références permettant une meilleure collaboration pour mieux soigner les patients atteints de maladies rares ;
  • un renforcement de l’Europe sociale en santé dans un contexte de rénovation thermique des bâtiments (renforcement des mesures prévention du risque amiante ou du risque plomb pour les travailleurs) ;
  • la création d’un espace européen des données de santé.

A présent, dans la continuité de la gestion de la crise liée au COVID-19, l’Alliance pour les médicaments critiques peut préfigurer une véritable loi européenne sur les médicaments.

Alliance pour les médicaments critiques

La mise en place de l’Alliance est l’une des actions clés visant à prévenir et à résoudre les pénuries de médicaments critiques annoncées par la Commission en octobre 2023. L’Alliance réunira toutes les parties prenantes concernées et s’efforcera de renforcer la coopération entre la Commission, les gouvernements nationaux, l’industrie et la société civile. Elle identifiera les défis, les priorités d’action et les solutions politiques possibles à la question des pénuries de médicaments critiques dans l’UE, dont une première liste comportant plus de deux cents spécialités a été publiée en décembre 2023. L’Alliance est un mécanisme consultatif qui servira également de réseau pour accélérer la mise en œuvre de l’action de l’UE dans ce domaine.

Elle élaborera des recommandations et fournira des conseils à la Commission, aux États membres et aux autres décideurs de l’UE sur la manière de remédier aux pénuries de médicaments. S’appuyant sur la liste de l’Union des médicaments critiques publiée par l’Agence européenne des médicaments en décembre 2023, elle se concentrera sur les médicaments présentant le risque de pénurie le plus élevé et l’impact le plus important sur les systèmes de soins de santé et les patients.

Dans l’objectif d’anticiper les risques communs de pénuries et de protéger chacun contre leurs conséquences potentielles, sont instaurés des plans de prévention et la constitution de stocks de sécurité. Cette démarche mutualisée inclut des processus d’achats conjoints, de négociation collective, d’échanges transfrontaliers de thérapies innovantes et des mécanismes de solidarité volontaire entre les Etats membres, dans l’esprit même de l’Union de la santé. En permettant ainsi une meilleure efficience des ressources disponibles, cette Alliance vise à réduire les pertes de chance pour de nombreux patients, quel que soit leur lieu de résidence.

Changer de paradigme

La nécessité de réviser la législation pharmaceutique découle de l’enjeu mesuré au cœur de la crise pandémique, de structurer et instaurer les dispositifs efficaces pour pouvoir disposer de solutions essentielles à tous. Jean Monnet le disait : « Rien n’est possible sans les hommes, rien n’est durable sans les institutions ». Cette volonté est portée par l’ambition d’une Europe unie et démocratique. Hier, la distribution des vaccins, qui a fait de l’Europe le premier contributeur dans le système de solidarité internationale COVAX, aujourd’hui, l’Alliance des médicaments critiques, font de l’Europe, sur la scène mondiale, une grande puissance porteuse des principes d’équité et de solidarité.

Dans le même temps, sa place de deuxième marché mondial de médicaments, sa position de leader dans la production de médicaments complexes, rend l’Europe incontournable dans le système international, pour « façonner à sa main » des solutions en faveur de la santé de tous.

C’est bien cette dimension de puissance économique qui permet à l’Europe de peser sur le développement de solutions thérapeutiques innovantes, sur la réduction de la dépendance aux importations, pour mieux servir, par son autonomie stratégique dans ce multilatéralisme ouvert, l’objectif d’assurer à tous un accès équitable aux thérapeutiques, quels que soient la pathologie, le coût, le lieu de résidence. 

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Réviser aujourd’hui une législation pharmaceutique européenne vieille de plus de vingt ans, c’est façonner pour les prochaines décennies un outil propre à relever les défis sanitaires. C’est concilier des objectifs pouvant paraître inconciliables, tel que l’innovation, qui coûte parfois plusieurs centaines de milliers d’euros par cure, et la soutenabilité de nos systèmes de santé.

La révision doit avant tout opérer un changement de paradigme, redéfinissant les notions traditionnelles et exploitant les forces de l’Europe en matière d’innovation et de durabilité, pour une Europe du médicament attractive, compétitive, innovante, résiliente et soutenable.

Innovation et résilience

Dans l’ambition qu’elle porte, l’Europe s’est dotée d’outils déterminants en matière d’innovation : les programmes Horizon Europe ; les bioclusters ; le Projet important d’intérêt européen commun (PIIEC) en santé ; associés à la Stratégie Global Gateway en vue d’établir des partenariats internationaux solides, y compris avec l’Afrique, pour soutenir l’innovation disruptive à l’échelle mondiale.

La révision de la législation pharmaceutique prend pour pivot la volonté d’utiliser ces atouts pour favoriser le développement d’un écosystème de recherche et d’innovation, en se fondant sur le rapprochement entre recherche, incubateurs, R&D, start-up, et puissance et réactivité industrielles.

Toutes les innovations de rupture, en biologie et génétique, en IA, et dans le champ du numérique, contribuent à faire émerger les solutions thérapeutiques de demain, plus performantes, plus personnalisées, et aussi moins coûteuses. Le coût de l’ensemble du process d’autorisation peut aussi être réduit. L’accompagnement par l’Agence européenne du médicament, favorisant la coopération de toutes les parties prenantes, la coordination des essais cliniques, le partage des évaluations, la prise en compte des données de vie réelle, la numérisation des procédures, leur simplification et leur adaptation selon les situations (molécules réemployées – génériques – autorisation temporaire d’urgence) doit concourir à optimiser et accélérer les procédures et pourrait générer près de 300 millions d’euros d’économies.

L’Europe du médicament, en vertu de ses standards environnementaux et sociaux, est au cœur du développement durable. C’est l’innovation qui permettra une relocalisation décarbonée, soutenable et durable. Loin de concevoir cette révision de manière mono-disciplinaire et cloisonnée, notre vision s’attache à mettre en lien et en cohérence l’ensemble des composantes de santé, en parallèle du champ des médicaments eux-mêmes. Cette dimension transversale donnée à la réflexion engagée pour ce modèle commun de santé globale, selon le concept One Health, est au cœur de l’enjeu de soutenabilité et de durabilité.

La révision législative représente aussi l’opportunité de favoriser le développement de molécules de réserve capables de lever les résistances microbiologiques, d’instaurer des contrôles environnementaux liés à la production et à l’usage des anti-infectieux, de promouvoir les Bonnes Pratiques anti-infectieuses. Rappelons en effet que dans cette vision d’une santé unique mondiale, l’OMS classe la résistance aux antimicrobiens comme l’une des dix grandes menaces pour la santé publique, aujourd’hui responsable de 35.000 décès par an rien qu’en Europe.

Enfin, la révision de la législation pharmaceutique s’attache aussi à enrichir les enjeux de prévention. Le développement de la prévention doit nécessairement accompagner le nouveau modèle visant à assurer des solutions thérapeutiques les plus innovantes et performantes pour tous, dans un principe d’équité et de protection optimale. Dans cet objectif, une politique efficace de prévention est au cœur de l’enjeu de soutenabilité. Face aux coûts humains et sociaux des pathologies évitables, des politiques de prévention partagées à large échelle recouvrent d’abord un potentiel considérable de gain en santé individuelle, et représentent aussi un potentiel d’économies de milliards d’euros, utiles aux thérapeutiques curatives.

Cette révision législative est donc bien l’un des piliers de la protection de la santé des Européens : c’est une opportunité sans précédent de construire une politique de santé innovante, solidaire, équitable, durable et résiliente, fondée sur le concept d’ « une seule santé mondiale » («One Health») et mettant en cohérence l’ensemble des politiques portées par notre groupe politique.

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Catherine Amalric