Dans l’entretien qu’il a accordé à l’émission « C à vous » sur la 5 au lendemain de l’adoption de la loi sur l’immigration par l’Assemblée nationale et le Sénat, le Président de la République a présenté cette loi comme « un revers pour le Rassemblement national » alors même que celui-ci venait de revendiquer une « victoire idéologique ». Qu’en est-il au juste ?
Pour répondre à cette question, nous avons comparé les propositions du RN sur le sujet (en nous basant sur le programme de Marine Le Pen pour l’élection présidentielle de 2022) et le contenu de la loi adopté le 19 décembre dernier. Nous avons également confronté ce texte aux propositions du candidat Emmanuel Macron sur l’immigration en 2022.
Le résultat est sans ambiguïté : il s’agit bien d’une « victoire idéologique » du RN, aux paramètres près… Cette victoire est partagée, sur certains points, par le camp présidentiel, le candidat Emmanuel Macron ayant affiché en 2022 des intentions parfois cohérentes avec le texte adopté le 19 décembre. Mais de nombreuses dispositions étaient parfaitement absentes de son programme. Si victoire il y a, elle est donc d’abord celle du RN.
Dans les pages qui suivent, il s’agit moins de juger que de compter et de mesurer les échos entre le texte du 19 décembre et les programmes susmentionnés. Inventaire.
1. Régularisation des travailleurs irréguliers dans les métiers en tension
Programme du RN :
« La régularisation d’un étranger en situation irrégulière ne sera pas possible, sauf dans des cas exceptionnels. Seules pourront être prises des décisions individuelles, et non plus des régularisations en masse. La décision sera prise en Conseil des ministres (…) ».
Programme Macron 2022 :
Le candidat Macron en 2022 évoquait la possibilité de conditionner la délivrance de « titres de long séjour » à l’insertion professionnelle des étrangers. Dans la section « Droits et devoirs de l’intégration », on lit ainsi : « Titres de long séjour seulement pour ceux qui réussissent un examen de français et s’insèrent professionnellement ».
Loi du 19 décembre :
La nouvelle loi permet que soit régularisé un étranger exerçant une activité professionnelle salariée dans un métier en tension. Mais elle y met une série de conditions et de limites très contraignantes : a) cette procédure n’est envisageable qu’« à titre exceptionnel, et sans que les conditions [en] soient opposables à l’autorité administrative » ; b) l’étranger doit avoir exercé cette activité professionnelle salariée « durant au moins 12 mois, consécutifs ou non, au cours des 24 derniers mois », et justifier « d’une période de résidence ininterrompue d’au moins 3 années en France » ; c) il ne pourra obtenir qu’une « carte de séjour temporaire portant la mention “travailleur temporaire” ou “salarié” d’une durée d’un an » ; d) « dans l’exercice de sa faculté d’appréciation », le préfet pourra prendre en compte, « outre la réalité et la nature des activités professionnelles de l’étranger, son insertion sociale et familiale, son respect de l’ordre public, son intégration à la société française et son adhésion aux modes de vie et aux valeurs de celle-ci ainsi qu’aux principes de la République » ; e) l’étranger ne pourra pas se voir délivrer cette carte de séjour temporaire « s’il a fait l’objet d’une condamnation, d’une incapacité ou d’une déchéance mentionnée au bulletin n° 2 du casier judiciaire ».
Le législateur autorise néanmoins que la demande de régularisation soit présentée sans l’accord de l’employeur.
Commentaire :
La régularisation « de plein droit » des étrangers travaillant dans des secteurs/métiers en tension devait être la grande contrepartie des concessions faites à la droite et à l’extrême-droite dans le reste du texte (cf. infra) et pouvait faire écho à l’un des engagements de campagne d’Emmanuel Macron d’accorder un titre de séjour long sous condition d’insertion professionnelle. Il s’agissait bien d’ouvrir un canal de régularisation pour et par le travail. Et de le faire dans un cadre légal en échappant à l’arbitraire préfectoral.
En pratique, il n’en reste à peu près rien. Conformément aux vœux du RN, le dispositif retenu relève bien de « l’exceptionnel » et de la mesure « individuelle ». Laissé à l’appréciation discrétionnaire du préfet (comme aujourd’hui), il crée une admission exceptionnelle au séjour (AES) dont les conditions sont en recul par rapport à la circulaire Valls du 28 novembre 2012 jusqu’ici en vigueur (soit une présence d’au moins 5 ans avec ancienneté de travail de 8 mois, consécutifs ou non, sur les 24 derniers mois ou de 30 mois, consécutifs ou non, sur les 5 dernières années, soit une présence en France depuis au moins 3 ans avec une ancienneté de travail de 24 mois dont 8 dans les 12 derniers mois). En outre, cette AES ne conduit pas un titre de séjour long, comme semblait le souhaiter le candidat Macron en 2022.
Certains membres du gouvernement plaident malgré tout qu’avec ce dispositif, il y aura dans le futur 10.000 régularisations par an. Ce ne serait en réalité pas tellement plus que les AES délivrées aujourd’hui au titre de la circulaire Valls pour motif économique : un rapport de l’Assemblée nationale les estimait à près de 9.000 en 2021 et elles seraient proches de 10.000 en 2022. Par la voix de plusieurs de ses ministres, le gouvernement promet que les nouvelles régularisations s’ajouteront aux anciennes (donc 10.000 + 10.000 = 20.000), notamment en raison de l’autorisation donnée aux travailleurs concernés de demander leur régularisation sans l’aval de leur employeur (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui). En réalité, aucune donnée ne permet d’objectiver ces chiffres. Et si l’on fait l’hypothèse que ce dispositif survivra à cette majorité (il est pour le moment prévu jusqu’en 2026), rien n’indique qu’une future majorité n’enverra pas des consignes de fermeture aux préfets.
Pour le moment, ces derniers s’abritent derrière le manque de moyens et d’effectifs pour expliquer pourquoi il est si difficile d’obtenir un rendez-vous pour une AES dans une préfecture (à Paris et dans les départements limitrophes, il était quasiment impossible d’obtenir un rendez-vous sur ce motif dans les années qui ont précédé le confinement, comme le documente très bien le même rapport de l’Assemblée nationale).
2. Refus de titre de séjour, expulsions et interdiction du territoire en raison de crimes ou délits
Programme du RN :
Le programme de Marine Le Pen plaide pour que soient « levés tous les obstacles limitant ou interdisant l’éloignement des étrangers condamnés pour des crimes ou des délits graves ou de ceux qui font peser un risque sur l’ordre public ou portent atteinte à l’ordre public. » Il propose que « les étrangers condamnés pour avoir commis des crimes ou des délits soient systématiquement expulsés. » Il demande également que soit expulsé « dans son pays d’origine ou dans tout autre pays où il peut légalement séjourner, selon des modalités nouvelles, tout étranger en situation irrégulière le plus tôt possible après son entrée sur le territoire. »
Programme Macron 2022 :
Le candidat Macron évoquait dans son programme « l’expulsion des étrangers qui troublent l’ordre public ».
Loi du 19 décembre :
La loi prévoyait déjà que la délivrance d’une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle pouvait être refusée « à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l’ordre public ». La loi nouvelle précise le trait en énumérant les crimes et délits pouvant conduire à ce refus : trafic de stupéfiants, traite d’êtres humains, proxénétisme, exploitation de la mendicité, travail forcé, conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité humaine, vol dans les transports en commun, recel…, ainsi que les crimes et délits commis à l’endroit d’un élu ou d’un dépositaire de l’autorité publique.
La novation de la loi ne consiste cependant pas seulement dans cette énumération. Elle prévoit en effet que le titre de séjour puisse être refusé non seulement à l’étranger ayant fait l’objet de condamnations pénales définitives sur ces différents motifs, mais aussi à l’étranger « ayant commis des faits qui l’exposent » à de telles condamnations, c’est-à-dire avant même et en l’absence de tout jugement judiciaire. L’autorité administrative serait ainsi habilitée à qualifier comme établis des faits infractionnels en dehors de toute procédure et garanties juridictionnelles.
En outre, la loi nouvelle affaiblit voire supprime les protections dont bénéficiaient jusqu’alors certains étrangers en raison de leurs attaches familiales ou de leur ancienneté de résidence. Ainsi le parent étranger d’un enfant mineur français résidant en France pourra être expulsé a) « lorsqu’il a fait l’objet d’une condamnation définitive pour des crimes ou délits punis de 3 ans ou plus d’emprisonnement », b) « lorsque les faits à l’origine de la décision d’expulsion ont été commis à l’encontre de son conjoint, d’un ascendant ou de ses enfants ou de tout enfant sur lequel il exerce l’autorité parentale », c) lorsqu’ils ont été commis « à l’encontre du titulaire d’un mandat électif public » ou de toute personne dépositaire de l’autorité publique « dans l’exercice ou en raison de sa fonction », ou encore d) en cas de situation irrégulière au regard du séjour.
De même, l’étranger a) qui réside en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de 13 ans, ou b) qui réside en France depuis plus de 20 ans, ou c) qui réside en France depuis plus de 10 ans et qui est marié avec un ressortissant français, pourra être expulsé 1) lorsqu’il a déjà fait l’objet d’une condamnation définitive pour des crimes ou délits punis de cinq ans ou plus d’emprisonnement ou de trois ans en réitération de crimes ou délits punis de la même peine, 2) lorsque les faits à l’origine de la décision d’expulsion auront été commis à l’encontre du titulaire d’un mandat électif public ou d’une personne dépositaire de l’autorité publique, 3) s’il est dans une situation irrégulière au regard du séjour.
La nouvelle loi modifie également le régime de la peine d’interdiction du territoire français. Alors que la peine complémentaire d’interdiction du territoire est actuellement encourue pour des infractions limitativement énumérées par la loi, la présente loi en fait une peine complémentaire applicable également « pour tout délit puni d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure ou égale à trois ans » – il est à noter ici que le seuil indiqué n’est pas celui de la peine effectivement prononcée (qui peut être et est souvent très inférieure) mais celui de la peine encourue. D’autre part, la loi nouvelle abroge les protections dont bénéficiaient jusqu’ici certaines catégories d’étrangers (attaches familiales, ancienneté de résidence, état de santé…) contre une interdiction du territoire français.
Commentaire :
Sur ce point, il y avait convergence d’intention, au moins partielle, entre le programme de Marine Le Pen en 2022 et celui du candidat Emmanuel Macron, même si ce dernier restait d’un haut niveau de généralité. La loi du 19 décembre exauce clairement ces vœux jumeaux en faisant de toute une série de condamnations pénales définitives le levier de refus ou de retrait d’un titre de séjour ou encore d’une décision d’expulsion.
Elle permet aussi à l’autorité administrative de refuser un premier titre de séjour si l’étranger a commis des faits qui « l’exposent » à une condamnation, en dehors de tout cadre juridictionnel : la police administrative s’appliquant au droit des étrangers, la véracité comme la qualification des faits concernés ne feront l’objet d’aucune garantie juridictionnelle et pourront être établis sur la seule foi des informations et renseignements mis à la disposition de l’administration.
Par ailleurs, les situations anciennement protégées contre l’expulsion et contre l’interdiction du territoire français le seront désormais beaucoup moins.
3. Pratique de la langue
Programme RN 2022 :
« Pour la France, donner la nationalité à un étranger ne doit être possible que si la personne qui le demande apporte des garanties en matière d’assimilation, de maîtrise de la langue, de respect de nos lois et de nos mœurs. »
Le projet de révision constitutionnelle qui était compris dans le programme de Marine Le Pen en 2022 comportait également cet article : « Élément fondamental de l’identité et du patrimoine de la France, [la langue française] est la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics ».
Programme Macron 2022 :
« Nous maîtriserons mieux nos frontières et conditionnerons l’obtention des titres de séjour long à la maîtrise de notre langue et la connaissance de notre culture. » Le candidat Macron déclarait également vouloir réserver les titres de long séjour « seulement [à] ceux qui réussissent un examen de français ».
Loi du 19 décembre :
La loi faisait déjà obligation à l’étranger admis pour la première fois au séjour, sous peine de ne pas pouvoir se maintenir durablement sur le territoire national, de suivre « un parcours personnalisé d’intégration républicaine » destiné à lui faire comprendre les valeurs et principes de la République, à lui faire apprendre la langue française et à l’accompagner dans son intégration sociale et professionnelle. Pour cela, il devait souscrire un « contrat d’intégration républicaine » par lequel il s’engageait à suivre les dispositifs de formation et d’accompagnement et à respecter les valeurs et les principes de la République (art. 413-2 du CESEDA).
La loi nouvelle ajoute que l’étranger admis au séjour devra également connaître « l’histoire et la culture » françaises, lui demande « assiduité et sérieux » dans l’accompagnement destiné à favoriser son intégration professionnelle et surtout accentue les conditions linguistiques. Désormais la formation devra être sanctionnée par un examen. Pour le réussir, l’étranger devra obtenir un résultat supérieur à un seuil fixé par décret. Son niveau devra en tout cas « être de nature à lui permettre au moins de comprendre des conversations suffisamment claires, de produire un discours simple et cohérent sur des sujets courants et d’exposer succinctement une idée ».
Des conditions linguistiques sont également requises pour la délivrance de titres de séjour pluriannuel : « une connaissance de la langue française permettant au moins de comprendre des expressions fréquemment utilisées dans le langage courant, de communiquer lors de tâches habituelles et d’évoquer des sujets qui correspondent à des besoins immédiats ».
Concernant les conditions linguistiques d’acquisition de la nationalité, elles figuraient déjà en ces termes à l’article 21-24 du Code civil : « Nul ne peut être naturalisé s’il ne justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue, de l’histoire, de la culture et de la société françaises, dont le niveau et les modalités d’évaluation sont fixés par décret en Conseil d’Etat, et des droits et devoirs conférés par la nationalité française ainsi que par l’adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République. » La loi nouvelle y ajoute : « L’intéressé justifie d’un niveau de langue lui permettant au moins de comprendre le contenu essentiel de sujets concrets ou abstraits dans un texte complexe, de communiquer avec spontanéité, de s’exprimer de façon claire et détaillée sur une grande variété de sujets ».
Le critère de compétence linguistique est également requis dans certains cas de regroupement familial (cf. infra).
Commentaire :
Relativement convergents dans leurs intentions sur ce point, les programmes 2022 des candidats Marine Le Pen et Emmanuel Macron sont ici largement réalisés. Demandée par le RN, la conditionnalité linguistique à l’acquisition de la nationalité figurait déjà dans le Code civil (ainsi que le terme d’assimilation, d’ailleurs…) : la loi nouvelle ne fait que préciser le niveau requis qui se trouvait jusqu’ici détaillé dans l’article 37 du décret n° 93-1362 du 30 septembre 1993. Quant à la conditionnalité linguistique à la délivrance de titres de séjour long voulue par le candidat Macron, elle est clairement précisée dans la loi.
En réalité, tous les ajouts de la nouvelle loi au droit existant en la matière consistent à préciser le niveau des attentes qui étaient déjà énoncées dans les textes précédents et leurs décrets d’application, et à imposer un examen. Il est à noter que ces exigences favorisent par construction les étrangers déjà francophones car venant de pays où le français est enseigné ou encore largement en usage. C’est en particulier le cas des ressortissants du Maghreb, de certains pays d’Afrique subsaharienne et d’Afrique de l’Ouest. Il est pourtant douteux que Marine Le Pen et ses amis aient particulièrement souhaité favoriser ces immigrants…
Le renforcement de ces exigences peut être pénalisant pour la venue en France de chercheurs et ingénieurs de haut niveau (cf. infra, point 5.) dont la langue de travail est l’anglais et qui n’ont pas toujours les compétences linguistiques requises.
4. Modifications de l’application du droit d’asile
Programme du RN :
« Le droit d’asile sera modifié pour mettre fin à son détournement. (…) Les modalités de présentation d’une demande d’asile seront fixées par la loi. Elle pourra instaurer l’obligation de les déposer dans les services des ambassades et consulats français à l’étranger. Seules les personnes qui, en raison des réelles persécutions ou craintes de persécutions de nature à menacer gravement leur vie ou leur liberté, seront admises au bénéfice du droit d’asile. La loi pourra n’autoriser la venue en France que des seules personnes qui ont obtenu le statut de réfugié et non des personnes dans l’attente d’une décision. »
Programme Macron 2022 :
En 2022, le candidat Macron soulignait que, lors de son premier mandat, « le droit d’asile [avait été] respecté ». Il y appelait, pour le futur, à ce que soit poursuivie « la refonte de l’organisation de l’asile (…) pour décider beaucoup plus rapidement qui est éligible et expulser plus efficacement ceux qui ne le sont pas ». Comme lors des débats sur la « loi Collomb » lors de son premier mandat, la question de l’efficacité et de la rapidité des procédures d’asile était au cœur de ses préoccupations avec, toutefois, une attention plus explicite aux procédures d’expulsion.
La loi du 19 décembre :
L’autorité administrative pourra désormais « assigner à résidence ou (…) placer en rétention le demandeur d’asile dont le comportement constitue une menace à l’ordre public ». Contrairement à la situation qui prévalait jusqu’alors, le demandeur d’asile pourra également être placé en rétention au moment où il présente sa demande « lorsqu’il présente un risque de fuite », ce risque étant constitué lorsque le demandeur d’asile a) n’a pas présenté sa demande dans le délai de 90 jours à compter de son entrée ; b) a déjà été débouté en France ou dans un autre pays de l’UE ou y a renoncé sans motif légitime ; c) a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à la procédure d’éloignement en cas de rejet de sa demande ou s’est déjà soustrait à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement ; d) fait l’objet d’une décision d’éloignement exécutoire prise par l’un des pays de l’UE ou s’est maintenu sur son territoire sans justifier d’un droit de séjour ou sans y avoir déposé sa demande d’asile dans les délais les plus brefs ; e) ne se présente pas aux convocations de l’autorité administrative, ne répond pas aux demandes d’information et ne se rend pas aux entretiens prévus dans le cadre de la procédure sans motif légitime.
Par ailleurs, les déboutés du droit d’asile perdront d’office le bénéfice de la prise en charge médicale et feront l’objet d’une OQTF systématique sauf si l’administration « envisage d’admettre l’étranger au séjour pour un autre motif », et ce dans un délai bref et contraint. Ils perdront du même coup leur droit d’accéder à l’hébergement d’urgence.
Enfin, les décisions en appel de la Cour nationale du droit d’asile seront prises, sauf exception, par un juge unique au lieu de sa formation collégiale actuelle de trois personnes dont un assesseur nommé par le HCR des Nations-Unies. Pour accélérer les procédures, les sites de la CNDA seront décentralisés au moyen de chambres territoriales. Et certains entretiens pourront avoir lieu en visioconférence.
Commentaire :
Rien dans la loi nouvelle ne reprend l’idée d’un examen des demandes d’asile dans les seuls ambassades et consulats des pays d’origine ou de transit, comme le souhaitait Marine Le Pen en 2022. En revanche, un certain nombre dispositions affectent négativement la situation des demandeurs d’asile sur le sol national. Notamment en mettant en place toute une série de leviers permettant de les placer en rétention administrative afin de contrôler leur circulation et de limiter leurs mobilités. Les déboutés du droit d’asile perdront également leurs droits à la prise en charge médicale et à l’hébergement d’urgence. Enfin, conformément à la philosophie constamment affichée par le Président de la République depuis son premier mandat, les procédures d’examen seront accélérées, notamment par une réorganisation de la Cour nationale du droit d’asile.
Concernant spécifiquement l’accès aux soins des déboutés du droit d’asile, la loi du 19 décembre introduit un nouvel article L. 542-7 dans le CESEDA qui dispose que la décision définitive de rejet de la demande d’asile par l’OFPRA entraîne l’interruption immédiate de la prise en charge des frais de santé du bénéficiaire au titre de la protection maladie universelle dite PUMA (art. 160-1 du Code de la sécurité sociale). Actuellement, les déboutés du droit d’asile bénéficient (art. R. 111-4 du CSS) d’un maintien de droits de 6 mois pour les personnes ne remplissant plus la condition de régularité de séjour – réduit à 2 mois lorsque la personne a fait l’objet d’une mesure d’éloignement administrative devenue définitive – afin de garantir la continuité de leur prise en charge sanitaire. Parallèlement, ces personnes ne pourront pas non plus bénéficier de l’Aide médicale d’État, quelle qu’en soit la réforme future (cf. infra point 12.), car elles ne répondront pas aux conditions d’accès à cette dernière. Cette situation est susceptible d’avoir des conséquences négatives tant sur la santé individuelle des étrangers concernés que sur la santé publique. Un risque cohérent avec les positions du RN sur ces sujets (cf. infra, point 12.).
5. Étudiants et chercheurs
Programme du RN :
« Un étudiant étranger admis sur le territoire pour y suivre des études scolaires ou universitaires doit le quitter à la fin de celles-ci. Sauf si sa présence sur le territoire répond à un impératif d’intérêt national, il ne peut, le cas échéant, être autorisé à y revenir afin de s’y établir qu’après avoir obtenu un titre de séjour lui donnant le droit d’y exercer une activité professionnelle. »
Programme Macron 2022 :
Néant.
La loi du 19 décembre :
La loi nouvelle exige le dépôt préalable d’une « caution retour » pour obtenir la délivrance d’un titre de séjour pour motifs d’études : « La caution est restituée à l’étranger lorsqu’il quitte la France à l’expiration du titre de séjour mentionné », et elle « est définitivement retenue lorsque l’étranger s’est soustrait à l’exécution d’une décision d’éloignement ».
Par ailleurs, le titre de séjour pluriannuel accordé aux étudiants étrangers peut leur être retiré s’ils ne justifient pas « annuellement du caractère réel et sérieux des études, apprécié au regard des éléments produits par les établissements de formation et par l’intéressé ». En outre, les droits d’inscription versés par les étudiants et auditeurs sont « majorés pour les étudiants étrangers en mobilité internationale »
Commentaire :
Sur ce chapitre, la loi nouvelle opérationnalise les vœux de Marine Le Pen qui, dans son programme de 2022, restaient assez vagues et généraux mais qui tendaient à s’assurer que l’étudiant étranger quitte bien le territoire au terme de ses études. Le dispositif de la « caution retour » est bien censé donner corps à cette idée. De même, le contrôle annuel du « caractère réel et sérieux des études » semble fondé sur la suspicion que de nombreux visas étudiants permettent « une immigration non pas clandestine, mais détournée de son but premier », pour reprendre les mots du député LR Roger Karoutchi. Ces deux dispositifs ont clairement pour finalité de compliquer la migration étudiante, voire de la dissuader. Cette philosophie est en rupture avec la politique qui a prévalu ces dernières années.
La loi entérine également la majoration des droits d’inscription des étudiants étrangers, déjà actée par une série de dispositions réglementaires en 2019 dans le cadre du dispositif « Bienvenue en France ». Un certain nombre de dérogations étaient prévues par les décrets et l’arrêté, notamment l’alignement des frais de scolarité entre les étudiants nationaux et ceux de l’UE. Le texte de loi ne précise pas quelles dérogations seront reconduites. D’une certaine façon, il va au-delà de ce qui était demandé.
Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, les admissions au séjour sur motif d’études sont passées de 58 930 en 2012 à 101 250 en 2022, soit une augmentation de 72% en dix ans. C’est aujourd’hui l’un des tout premiers canaux d’immigration régulière, avant même l’immigration familiale (95 500 en 2022, très stable sur dix ans). Cette politique était censée participer de l’attractivité du pays (l’indice de compétitivité globale pour l’attraction des talents de l’Insead situe la France au 19e rang sur 25…). Entre un pays qui les accueille en leur imposant une « caution retour », et un autre qui les accueille en leur manifestant son hospitalité, les étudiants qui auront le choix – c’est-à-dire les meilleurs sur le plan scolaire ou académique – risquent fort de choisir le second. Non seulement ce nouveau dispositif légal est en rupture avec la politique d’attractivité mise en place ces dernières années, mais il crée une sélection implicite des dossiers qui risque d’éloigner en particulier ceux que les autorités cherchaient le plus à attirer…
La France, longtemps troisième pays d’accueil d’étudiants internationaux, était tombée à la septième place ; elle est légèrement remontée maintenant à la sixième, mais elle a encore des progrès à faire, à la fois dans les pays francophones – les positions acquises sont fortement menacées – et dans les pays non-francophones.
Aujourd’hui, 40% des doctorants en France sont étrangers. Nos laboratoires ont besoin d’eux. Qu’ils restent dans notre pays, qu’ils rentrent dans le leur ou qu’ils aillent dans un autre, leur contribution à la recherche française est considérable. Les dispositions de la loi risquent bien d’être dissuasives, pour le plus grand bénéfice de pays concurrents désireux de les attirer.
Les dispositions concernant les prestations sociales (voir infra, points 10. et 11.) ne concernent pas toutes les titulaires d’un visa étudiant (en particulier pour ce qui touche aux Aides personnelles au logement). En revanche, elles risquent de concerner les chercheurs qui sont nombreux à venir de l’étranger, et qui pourraient être privés de certaines prestations pendant 30 mois après leur arrivée. Près d’un tiers des chercheurs actuellement recrutés au CNRS et près de la moitié de ceux qui occupent des chaires de professeur junior sont de nationalité étrangère, ce qui, dans le discours du 7 décembre du Président de la République, était présenté comme un motif de fierté nationale.
6. Refus ou retrait d’un titre de séjour pour non-respect des principes de la République
Programme RN :
« L’attribution d’un titre de séjour à un étranger est subordonnée à la volonté et à l’engagement du demandeur de s’assimiler à la société française. Les étrangers admis au séjour sur le territoire doivent respecter le mode de vie des Français et agir pour s’assimiler à la culture française. Il doit notamment s’engager à respecter l’égalité entre l’homme et la femme et la laïcité. »
Programme Macron 2022 :
Néant.
Loi du 19 décembre :
Il existait auparavant dans la loi un « contrat d’intégration républicaine » (voir supra point 3.). La loi nouvelle crée un nouveau contrat d’engagement au respect des principes de la République auquel devra impérativement souscrire l’étranger qui sollicite un document de séjour. Les principes de la République qu’il s’engage à respecter sont ainsi énumérés dans le texte du 19 décembre : « respecter la liberté personnelle, la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République au sens de l’article 2 de la Constitution, l’intégrité territoriale, définie par les frontières nationales, et ne pas se prévaloir de ses croyances ou de ses convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers. »
Aucun titre de séjour ne pourra être délivré à un étranger qui refuse de souscrire ce contrat d’engagement ou dont le comportement manifeste qu’il n’en respecte pas les obligations. Le manquement aux engagements contenus dans ce contrat sera caractérisé par des « agissements délibérés de l’étranger portant une atteinte grave à un ou plusieurs principes de ce contrat et constitutifs d’un trouble à l’ordre public. » Il s’exposera alors à ce que le document de séjour ne soit pas renouvelé ou qu’il lui soit retiré.
Commentaire :
Même si le droit en vigueur allait déjà dans ce sens, le législateur exauce clairement les vœux du RN quant au conditionnement de la délivrance d’un titre de séjour à l’expression d’un engagement substantiel de la part de l’étranger. Un point qui ne figurait pas dans le programme d’Emmanuel Macron en 2022.
On notera que l’article 26 de la loi « séparatisme » avait déjà tenté en 2021 d’introduire un tel mécanisme et dans des termes quasi-identiques, mais qu’il avait été censuré par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 2021. Aux yeux du juge constitutionnel, cet article méconnaissait « l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi ». Cet objectif « impose au législateur d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques » : « il doit en effet prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi ». On saura dans les jours qui viennent si la nouvelle rédaction de cet article dans la loi du 19 janvier trouve grâce aux yeux du Conseil constitutionnel. L’énumération des « principes de la République » qui y figure tente en tout cas de répondre à l’objection soulevée en 2021. On pourra toutefois s’étonner que certains principes de la République soient absents de cette énumération, comme la liberté d’association, la liberté de manifestation ou encore le droit de grève… Le non-respect de ces derniers n’entraînerait donc pas les mêmes conséquences sur le droit au séjour ? Le législateur donne ici le sentiment d’avoir fait son marché parmi les « principes de la République » entre ceux qu’ils jugent essentiels et les autres.
En dépit des efforts de précision et de clarification consentis par le législateur, reste également ouverte la question de la caractérisation des manquements à l’engagement constitutif de ce contrat. Ces manquements résultent, selon le texte, « d’agissements délibérés de l’étranger portant une atteinte grave à un ou plusieurs principes de ce contrat et constitutifs d’un trouble à l’ordre public », la condition de gravité étant « présumée constituée, sauf décision de l’autorité administrative, en cas d’atteinte à l’exercice par autrui des droits et libertés » mentionnées au contrat. La liberté d’interprétation laissée à l’autorité administrative risque d’être en réalité assez grande et les inégalités devant la loi, accrues.
7. Limites au regroupement familial
Programme du RN :
« Le regroupement familial sera encadré par la loi. Il pourra être interdit ou limité selon des critères stricts. » Concernant la prise en charge des frais de santé : « Les étrangers ne peuvent être admis à l’entrée en France que s’ils justifient ne pas constituer un coût pour le système de protection sociale et pour les finances publiques. Ils doivent être titulaires d’un contrat d’assurance couvrant les frais afférents à leur prise en charge médicale. »
Programme Macron 2022 :
Néant.
La loi du 19 décembre :
L’étranger qui présente une demande de regroupement familial devra être âgé d’au moins 21 ans (au lieu de 18 précédemment) et séjourner en France depuis au moins 24 mois de façon régulière (au lieu de 18 précédemment). Il ne pourra demander le regroupement familial avec un conjoint que si ce dernier est âgé d’au moins 21 ans (au lieu de 18 précédemment). Il devra désormais disposer de ressources non seulement « stables et suffisantes », mais aussi « régulières ». Et il devra disposer « d’une assurance maladie pour lui‑même et pour les membres de sa famille ». Enfin, les personnes admises à le rejoindre au titre du regroupement familial devront « justifier au préalable, auprès de l’autorité compétente, par tout moyen, d’une connaissance de la langue française lui permettant au moins de communiquer de façon élémentaire, au moyen d’énoncés très simples visant à satisfaire des besoins concrets et d’expressions familières et quotidiennes. »
La loi précise que le maire devra en outre délivrer un avis favorable : « Le maire de la commune de résidence de l’étranger ou le maire de la commune où il envisage de s’établir procède à la vérification des conditions de logement et de ressources dans un délai fixé par le décret en Conseil d’État (…). En l’absence d’avis rendu dans ce délai, il est réputé défavorable. »
Il est également à noter qu’aux termes de la loi nouvelle, les personnes admises au titre du regroupement familial ne sont pas exclues des quotas que le Parlement devra voter chaque année pour les trois années suivantes : « Le Parlement détermine, pour les trois années à venir, le nombre des étrangers admis à s’installer durablement en France, pour chacune des catégories de séjour à l’exception de l’asile, compte tenu de l’intérêt national. L’objectif en matière d’immigration familiale est établi dans le respect des principes qui s’attachent à ce droit. »
Commentaire :
Le législateur n’a pas interdit le regroupement familial (ce qui aurait été contraire aux engagements internationaux de la France). Il a opté pour la seconde branche de l’alternative du programme du RN : le limiter selon des critères stricts ; une demande qui était totalement absente du programme d’Emmanuel Macron en 2022. Le durcissement des conditions d’âge, de résidence et de ressources (régularité des revenus, assurance-maladie…) va clairement dans le sens souhaité par le RN. Pour les compétences linguistiques requises (cf. supra, point 3), le législateur a certainement cru poser un obstacle supplémentaire, mais cette disposition risque de se retourner contre son intention initiale : c’est en effet un excellent moyen de sélectionner positivement les ressortissants francophones du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et d’Afrique de l’Ouest !
La nouvelle loi instaure en outre un « avis favorable » du maire, disposition absente des programmes de Marine Le Pen comme de celui d’Emmanuel Macron en 2022. Il s’agit d’un avis simple et non d’un avis conforme : il ne lie en rien le préfet. On peut toutefois s’interroger sur les effets politiques de cette mesure : peu de maires assumeront devant leurs électeurs une politique d’ouverture, notamment à l’approche des élections municipales, et d’autres assumeront en revanche bruyamment leur politique de fermeture. Cette disposition est une façon de faire entrer le débat sur l’immigration familiale dans la politique locale.
La dernière mesure est à certains égards la plus problématique. Invité chaque année à déterminer pour les trois années suivantes le nombre d’étrangers admis à s’installer durablement en France, le Parlement devra notamment déterminer un objectif chiffré « en matière d’immigration familiale », et ce « dans le respect des principes qui s’attachent à ce droit ». L’immigration familiale comprend notamment le regroupement familial qui est une migration de droit régie par des conventions internationales. Comment faire entrer un tel facteur dans le cadre de limites quantitatives fixées annuellement ? L’objectif risque de se révéler impraticable et source de rétorsions réciproques contre des expatriés français de la part d’autres États. Absente du programme d’Emmanuel Macron en 2022, cette mesure est en revanche très cohérente avec la volonté affichée par le RN de faire prévaloir en toutes circonstances le droit national sur les conventions internationales.
Il est à noter que, contrairement à diverses légendes, le regroupement familial stricto sensu ne représente, en 2022, que 16% des titres délivrés pour motif familial, soit 15 000 personnes sur 95 500, le plus gros contingent étant constitué par les familles de Français (parents, enfants, ascendants…). A comparer aux 303 000 étudiants étrangers en mobilité internationale inscrits dans l’enseignement supérieur en France.
8. Mariage
Programme du RN :
« Il sera mis fin à l’acquisition automatique de la nationalité par le mariage »
Programme Macron 2022 :
Néant.
Loi du 19 décembre :
La loi renforce les conditions auxquelles un étranger marié avec un ressortissant français peut se voir délivrer un titre de séjour d’une durée d’un an au titre de la « vie privée et familiale » : l’étranger devra désormais « justifier de ressources stables, régulières et suffisantes », prouver qu’il « dispose ou disposera à la date de son arrivée en France d’un logement considéré comme normal pour un ménage sans enfant ou deux personnes vivant dans la même région géographique », et prouver qu’il « dispose d’une assurance maladie ».
En outre, les sanctions des « mariages blancs » sont durcies : est désormais puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende (15 000 antérieurement) « le fait de contracter un mariage ou de reconnaître un enfant aux seules fins d’obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d’une protection contre l’éloignement, ou aux seules fins d’acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française ».
Commentaire :
La loi nouvelle ne s’attaque pas directement aux conditions de naturalisation par le mariage, comme le souhaitait le RN (le programme d’Emmanuel Macron en 2022 restait muet sur ce sujet). En revanche, elle complique et durcit les conditions d’obtention d’un titre de séjour pour le conjoint étranger, en matière de ressources, de logement et d’assurance-maladie. Elle durcit également les sanctions réprimant les « mariages blancs ». Également absent du programme du candidat Macron en 2022, ce point est en revanche très cohérent avec les propositions du RN.
9. Délit de séjour
Programme du RN :
« Le fait d’entrer ou de se maintenir illégalement sur le territoire redeviendra un délit. Cette pénalisation permettra à nouveau le contrôle des fonctionnaires au travers de l’article 40 [du Code de Procédure pénale]. »
Programme Macron 2022 :
Néant.
Loi du 19 décembre :
« Est puni de 3 750 euros d’amende le fait pour tout étranger âgé de plus de dix-huit ans de séjourner en France au-delà de la durée autorisée par son visa ou en méconnaissance de l’article L. 411-1. L’étranger condamné en application du présent article encourt la peine complémentaire de trois ans d’interdiction du territoire français. »
Commentaire :
Sur ce chapitre, qui ne figurait pas dans le programme du candidat Emmanuel Macron en 2022, les vœux de Marine Le Pen sont clairement exaucés. Le législateur n’a pas précisé si les agents publics seront tenus, au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale, comme le souhaitait le RN, de signaler au procureur de la République les étrangers en situation irrégulière responsables de cette infraction. Mais le niveau de la sanction encourue (3 750 euros) est supérieur au plafond des contraventions de 5e catégorie et se situe précisément au niveau minimal des délits. Dans le cas où l’infraction considérée est bien constitutive d’un délit, alors les agents publics auront théoriquement obligation de dénoncer une situation d’irrégularité au regard du séjour s’ils en ont connaissance dans l’exercice de leurs fonctions. Ils seront toutefois tenus à un principe de loyauté de la preuve qui ne leur permettra pas de convoquer un étranger se trouvant dans cette situation pour le dénoncer ensuite au Procureur de la République. Toutefois, même si l’application de l’article 40 du Code de procédure pénale rencontre en pratique de nombreux freins bureaucratiques et limites opérationnelles (peu d’agents en dehors de la police et des préfectures ont le pouvoir de vérifier la régularité du séjour des étrangers), une personne en situation irrégulière qui se présentera spontanément à un guichet quelconque de l’administration courra toujours le risque d’y être dénoncée si, pour une raison ou pour une autre, elle porte cette situation à la connaissance d’un fonctionnaire.
10. Accès au logement et aux allocations logement
Programme RN :
« La loi permettra d’instaurer la priorité nationale dans certains domaines, notamment pour l’accès à l’emploi et au logement. »
Programme Macron 2022 :
Néant.
Loi du 19 décembre :
« Pour bénéficier du droit mentionné au premier alinéa [droit à un logement décent et indépendant], l’étranger non ressortissant de l’Union européenne doit résider en France depuis au moins cinq ans (…) ou justifier d’une durée d’affiliation d’au moins trente mois au titre d’une activité professionnelle en France (…). » (NB : cette disposition ne s’applique ni aux réfugiés, ni aux apatrides, ni aux bénéficiaires de la protection subsidiaire)
Quant aux allocations logement, le législateur ajoute désormais, pour les étrangers, un critère d’éligibilité de 5 ans de résidence sur le territoire national ou d’une durée d’affiliation d’au moins 30 mois au titre d’une activité professionnelle. Pour les APL spécifiquement, une durée d’affiliation d’au moins trois mois au titre d’une activité professionnelle en France pourra suffire ; à défaut, justifier de 5 ans de résidence sur le territoire national sera nécessaire.
Commentaire :
La loi ne reprend pas l’idée de préférence nationale pour l’accès à l’emploi, qui serait d’ailleurs contraire à la Constitution (cf. point suivant 11.). En revanche, concernant l’accès au logement, elle se situe dans la continuité des propositions du RN alors que le programme d’Emmanuel Macron est muet sur ce sujet. D’abord sur le droit au logement : les étrangers en situation régulière ne pourront désormais bénéficier du droit opposable à un logement décent et indépendant qu’au terme de 5 années de résidence ou de 2,5 années d’affiliation au titre d’une activité professionnelle (sur ce type de conditions, voir infra, point 11.). Il faut rappeler ici qu’il s’agit essentiellement d’un droit de recours pour les personnes ayant formulé une demande de logement social restée sans réponse pendant une durée anormalement longue ou encore pour les personnes menacées d’expulsion ou occupant un logement manifestement impropre à l’habitation.
Ensuite sur l’accès aux allocations logement. Les étrangers qui pourront justifier d’une affiliation d’au moins trois mois au titre d’une activité professionnelle en France pourront prétendre aux APL. Mais les autres allocations logement seront soumises à une condition de 5 années de résidence ou de 2,5 années d’affiliation au titre d’une activité professionnelle.
De ces deux façons, la loi institue bel et bien une « priorité nationale » implicite ou, si l’on préfère, elle accorde un avantage objectif aux nationaux même si elle ne discrimine pas explicitement les étrangers en raison de leur nationalité. Des éléments qui ne figuraient nullement dans le programme d’Emmanuel Macron en 2022.
11. Accès aux prestations familiales
Programme RN :
« Les prestations de solidarité qui ne relèvent pas d’un régime d’assurance seront soit réservées aux Français, soit soumises à des conditions fixées par loi, notamment en termes de durée de travail. Il faudra avoir travaillé durant cinq années en France pour pouvoir prétendre au bénéfice de ces prestations. Les allocations familiales, qui relèvent exclusivement de la solidarité nationale, seront réservées aux Français. »
Programme Macron 2022 :
Néant.
Loi du 19 décembre :
D’après la nouvelle loi, les étrangers ne pourront bénéficier de plein droit des prestations familiales (prestation d’accueil du jeune enfant, allocations familiales, complément familial, allocation de soutien familial, allocation de rentrée scolaire, allocation journalière de présence parentale…) qu’à la condition de « résider en France depuis au moins cinq ans » ou de « justifier d’une durée d’affiliation d’au moins trente mois au titre d’une activité professionnelle en France ». Le même critère s’applique à l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA).
Commentaire :
Le législateur a clairement suivi la direction souhaitée par le RN dans ce domaine, en reprenant le même critère de 5 années de résidence qui figurait explicitement dans le programme de Marine Le Pen. Il l’a seulement tempéré en y ajoutant une seconde option (30 mois d’affiliation au titre d’une activité professionnelle) et en s’abstenant de réserver les allocations familiales aux seuls nationaux comme le proposait Marine Le Pen en 2022 (ce qui est interdit et par la loi et par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cf. infra). Alors que l’accès à l’APA a également été durci, les aides dédiées aux personnes en situation de handicap ont cependant été maintenues dans leur situation actuelle.
L’exécutif a fait observer que cette « priorité nationale » n’était en rien une nouveauté dans le champ de l’État social. Par la voix du chef de l’État, il a notamment souligné qu’en 1988, lors de sa création par le gouvernement de Michel Rocard, le RMI était assorti d’une forme de « priorité nationale ». On pourrait d’ailleurs ajouter qu’avant 1998, les étrangers étaient également exclus du minimum vieillesse, du minimum invalidité et de l’allocation adultes handicapés. Ces précédents ont-ils une quelconque pertinence dans le débat actuel ? Pour en juger, il faut passer par quelques rappels historiques.
Il faut en effet se souvenir que, dans sa décision du 22 janvier 1990, le Conseil constitutionnel a condamné la condition de nationalité en matière d’accès aux prestations sociales, l’estimant incompatible avec le principe constitutionnel d’égalité. Il a rappelé cette position en 2010 dans le cadre d’une décision rendue sur question prioritaire de constitutionnalité portant sur la cristallisation des pensions civiles et militaires de retraite des anciens combattants des ex-colonies françaises. Entre temps, le législateur ne pouvant plus considérer que ses intérêts souverains prévalaient sur le principe universel d’égalité, la loi du 11 mai 1998 a supprimé la condition de nationalité en matière de prestations non contributives de sécurité sociale. Dès lors, l’étranger ne pouvait plus être exclu du cercle des bénéficiaires de la protection sociale en raison de sa nationalité.
Ce sont bien ces décisions qui dérangent aujourd’hui le RN et avec lui tous ceux qui voudraient mettre en place une réelle « préférence nationale » en matière de prestations sociales, raison pour laquelle les amis de Marine Le Pen plaident pour une large révision constitutionnelle et ne tarderont pas, comme leurs homologues hongrois ou polonais, à déclarer ouverte la guerre contre le « gouvernement des juges » si d’aventure le Conseil constitutionnel venait à lui opposer des décisions contraires. En attendant, durcir l’accès aux prestations sociales pour les étrangers nécessite désormais de passer par différents détours et artifices administratifs. L’un de ces détours est d’imiter le mécanisme mis en place lors de la création du RMI, en oubliant qu’à l’époque, il s’agissait d’un geste d’ouverture !
En effet, pour ne pas priver tous les étrangers de l’accès au RMI en raison de leur nationalité, le gouvernement de Michel Rocard avait créé une condition d’antériorité de titre de séjour autorisant à travailler de 3 années. Aujourd’hui encore, sont éligibles au RSA les étrangers hors-UE qui sont en possession d’un titre de séjour qui autorise à travailler depuis au moins 5 ans. C’est à ce mécanisme que le chef de l’État faisait allusion lors de son intervention dans l’émission « C à vous » au lendemain de l’adoption de la loi immigration. Sauf qu’aujourd’hui, ce type de conditions n’est plus une manifestation d’ouverture (comme c’était le cas en 1988 dans un contexte de discrimination légale selon la nationalité) mais une manifestation de restriction. En 2004, cette condition est d’ailleurs passée de 3 à 5 ans. Puis elle a été étendue en 2006 au minimum invalidité et au minimum vieillesse avant de l’être en 2009 au conjoint d’allocataire du RSA. Aujourd’hui, il faut une antériorité de titre de séjour autorisant à travailler de 10 ans pour le minimum vieillesse et le minimum invalidité, et même de 15 ans à Mayotte. A partir de combien d’années considèrera-t-on que ces restrictions blessent le principe d’égalité ? 10 années, c’est environ un quart d’une vie active…
Sans recourir formellement au mécanisme d’antériorité d’un titre de séjour autorisant à travailler, la loi du 19 décembre pousse les curseurs dans la même direction. En demandant 30 mois au moins d’affiliation au titre d’une activité professionnelle pour accéder aux prestations familiales, elle mobilise le même type de restrictions et s’avance d’un pas supplémentaire vers une « préférence nationale de fait ».
12. Réforme de l’Aide médicale d’État (AME) et du droit au séjour pour raisons médicales
Programme RN :
« Transformer l’AME en un dispositif qui prenne en charge pour les adultes les seuls soins urgents, comme dans tous les pays de l’Union européenne. » (extrait du chapitre Santé du programme de 2022)
Programme Macron 2022 :
Néant.
Loi du 19 décembre :
La transformation de l’Aide médicale d’État (AME) en une Aide médicale d’urgence (AMU) figurait dans le texte voté par le Sénat. Elle n’a finalement pas été retenue dans le texte issu de la Commission mixte paritaire et adopté le 19 décembre. La Première ministre a toutefois annoncé que l’AME serait réformée dans les prochaines semaines.
En revanche, le droit au séjour des étrangers malades résidant habituellement en France est affecté par une modification de l’article 425-9 du Ceseda. Auparavant, l’étranger, résidant habituellement en France, dont l’état de santé nécessitait une prise en charge médicale « dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité » pouvait se voir délivrer une carte de séjour temporaire « Vie privée et familiale » si, « eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire », il ne pouvait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié. Désormais la conditionnalité est simplifiée et, du même coup, durcie : « sous réserve de l’absence d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l’autorité administrative après avis du service médical de l’OFII ». L’ajout d’une « circonstance humanitaire exceptionnelle » par amendement en CMP ne change pas substantiellement le nouveau critère instauré par le Sénat de « l’absence » de traitement dans le pays d’origine. En outre, le coût de la prise en charge, sauf stipulations contraires d’une convention bilatérale de sécurité sociale, ne sera pas supporté par l’assurance maladie « si l’étranger dispose de ressources ou d’une couverture assurantielle suffisantes ».
Commentaire :
Absente du programme d’Emmanuel Macron en 2002 mais défendue par Marine Le Pen, la transformation de l’AME en AMU a été écartée sous la pression des députés et avec l’assentiment de la Première ministre au motif qu’elle y voyait un cavalier législatif que le Conseil constitutionnel ne manquerait pas de censurer à ce titre – soit dit en passant, ce même raisonnement aurait pu conduire le gouvernement aux mêmes conclusions sur d’autres articles, au lieu de renvoyer la balle au Conseil constitutionnel comme il l’a fait. Il est toutefois possible que la réforme annoncée se dirige à nouveau vers les propositions des conservateurs et de l’extrême-droite.
Concernant l’accès au droit au séjour pour raisons médicales des étrangers malades, en revanche, le durcissement des conditions est significatif. Le nombre d’étrangers résidant en France titulaires d’une carte de séjour pour raisons médicales est stable, autour de 30.000, soit environ 0,6 % de l’ensemble des titres de séjour délivrés. Avec 24.000 dossiers déposés en 2022, dont plus de la moitié sont des demandes de renouvellement, le nombre annuel de demandes connaît une baisse conséquente depuis la réforme de 2016 qui a transféré à l’OFII (en lieu et place des médecins des agences régionales de santé) la compétence d’appréciation des raisons médicales du séjour. Le taux d’avis favorables tourne chaque année autour de 60%, la raison médicale du droit au séjour retenue étant, dans un tiers de cas, le traitement d’une maladie infectieuse (VIH, hépatites). Entre 2017 et 2020, le nombre annuel de titres de séjour délivrés pour raison médicale à des primo-demandeurs majeurs était d’environ 4.500.
Dans son avis au Parlement du 24 novembre 2023, la Défenseure des droits Claire Hédon « déplore le retour au critère de l’existence du traitement dans le pays d’origine (en lieu et place du critère d’« effectivité » de l’accès), qui fait obstacle à tout examen individualisé de la situation des étrangers, tenant compte des possibilités concrètes d’accès aux traitements ». Les associations font valoir en effet que la disponibilité d’un traitement dans un pays ne va pas de pair avec son accessibilité : les ruptures de stocks, l’irrégularité de la distribution, les difficultés de planification des traitements (en particulier contre le VIH) ou encore l’absence d’outils virologiques de suivi de l’efficacité du traitement, doivent être pris en compte pour apprécier l’effectivité de l’accès aux soins. Il est clair que, comme le rappelle l’OFII, la situation antérieure à la loi du 19 décembre ne conduisait pas du tout à attribuer un droit au séjour à tout étranger originaire d’un pays dont le système de soins serait de qualité inférieure aux standards français, mais bien à pallier les conséquences sanitaires graves qu’un retour au pays d’origine pourrait avoir pour des étrangers malades auxquels leur État d’origine ne garantit pas l’accès effectif au traitement dont ils ont besoin.
La loi du 19 décembre, en restreignant les conditions de délivrance des titres de séjour pour raison médicale, aura des conséquences sur la santé individuelle et collective d’une partie des quelque 20.000 demandeurs annuels, renouvellements compris. Elle se conforme en cela davantage aux préjugés concernant la santé des migrants qu’aux données qui la documentent. Rappelons ainsi, concernant le VIH qui représente, avec les hépatites et d’autres pathologies infectieuses, environ 8.000 demandes annuelles, que l’étude ANRS Parcours a montré que près de la moitié des personnes étrangères enquêtées et vivant avec le VIH ont été contaminées après leur arrivée en France, déconstruisant les préjugés selon lesquels les immigré.es « importent » leur pathologie sur le territoire en cherchant à se soigner ; l’étude suggérait également un lien direct entre le risque de contamination par le VIH et les difficiles conditions de migration, conjuguées à la précarité et à l’insécurité des premières années de vie en France. Dans ce contexte, le droit au séjour pour soins est essentiel pour protéger la santé individuelle et comme la santé publique : avec un titre de séjour, la personne prend soin d’elle-même et de ses proches, peut suivre son traitement et contrôler son état de santé, voire, dans le cas des pathologies infectieuses, sa contagiosité.
13. Droit du sol
Programme RN :
« Le droit du sol sera supprimé. Le droit du sol a pour conséquence que l’acquisition de la nationalité française est automatique à 18 ans pour une personne née en France de parents étrangers eux-mêmes nés à l’étranger. Aucune condition n’y est mise, aucun amour pour la patrie n’a besoin d’être manifesté. Il n’est pas acceptable de devenir Français dans ces conditions. (…) Pour un étranger, acquérir la nationalité française doit être un choix motivé. Pour la France, donner la nationalité à un étranger ne doit être possible que si la personne qui le demande apporte des garanties en matière d’assimilation, de maîtrise de la langue, de respect de nos lois et de nos mœurs. »
Programme Macron 2022 :
Néant.
Loi du 19 décembre :
La loi nouvelle modifie l’article 21-7 du Code civil (ajout souligné ci-après) : « Tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité, à la condition qu’il en manifeste la volonté, si, à cette date, il a en France sa résidence et s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge de onze ans. »
Commentaire :
Le législateur ne supprime pas le droit du sol comme le souhaitait le RN. Toutefois, il accède à une autre de ses demandes qui était totalement absente du programme d’Emmanuel Macron en 2022 : mettre fin à l’automaticité de l’acquisition de la nationalité pour tout enfant né en France de parents étrangers. Une telle disposition a déjà été appliquée entre 1993 et 1998 dans le cadre de la Loi du 22 juillet 1993 dite « Loi Méhaignerie ou loi Méhaignerie-Pasqua ». Le but poursuivi est de s’assurer que les enfants d’étrangers nés en France devenant français aiment la France, s’y intègrent et s’y engagent. Les dispositions de la loi du 19 décembre sont toutefois plus dures que celles de la loi Méhaignerie de 1993 : à l’époque, les enfants d’immigrés nés en France avaient six années pour manifester leur volonté (de 16 à 21 ans) ; avec cette nouvelle loi, ils auront à l’exprimer à leur majorité.
Les travaux des chercheurs Simone Moriconi, Thomas Baudin et Yajan Govind montrent que les restrictions de droits de citoyenneté en raison des origines exercent « un effet boomerang sur l’intégration des migrants de seconde génération ». Selon eux, en 2008, 15 ans après la promulgation de la loi Méhaignerie-Pasqua, le fait d’avoir eu à signer une manifestation explicite afin d’obtenir la nationalité française a exercé un « effet cicatrice » sur les migrants de seconde génération : « l’exposition aux lois Méhaignerie-Pasqua a réduit de 10 points de pourcentage la probabilité de se sentir français chez les enfants d’immigrés nés en France, comparés à leurs homologues nés de parents français. (…) En réaction, leur sentiment religieux s’est exacerbé puisqu’ils sont plus nombreux à se déclarer comme ayant une religion, une religion importante à leurs yeux et à pratiquer les rituels alimentaires prescrits par cette dernière. » En voulant s’assurer du caractère « français » des enfants d’immigrés nés en France, le risque serait donc d’aiguiser un peu plus les problèmes d’intégration.
Par ailleurs, le rapport Weil de 1997 faisait apparaître différentes difficultés. Il constatait que « certains jeunes ont du mal à accéder à la procédure quand ils le souhaitent, parce qu’ils doivent affronter différents types de difficultés » : ils peuvent « subir des pressions des parents auxquelles ils ne peuvent pas toujours résister » (« il arrive que dans des familles, les frères soient « autorisés » à manifester leur volonté tandis que les filles ne le peuvent pas ») ; ils se heurtent parfois à une méconnaissance de la procédure de certaines des institutions censées les informer (en particulier les mairies) ; beaucoup éprouvent des difficultés à faire la preuve de leur résidence dans les cinq années qui précèdent la date de la manifestation de volonté (le manque de preuve établissant la résidence habituelle en France constituait le motif majeur de refus, 42 % au moment du rapport).
14. Déchéance de nationalité
Programme RN :
« Si la Constitution, après sa modification par référendum, fixera des conditions nouvelles d’accès à la nationalité française, elle définira également les circonstances qui pourront conduire à son retrait ou à sa déchéance. Sur la base de ces principes, la loi en fixera les conditions : en cas de commission d’un acte incompatible avec la qualité de Français ou préjudiciable aux intérêts de la Nation. »
Programme Macron 2022 :
Néant.
Loi du 19 décembre :
La nouvelle révise l’article 25 du Code civil (« L’individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d’État, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride… »), en y ajoutant une condition de possibilité : « s’il a commis un acte qualifié d’homicide volontaire sur toute personne dépositaire de l’autorité publique ».
Commentaire :
Absente du programme d’Emmanuel Macron en 2022, cette disposition est un pas supplémentaire dans la direction voulue par le RN : celle d’une extension des conditions de déchéance de la nationalité. Elle n’est toutefois pas de même nature que la proposition portée en 2016 par l’ancien Président de la République Français Hollande qui souhaitait réviser la constitution afin de permettre de déchoir de la nationalité française des binationaux nés français, proposition à l’égard de laquelle Emmanuel Macron avait alors déclaré ressentir un « inconfort philosophique ». Dans le cas présent, l’article 25 du Code civil ne concerne que des personnes ayant été naturalisées. C’est également, semble-t-il, le cadre des propositions du RN susmentionnées.
15. Mesures de rétorsion à l’égard des ressortissants d’États non coopératifs à la réadmission et aide au développement
Programme RN :
Cette question n’est pas évoquée explicitement dans le programme de Marine Le Pen en 2022. Mais elle s’est souvent exprimée à ce sujet, notamment lors d’une conférence de presse pendant la campagne de 2022. Elle y exprimait, en particulier à propos de l’Algérie, son souhait de « conditionner tout nouvel octroi de visa (…) à plusieurs éléments, incluant une mise en œuvre effective de la réadmission par les autorités consulaires ».
Programme Macron 2022 :
Néant.
Loi du 19 décembre :
Le visa de court séjour sollicité par le titulaire d’un passeport diplomatique ou d’un passeport de service pourra être refusé au ressortissant d’un État coopérant insuffisamment en matière de réadmission de ses ressortissants. De même pour les visas de long séjour mais sans distinction explicite concernant le demandeur. Surtout, l’aide au développement devra désormais prendre en compte l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière, notamment vis‑à‑vis des États coopérant insuffisamment en matière de réadmission. Du coup, l’Agence française de développement devra, elle aussi, prendre en compte la qualité de la coopération des États en matière de lutte contre l’immigration irrégulière dans la répartition de l’ensemble des concours qu’elle attribue.
Commentaire :
La loi nouvelle consacre une vieille idée des conservateurs et de l’extrême droite : le chantage aux visas et aux fonds de l’aide publique au développement (APD). Concernant le premier (le chantage aux visas), on pourra se reporter à cet article de la Grande Conversation. En réalité, la modulation de la politique d’octroi de visas en fonction du niveau de coopération d’un État à la réadmission n’avait pas besoin de cette nouvelle loi pour être mise en œuvre ; elle l’a du reste déjà été. Ces dispositions ont donc surtout un caractère de proclamation.
Concernant l’aide publique au développement, ces dispositions sont contraires à l’article 208 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui affirme que l’objectif de l’APD est « la réduction et, à terme, l’éradication de la pauvreté ». Elles sont également contraire à la mission attribuée à l’APD par la loi de programmation du 4 août 2021 : « l’éradication de la pauvreté dans toutes ses dimensions, la lutte contre les inégalités, la lutte contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition et l’action en matière d’éducation et de santé ».Enfin, dans un rapport publié en novembre 2019, le PNUD affirmait que « l’instrumentalisation de l’aide internationale au développement au profit d’objectifs purement politiques ne peut pas, dans la réalité, avoir d’effet à long terme sur les moteurs des migrations africaines irrégulières ».
Conclusion
L’inventaire que l’on vient de lire n’est pas exhaustif. La loi adoptée le 19 décembre comporte d’autres points qui ne sont pas évoqués ici (notamment sur le contentieux des étrangers, les quotas décidés annuellement par le Parlement, les adaptations concernant les territoires d’Outre-mer…). Elle comporte également quelques rares signes d’ouverture dont ses auteurs ne se sont guère vantés, comme l’admission automatique au séjour des ressortissants britanniques qui possèdent une résidence secondaire en France ! Mais l’essentiel de son contenu se trouve dans les 15 points évoqués dans les pages qui précèdent.
Sur ces 15 points, le bilan est assez simple :
- un seul (cf. supra point 12.) peut être considéré comme un « revers » pour le RN (le rejet de la transformation de l’AME en AMU pour autant que la réforme annoncée ne revienne pas sur ce point) ;
- un autre (cf. supra point 1.) a été clairement neutralisé par les conservateurs et l’extrême droite alors qu’il devait être la contrepartie progressiste du « en même temps » présidentiel : il s’agit du mécanisme de régularisation des travailleurs en situation irrégulière dans les métiers/secteurs en tension.
- deux (cf. supra points 2. et 3.) rencontrent une convergence programmatique entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron en 2022 ;
- 13 sont alignés sur ou en forte résonnance avec le programme de Marine Le Pen de 2022, aux paramètres près ;
- et 10 ne figuraient nullement dans le programme du candidat Emmanuel Macron en 2022.
Il ne paraît donc pas exagéré de voir le texte de la loi adopté le 19 décembre dernier comme une « victoire idéologique » du RN, doublée dans plusieurs cas d’une victoire juridique (par exemple, sur le délit de séjour ou la fin de l’automaticité du droit du sol). Ce résultat n’a rien d’étonnant au demeurant : la loi du 19 décembre a été très largement façonnée par la majorité LR du Sénat. Elle est en grande partie l’œuvre de parlementaires conservateurs qui se sont fortement inspirés des propositions du RN pour les reverser dans le projet de loi. Des importations qui ont été, dans leur majorité, maintenues dans le texte issu de la Commission mixte paritaire.
Naturellement, le programme du RN comportait un certain nombre de propositions qui ne se retrouvent pas dans le texte du 19 décembre. Par exemple, le délit d’aide directe ou indirecte aux étrangers en situation irrégulière ne figure pas dans ce texte. Surtout, une grande partie du programme du RN en matière d’immigration reste hors de portée de la nouvelle loi : il s’agit de son vaste projet de révision constitutionnelle. Ce sera, à n’en pas douter, la prochaine manche de ce match qui est loin d’être achevé. Elle pourrait débuter dès la décision du Conseil constitutionnel si celui-ci venait à censurer un nombre significatif d’articles de cette loi.