Dette publique : La France, passager clandestin ou pionnière dans la zone euro ?

Dette publique : La France, passager clandestin ou pionnière dans la zone euro ?
Publié le 18 décembre 2023
Fidèle à sa vocation pluraliste, La Grande Conversation donne régulièrement la parole à des contributeurs dont nous ne partageons pas les opinions mais dont l'argumentation nous semble mériter l'attention. C'est le cas avec le présent article de Christian Pfister qui promeut une politique budgétaire orthodoxe pour diminuer substantiellement la dette publique française. Sans s'attarder les conditions d'acceptabilité sociale et politique de ses propositions, il préconise à la fois un surcroît d'équité fiscale et de larges coupes dans les dépenses publiques dont il dresse la liste.
Les vues exprimées sont les miennes et n’engagent pas l’Université d’Orléans

Cette note prolonge celle consacrée à la dette publique française par Pfister et Valla, en 2022. Dans une brève première partie, elle en actualise le constat, en le resituant dans le cadre européen dont il avait été indiqué que c’était le plus approprié pour juger de la situation française. Puis, reprenant les principales conclusions de la précédente note (la France peut et doit rembourser sa dette publique, en évitant de se trouver  « au pied du mur »), elle discute les possibilités de mise en œuvre des deux scénarios, hors défaut sur la dette publique (approche « tragique »), qui avaient alors été envisagés : approche « opportuniste » et approche « orthodoxe ». Cette dernière est le scénario privilégié ici, permettant de faire passer la France de la situation de « quasi-passager clandestin » à celui de quasi-pionnière dans la zone euro.

La France est à la traine dans l’UE

Le tableau 1 montre clairement l’évolution défavorable de la position de la France dans l’UE. En effet, l’écart entre le ratio de dette français et la moyenne de la zone euro, qui était négligeable au début de la crise financière mondiale, atteignait près de 14 points dix ans plus tard, en 2019. Il s’est encore fortement accru, passant à près de 18 points au début de 2021, à l’occasion de la crise du Covid-19 dont le coût a été, plus qu’ailleurs, reporté en France sur l’avenir. Enfin, les derniers chiffres disponibles montrent un écart de 21 points : le ratio de dette français a bien diminué de cinq points, mais sensiblement moins que celui de ses partenaires. En particulier, les pays les plus endettés, comme l’Italie et l’Espagne, ont fourni des efforts bien plus significatifs, réduisant leurs ratios de dette de respectivement 15,4 et 12,9 points. Lorsqu’on tient compte de ce que l’inflation a contribué mécaniquement à une baisse de 5,1 points de son ratio de dette en 2021 et 2022, on ne peut pas à proprement parler d’effort, dans la mesure où ce n’est pas l’orientation de la politique budgétaire qui a contribué à la baisse de notre ratio de dette : la France a juste profité de « l’effet d’aubaine » lié à une inflation élevée.

La France tend ainsi à occuper une place de « passager clandestin » (free rider) dans l’UE. De fait, elle laisse aux partenaires dont elle partage la monnaie le soin de mener des ajustements budgétaires dont elle profite elle aussi puisque les marchés financiers de la zone euro sont moins sollicités, permettant des taux d’intérêt plus faibles qu’en l’absence d’effort de ses partenaires. Or, même s’il ne dispose pas du « parapluie » de l’UE et de la BCE, le cas du Royaume-Uni montre que c’est jouer avec le feu. Ce pays a connu une crise de finances publiques à l’automne 2022, avec un ratio de dette d’environ 10 points de PIB plus faible que la France. Il vaut donc mieux prendre les devants, comme le concluaient Pfister et Valla (2022).

Source : Banque de France, https://www.banque-france.fr/statistiques/credit/endettement-et-titres/taux-dendettement-des-agents-non-financiers-comparaisons-internationales.

L’approche opportuniste est risquée

L’adoption d’une approche opportuniste serait dans le prolongement de celle adoptée jusqu’à présent par la France dans la zone euro. Les risques d’une telle approche seraient doubles : tout d’abord, que les circonstances se prêtent ou non à la mise en œuvre de cette approche dépend de décisions – en particulier européennes – que nous ne contrôlons pas entièrement ; en outre, les décisions prises devraient être ratifiées par le public. En effet, les formes de l’approche opportuniste évoquées par Pfister et Valla (2022) étaient les suivantes :

  • Le recours à l’inflation, avec un gain pour les finances publiques d’autant plus important que la dette est plus élevée et son échéance moyenne plus longue, et que l’inflation est plus élevée qu’anticipé. En effet, sauf à mettre en place des dispositifs de répression financière très contraignants, avec notamment un contrôle strict des mouvements de capitaux, l’inflation anticipée se reflète dans les niveaux de taux d’intérêt aux échéances moyennes et longues, les épargnants cherchant à se protéger, et les charges d’intérêt augmentent donc à mesure du renouvellement de la dette. Cette tactique semble bien fonctionner jusqu’à présent, chaque point d’inflation « rapportant » une trentaine de milliards aux finances publiques françaises, compte tenu du niveau de la dette. En outre, les taux d’intérêt restent inférieurs à ceux de l’inflation, avec des taux des emprunts publics légèrement inférieurs à 3% à la fin novembre 2023 pour les échéances comprises entre 4 et 7 ans et un taux à 10 ans un peu en-dessous de 3,2%, pour une inflation sous-jacente mesurée par l’Insee à 4,2% en octobre 2023. Toutefois, il faut se rappeler que le taux de l’OAT à 10 ans s’est établi presque continument en territoire négatif entre la mi-2019 et la fin de 2021, période où l’inflation était légèrement positive. La remontée est donc significative. Elle pourrait aussi être durable si les anticipations d’inflation devaient s’écarter de la cible d’inflation de la BCE. Entre le troisième trimestre de 2022 et le deuxième trimestre de 2023, les anticipations d’inflation à 3 à 5 ans des chefs d’entreprise, telles que mesurées par la Banque de France via son enquête mensuelle, ont ainsi été stables à 3%, soit un point de plus que la cible de la BCE, ne se repliant qu’à 2,5% au troisième trimestre 2023 ;
  • Le jeu de bonneteau, avec l’émission d’emprunts communautaires dont le produit est rétrocédé aux Etats sous forme de dons et le gonflement du bilan de l’Eurosystème via ses achats de titres publics. Cependant, la reconduction du programme Next Generation EU et a fortiori son élargissement ne font pas l’unanimité au niveau communautaire. S’agissant du bilan de l’Eurosystème, il pourrait être maintenu à un niveau élevé, voire être enflé, en cas de lancement de l’euro numérique, de plus en plus probable avec le temps (Pfister, 2023), mais il n’est pas certain que le succès auprès du public soit au rendez-vous. En outre, un succès aurait lui-même des inconvénients avec une désintermédiation des banques qui pourrait être défavorable au crédit donc à l’activité économique à court-moyen terme, contribuant ainsi à la dégradation des finances publiques.
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Comme au surplus on ne peut pas écarter qu’entre 75 % et 100 % du PIB, la dette publique ait un effet négatif sur la croissance économique et qu’une forte hausse de la dette augmente la probabilité d’une crise de la dette souveraine (Facchini, 2023), la suite de cette note se concentre sur une approche orthodoxe.

L’approche orthodoxe passe prioritairement par la réduction des dépenses

Poursuivre une approche orthodoxe permettrait à la France de se positionner en pionnière dans la zone euro. Ce type d’approche peut lui-même passer par deux sortes de mesures ayant chacune leurs avantages et leurs inconvénients : l’action sur les recettes et celle sur les dépenses. Ces actions sont présentées séparément à la fois pour simplifier l’exposé et parce que les marges de manœuvre sont bien plus importantes pour réduire les dépenses que pour accroître les recettes. Le rappel de quelques critères permet d’apprécier comment chacune de ces deux approches pourrait en première approximation être appliquée à la France. Bien entendu, les mesures présentées ci-après ne constituent pas un catalogue et ne sont que des suggestions. Par ailleurs, comme il est impossible d’indiquer pour chacune d’entre elles dans quelle mesure elle remplit chacun des critères énoncés, a fortiori leur combinaison éventuelle relève d’une approche où les facteurs politiques sont déterminants. Il s’agit d’abord ici de fournir des orientations en ligne avec l’objectif de réduction de la dette publique, en se fondant largement sur une base de comparaison internationale et dans un souci d’intérêt collectif, dans une perspective qui ne peut être qu’à moyen-long terme, comme déjà indiqué par Pfister et Valla (2022).

Les critères

Les décisions d’augmentation des recettes et de diminution des dépenses pour réduire le déficit public et réduire la dette doivent correspondre à une logique économique. Toutefois, ces décisions sont prises par les responsables politiques. Elles doivent donc aussi être cohérentes avec les objectifs poursuivis par ces derniers, qui ne correspondent pas forcément avec l’optimum social, parfois seul pris en compte par les experts, leurs conseils n’étant alors pas appliqués.

D’un point de vue purement économique, les réformes devraient remplir les critères suivants :

  • Soutenir la croissance à long terme : une perte de production transitoire, liée au redéploiement des ressources, est de peu d’importance si elle doit être assez rapidement renversée et relever les perspectives de croissance, contribuant à la réduction du ratio de dette à la fois par la baisse du numérateur et par la hausse du dénominateur. Cela conduit à privilégier les politiques d’offre ;
  • Être significatives, précises et transparentes : le « saupoudrage » et les annonces vagues font douter des volontés réformatrices. En effet, des mesures de faible envergure, du type « augmentation du reste à charge sur les médicaments », peuvent facilement être renversées par la suite. En outre, la transparence, gage de politiques crédibles, conduit à retenir des mesures dont la quantification est relativement aisée, de sorte que leur application ne fasse pas de doute. Cela conduit à écarter des mesures vagues, du type « réduction des effectifs publics d’un nombre ou d’un pourcentage donné au cours d’une période à venir donnée », maintes fois énoncées par le passé mais jamais mises en œuvre (le nombre d’employés dans le secteur public est en hausse quasi continue en France depuis la seconde guerre mondiale) et à préférer des mesures restreignant le périmètre du secteur public. Ces dernières doivent bien sûr être suivies des baisses d’effectifs correspondantes, mais la coïncidence entre la révision du périmètre et la baisse des effectifs assure la transparence et l’essentiel des économies réalisées ne devrait pas porter sur les dépenses de personnel mais sur les fonds distribués par les administrations.

Le maître-mot pour la formulation et la mise en œuvre de ces politiques est la crédibilité, qui dissipe les incertitudes sur l’avenir, mobilise les énergies et se traduit, au-delà des gains de croissance potentielle, par de meilleures conditions de financement du fait de la réduction des primes de risque sur les marchés financiers. Les éventuelles conséquences négatives à court terme sur l’activité économique de politiques d’offre sont ainsi compensées par l’amélioration des anticipations de revenu.

D’un point de vue d’économie politique, les critères sont le plus souvent les suivants :

  • Apporter une réponse rapide à une situation de crise : l’horizon des décideurs politiques est inévitablement à court terme du fait de la multiplicité des consultations électorales et du cumul des mandats. Cela conduit souvent à différer les choix, donc à réagir dans l’urgence, sans viser une cohérence d’ensemble et en négligeant les possibilités de gains à long terme. Comme les actions sur les recettes ont généralement un effet plus rapide sur les déficits que les actions sur les dépenses, du fait de délais de mise en œuvre plus courts, cela conduit aussi à les privilégier. C’est cette approche, menant à un niveau de prélèvements publics le plus élevé dans la zone euro et le deuxième plus haut parmi les 38 pays-membres de l’OCDE après le Danemark (voir Tableau 2), qui a prévalu en France par le passé. Le problème est qu’elle est contreproductive, puisqu’en diminuant les incitations à travailler et à investir, elle réduit les perspectives de croissance à moyen-long terme, donc de financement des dépenses. Dans une logique de « cercle vicieux », les dépenses publiques sont alors augmentées pour soutenir l’activité à court terme, le dénouement ne pouvant être qu’une crise majeure ;

Source : Eurostat.
  • Éviter de mécontenter une part importante de la population : les décideurs politiques savent bien que toute réforme, faisant des gagnants et des perdants à court terme, ne peut se traduire que par des contestations (même si tout le monde doit être gagnant sur la longue période, les perdants à court terme s’y opposent tandis que les gagnants ne souhaitent pas « jeter de l’huile sur le feu » en apportant un soutien ouvert aux mesures adoptées). Toutefois, cela conduit le plus souvent à un conservatisme où le raisonnement est sacrifié au respect d’images d’Épinal et à des jeux partisans. Il en va ainsi d’une soi-disant « préférence des Français pour la dépense publique » : les Français sont en fait rationnels, puisqu’ils tiennent compte des préférences des décideurs. Ils souhaitent seulement qu’une forme d’équité leur soit assurée par les décisions politiques. La récente réforme des retraites a ainsi paru inéquitable car répondant à une logique de court terme (réduire le déficit du régime général d’assurance-vieillesse), sans garantir ni la pérennité du régime (Ecalle et al., 2023) ni le pouvoir d’achat des retraités actuels ou futurs. L’incertitude ainsi créée a à son tour contribué à un maintien du taux d’épargne des ménages à un niveau élevé. En effet, un régime de retraite par répartition contribue à une baisse de l’épargne (Feldstein, 1974 ; Arrondel et al., 2020), donc une incertitude sur son avenir à une hausse de celle-ci. Par ailleurs, les décideurs politiques savent aussi, comme la révolte des « gilets jaunes » et celle contre la dernière réforme des retraites l’ont encore montré, que des réformes d’ampleur ne suscitent pas plus d’opposition que des réformes limitées.

Au total, si les critères économiques et ceux des décideurs semblent assez largement opposés, il existe aussi des points de rencontre entre eux :

  • Les mesures devraient avoir un impact rapide et significatif ;
  • Elles devraient être simples et crédibles ;
  • Elles devraient correspondre à une demande profonde du public : aversion pour l’incertitude et sens de l’équité.

Action sur les recettes

Le niveau très élevé des recettes publiques en France ne semble laisser d’autre possibilité raisonnable que de baisser les dépenses, encore plus élevées. Il serait toutefois possible d’actionner deux leviers sans augmenter la masse des prélèvements obligatoires :

  • Le remodelage des recettes fiscales. À cet égard, le système fiscal français ne se caractérise pas seulement par sa lourdeur mais, par comparaison avec les pays de l’OCDE, particulièrement ceux de la zone euro, par le poids relativement faible qu’y occupent l’impôt sur le revenu des personnes physiques et au contraire par le poids élevé des impôts sur le patrimoine (voir Tableau 3 et Pfister, 2018). La baisse de certaines dépenses (voir plus bas) serait plus facilement acceptée par les Français si, dans le cadre d’une démarche d’ensemble visant aussi à l’équité, elle s’accompagnait d’un ajustement de la pression fiscale sur les revenus très élevés. Celle-ci pourrait prendre la forme de la suppression de niches fiscales, sans bien sûr la création de niches « en compensation », comme cela a été le cas lors de « suppressions » précédentes, dans la mesure où les titulaires de revenus élevés sont les mieux placés pour en bénéficier. Par ailleurs, un taux d’imposition marginal plus élevé qu’actuellement pourrait s’appliquer aux revenus les plus importants. En sens opposé, la CSG devrait être rendue totalement déductible, quitte à en augmenter le taux, car l’imposition d’un revenu non perçu conduit mécaniquement à des taux d’imposition marginaux supérieurs à 100%, ce qui a un effet éminemment dissuasif sur l’effort productif. Une moindre imposition du patrimoine serait également favorable à une meilleure allocation des facteurs. En particulier, la réduction très significative des droits de mutation supprimerait un frein à la mobilité géographique.
  • L’augmentation des ressources non fiscales, avec des privatisations, comme déjà indiqué par Pfister et Valla (2022). Ces dernières pourraient prendre la forme de cessions d’actifs, financiers ou pas, ou de transferts ou retours – de certaines missions au secteur privé.
Source : OCDE, https://www.oecd.org/fr/fiscalite/politiques-fiscales/brochure-statistiques-des-recettes-publiques.pdf.

Action sur les dépenses

Le tableau 4 montre la décomposition des dépenses publiques par fonction dans la zone euro et en France. Celle-ci est caractérise par le poids élevé des dépenses consacrées aux affaires économiques, au logement, à la santé, à l’éducation et surtout à la protection sociale. Dans l’esprit d’une démarche qui est aussi celle retenue par Facchini (2023), visant l’assainissement de la dette publique par la réduction des dépenses publiques, les décisions suivantes pourraient être mises en œuvre dans ces différents domaines. Elles pourraient être menées à bien selon un calendrier annoncé en même temps que chaque mesure, de façon à en soutenir la crédibilité et à en engranger l’impact positif sur l’activité le plus rapidement possible. Il ne s’agit bien sûr ici que d’esquisser de grandes orientations.

Source : Ministère de l’Economie et des Finances, https://www.budget.gouv.fr/panorama-finances-publique/comparaison-europeenne
  • Affaires économiques : éviter que des dépenses contingentes ne se transforment en dépenses effectives, notamment en accélérant le recouvrement des prêts garantis aux entreprises (Sénat, 2023), et supprimer certaines aides, notamment celles aux émissions carbonées ainsi que les exonérations de charges sociales. Ces dernières se sont élevées à 75 milliards en 2022, auxquels s’ajoutent au moins 10 milliards de manque à gagner pour la Sécurité sociale du fait des exemptions d’assiette. En outre, il est très difficile de démontrer qu’elles aient une efficacité significative et durable sur l’emploi (voir par exemple Bunel et al., 2009). Elles permettent plutôt de différer les ajustements d’effectifs inévitables à terme, en soutenant les salaires et en retardant les effets de la concurrence des économies émergentes, au prix d’une dégradation elle-même significative et durable des comptes publics. Quant aux aides aux émissions carbonées, elles sont injustifiables dans une perspective de lutte contre le changement climatique. Elles constituent aussi des mesures de type « beggar-thy-neighbour », c’est-à-dire qui visent à faire porter le poids de l’ajustement par le voisin : l’Allemagne a été contrainte d’adopter à son tour des mesures pour alléger la facture énergétique de ses entreprises. Les différentes économies s’épuisent ainsi dans une course aux aides publiques, dommageable à la fois pour leur soutenabilité budgétaire et, dans le cas des aides aux émissions carbonées, pour le climat. Or, ces dernières aides ont représenté 0,6% du PIB en France en 2022, et même 2,1% du PIB si l’on prend en compte les subventions implicites liées à la non-facturation des coûts liés à la dégradation de l’environnement et au non-recouvrement de recettes de taxes sur la consommation (Black et al. 2023). Les aides fiscales à la recherche-développement sont également un domaine d’intervention publique qui peut donner lieu à débat. La commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (CNEPI) a ainsi exprimé l’avis que le crédit d’impôt recherche (CIR), d’un coût pour les finances publiques de plus de 7 milliards en 2022, avait eu des effets positifs sur les PME, mais pas d’effet significatif établi en ce qui concerne les ETI et les grandes entreprises. En outre, il n’aurait pas permis pas de contrecarrer la perte d’attractivité du site France pour la localisation de la R&D des multinationales étrangères (CNEPI, 2021). Dans l’ensemble, un peu comme les exonérations de charges sociales, le CIR a un parfum de « combat d’arrière-garde », permettant de soutenir la compétitivité très dégradée de certaines entreprises en différant les ajustements. Dans ces conditions, à défaut de supprimer totalement le dispositif, il faut se demander s’il ne faudrait pas en restreindre le bénéfice aux entreprises les plus petites, d’autant que les impôts de production ont été allégées dans les années récentes ;
  • Logement : supprimer l’APL, d’un coût budgétaire de 13 milliards d’euros en 2022 et qui bénéficie de fait aux bailleurs en raison de l’inélasticité de l’offre de logements locatifs (Grislain-Letrémy et Trevien, 2014). Il est vrai que cette mesure pourrait créer des difficultés à court terme pour les ménages les plus fragiles, en particulier les plus jeunes. Cependant, un moyen le moins coûteux pour les finances publiques comme pour la collectivité, le plus efficace et le plus juste pour faciliter l’accès aux logement des plus jeunes est de laisser les prix de l’immobilier baisser depuis les niveaux historiquement très élevés qu’ils ont atteints, après une hausse quasi ininterrompue au cours des vingt-cinq dernières années ;
  • Santé : supprimer la prise en charge des dépenses liées à des comportements dangereux, comme ceux liés à la pratique de sports et aux accidents, notamment ceux de la route pour ceux qui en sont responsables. La charge correspondante serait transférée aux organismes d’assurance, avec obligation d’assurance pour les pratiques sportives encadrées par les fédérations ou s’exerçant via le recours à des infrastructures, comme par exemple les stades ou les stations de sports d’hiver ;
  • Éducation : réduire très significativement la part très élevée en France des dépenses administratives dans les dépenses d’éducation, avec suppression des services correspondants afin de conférer une crédibilité à la mesure, et recours plus intensif à l’informatique (les coûts de structure et d’administration représentaient en 2012 une vingtaine de milliards d’euros de plus par an en France qu’en Allemagne (Höber et Popovici, 2012). Regrouper les élèves par niveau, d’autant plus que le niveau d’enseignement progresse lui-même (donc de l’enseignement élémentaire à l’enseignement supérieur), devrait également permettre d’assurer une meilleure qualité des enseignements, de faciliter le rattrapage des élèves qui en ont le plus besoin et au total d’accroître la productivité de l’appareil éducatif ;
  • Protection sociale : s’agissant de l’indemnisation du chômage, supprimer la durée minimale d’indemnisation (actuellement fixée à 6 mois), raccourcir la durée maximale d’indemnisation (aujourd’hui comprise entre 24 et 36 mois selon l’âge) et sanctionner le refus d’acceptation d’une offre raisonnable d’emploi dès le premier refus sont des mesures qui rapprocheraient le régime français de ceux de nos partenaires européens (Unédic, 2022). Il faudrait également engager une véritable réforme des retraites, au moins pour le régime général. Cette réforme pourrait s’appuyer sur une forme de contrat, sanctionné par la loi, où tout flux négatif de trésorerie des régimes de retraite, intégrant donc à la fois les dépenses, recettes et remboursements d’emprunt constatés ou prévus, serait compensé par l’allongement de la durée des cotisations pour l’obtention d’une retraite à taux plein. En contrepartie, les régimes de retraite seraient astreints à maintenir le pouvoir d’achat individuel des retraités à partir de l’ouverture de leurs droits. Comme indiqué plus haut, si la réforme est perçue comme crédible, l’incertitude sur le niveau de vie après le départ en retraite serait réduite, permettant une baisse de l’épargne et un accroissement de l’activité à court-moyen terme.

En s’engageant dans la voie ainsi tracée, la France n’engagerait pas seulement la réduction de sa dette publique, elle encouragerait aussi ses partenaires européens à adopter des politiques d’offre du même type. Elle passerait ainsi du statut de « quasi-passager clandestin » à celui de quasi-pionnière, puisque très peu de pays en Europe ont suivi cette voie, comme ce fut le cas avec succès pour la Suède dans les années 1990.

Références

Arrondel L., Delbos J.-B., Durand D., Pfister C., Soulat L. (2020), « Pension anticipée et épargne financière des ménages », 2020, Revue de l’OFCE, n° 170, pp. 1-32, https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/08-170OFCE.pdf.

Black S., Liu A. A., Parry I., Vernon N. (2023), « IMF Fossil Fuel Subsidies Data: 2023 Update », IMF Working Papers, WP/23/169, août, https://www.imf.org/en/Publications/WP/Issues/2023/08/22/IMF-Fossil-Fuel-Subsidies-Data-2023-Update-537281.

Bunel M., Gilles F., L’Horty Y. (2009), « Les effets des allègements de cotisations sociales sur l’emploi et les salaires : Une évaluation de la réforme de 2003 » », Économie et Statistique, 429-430, 77-105, https://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_2009_num_429_1_8064.  

Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (2021), Évaluation du crédit d’impôt recherche, https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2021-rapport-cnepi-cir-juin.pdf.

Ecalle F., Fipaddict, Redoulès O. (2023), « Réforme des retraites : une résorption partielle du déficit après 2030 », Rexecode, Repères # 5, 18 avril, http://www.rexecode.fr/public/Analyses-et-previsions/Reperes-de-politique-economique/Reforme-des-retraites-une-resorption-partielle-du-deficit-apres-2030.

Facchini F. (2023), « Pour une politique d’assainissement de la dette publique par la baisse de la dépense publique », Revue française d’économie, 38(2), 115-161, https://www.cairn.info/revue-francaise-d-economie-2023-2-page-115.htm&wt.src=pdf.

Feldstein M., 1974, « Social Security, Induced Retirement, and Aggregate Capital Accumulation », Journal of Political Economy, vol. 82, n° 5, pp. 905-926.

Grislain-Letrémy C., Trevien C. (2014), « L’impact des aides au logement sur le secteur locatif privé », Insee Analyses, 19, novembre, https://www.insee.fr/fr/statistiques/1521337.   

Höber J., Popovici C. (2012), « Éducation | Analyse comparative de la dépense publique en France et en Allemagne », Institut Thomas More, Note de Benchmarking n°8,  février, https://institut-thomas-more.org/wp-content/uploads/2019/09/notebenchmarckingitm-8.pdf.

Jaillet P., Pfister C. (2022), « Quelles règles budgétaires pour quelle UEM ? », Revue d’économie financière, 146, 265-293, https://www.aefr.eu/fr/article/3973-quelles-regles-budgetaires-pour-quelle-uem.

L’Horty Y., Martin P., Mayer T. (2019), « Baisses de charges : stop ou encore ? », Note du Conseil d’analyse économique, 49, janvier, https://www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/cae-note049v4.pdf.

Pfister C. (2018), « Fiscalité de l’Épargne et Choix de Portefeuille des Ménages Français », Revue d’économie financière, n° 131, pp. 61-75, https://www.aefr.eu/fr/article/3606-fiscalite-de-l-epargne-et-choix-de-portefeuille-des-menages-francais.

Pfister C. (2023), « Motives for a retail CBDC: The Good, the Bad and the Ugly? », International Review of Financial Services, à paraître.

Pfister C., Valla N. (2022), « La dette publique française ne reçoit pas l’attention qu’elle mérite », Note Terra Nova, février, https://tnova.fr/site/assets/files/25513/terra-nova_la-grande-conversation-2022_la-dette-publique-francaise-ne-recoit-pas-lattention-quelle-merite_250222.pdf.

Sénat (2023), Prêts garantis par l’État : mieux comprendre les risques pour le budget de l’État, Rapport d’information n° 706 (2022-2023), déposé le 7 juin, https://www.senat.fr/rap/r22-706/r22-706_mono.html.

Unédic (2022), « Europ’Info 2022 : L’assurance chômage en Europe », Analyses, 14 octobre, https://www.unedic.org/publications/europinfo-2022-lassurance-chomage-en-europe.

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Christian Pfister