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Santé : comment changer les comportements ?

Santé : comment changer les comportements ?

Pour faire face à la crise climatique annoncée, les changements de comportement doivent intervenir y compris dans les gestes les plus simples de la vie quotidienne. Mais comment y parvenir ? Voici quelques leçons tirées des politiques de prévention en santé.

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Publié le 9 novembre 2022

L’efficacité des politiques publiques : trois cas (sécurité routière, tabac, alcool) et quelques questions

La transition énergétique ne réussira que si l’on parvient à changer les usages dans un grand nombre de situations de la vie quotidienne. Mais comment change-t-on les comportements ? Les économistes comptent beaucoup sur le signal prix mais il existe d’autres manières de modifier les habitudes. L’exemple des réussites inégales dans trois domaines largement investis depuis plusieurs décennies – la sécurité routière, la consommation de tabac et celle d’alcool – livre des conclusions contrastées.

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1. Introduction

L’objet de cette note n’est pas de faire une énième évaluation de politique publique. Ces quelques lignes n’ont donc aucune portée, ni volonté, normatives ; elles visent simplement à pointer certains questionnements que l’on peut avoir sur les leviers de modifications comportementales que nombre de politiques publiques cherchent à actionner.

Les politiques de santé publique au sens large sont de parfaits exemples en la matière. Elles cherchent en effet à modifier les comportements des agents, les consommateurs le plus souvent, en les faisant passer de dangereux et risqués (pour eux et/ou pour des tiers) à vertueux (ou supposés tels) : ne plus fumer, diminuer sa consommation d’alcool, rouler prudemment sur la route.

Une littérature scientifique abondante ainsi que des expériences naturelles multiples renseignent aujourd’hui le décideur public sur ce qu’il faut mettre en œuvre pour minimiser les fardeaux sanitaires et économiques que peuvent représenter ces comportements. On peut généralement classer ces leviers d’action en quatre grandes catégories : répression, prévention, prise en charge sanitaire et réduction des risques.

Toutefois, de la théorie à la pratique, les choses ne sont pas aussi aisées qu’on le souhaiterait… L’examen des politiques publiques visées ne permet pas de dégager un facteur ou une combinaison de facteurs menant régulièrement au succès. Après des années de lutte contre l’insécurité routière et la morbi-mortalité qui lui est associée, c’est bien la peur du gendarme qui apparait avoir le plus fortement incité les Français à modifier leurs comportements. Après deux décennies de lutte contre le tabagisme, un nombre non négligeable de Français et de Françaises fument toujours… Bien sûr les prévalences sont moindres qu’il y a une vingtaine d’années mais en comparaison avec d’autres pays et alors que la France est une des bonnes élèves en matière de contrôle du tabac en Europe et au-delà, les résultats sont décevants. Enfin, la consommation d’alcool, qui est encore responsable de plus de 40 000 décès évitables chaque année, a drastiquement diminué en l’espace de 60 ans… sans que l’on y soit vraiment pour grand-chose ! Apparemment, il n’y a pas de règle d’or dont les politiques publiques pourraient s’inspirer dans le futur pour d’autres domaines comme la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.

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Le constat que l’on peut dresser est que les Français réagissent aux incitations (ouf !) mais pas toujours avec l’intensité souhaitée (aïe !), et aussi qu’ils adoptent parfois des comportements dits vertueux sans que l’on sache vraiment pourquoi. Reste que, face aux défis que posent les transitions économiques, sociales et environnementales et le besoin de changements qu’elles impliquent, des angles morts de l’efficacité des politiques publiques subsistent.

2. C’est efficace et efficient : la peur du gendarme

La France a longtemps connu une véritable hécatombe sur ses routes. La vitesse, l’alcool, l’état des véhicules mais aussi du réseau routier étaient mis en cause tout comme le manque de moyens répressifs, de prévention, l’inexpérience et la croissance du nombre de conducteurs, etc. (voir Galland, 2002). Face à ces multiples causes de morbi-mortalité, la réponse publique ne s’est pas faite attendre. L’Observatoire National Interministériel de la Sécurité Routière (ONISR) qui fait remonter à 1893 les grandes dates de la sécurité routière en France, recense depuis pas moins de 53 années de productions réglementaire ou législative.

Parmi l’ensemble des moyens mis en œuvre, une des mesures les plus efficaces de ces dernières années est liée au déploiement des radars dits de vitesse fixe. Ce sera l’une des mesures phares du plan de lutte contre l’insécurité routière initié par Jacques Chirac qui affirmait le 14 juillet 2002 : « Je voudrais marquer ce quinquennat par trois grands chantiers mais qui ne sont pas de pierre. C’est d’abord la lutte contre l’insécurité routière. Je suis absolument horrifié par le fait que les routes françaises sont les plus dangereuses d’Europe. »

Graphique 1. Nombre de personnes tuées sur les routes de France 1990–2021Source : ONISR – CEREMA

Le graphique 1 se concentre sur l’impact qu’ont pu avoir les radars fixes sur la baisse du nombre de personnes tuées sur les routes de France. Suite à l’annonce du président Chirac et avant même la mise en place du premier radar fixe le 27 octobre 2003 sur la RN 20, une baisse importante du nombre de tués pouvait être constatée. On observe une chute de l’ordre de plus de 20% de la mortalité routière entre 2002 et 2003. Le discours du président et l’annonce de l’implémentation d’une politique publique répressive ont-ils suffi à faire lever le pied aux conducteurs ? Apparemment oui. Il n’en reste pas moins que le déploiement des radars a fait progressivement son œuvre en diminuant la mortalité sur les routes de France même si leurs effets s’atténuent dans le temps (Roux et Zamora, 2013).

3. C’est moyennement efficace et efficient : pourtant la France est en pointe

La France est signataire de la Convention Cadre de Lutte Anti-Tabac (CCLAT) de l’OMS depuis 2005. C’est encore une fois Jacques Chirac qui lançait quelques années auparavant un ambitieux plan de lutte contre le cancer en France. L’Institut National du Cancer (INCa) est créé en 2005. La lutte contre le tabagisme se met progressivement en place et commence par un coup d’éclat : l’augmentation des taxes sur les cigarettes de plus de 23% entre 2003 et 2004. Les ventes de tabac en France connaissent une baisse inédite et les prévalences d’usagers diminuent de 2,5 points entre 2000 et 2005 (graphique 2).

S’ensuivront nombre de mesures importantes de lutte contre le tabagisme : interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif, remboursement des substituts nicotiniques, renforcement des avertissements sanitaires sur les paquets de tabac ainsi que l’instauration du paquet neutre, interdiction de vente aux mineurs de moins de 18 ans, création d’un fonds addiction de financement de la recherche sur les conduites addictives, mise en œuvre du mois sans tabac… j’en passe et des meilleures… (voir Douchet et Le Nézet, 2021 pour un recensement des mesures).

Graphique 2. Usage quotidien de tabac parmi les 18–75 ans en France en %.Source : Baromètre santé – Santé Publique France

Le résultat de l’ensemble de ces mesures ne semble pas si mauvais. Mais alors que la France et l’Australie mettent en œuvre les mêmes outils de contrôle du tabac, à savoir ceux recommandés par la CCLAT de l’OMS, et ce à des niveaux d’intensité particulièrement élevés, l’Australie divise par deux ses prévalences d’usage du tabac entre 1995 et 2021 (de 26,6% à 12,9%) tandis que la France les voit passer de 32,9% en 1995 à 24% en 2019 et même 25,5 en 2020, soit une diminution de moins de 23%. Dit autrement, avec les mêmes outils, la France fait moitié moins bien que l’Australie (voir graphique 3).

Graphique 3. Usage régulier de tabac parmi les 18 ans et plus en Australie en %.Source : National Drug Strategy Household Survey

4. C’est bien mais on n’y est pour pas grand-chose

Les quantités d’alcool mises à la vente par individu de plus de 15 ans en France diminuent depuis les années 1960 (graphique 4). Le vin est la principale boisson alcoolique qui contribue à cette diminution, les spiritueux et les bières ayant un niveau de vente quasiment inchangé.

Graphique 4. Quantité d’alcool mis en vente par habitant âgé de 15 ans et plus depuis 1961 en France (en litres équivalents d’alcool pur). Sources : OMS, groupe IDA, Insee, OFDT

On a du mal à expliquer cette baisse bienvenue en termes de santé publique.

Il serait bien sûr faux de prétendre qu’aucune politique publique de lutte contre l’alcool n’ait été mise en œuvre en France ces 50 à 60 dernières années même si dans un pays grand producteur de vin, le décideur public a toujours eu la main assez légère pour faire prévaloir les impératifs de santé publique sur les « traditions ». De grandes campagnes de prévention, en lien souvent avec la sécurité routière, ont été menées dans les années 1980 : « un verre ça va, trois verres : bonjour les dégâts ! » De même, le taux d’alcoolémie autorisé au volant a tendanciellement diminué, invitant en cela les individus à modérer leur consommation. La loi Evin de 1991 a sévèrement entamé les possibilités de publicité et de marketing des alcooliers ; celle-ci a cependant été largement vidée de son contenu année après année, coup de boutoir lobbyiste après coup de boutoir lobbyste (voir Millot et al., 2022). La vente d’alcool a fait l’objet d’un encadrement plus strict avec l’interdiction de vente à certaines heures de la journée dans les stations-services par exemple ou alors plus récemment aux mineurs de moins de 18 ans (avec le succès que l’on peut imaginer…). Certaines boissons alcooliques ont été interdites de vente : les premix qui ciblaient les jeunes consommateurs. Etc.

On ne peut toutefois pas avancer que l’un des principaux outils de modification des comportements non seulement en termes d’efficacité mais aussi d’efficience, à savoir la taxation, ait été utilisé. En effet, selon les données de l’Insee, le prix relatif des boissons alcooliques n’a quasiment pas évolué depuis 1990. Ils se maintiennent en effet à leur niveau jusque dans les années 2005–2006 puis augmentent quelque peu pour les vins et les bières tandis que les spiritueux deviennent relativement meilleur marché en 2017 qu’en 1990. L’ensemble des boissons alcoolisées n’a vu son indice des prix relatifs augmenter que de 6% en l’espace de près de 30 ans, autant dire de rien du tout (si l’on souhaite mettre en œuvre une politique de santé publique grâce à l’outil fiscal, ce que la Cour des Comptes questionne dans l’un de ses derniers rapports, voir Cour des Comptes, 2016).

Graphique 5. Indices annuels des prix relatifs des boissons alcoolisées en France depuis 1990 (base 100 en 1990)Sources : Insee, OFDT

Ainsi, malgré l’absence de mobilisation d’outils forts de modification comportementale (comme la fiscalité), les Françaises et les Français ont drastiquement délaissé la consommation de vin ; la mortalité attribuable à l’alcool diminue en conséquence (Palle, 2019).

5. Discussion

Si l’on résume : la lutte contre l’insécurité routière est un succès, le nombre de morts sur les routes de France a été divisé par plus de 3 en l’espace de 30 ans avec un coup d’accélérateur dans cette baisse attribuable aux radars. La lutte contre le tabagisme est un demi-succès : on parvient à faire baisser le nombre de fumeurs mais beaucoup moins que d’autres pays engageant pourtant les mêmes politiques publiques. La morbi-mortalité liée à l’alcool diminue parce que les Françaises et les Français boivent beaucoup moins de vin qu’il y a une soixante d’années, près de 4 fois moins ; leurs consommations de bières et de spiritueux n’ayant pas évolué.

Le premier constat que l’on peut dresser est le temps relativement le long sur lequel les effets des politiques ou des modifications comportementales « spontanées » prennent corps. Selon les exemples traités ici, il faut 30, 40, voire 60 ans pour que des effets importants se fassent ressentir. Cette temporalité pose question. Qu’en sera-t-il des changements comportementaux attendus face à l’urgence climatique ? Nos comportements alimentaires sont-ils modifiables rapidement ? Nos comportements de consommation énergétique également ? Saurons-nous et pourrons-nous dans de brefs délais nous astreindre à d’autres types de mobilités que celles existantes aujourd’hui ?

Le deuxième constat porte sur l’existence de possibilité de report ou de contournement. La politique de lutte contre le tabagisme et en particulier l’utilisation de la fiscalité sur les produits du tabac souffre d’un écueil important. Les fumeuses et les fumeurs ont en effet la possibilité de contourner les augmentations de taxes en se procurant du tabac à l’étranger (Belgique, Luxembourg, Andorre ou encore Espagne pour ne citer que ces quelques pays) ou au marché noir (sur internet ou encore sur des points de vente clandestins de plus en plus visibles dans nos villes). Se posent ici deux questions. L’une porte sur l’échelle sur laquelle doit reposer la mise en œuvre des politiques publiques ; locale, nationale, européenne, voire mondiale ? L’autre porte sur l’efficacité de l’outil répressif. On peut en effet se demander si la lutte contre les marchés souterrains, qu’ils soient du tabac ou d’autres est efficace. La consommation de vin s’est-elle réduite au profit du cannabis ou d’autres stupéfiants ? On constate en effet une augmentation des prévalences d’usage de cannabis et de cocaïne ces trente à vingt dernières années. Légitimement alors, on peut se demander quels seront les effets de report ou de contournement des politiques climatiques : quel voisin européen n’augmentera-t-il pas les taxes qui pourraient potentiellement être un jour imposées sur la viande rouge, quel marché souterrain risque d’émerger, quel joueur ne jouera pas le jeu ?

Un troisième constat que l’on peut faire est celui de l’acceptabilité des politiques publiques. L’abaissement de la limitation de vitesse de 90 à 80 km/h en est un exemple. Nous l’avons dit, les mesures de sécurité routière, et les radars en particulier, ont produit des effets remarquables avec une diminution très importante de la mortalité. Malgré cela, nos concitoyens ne plébiscitent pas la baisse de la vitesse. Est-ce à dire qu’ils considèrent que le fardeau sanitaire attribuable à l’insécurité routière a à ce jour été assez minimisé et est donc désormais acceptable socialement ? Ou, en d’autres termes, considèrent-ils que rendre encore plus sûres les routes françaises coûte plus socialement que cela ne rapporte ? Cette question de l’acceptabilité repose certainement sur le risque que l’on veut minimiser : on peut certainement choisir de ne pas fumer et de ne pas boire mais peut-être plus difficilement de ne pas se déplacer ou plus précisément de limiter ses possibilités de déplacement compte tenu de contraintes de temps (et donc de distance).

Un dernier constat que l’on peut faire est celui du paternalisme des politiques présentées dans cette note. En effet, dans les exemples retenus, la puissance publique force, contraint, incite très fortement, cherche à prévenir les comportements risqués. L’efficacité est plus ou moins au rendez-vous mais cette façon de faire ne semble plus au goût du jour. Le marketing social et surtout les nudges sont de plus en plus mobilisés pour concevoir ou outiller les politiques publiques (voir par exemple Gallopel-Morvan et Crié, 2022), avec l’idée qu’en modifiant à la marge l’architecture des choix des individus, sans qu’ils en soient pleinement conscients, en les guidant via des leviers psychologiques particuliers (engagement, dissonance cognitive), en les mobilisant par la mise en action de communautés, en augmentant leur capacité d’agir (empowerment), ils prendront de meilleures décisions, plus vertueuses pour eux et les autres. Ces designs de politiques publiques, réputés moins paternalistes, puisque laissant aux individus, dans une certaine mesure, leur libre arbitre, sont intéressants mais semblent malheureusement, selon les premières évaluations, pas aussi efficaces qu’on aurait pu l’espérer… (Mertens et al., 2022 ; Szaszi et al., 2022).

Références

  • Cour des comptes (2016), « Les politiques de lutte contre les consommations nocives d’alcool », Paris.
  • Douchet M.-A., Le Nézet O. (2021), « Trente ans de politiques publiques de réduction du tabagisme (1991–2021) », OFDT, Tendances n°145.
  • Galland J.-P. (2002), « L’insécurité routière : calamité(s) nationale(s) ou risque parmi d’autres ? », Annales des Ponts et Chaussées, n° 101, 71–75.
  • Gallopel-Morvan K., Crié D. (2022). Marketing social et Nudges : comment changer les comportements en santé ? Ems Management et Sociétés, 402 pages.
  • Mertens S., Herberz M., Hahnel U. J. J., Brosch T. (2022), “The effectiveness of Nudging: A meta-analysis of choice architecture interventions across behavioral domains”, Proceedings of the National Academy of Sciences, 119, n° 1, e2107346118.
  • Millot A., Maani N., Knai C., Petticrew M., Guillou-Landréat M., Gallopel-Morvan K. (2022), “An analysis of how lobbying by the alcohol industry has eroded the French Evin Law since 1991”, Journal of Studies on Alcohol and Drugs, 83(1), 37–44.
  • Palle C. (2019), « Les évolutions de la consommation d’alcool en France et ses conséquences 2000–2018 », OFDT.
  • Roux S., Zamora P. (2013), « L’impact local des radars fixes sur les accidents de la route : un effet important après l’installation mais plus réduit à long terme », Économie et Statistiques, n° 460–461, 37–68.
  • Szaszia B., Higney A., Charlton A., Gelman A., Ziano I., Aczel B., Goldstein D. G., Yeager D. S., Tipton E. (2022), “No reason to expect large and consistent effects of nudge interventions”, Proceedings of the National Academy of Sciences, 119, n° 31, e2200732119.
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Publié le 18 novembre 2022

Changer les comportements de santé : comment marche l’action publique ?

Comment expliquer le changement des comportements des Français vis-à-vis de la sécurité routière, de la consommation d’alcool et de tabac ? Les actions développées au long cours par les pouvoirs publics pour limiter les pratiques à risques ont-elles porté leurs fruits ? Dans une note précédente, Christian Ben Lakhdar avait ouvert le débat en s’appuyant sur l’exemple de ces trois politiques pour montrer les limites de l’action publique. La présente réponse défend l’utilité des politiques menées sur ces trois sujets majeurs de santé publique.

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Le 10 novembre 2022, Christian Ben Lakhdar a publié dans La Grande Conversation une note sur l’(in)efficacité des politiques publiques à propos de la sécurité routière, du tabac, et de l’alcool. Il y livre, avec un certain fatalisme, le constat d’une forme d’impuissance des politiques publiques à modifier les comportements.

Economiste et spécialiste réputé des conduites addictives notamment, il s’appuie pour son raisonnement sur trois indicateurs qu’il définit pour chacune des politiques étudiées comme le « end point » recherché : la courbe de la prévalence pour le tabagisme ; la consommation exprimée en litre d’alcool pur par habitant pour la lutte contre la consommation d’alcool ; et enfin, pour la sécurité routière, la courbe de la mortalité.

Ses constats sont les suivants :

  • « Après deux décennies de lutte contre le tabagisme, un nombre non négligeable de Français et de Françaises fument toujours …/… les résultats sont décevants », surtout comparés à l’Australie qui a utilisé les mêmes outils que nous. L’auteur souligne l’importance du prix de cigarettes pour réduire sa consommation ;
  • « la consommation d’alcool …/… a drastiquement diminué en l’espace de 60 ans… sans que l’on y soit vraiment pour grand-chose » ! ;
  • Enfin, « Après des années de lutte contre l’insécurité routière…/… c’est bien la peur du gendarme qui apparait avoir le plus fortement incité les Français à modifier leurs comportements ».

L’auteur regrette « l’absence de règles d’or dont les politiques publiques pourraient s’inspirer dans le futur pour d’autres domaines comme la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ». Il s’inquiète des possibilités de report et contournement des politiques publiques (consommation de stupéfiants versus alcool, marché noir) mais aussi de l’acceptabilité sociale de certains risques comme celui de la vitesse au volant. Il s’interroge enfin sur l’efficacité du marketing social. Il conclut en soulignant la nécessité d’inscrire l’action publique dans le temps long pour que des modifications comportementales prennent corps.

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Nous avons souhaité réagir à cette note, qui nous parait réductrice, pour réaffirmer le caractère crucial de l’action publique en matière de santé et souligner la complexité des facteurs qui déterminent son efficacité. Nous revenons sur les trois exemples présentés en tentant une analyse critique des politiques publiques, pour tenter d’en expliquer les échecs et proposer quelques pistes pour l’avenir.

Tabac

La France est signataire de la Convention Cadre pour la Lutte Antitabac adoptée par l’OMS en 2003, et a effectivement mis en œuvre bon nombre de mesures recommandées dans ce cadre. Alors pourquoi la France a-t-elle moins bien réussi que d’autres ? Deux institutions en France ont travaillé sur cette question : la Cour des comptes et l’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé (INPES), agence publique dédiée à l’expertise des comportements de santé dont les compétences sont aujourd’hui intégrées au sein de Santé publique France.

La Cour des comptes dans son rapport de 2012 était très sévère sur la politique publique de lutte contre le tabagisme. Elle soulignait de très nombreux points :

  • la modestie relative des moyens dédiés à la prévention et à l’éducation sanitaire, qui limite les effets des politiques. Les rapporteurs de la Cour soulignaient que ces moyens financiers étaient bien inférieurs à l’aide à la reconversion des buralistes (sic !) et aussi 10 fois inférieurs à l’investissement public pour la sécurité routière – alors même que la mortalité liée au tabac était à cette date 20 fois supérieure (71.000 décès annuels  liés au tabac pour 3.600 sur les routes de France en 2012) ;
  • le contrôle de la réglementation défaillant, en particulier concernant la vente de tabac aux mineurs ;
  • le manque de cohérence et de pilotage ;
  • des hausses de prix qui sont le plus souvent restées en deçà du rythme dont la littérature démontre qu’il permet d’obtenir une baisse de consommation (soit des hausses de quelques centimes indolores, sauf en 2003 et 2004 où l’augmentation a été de 23%, entraînant alors une baisse de prévalence de 2,5%) ;
  • la persistance de considérations de rendement fiscal qui n’ont pas lieu d’être quand le coût sanitaire direct du tabac pour la solidarité nationale, dans son évaluation la plus basse, est estimée à 12 milliards d’euros par an ;
  • une offre de sevrage tabagique mal identifiée ;
  • Etc.

Les conclusions de ce rapport important ont guidé le lancement en 2014 du Programme national de lutte contre le tabagisme (PNRT 2014–2019) porteur d’ambitions importantes, nous y reviendrons.

Pour accompagner la mise en œuvre de ce PNRT, l’INPES a mené en 2015 une mission d’expertise en Angleterre avec pour objectif de comprendre le succès des politiques outre-Manche : les Anglais avaient à cette époque de biens meilleurs résultats que la France (la prévalence quotidienne du tabagisme des 18–75 ans étaient en France de 28,5% versus moins de 20% en Angleterre). Illustratifs de la diversité des déterminants du succès de l’action publique, les principaux constats comparatifs sont présentés dans le tableau ci-dessous :

AngleterreFrance
Une stratégie de marketing social : Stoptober (Stop tobacco in October)Non
Campagne nationale très institutionnelle pour le 31 mai, date de la journée mondiale de lutte contre le tabagisme
Kit d’arrêt du tabacNon
Budget action trois fois supérieur à FranceBudget de l’INPES de l’ordre de 10 millions pour les addictions
Prix du paquet > 10€< 7€ avec des augmentations qui ont été toujours en deçà du rythme permettant d’obtenir une baisse de consommation
Mobilisation des professionnels de santé de 1ère ligne avec notamment l’existence d d’un réseau ad hoc : les Stop smoking services (aide gratuite territoriale)Consultation de tabacologie ou addictologie hospitalière
Relais territoriauxTissu associatif local très faible
Mesure annuelle de prévalenceMesure de la prévalence du tabagisme tous les 4 à 5 ans
Tableau comparatif des politiques publiques France / Angleterre en matière de lutte contre le tabagisme en 2015

Tout confirme donc ici les constats de la Cour des comptes : faibles moyens financiers, non-recours à des augmentations de prix permettant d’obtenir des baisses de consommation significatives, approche du sevrage très hospitalo-centrée sans recours aux professionnels de santé de première ligne, aucune stratégie de marketing social (pourtant un des outils fondamentaux de la santé publique), et enfin absence d’indicateurs épidémiologiques permettant de mesurer l’efficacité des politiques publiques et donc de guider les orientations à court terme.

Ce constat a fondé le programme de l’INPES puis de l’agence Santé publique France (SPF). Citons deux actions majeures : le lancement d’une opération nationale de marketing social, « Mois sans tabac », et la création d’un indicateur de mesure annuelle de la prévalence du tabagisme. Pour s’appuyer sur des relais territoriaux, Santé publique France a, de plus, financé des « ambassadeurs Mois sans tabac » en région, tous issus du milieu associatif local, pour s’assurer du développement d’actions de terrain et de la nécessaire territorialisation de l’action publique. Par ailleurs, les mesures phares de lutte contre le tabagisme de cette période, sous l’impulsion de Marisol Touraine, ont été notamment : l’augmentation du prix du tabac (de 7€ en 2014, il passe à 7,88€ en 2018 et 10,50€ en 2021) ; le paquet neutre (paquet de couleur unie et ne portant aucun signe distinctif c’est-à-dire dépourvu d’éléments marketing) ; l’admission au remboursement de droit commun de traitements de substitution nicotinique – qui entrainera une augmentation considérable des ventes (1,5 million de patients traités en 2014 ; plus de 7 millions en 2021) ; et enfin la création d’un « fonds tabac » permettant de financer de la recherche et des actions de terrain (en 2022 ce fonds, devenu « fonds addictions  », est de l’ordre de 36 millions d’euros).

Quel impact a eu cette réorientation de l’action publique au milieu des années 2010, dans le cadre du PNRT et des actions de SPF ? On a vu chuter enfin la prévalence du tabagisme en France, avec, après des années de stagnation, une baisse de 4 points de prévalence entre 2016 et 2018 (de 29,4% à 25,4%). Hélas, l’épidémie de Covid19 et le confinement sont venus casser la dynamique enclenchée. Les derniers chiffres de 2020 étaient à la hausse (25,5% de fumeurs quotidiens). Reste qu’il faut retenir de ces 10 dernières années qu’il est indispensable d’avoir une analyse critique des politiques publiques, associée à une volonté politique très forte de réduire les consommations de tabac. Saluons enfin pour conclure l’importance, dans la lutte contre le tabac, de l’engagement personnel déterminant de Simone Veil (1976), Claude Evin (1991), Jacques Chirac (2003–2004), et Marisol Touraine (2012–2017).

Alcool

Le jugement de Christian Ben Lakhdar sur la politique en matière de prévention du risque alcool est assez tranché :  « C’est bien mais on n’y est pour pas grand-chose », au sens où selon lui le changement positif de comportement de la population (une baisse continue de la consommation depuis l’après-guerre) ne résulterait pas de l’action publique. Même si on déplore régulièrement le manque de courage politique sur ce sujet majeur de santé publique, on ne peut pas pour autant estimer que l’action publique, au sens large, a été inexistante, et que dès lors, le changement de comportement de la population aurait été quasi spontané.

En effet, depuis 1950,  de nombreux facteurs ont contribué graduellement à une prise de conscience que l’alcool n’est pas un produit de consommations sans risque. Si, contrairement par exemple à la sécurité routière avec l’introduction des amendes automatiques après contrôle par les radars, il n’y a certes pas dans la période de rupture nette, il faut néanmoins saluer en revanche une action résolue et constante à la fois des chercheurs, des activistes de la santé publique, mais aussi de certains politiques.

Comme le note Christian Ben Lakhdar, la baisse de consommation a surtout porté sur le vin, ce qui parait logique car c’est la boisson alcoolique la plus consommée, la boisson totem de Roland Barthes. Les efforts ont ainsi porté principalement sur cette boisson qui était responsable de la grande majorité des dommages, même si progressivement les équivalences de risques entre les boissons alcooliques se sont imposées.

Il est crucial d’inclure dans l’action publique le rôle des chercheurs, celui des leaders d’opinion et des associations, celui des instances paragouvernementales (comités auprès du gouvernement, agences) et celui déterminant de quelques politiques. Tous ont apporté une contribution à une politique de santé publique en matière d’alcool (malgré l’opposition du secteur économique, en particulier du lobby du vin), et on ne peut pas considérer qu’elles aient été sans influence sur la population. On peut alors sans difficulté repérer quelques dates et engagements marquants qui jalonnent cette histoire relativement récente :

  • Pierre Mendès-France, président du conseil (premier ministre) de juin 1954 à février 1955, sera véritablement le premier homme politique à faire de l’alcool une priorité. Apparaissant avec un verre de lait dans des cérémonies officielles, il sera vilipendé par l’extrême-droite qui considère qu’il insulte la France en attaquant la boisson emblématique du pays, le vin, le tout sur fond d’antisémitisme ;
  • Le 13 novembre 1954 : Création du Haut Comité d’étude et d’information sur l’alcoolisme (HCEIA), instance auprès du président du conseil, qui aura un rôle déterminant de diffusion des connaissances ;
  • 1956 : circulaire interdisant l’alcool à la cantine pour les moins de 14 ans, contribuant puissamment à une première dénormalisation de la consommation de boissons alcooliques ;
  • 1956 : parution de « Alcool, Alcoolisme, Alcoolisation » de Sully Ledermann, un chercheur de l’l’INED (Institut National d’Etudes démographiques), aux Presses universitaires de France. Cet ouvrage aura un impact considérable en démontrant par l’analyse statistique que le nombre de buveurs excessifs est directement corrélé au niveau de consommation en population générale. La conséquence, qui fait encore aujourd’hui bondir les alcooliers, est que pour réduire les dommages, il faut agir sur le niveau de consommation du pays ;
  • Début 1987, le Pr. Claude Got démissionne du HCEIA pour dénoncer l’omniprésence de la publicité pour les boissons alcooliques à la télévision. Suite à cette démission, cinq experts compétents et déterminés, les Prs. Gérard Dubois, Albert Hirsch, François Grémy, Maurice Tubiana et Claude Got – dénommé “groupe des cinq Sages” par les médias –, le Comité National de Défense Contre l’Alcoolisme (aujourd’hui Addictions France) et l’Académie de médecine mobilisent l’opinion pour dire “Non à la publicité à la télévision” ;
  • Juillet 1987 : La loi dite “Barzach” pose un régime d’autorisation générale de la publicité pour toutes les boissons alcooliques, assorti d’interdictions : la publicité à la télévision, à la radio, dans la presse destinée à la jeunesse et au sein des enceintes sportives, ainsi que le parrainage, sont interdits. Elle reste autorisée au cinéma, dans la presse et par affichage ;
  • 10 janvier 1991 : publication de la loi Evin, après des débats parlementaires passionnés, qui dans son volet « Alcool » encadre la publicité (supports et contenu des messages), impose un avertissement sanitaire, interdit le sponsoring sportif et culturel… On remarque d’ailleurs, dans le graphique des niveaux de consommations illustrant l’article de Christian Ben Lakhdar, un décrochage de la consommation au moment des débats ;
  • 2002 : publication des « repères de consommations à moindre risque » par le gouvernement Jospin (Bernard Kouchner étant ministre de la santé) dans le cadre d’une Stratégie Nationale Alcool. Les repères de consommation étaient alors de 3 verres pour les hommes et de deux verres pour les femmes ;
  • 2004 : Taxe sur les Prémix, boissons alcoolisées avec des spiritueux et sucrées pour attirer les jeunes. Si les prémix ne sont pas interdits, l’importance de la taxe « tue le marché » ;
  • 2005 : Les Etats Généraux de l’Alcool sont organisés sur l’ensemble des régions française (sauf le Languedoc Roussillon), le ministre étant Xavier Bertrand ;
  • Mai 2017 : Avis d’experts relatif à l’évolution du discours public en matière de consommation d’alcool en France. Les experts, missionnés par Santé publique France et l’Institut national du cancer, prennent en compte les dernières publications internationales établissant sans conteste qu’il n’y a pas de consommation d’alcool sans risque (la presse titre : « c’est la fin du petit verre de vin bon pour la santé »). Ils préconisent de nouveaux repères de consommation à moindre risque (pas plus de 10 verres par semaine, pas plus de 2 verres par jour et pas tous les jours) qui s’imposeront dans la communication publique ;
  • 2020 : une taxe spécifique pour les prémix à base de vin (vinipops) est instaurée, ainsi que pour les hard seltzers (eau alcoolisées et aromatisées), un nouveau produit marketing destiné à la jeunesse.

Parallèlement, la communication publique sur le risque alcool a toujours été présente, malgré la frilosité des décideurs politiques. C’est ainsi que le Comité français d’éducation pour la santé (CFES), ancêtre de l’INPES, à son tour intégré dans Santé publique France (tous financés par des fonds publics), ont lancé plusieurs campagnes pour promouvoir les repères de consommation, l’ivresse qui ne se voit pas, etc.

Pour l’ensemble de ces raisons, il est difficile d’adhérer à l’affirmation de Christian Ben Lakhdar selon laquelle la baisse de la consommation d’alcool s’est faite en dehors de toute impulsion des pouvoirs publics. On peut regretter leur manque d’enthousiasme, qui explique que peu de mesures spectaculaires aient été prises ou mises en avant, mais la persistance au long des décennies d’un « bruit de fond » constant sur les conséquences sanitaires de la consommation d’alcool est très probablement l’une des raisons de la baisse continue de cette consommation. Et elle a servi de base pour l’activisme et la pédagogie inlassables des militants de la santé. Par exemple, si la loi Evin a été grignotée, elle n’en demeure pas moins vigoureuse pour juguler les dérives publicitaires, et la tentative de la remise en cause de l’interdiction du sponsoring sportif et culturel en 2019 a échoué, malgré l’énormité des enjeux financiers pour l’industrie de l’alcool, les médias et le milieu sportif. C’est probablement l’ensemble de ces facteurs qui expliquent une baisse tendancielle, et non des ruptures brutales.

Certes, on ne peut évidemment que regretter avec Christian Ben Lakhdar que les politiques ne soient pas plus courageux sur un sujet majeur de santé publique. La Cour des comptes soulignait d’ailleurs, dans un rapport de 2016 sur la lutte contre les consommations nocives d’alcool, les insuffisances de l’action publique : remise en cause de la loi Evin, absence de réel encadrement des groupes de pression, une fiscalité sans objectifs de santé publique clairs, une éducation pour la santé non évaluée, une mobilisation insuffisante des généralistes et une structuration de la prise en charge trop dispersée. Bref, la Cour des comptes considérait que l’Etat pouvait mieux faire et proposait de nombreuses recommandations, qui n’ont pas réellement été mises en œuvre. La France reste l’un des pays européens où l’on boit le plus : 11,4 litres d’alcool pur par an et par personne de plus de 15 ans en 2019.

Sécurité routière

Comme le dit Christian Ben Lakhdar, il est clair que la peur du gendarme – nous devrions dire de l’amende suite à un contrôle automatisé de la vitesse (radar) est efficace et efficiente en matière de sécurité routière. Toutefois, résumer la politique de sécurité routière à ce seul élément est très réducteur. En sécurité routière, il est nécessaire de prendre en compte de multiples facteurs : le comportement des usagers, les règles (le code de la route), les caractéristiques des véhicules, la qualité des infrastructures routières. De plus, il faut être attentif aux indicateurs utilisés : il est recommandé de rapporter le nombre de tués au milliards de kilomètres  (MdeKm) parcouru. ; car il faut savoir que le nombre de km parcourus depuis les années 60 s’est considérablement accru. On considère que le nombre de tués par MdKm entre 1960 et 2012 a été divisé par 17,6. La politique de sécurité routière a été un succès certain, mais celui-ci ne peut être assimilé à la simple peur du gendarme et résulte en réalité d’une conjonction de facteurs :

  • pour le code de la route : il faut mentionner l’impact certain de la ceinture de sécurité et des limitations de vitesse, et probablement aussi celui du seuil d’alcoolémie ;
  • pour les caractéristiques des véhicules : il faut retenir les améliorations des constructeurs automobiles pour la tenue de route, le freinage, le développement de l’air bag… et l’imposition du contrôle technique des véhicules tous les deux ans ;
  • pour les infrastructures, plusieurs facteurs ont un rôle déterminant en sécurité routière : les dos d’âne ou ralentisseurs, les séparations des voies à double sens, les ronds-points ou autres dispositifs qui ralentissent la vitesse des véhicules ;
  • quant au comportement des usagers, il est conditionné par de multiples facteurs : outre la peur du gendarme, la formation joue un rôle non négligeable pour conduire mais aussi pour connaître les règles de conduite. Beaucoup de facteurs entrent en jeu : le niveau d’étude le milieu familial, la relation personnelle aux règles, etc.

Enfin, et comme pour toute politique publique, la fermeté de la volonté politique affichée a un impact important. Le président Chirac, quelques mois après son élection en mai 2002, a annoncé que la sécurité routière serait le premier objectif de santé publique de son quinquennat. Il a instauré la mise en place des premiers radars et la fin des indulgences en matière d’amendes. A l’inverse, en 2021, l’abandon d’une mesure de limitation de la vitesse maximale à 80 km/h sur des voies qui ne séparent pas les sens de circulation a été un très mauvais signal, avec une stabilité observée entre 2019 et 2021 de la mortalité dans les départements concernés, alors que dans les départements ayant maintenu la vitesse maximale autorisée à 80 km/h la mortalité observée a baissé de 16% . Les premières régulations de vitesse ont eu lieu dans les années 1970 ; elles se sont appuyées sur de possibles pénuries de pétrole liées à la guerre du Kippour. Il est possible d’espérer aujourd’hui que, pour conjuguer la sécurité routière et la sobriété énergétique, indispensable pour faire face au changement climatique, on réduise à nouveau la vitesse à 120km/h sur les autoroutes et 80km/h sur les routes…La présence, dans le Plan sobriété, d’une recommandation aux agents publics utilisant leur véhicule de service de réduire leur vitesse maximale de 130 km/h à 110 km/h sur les autoroutes, est un petit pas, même si la Première ministre a clairement pris position contre l’idée d’imposer cette mesure à tous les Français, préférant « informer ».

Conclusion

Ces trois sujets majeurs de santé publique (tabac, alcool et sécurité routière) marquent à la fois l’intérêt d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques publiques et d’en faire sans relâche des analyses critiques. Nous connaissons la grande difficulté d’évaluer les politiques publiques. Et nous devons tenir compte de la réalité des intérêts divergents qui s’expriment différemment pour chacun de ces trois thèmes, mais aussi de la différence de représentation de chacun de ces trois déterminants : les mesures prises en matière de sécurité routière ont souvent un effet mécanique immédiat, alors que pour l’alcool et le tabac, la majorité des gains pour la santé se verront à terme. Soulignons également que le tabac est un produit universellement décrié, qui autorise les décideurs à agir, alors que c’est plus difficile pour l’alcool…, autant de facteurs qui explique que les politiques menées soient différentes, mais elles n’en sont pas moins réelles, même si tout militant de la santé publique voudrait plus de volontarisme.

La comparaison entre les pays est aussi un puissant stimulant, on le voit pour le tabac entre la France et l’Angleterre, mais on peut le constater aussi sur l’alcool où aujourd’hui la Belgique propose sa propre « loi Evin » pour encadrer la publicité.

La palette des outils de santé publique mobilisables est importante (interdiction de la publicité, taxation, marketing social, territorialisation, aller vers…) et on peut comprendre qu’en fonction de la sensibilité du sujet, de l’acceptabilité sociale, de la résistance des lobbies…, le recours à certains outils soit différent selon les sujets. Ces différences de contenus et de rythme peuvent conduire à des comparaisons réductrices. Notre rôle de praticiens de la santé publique est de promouvoir la palette des différents outils de l’action publique sur les comportements, de les défendre avec force et opiniâtreté, car, in fine, ce sont des politiques gagnantes pour la santé de l’homme et celle de la planète.