Aux yeux des Français, le logement ne fait pas partie des enjeux principaux de la prochaine élection présidentielle. Selon le baromètre OpinionWay, il n’arrive qu’en douzième position, bien après le pouvoir d’achat, la protection sociale, la sécurité ou l’immigration. Il serait sans aucun doute exagéré d’en déduire que la « crise du logement », dont on nous rebat les oreilles, n’est qu’un argument rhétorique utilisé par les lobbies de la construction pour appuyer leurs demandes ou par les organisations caritatives pour justifier leur existence. Il est vrai cependant que les Français sont en majorité plutôt bien logés, que les conditions moyennes de logement n’ont cessé de s’améliorer depuis plusieurs décennies, même si cette amélioration s’est accompagnée d’une augmentation de la part moyenne des dépenses de logement dans le budget des ménages. Il n’est pas moins vrai qu’une part des ménages est logée dans de mauvaises conditions, voire privée de logement, mais ces difficultés ne touchent qu’une minorité de la population, ce qui peut expliquer le relatif désintérêt constaté. Il se pourrait aussi qu’un nombre croissant d’électeurs considère qu’il s’agit d’une question qui relève des collectivités locales plus que de l’Etat. Le logement a d’ailleurs été, dans de nombreuses villes, l’un des thèmes principaux des élections municipales de 2020. Après tout, ce sont les maires qui octroient les permis de construire et les électeurs savent bien que c’est à eux qu’il faut s’adresser pour les questions relatives à leur cadre de vie. Enfin, le logement est l’un des éléments de l’Etat-providence, par le biais des aides personnelles et de l’offre de logements sociaux, ce qui peut laisser penser qu’il est en partie englobé dans les préoccupations relatives à la protection sociale, qui figure en deuxième position dans le baromètre.
Rien d’étonnant, donc, à ce que les programmes soient, dans l’ensemble, assez peu diserts sur le sujet, à une exception notable près : celui de Jean-Luc Mélenchon qui semble avoir fait siennes les revendications de l’association Droit au logement. Plusieurs thèmes sont toutefois largement évoqués : le logement social, le contrôle des loyers, la rénovation énergétique et l’aménagement du territoire. Emmanuel Macron, lui, n’a pas publié de programme : ses intentions s’inscrivent dans le prolongement de la politique pratiquée au cours du mandat qui s’achève, comme l’a confirmé Emmanuelle Wargon, qui le représentait à la séance d’auditions organisée le 9 mars dernier par l’Union sociale pour l’habitat, la Fondation Abbé Pierre, la Fédération française du bâtiment, France Urbaine et intercommunalités de France.
La plupart des candidats rivalisent d’ambition quant à leurs objectifs de construction de logements sociaux : la palme revient à Fabien Roussel et Jean-Luc Mélenchon (200 000 par an) devant Anne Hidalgo (150 000), Valérie Pécresse (125 000) et Yannick Jadot (700 000 en 5 ans soit 120 000 par an).
Rappelons que le nombre d’agréments de logements sociaux, y compris les achats de logements existants, a atteint un maximum de 120 000 en 2009 et se situe aujourd’hui à moins de 100 000 par an. Les moyens à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs fixés ne sont pas toujours indiqués, si ce n’est la baisse du taux de TVA (de 10% à 5,5%) sur la construction sociale, citée par V. Pécresse et F. Roussel, et l’abondement du Fonds national d’aide à la pierre à hauteur de 800 millions d’euros par an, répartis entre l’État, l’Action logement et les collectivités (Y. Jadot). La réduction de loyer de solidarité, qui a ponctionné les capacités de financement des organismes d’HLM en leur faisant supporter le coût d’une baisse des loyers, n’est remise en cause que par Fabien Roussel et le rôle des collectivités locales, pourtant essentiel dans la production de logements sociaux, eu égard notamment à l’accès au foncier, n’est évoqué par personne. Quant aux difficultés supplémentaires qu’imposent aux promoteurs et aux élus locaux la poursuite de l’objectif ZAN, alors qu’une large majorité des habitants en place s’oppose à la densification des tissus urbains existants, elles sont pudiquement passées sous silence, voire niées au nom d’arguments idéologiques (A. Hidalgo, Y. Jadot).
Seule V. Pécresse énonce un objectif global : la mise sur le marché de 500 000 nouveaux logements par an. Les autres candidats s’en abstiennent, ayant sans doute conscience de ce que les besoins sont localisés de façon très inégale sur le territoire et que les moyens de l’Etat de peser sur le niveau global de la production sont plus que limités.
L’obligation faite aux communes urbaines par la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU) d’atteindre un pourcentage minimal de logements sociaux est plébiscitée par les candidats de gauche. F. Roussel et Y. Jadot souhaitent même élever le seuil fixé de 25% à 30%. V. Pécresse, en revanche, a l’intention de l’assouplir « en intégrant toutes les formes de logements intermédiaires et l’accession sociale à la propriété aux objectifs de mixité de cette loi », ravivant ainsi la controverse, que l’on aurait pu croire éteinte, sur la définition du logement social prise en compte la loi pour le calcul du quota. Elle veut en outre confier au maires la politique de peuplement (c’est-à-dire la responsabilité des attributions) de logements sociaux et les encourager à construire en indexant sur la production de logements la compensation de la taxe d’habitation.
Le plafonnement des loyers est plébiscité par les candidats de gauche : tous se proposent de l’étendre et certains même de le renforcer. C’est le cas de Fabien Roussel qui fixerait les plafonds à 10% (contre 20% actuellement) en sus du loyer médian et de Jean-Luc Mélenchon qui veut encadrer « directement et partout » les prix et imposerait une décote de 20 % au loyer médian dans les zones très tendues. Tous deux entendent également contrôler de façon effective le respect du plafonnement. Sans doute ont-ils conscience de ce que – contrairement à ce que soutient Anne Hidalgo – le plafonnement n’a pas, jusqu’à présent, fait la preuve de son efficacité.
Encore faudrait-il, pour en juger, se référer à des données incontestables et ne pas prétendre, comme le fait J.L. Mélenchon, que les loyers ont augmenté de 44% en dix ans, alors qu’entre 2011 et 2021 l’indice des loyers calculé par l’INSEE a progressé de moins de 10% en France. Et même dans les zones les plus tendues, l’augmentation au cours de cette période a été relativement modérée : 15% dans l’agglomération parisienne (soit un peu plus que l’inflation) et 19% à Paris.
Personne ne semble s’inquiéter des conséquences, pourtant bien connues, de l’encadrement (raréfaction de l’offre, insuffisance d’entretien, pratiques illicites comme la vente des baux) et la difficulté d’en sortir, difficulté d’autant plus grande que l’encadrement dure plus longtemps. L’exemple de la Suède devrait pourtant donner à réfléchir : bien que les dysfonctionnements du marché locatif y soient patents, un projet d’assouplissement du contrôle a provoqué en 2021 la chute du gouvernement suédois.
Tous les candidats – à l’exception évidemment d’E. Macron – reviendraient sur la diminution de 5 € par mois de l’aide personnelle au logement, intervenue au début de la mandature. Pour faciliter l’accès des plus modestes au logement, plusieurs candidats de gauche proposent en outre de mettre en place un dispositif de garantie du paiement des loyers. Aucun n’indique sur quels principes il pourrait être établi. La question semble pourtant légitime, au vu de l’échec de la GRL (garantie des risques locatifs) mise en place en 2010 et abandonnée en 2016, dont les raisons sont parfaitement identifiées, et de la mise aux oubliettes du système de garantie prévu en 2014 par la loi ALUR. Aucun des candidats ne donne à cet égard la moindre indication.
La rénovation énergétique du parc existant figure en bonne place dans les programmes, et elle suscite un certain consensus. Le succès quantitatif du dispositif en vigueur, « MaPrimeRénov », n’est pas contesté, mais ses limites sont soulignées : 85% des primes distribuées financent des travaux d’ambition limitée, dont l’impact sur la performance énergétique est insuffisant pour permettre d’atteindre les objectifs globaux visés. Les candidats s’accordent sur la nécessité de « passer la vitesse supérieure », mais comment y parvenir ? Des moyens financiers supplémentaires sont nécessaires : F. Roussel et Y. Jadot les estiment à 10 milliards d’euros par an ; A. Hidalgo mettrait en place un nouveau dispositif dans lequel le coût des travaux serait entièrement pris en charge par les aides et remboursé au moment de la revente ou de la succession. L’obligation de rénovation pourrait être imposée, soit à tous les propriétaires (J.L Mélenchon), soit aux seuls bailleurs (Y. Jadot). Les obstacles autres que financiers, notamment la difficulté particulière posée par les travaux en copropriété, ne sont pas évoqués.
Le thème de l’aménagement du territoire est également évoqué, au travers notamment de la « dé-métropolisation » que souhaitent conduire F. Roussel et Y. Jadot. Le mot peut prêter à sourire, tant il est évident que la métropolisation résulte de la logique économique et non de décisions politiques. Mais quel que soit le vocabulaire utilisé, l’intention des candidats est d’affirmer que la politique du logement ne doit pas se limiter aux zones dites tendues, mais prendre en compte aussi les besoins des petites villes et des zones rurales, accrus selon eux par les conséquences de la crise sanitaire sur les choix résidentiels. Une préoccupation difficilement critiquable, même si elle semble parfois ressortir de la rhétorique électorale plus que d’un projet construit.
Notons enfin que le thème de l’accession à la propriété ne fait plus recette. Il n’y a guère que V. Pécresse, qui, reprenant le slogan de Nicolas Sarkozy « une France de propriétaire », en fasse l’un des axes de sa politique. Outre l’extension du prêt à taux zéro, qui serait peu efficace si les taux d’intérêt restent à leur niveau actuel, elle propose à cet effet de rétablir l’aide personnelle à l’accession.
Au terme de cette revue rapide des propositions des candidats, le lecteur s’étonnera peut-être de ne pas avoir vu mentionnés les noms de Marine Le Pen et d’Eric Zemmour. La raison en est simple : aucun des deux ne semble s’intéresser véritablement au logement, si ce n’est pour estimer que la part des immigrés parmi les locataires des logements sociaux est trop élevée. La première, qui souhaite « instituer une priorité nationale d’accès au logement social » se borne pour le reste à affirmer son intention de soutenir l’accession à la propriété avec, en complément et sans autre précision, « des mesures indispensables en faveur de la construction » ; le second veut « réserver les HLM aux Français », supprimer la loi SRU et exonérer de droits de mutation les primo-accédants modestes. C’est tout, et c’est peu.