Dans le concours Lépine des (petites) économies budgétaires, a récemment surgi le projet, immédiatement repris par le gouvernement, de couper les Aides personnelles au logement (APL) aux étudiants étrangers. Une telle décision permettrait d’économiser un peu plus de 200 millions d’euros, soit à peu près 1% du budget total des APL – ce qui est peu – ou encore 0.16% des 120 Mds€ d’économies à réaliser dans les 5 à 6 années qui viennent pour stabiliser notre ratio d’endettement sur PIB1 – ce qui est encore moins. La députée européenne « Reconquête » Sarah Knafo a cependant déclaré qu’il faut « soulever tous les capots ». A ce rythme-là, il faudrait en effet soulever plus d’un millier de capots pour atteindre l’objectif recherché.
Le calcul risque en outre de s’avérer couteux au bout du compte. Pas seulement parce qu’il nuira aux étudiants concernés qui vont connaître d’un peu plus près la précarité, et surtout à leurs bailleurs qui encaissent parfois directement ces APL et en sont les véritables destinataires en dernier ressort. Mais aussi et surtout parce qu’il nuira à la collectivité tout entière. Car, comme le révélait une grande enquête réalisée par Campus France il y a trois ans auprès de 10 000 étudiants étrangers sur le sol national (sur 300 000), le solde réel de leur présence sur le territoire national est nettement bénéficiaire pour l’économie française. Ces étudiants déboursent en effet environ 5 Mds€ (loyer, alimentation, transports, etc.), soit environ 867 € par mois par étudiant. D’un autre côté, ils occasionnent 3.6 Mds€ de dépenses publiques (scolarité, soins, etc.). Il en résulte un solde net positif de 1.35 Mds€.
En Allemagne, le DAAD (l’équivalent de Campus France) introduit une dimension temporelle dans son propre calcul. Avec une proportion de 20 à 30 % des étudiants internationaux intégrant le marché du travail après des études d’une durée moyenne de quatre ans, les recettes fiscales et sociales générées par les diplômés étrangers compensent le coût des études pour les finances publiques au bout d’environ cinq ans, sans même tenir compte de leurs dépenses et consommations durant toutes ces années. D’autres calculs, notamment au Royaume-Uni, arrivent à des conclusions plus positives encore.
La même enquête de Campus France révélait en outre que 20% des répondants avaient exercé un ou plusieurs emplois au cours de leur séjour pour financer leurs études en France. A cette occasion, ils avaient généré environ 13 300 € de cotisations sociales en moyenne. Elle nous apprenait enfin que plus de 80% de ces étudiants étrangers présents sur le sol national souhaitent garder des relations avec des entreprises françaises dans le futur et qu’ils souhaitent continuer à consommer des produits français.
Naturellement, un autre bénéfice doit être pris en compte : l’apport de nouveaux talents pour la recherche française. Aujourd’hui, 40% des doctorants en France sont étrangers. Près d’un tiers des chercheurs actuellement recrutés au CNRS et près de la moitié de ceux qui occupent des chaires de professeur junior sont de nationalité étrangère. La recherche est un sport collectif et largement international dans de très nombreuses disciplines. On l’apprend aussi souvent à notre détriment – lorsque de jeunes talents français partent travailler à l’étranger – comme à notre profit – lorsqu’un jeune immigré marocain passé par l’ENS et Polytechnique développe une licorne dans le domaine des drones de combat.
Faut-il donc dissuader les étudiants étrangers de venir faire leurs études chez nous ? C’est manifestement l’intention de l’extrême droite et de la droite nationale qui semblent impatientes, ici comme ailleurs, d’éteindre la lumière. Ce serait une très mauvaise idée. D’autant que la concurrence fait rage. Le nombre d’étudiants désireux de faire leurs études à l’étranger a littéralement explosé ces dernières décennies. Dans le même temps, l’attractivité de la France n’a cessé de reculer : elle était la 2e destination mondiale pour les étudiants internationaux en 1981, elle est aujourd’hui la 7e, derrière des pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou encore le Canada. Et même derrière la Russie avant la guerre d’agression en Ukraine. Selon l’indice d’attractivité des talents de l’Insead, notre pays pointe à la 19e position du classement sur 25. Est-ce vraiment le moment de compliquer les conditions de logement des étudiants étrangers ?
On est d’autant plus inquiet que cette proposition de suppression des APL n’est qu’un exemple parmi d’autres de ce que les conservateurs et les nationalistes ont imaginé pour faire fuir les étudiants étrangers. Il faut ici rappeler que la « loi immigration » de décembre 2023 avait imaginé mettre en place une « caution retour » pour obtenir la délivrance d’un titre de séjour pour motifs d’études. La même loi prévoyait que le titre de séjour pluriannuel accordé aux étudiants étrangers pourrait leur être retiré s’ils ne justifiaient pas « annuellement du caractère réel et sérieux des études, apprécié au regard des éléments produits par les établissements de formation et par l’intéressé ».
Cette panique résulte d’un fait simple et qui semble affoler les conservateurs et l’extrême-droite. Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, les admissions au séjour sur motif d’études sont passées de 58 930 en 2012 à 110 633 en 2024, soit une augmentation de 88% en douze ans. C’est aujourd’hui l’un des tout premiers canaux d’immigration régulière, avant même l’immigration familiale (90 700 en 2024, relativement stable sur 10 ans).
Évolution des primo-délivrances par motif d’admission depuis 2011

Source : Ministère de l’Intérieur
L’idée est en tout cas tellement sotte qu’elle a déclenché les foudres de certains dans le sein même de feu le « socle commun ». L’ancienne ministre de la Recherche, Sylvie Retailleau, ainsi que le député EPR Vincent Caure et le président des « Jeunes en marche » Louis Roquebert se sont fendus d’une tribune dans le journal Libération pour contester cette proposition.