La « planification écologique » selon Jean-Luc Mélenchon et selon Emmanuel Macron : un exercice de comparaison

La « planification écologique » selon Jean-Luc Mélenchon et selon Emmanuel Macron : un exercice de comparaison
Publié le 3 mai 2022
La même expression – « planification écologique » – est utilisée dans les deux programmes présidentiels et désormais en vue des élections législatives. Si la formule est identique, elle ne renvoie par au même projet. Quels sont les points communs et les différences entre les deux approches ? Exercice de comparaison. Si les propositions « insoumises » affichent une ambition incontestablement supérieure, leur maximalisme laisse entrevoir de nombreuses impasses.

La planification écologique est sans conteste la thématique environnementale qui a le plus émergé dans l’entre-deux-tours de la présidentielle après une première phase de campagne où les enjeux écologiques n’avaient été traités que sous l’angle de la production électrique – quoique de manière encore très limitée. Concept porté par Jean-Luc Mélenchon avant le premier tour (ainsi que par des associations comme le Shift Project depuis plus longtemps encore), le candidat Macron se l’est approprié d’abord dans son programme dévoilé le 17 mars, puis de façon plus sonore lors de son discours de Marseille du 16 avril.

Alors que la planification écologique version Emmanuel Macron n’est encore que partiellement définie, celle du candidat Insoumis est bien documentée dans les publications programmatiques de son mouvement. Elle repose sur une méthode de gouvernance nouvelle basée sur un certain nombre d’instances créées pour l’occasion, le tout au service d’un axe moteur : la « Règle verte ». Elle clame la fin des planifications « du haut vers le bas » pour impliquer plus fortement les citoyens et les collectivités.

Mais au-delà d’une apparente logique, le programme de la France insoumise présente un certain nombre de limites et de contradictions qui devraient être dépassées pour mettre en place un modèle de planification réellement fonctionnel.

La gouvernance institutionnelle de la transition

Tout d’abord, en ce qui concerne la gouvernance institutionnelle, le candidat Mélenchon fait reposer son programme sur une loi de planification écologique votée par le Parlement. Une telle loi est néanmoins d’ores et déjà prévue par la loi énergie et climat (LEC) adoptée sous la mandature précédente qui impose à l’Etat de faire adopter une loi de programmation énergie et climat avant le 1er juillet 2023. La France insoumise précise très justement que ce texte devrait inclure « la programmation budgétaire pluriannuelle des investissements nécessaires et les financements qui y correspondent », une demande également portée par de nombreux experts. Si la LEC ne mentionne pas spécifiquement cette obligation de programmation financière, elle ne l’exclut pas pour autant. Même si les lois de programmation thématiques n’ont pas constitutionnellement le pouvoir de décider d’une trajectoire de dépenses publiques qui s’imposerait ensuite aux lois de finances annuelles, il s’agirait là d’un signal fort pour structurer l’action dans la durée et donner de la visibilité aux acteurs. Le candidat Macron ne s’est pour sa part pas prononcé sur cet aspect, se contentant, pendant la campagne, de mentionner une hausse de 10 milliards d’euros des crédits budgétaires par an en faveur de la transition écologique, sans plus de détails.

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Jean-Luc Mélenchon propose en outre de créer un ministère de la planification écologique ayant pour mission de superviser la mise en œuvre du plan, notamment en concertant et coordonnant les différents intervenants et administrations. Le principe d’un pilote spécifique de la planification écologique est louable et bien nécessaire. Cependant, il s’agit déjà du rôle actuel du ministère de la transition écologique. Or ce fonctionnement présente des limites qui ont été largement documentées. En particulier, il ne sort pas de la logique de silos dans laquelle travaillent aujourd’hui les ministères et ne permet pas un véritable portage interministériel des enjeux de la planification écologique. Ainsi, le ministre de la planification écologique serait au même niveau que ses collègues du Gouvernement et n’aurait pas la capacité d’arbitrer en faveur de la transition le cas échéant, le Premier ministre restant seul détenteur de ce pouvoir.

A l’inverse, l’organisation présentée par Emmanuel Macron dans l’entre-deux-tours propose de remonter le sujet de la planification écologique à Matignon pour donner à cet enjeu la place fondamentalement interministérielle qui lui revient. Si le Premier ministre a bien les moyens techniques et humains d’assurer ce pilotage, notamment avec une équipe dédiée à sa main, composée de personnels provenant des différents ministères les plus concernés, alors il s’agit d’un potentiel bouleversement de la gouvernance écologique, la transition n’étant plus un facteur à arbitrer parmi d’autres mais la colonne vertébrale de l’action du gouvernement (« la politique des politiques », comme l’a dit Emmanuel Macron dans son discours de Marseille le 16 avril dernier).

L’équipe placée auprès du Premier ministre pourrait se rapprocher du Conseil à la planification écologique que le candidat Insoumis appelle de ses vœux, telle que l’interprète certains médias qui en font un remplaçant du haut-commissariat au plan avec un rattachement à Matignon. Ce conseil aurait alors la charge de préparer la loi de planification et de coordonner sa mise en œuvre, notamment via des délégués territoriaux et sectoriels. Il s’agirait dans ce cas d’une bonne analyse des manquements administratifs à combler pour faire aboutir la planification écologique. Néanmoins, le programme n’est pas clair sur le rattachement et la composition de ce conseil. Dans le paysage institutionnel actuel, les organisations appelées « conseils » font plus souvent référence à des comités consultatifs permettant de recueillir l’avis des parties prenantes extérieures plutôt que d’organisme de coordination. Dans ce cas, le Conseil de la planification écologique pourrait s’apparenter au Conseil national de la transition écologique qui existe déjà et dont le pouvoir est en pratique limité.

Plus généralement, le candidat Mélenchon prône un renforcement des effectifs de l’Etat et de ses opérateurs en faveur de la planification, à l’inverse des baisses d’effectifs continues, y compris sous le mandat écoulé.

Les candidats Macron et Mélenchon se rejoignent par ailleurs sur la volonté de réindustrialiser la France, à la fois dans un objectif de souveraineté et dans un but écologique, en couplant le retour des industries à leur décarbonation. Le premier s’appuie principalement sur le plan France 2030 annoncé en octobre 2021 alors que le second crée une agence pour les relocalisations, dépendante du conseil de la planification écologique.

Enfin, en cohérence avec son programme de nationalisations massives, le candidat Insoumis veut créer un pôle public des transports et un pôle public de l’énergie sans précision sur leurs périmètres et leurs missions exactes.

Si les projets peuvent donc se rapprocher sur la méthode, le positionnement de la planification écologique à Matignon proposée par Emmanuel Macron a un plus fort potentiel de bouleversement de gouvernance si le Premier ministre a réellement les moyens et la volonté politique associés. Celui de Jean-Luc Mélenchon est plus détaillé et plus riche en créations institutionnelles sans pour autant réussir à dépasser les habituels silos ministériels.

La règle verte : un idéal (malheureusement) inapplicable

Le programme de la France insoumise place en son cœur la création d’une « règle verte ». Inscrite dans la Constitution, c’est-à-dire au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, elle consisterait à interdire « de prélever ou produire davantage que ce que notre planète peut régénérer ou absorber ». Se reposant sur la notion de limites planétaires et rappelant le concept d’empreinte écologique, cette règle aurait le mérite de placer l’action publique sous la contrainte d’une forte exigence. Cependant, si elle semble tomber sous le coup du bon sens, elle ne passe pas l’épreuve d’une réflexion approfondie sur sa mise en œuvre effective.

Tout d’abord, les indicateurs géophysiques qui permettraient de construire ce cadre ne sont pas tous opérationnels. Certains n’existent pas encore ou ne sont pas étudiés. D’autres sont des indicateurs globaux qui ne peuvent pas être rapportés au niveau national, et encore moins au niveau local. Les débats persistent par exemple chez les spécialistes de la biodiversité sur les indicateurs pertinents pour suivre son évolution. Pour pouvoir opérationnaliser une telle règle, il faudrait donc commencer par déterminer tous les indicateurs permettant d’en objectiver et d’en piloter l’application, faute de quoi l’Etat serait dans l’incapacité de déterminer les « budgets » propres à chacun de ces sujets et plus encore de les suivre. La France insoumise propose de confier cette tâche au Conseil de la planification écologique en esquissant des pistes aussi variées que le zéro artificialisation des sols, une « règle bleue », un indice de durabilité pour le bâtiment ou encore un accès garanti à tous aux services publics indispensables (école, gare, hôpital, bureau de poste) en moins de 15 à 30 minutes. Des indicateurs pour certains très loin de rendre compte des limites planétaires.

Si une telle ingénierie était malgré tout mise en place, il conviendrait ensuite de déterminer à quels acteurs cette règle s’appliquerait. Est-ce uniquement l’Etat ? Auquel cas, comment discriminer ce qui relève de la responsabilité de l’Etat et ce qui relève de la responsabilité d’entreprises, d’individus ou de groupes d’individus ? Et si les entreprises et les individus sont concernés, c’est-à-dire la société dans son ensemble, s’agirait-il alors de créer un système de quotas sur les différents indicateurs qui auraient été identifiés ? Est-ce que cette règle s’appliquerait uniquement au niveau national ou également au niveau local ?

Enfin, la règle verte ainsi posée reviendrait à questionner le rythme de la transition écologique. S’il est évidemment souhaitable de réduire le plus rapidement possible l’impact des activités humaines sur la nature, ainsi formulée la règle verte nie tout simplement le concept même de transition écologique puisqu’elle implique de passer du jour au lendemain à une société entièrement neutre en carbone et sans impact sur la nature. Cela signifierait par exemple que, dans une interprétation maximaliste de la règle, l’impact carbone d’un Français devrait instantanément passer sous la barre des 2 tonnes de CO2 par an (le niveau requis pour qu’un Français n’émette pas plus que la Terre ne peut absorber), alors qu’il est aujourd’hui autour de 9 tonnes par an. Une décrue aussi rapide dans un temps aussi court est tout bonnement impossible, à moins d’interdire drastiquement de nombreuses activités économiques, sociales et même ludiques et culturelles ; ce qui est inacceptable socialement.

Autant de questions qui montrent l’inopérabilité de la règle verte telle que définie par le candidat Insoumis. Le chemin ainsi tracé est bien sûr le bon : c’est d’ailleurs celui vers lequel souhaite tendre la France en visant la neutralité carbone, mais à l’horizon 2050 et non demain matin car la transition ne se fera pas en un jour. On pourrait arguer qu’il s’agit d’un slogan politique et qu’il n’aurait pas vocation à s’appliquer aussi sévèrement. Le problème est que son inscription dans la Constitution le rendrait nécessairement et instantanément impératif : tout acte amenant à dépasser les limites biophysiques de la Terre serait tout simplement considéré comme anticonstitutionnel. L’alternative serait d’en faire un guide de l’action de l’Etat sans l’inscrire dans la Constitution mais elle risquerait alors de ne pas tenir face aux changements politiques.

Plutôt qu’une règle jusqu’au-boutiste mais inopérante ou qu’une doctrine qui pourrait rapidement péricliter au gré des majorités futures, l’Etat pourrait commencer par se fixer une règle d’or climatique en vertu de laquelle il s’interdirait tout acte législatif ou réglementaire qui amènerait à dépasser le budget carbone de la France. Sur le seul sujet du climat, les budgets carbone sont en effet bien connus et pilotés. Il est donc possible de s’y référer. Par ailleurs, la règle d’or climatique permettrait de suivre le rythme de la transition que s’est fixé la France à travers ses budgets carbone – et qui va devoir être accéléré du fait des engagements européens du « Fit for 55 ». En apparence moins ambitieuse, cette solution représente en réalité une véritable révolution copernicienne : non seulement elle porte le respect des budgets carbone au même niveau que le budget de l’Etat, mais elle peut être mise en œuvre immédiatement.

La participation citoyenne : beaucoup évoquée, peu démontrée

Le programme de la France insoumise présente d’apparentes contradictions sur le concept de participation citoyenne. Ce programme dénonce allègrement les « planifications du haut vers le bas » et appelle à des débats publics et des partages d’expériences locales pouvant aboutir à des référendums d’initiative citoyenne. Il confie par ailleurs au Conseil de la planification écologique la mission de faire la synthèse des propositions émanant de consultations locales ainsi que de mener les concertations avec les collectivités, syndicats, associations ou encore organisations patronales, afin de préparer la loi de planification écologique.

Pourtant, le programme préempte déjà fortement les conclusions sur de nombreux points, y compris sur des orientations possiblement sujettes à débat dans la population et auprès des professionnels et des collectivités. Il annonce par exemple la suppression des lignes aériennes en cas d’alternative ferroviaire en moins de 4 heures (contre 2h30 dans la loi climat et résilience) ou encore une taxe kilométrique aux frontières pour le transport de marchandises (taxe très voisine de celle qui avait provoqué le mouvement des bonnets rouges en 2013).

Il définit par ailleurs dès à présent les acteurs pour lesquels les normes auront un caractère « contraignant », « indicatif » ou « fortement incitatif ». Il est évidemment utile qu’un candidat à la présidence de la République et désormais à Matignon indique son souhait dans ces domaines mais il est curieux de se réclamer à la fois d’un processus de construction participatif tout en ayant déjà arbitré les sujets essentiels.

Du côté du candidat Macron, le flou demeure cependant sur ce point. S’il a annoncé un changement de méthode, il n’a pas précisé en quoi ni sur quels domaines en dehors des conférences des parties annoncées sur l’école ou l’accès aux soins et d’une convention citoyenne sur la fin de vie. Il aura à les détailler rapidement et à mettre en œuvre des actes forts dans ce sens dès le début de son quinquennat s’il souhaite être crédible sur cette promesse.

Enfin, un point sur lequel les deux anciens candidats se rejoignent : ils ont tous les deux fait leur choix sur l’avenir énergétique du pays, Jean-Luc Mélenchon vers la fin du nucléaire et Emmanuel Macron pour sa relance, en faisant l’un et l’autre fi du nécessaire débat de société sur ces enjeux énergétiques.

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Marine Braud

Ancienne conseillère en charge de la société civile et de la convention citoyenne au cabinet de la ministre de la transition écologique