Rembourser le Plan de Relance : l’enjeu caché des européennes

Rembourser le Plan de Relance : l’enjeu caché des européennes
Publié le 23 janvier 2024
  • Diplômé en Administration Publique de Sciences-Po Paris (promotion 2018)
Pour aider à réparer les dommages économiques et sociaux immédiats causés par la pandémie due au coronavirus, l’Union européenne a créé en 2020 un instrument temporaire de relance de plus de 800 milliards d’euros (750 milliards d’euros aux prix de 2018), connu sous le nom de « Next Generation EU ». Pour le financer, la Commission, au nom de l’Union européenne, emprunte 390 milliards d’euros sur les marchés. Elle devra commencer à rembourser ces emprunts à partir de 2028. Comment les Européens vont-ils rembourser ces sommes ?
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Entre la difficile finalisation du Pacte Vert, l’adoption des dernières directives d’ampleur avant la fin de la législature et les fausses polémiques sur les emballages, la campagne des prochaines européennes démarre très lentement. Elle risque de se résumer à des enjeux nationaux si les grandes familles politiques européennes n’expliquent pas le bilan plus qu’honorable de l’UE depuis 2019. Les candidats les plus investis dans leurs mandats, les plus conscients des rapports de force politiques, sauront-ils parler d’un grand enjeu que les décideurs européens risquent de reporter à la prochaine mandature : comment rembourser le Plan de Relance décidé en 2020 ? Si cette nouvelle grande politique économique décidée à vingt-sept a été qualifiée, de manière emphatique ou prématurée, de « tournant fédéral » ou d’intégration politique majeure pour l’UE, les réponses fiscales nécessaires pour assurer son remboursement restent aujourd’hui inabouties.

Dans ses conclusions, en date du 21 juillet 2020, suite à l’adoption du paquet budgétaire « Next Generation EU » et à la décision concomitante d’endettement à vingt-sept, les exécutifs européens ont renvoyé la réforme des ressources propres « au cours des prochaines années ». Les trois institutions – Parlement Européen, Conseil et Commission – se sont mis d’accord en décembre 2020 sur une feuille de route pour les ressources propres. Rappelons que l’UE se finançait, jusqu’en 2021, avec trois ressources principales : la « ressource traditionnelle », formule désignant les droits de douane perçus aux frontières extérieures ; la ressource TVA, calculée selon une assiette de cet impôt et simplifiée après 2021 ; et la ressource RNB (Revenu National Brut), fondée sur la richesse nationale de chaque État-membre, qui représentait l’essentiel du financement annuel pour l’UE. Pour la période 2021-2027, les rabais sur la ressource TVA ont été supprimés, mais l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède conservent des réductions sur leurs ressources RNB représentant, chaque année, 7,6 milliards d’euros au prix de 2020.

1. Comment rembourser 750 milliards d’euros ?

Dès l’adoption du Cadre Financier Pluriannuel 2021-2027, une nouvelle contribution, la ressource plastique, a été instituée : elle équivaut à 80 centimes par tonne d’emballages plastiques non-recyclés. Incitative en ce qu’elle encourage les États-membres à recycler davantage pour payer moins, elle fait l’objet de plusieurs corrections annuelles (117 millions d’euros pour la Pologne, 142 pour l’Espagne, entre autres) compensant à la fois des niveaux de PIB nationaux par tête inférieurs à la moyenne communautaire et des taux de recyclage plus faibles dans certains pays lors de sa création. Elle a rapporté 6 milliards au budget de l’UE en 2021, la France ayant payé 1,247 milliard.

Le remboursement de la dette commune exige d’identifier des ressources additionnelles. Si l’idée d’une taxe sur les transactions financières, dite Taxe Tobin, à l’échelle de l’UE, compte parmi les propositions les plus souvent mises en avant parmi les députés européens impliqués dans la définition des nouvelles ressources propres, elle ne figure pas parmi les trois nouvelles ressources identifiées par la Commission Européenne dans sa proposition du 22 décembre 2021 et dans l’actualisation de juin 2023. Dans son document de travail du 20 juin 2023 sur les ressources propres, la Commission prend acte de l’enlisement des négociations sur l’adoption de la taxe sur les transactions financières et du fait qu’un nombre limité d’Etats-membres (dix) envisage une coopération renforcée : aucune négociation au Conseil de l’UE n’a eu lieu depuis la présidence portugaise du premier semestre 2021. La Commission conclut donc à la quasi-impossibilité de sa mise en place d’ici la phase de remboursement du Plan de Relance.

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La Commission a examiné huit pistes pour des ressources propres futures sur base des critères de revenu potentiel, de simplicité et de mobilisation rapide des revenus. Sur cette base, elle propose un ensemble de trois mesures : (a) une ressource fondée sur 30% des recettes du système communautaire des quotas carbone ; (b) 75% des revenus du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) ; (c) une part des bénéfices de certaines multinationales collectés après adoption de l’accord OCDE/G20 sur la fiscalité internationale. Après négociation avec le Parlement et le Conseil de l’Union Européenne, un accord préalable a été trouvé en décembre 2022 sur les législations sectorielles liées aux deux premières sources de revenus : le MACF mis progressivement en place entre 2023 et 2034 ; et l’extension des quotas carbone à l’aviation pour les vols à destination d’un pays en dehors de l’UE et au transport maritime, couplée à un système distinct de quotas pour le bâtiment et la transport routier, cependant que les quotas carbones gratuits, rendus obsolètes par la mise en place du MACF disparaîtraient en 2034. Dans le même temps, et en cas d’accord sur une nouvelle ressource propre, un Fonds Social Climatique serait créé, en dehors toutefois du cadre du Plan de Relance, constituant désormais une partie du Budget de l’UE.

Cette proposition s’appuie sur des réglementations sectorielles existantes, comme c’est le cas pour les ressources propres historiques : les droits de douane sont des tarifs extérieurs communs, et avec une part (20% historiquement, 25% depuis le dernier Cadre Financier Pluriannuel) conservée par les États-membres pour couvrir les frais de collecte. Il faut noter que, pour les quotas carbone et leur marché transfrontalier, qui reposent sur un prix du carbone unique et une plateforme commune, les revenus sont actuellement reversés aux États-membres, ce qui limite les capacités de ressources pour l’UE. La taxe sur les transactions financières (TTF), demeurée depuis cinq ans au stade de la coopération avancée, paraît aujourd’hui renvoyée à la prochaine législature. La France, qui compte avec l’Espagne, la Belgique, l’Italie ou la Finlande parmi la dizaine de membres de l’UE appliquant un tel impôt, a orienté, par son refus d’une TTF incluant dans son assiette les produits dérivés, les travaux préalables à la mise en place d’une TTF communautaire. Son rendement est aujourd’hui estimé autour de quatre milliards d’euros par an. Une solution, en l’absence de consensus et devant le refus de certains États-membres – l’Irlande ou Chypre notamment –, pourrait être, pour les pays bénéficiant d’une TTF nationale, d’en transférer tout ou partie vers l’UE pour le remboursement du Plan de Relance. Cette idée paraît toutefois audacieuse dans un contexte de redressements nationaux des budgets des États-membres, et dans la mesure où la principale place boursière européenne, Londres, ne se trouve plus dans l’UE.

Encore une fois, les législateurs et l’exécutif communautaires en sont réduits à bâtir le Budget européen sur des ressources peu visibles par les citoyens. Actuellement, seuls les droits de douane appartiennent à l’Union. La TVA est une recette quasi exclusivement nationale quant à sa collecte et sa répartition, y compris en tenant compte de la ressource TVA destinée à l’UE. Les ressources liées à l’ETS (Emission Trading Scheme, en français : le système communautaire d’échange de quotas d’émission) sont par nature plus proches des droits de douane. La transition énergétique repose, en effet, sur un prix du carbone unique au sein de l’ETS qui, appliquant le principe de pollueur-payeur, est un coût pour les producteurs industriels et pour les consommateurs. Néanmoins, les revenus de l’ETS se différencient des droits de douane, car ils vont actuellement aux budgets nationaux, et les nouvelles ressources propres proposent un prélèvement direct à partir de la plate-forme, mais il reste à voir si les États Membres accepteront une telle proposition, mise en avant par la Commission et actuellement en discussion au Conseil. Les nouvelles propositions restent donc dans la continuité historique de ressources propres pour le Budget européen, sans prélèvement communautaire direct.

Il est à noter, que ces ressources propres ont de fait principalement été proposées par la Commission, mises en avant par le Parlement et ses députés, et qu’aucun État-membre, surtout parmi les plus importants économiquement et démographiquement, n’a souhaité, depuis la création du Plan de Relance, se positionner en médiateur sur ce sujet. Cette absence de direction politique par le troisième pouvoir déçoit, cependant que les avancées proposées par la Commission Von Der Leyen honore son bilan. L’exécutif européen, tout comme le Parlement, y gagnent en crédibilité face au Conseil et aux différents Gouvernements de l’UE, mais combien d’électeurs de juin 2024 le sauront ? Qui décrira la stratégie de la montre qui prévaut aujourd’hui au Conseil et la procrastination institutionnelle des États-membres ?

2. Quels exemples historiques suivre ?

Quelles solutions les premiers ensembles fédéraux ont-ils adopté pour financer leurs dépenses communes et rembourser leurs dettes ? Si le Plan de Relance a pu rapidement être qualifié de moment hamiltonien, en référence au premier Secrétaire au Trésor ayant accompli la mutualisation des dettes des Treize Colonies dans les jeunes Etats-Unis d’Amérique, l’UE ne forme pas un État fédéral, et n’en sera probablement jamais un, tant même les partisans d’une révision des traités n’envisagent pas de grands transferts de compétence ou de souveraineté à court ou moyen terme. Or, contrairement aux États-membres et à l’exécutif communautaire jusqu’à aujourd’hui, une des premières tâches de Hamilton fut d’inventer de nouveaux impôts en dehors des droits de douane. Un épisode majeur de son mandat, et de l’histoire fiscale des Etats-Unis, fut la Whisky Rebellion, révolte contre les accises sur ce spiritueux, premier impôt direct imaginé par le Congrès. Cette réaction, certes concentrée dans une partie de la Pennsylvanie, montre comment le transfert du pouvoir de taxation vers une nouvelle autorité peut être mal vécu par les citoyens.

Le défi reste le même pour l’Union Européenne qui existe aujourd’hui comme entité politique collectant des ressources sans administration fiscale propre Les États continuent de collecter pour l’Union, sans projets de créer un Fisc ou un Tracfin commun aux Vingt-Sept. Les remboursements du Plan de Relance rendent ce pouvoir plus présent fiscalement, bien que les propositions de nouvelles ressources propres ne changent pas cette situation politiquement : pas d’idées pour une imposition commune du capital chez tous les citoyens de l’UE, pas de projets pour transférer une partie de l’impôt sur le revenu dans chaque État-membre vers les institutions communautaires. Le « moment hamiltonien » n’a, semble-t-il, connu qu’une naissance, sans que ses architectes – les dirigeants européens – et ses laudateurs ne prennent le temps de l’expliquer aux citoyens, puis d’expliquer, dans les années qui ont suivi, ses implications. Les acteurs proposant aujourd’hui de réels impôts européens restent minoritaires, peu visibles, la situation d’un financement par les États-membres via les ressources existantes demeurant avantageuse politiquement. Mais cette situation ne peut justement pas tenir à moyen terme, devant l’ampleur des montants à rembourser dès 2028, sur trente ans. Et la Commission ne peut pas se substituer aux Vingt-Sept pour imposer les nouvelle ressources propres ou informer les citoyens européens sur le Plan de Relance, son financement et les efforts nécessaires à son remboursement.

Les  nouvelles ressources potentielles sont conçues pour être invisibles fiscalement pour les contribuables.  C’est un projet complexe qui consiste à imaginer des assiettes taxables à l’échelle continentale, facilement recouvrables et pouvant représenter des recettes consistantes. Ces nouvelles ressources respectent enfin le cadre et l’interprétation des traités régissant l’UE, selon lesquels cette entité politique ne peut pas lever directement des impôts. La Commission n’a, en l’état, pas d’autres choix, tant les députés européens les plus entreprenants sur le sujet des ressources propres, et les mouvements ou figures les plus fédéralistes, demeurent peu visibles ou insuffisamment audibles sur ce sujet.

L’Empire Allemand post-1871 peut s’analyser en miroir avec l’UE actuelle, en tant qu’entité politique supérieure à plusieurs de ses composantes (les États-Allemands/les États-membres), autre construction fédérale dont l’UE pourrait s’inspirer. Une étude historique de sa fiscalité montre que l’échelon fédéral parvint, entre 1872 et 1913, à une plus grande autonomie fiscale, les contributions des États pour manque de ressources propres ne représentant à la fin de la période plus que 2,5% des recettes du Reich. Cette réussite provint d’une hausse des tarifs douaniers et de la gestion directe par l’Empire de nombreuses taxes (sur les spiritueux, le tabac, le sucre, la bière, entre autres). Les États allemands gardaient cependant les revenus douaniers et des accises sur le tabac excédant un certain niveau, ce qui greva les recettes fédérales et rendit la dette allemande moins attractive que les dettes britannique et française (a contrario de l’emprunt à 27 de 2020, contracté dans l’idée de réduire le coût du capital pour certains États-membres). Une telle politique ne semble toutefois pas à l’ordre du jour, la révision d’ampleur de la directive sur la TVA récemment mise en place n’ayant pas prévu de transferts automatiques de cet impôt vers l’UE ou une uniformisation de ses taux entre les États-membres.

Ces deux exemples historiques achoppent sur la réalité d’une UE qui ne semble pas devoir, pouvoir ou vouloir devenir un État fédéral, mais plutôt continuer, à moyen et long terme, d’exister comme ensemble régional très intégré de coopérations économiques et politiques. Le paradoxe actuel est que ses 27 États-membres ont accepté, en 2020, de se donner de grands moyens sans faire coïncider leurs ambitions budgétaires ; impensé ou procrastination qui pourraient pénaliser leur action commune après les prochaines élections européennes.

3. Les conséquences d’une non-réforme

Dans son rapport du 25 juillet 2023 traitant de L’Impact du Budget Européen sur le Budget de l’État, la Cour des Comptes estime que la non-adoption de ressources propres d’ici 2028 contraindrait la France à relever sa contribution annuelle au budget de l’UE de 2,5 milliards sur une période de trente ans, ce qui démontre l’ampleur de l’enjeu. Plus encore, la ressource propre issue du système européen de quotas carbone devant être redirigée vers le financement d’un Fonds Social pour le Climat (FSC), un reste à charge sur le Prélèvement sur Recettes pour l’Union Européenne (PSRUE) serait à prévoir pour rembourser le Plan de Relance[1]. Le financement et les mécanismes du FSC monteront en gamme à partir de 2027, en particulier via l’utilisation des ressources du système d’échanges de quota carbone sur les transports et le bâtiment.

Le débat redeviendrait alors national, en cas de reste à charge sur la contribution française, bien que le PSRUE, en croissance depuis dix ans et formant avec le Prélèvement sur Recettes pour les Collectivités Territoriales une dépense importante et difficilement limitable pour l’État, soit peu connu et insuffisamment débattu lors des discussions budgétaires annuelles en France. Le projet communautaire s’est justement légitimé, politiquement et auprès des citoyens, en étant en apparence « neutre fiscalement » : aucun impôt européen direct n’existait, et la CEE puis l’UE se finançaient par des contributions peu lisibles (droits de douanes, ressources RNB et TVA). La perspective, après 2028, de fortes hausses des contributions nationales ne pourra que renvoyer la question vers les législateurs nationaux, dans la perspective d’un PSRUE qui deviendrait, pour la France, le quatrième poste de dépenses du Budget, derrière la charge de la dette, l’Éducation Nationale et la Défense. Pour de bonnes raisons et des dépenses nécessaires, mais selon un montant qu’il sera impossible de cacher ou de ne pas décortiquer. Le caractère non-fédéral de l’UE limite de nouveau le qualificatif hamiltonien employé envers le Plan de Relance : l’endettement est commun, pour une partie importante des 750 milliards, mais les citoyens ne penseront pas, dans les prochaines années, qu’ils paient des impôts à leur État et à l’échelon communautaire comme un New Yorkais peut percevoir la double imposition étatique/fédérale. L’enjeu budgétaire est même inversé par rapport aux Etats-Unis : là où les États doivent constitutionnellement équilibrer leur budget et où Washington peut supporter un fort déficit, l’UE s’est endettée à condition de tout rembourser sur trente ans alors que les États-membres, malgré des efforts budgétaires communs, gardent de grandes marges de manœuvres fiscales.

Une option utilisée habituellement par les États, justement, est le refinancement : l’émission de nouvelles dettes pour rembourser en partie le passif existant. Le choix d’une telle option par l’UE après 2028 se heurterait à plusieurs obstacles : des taux d’intérêts plus élevés que lors de la première émission à vingt-sept en 2020, et les hésitations de marchés financiers et prêteurs, déjà échaudés en 2022 et 2023 par les atermoiements des États-membres pour le remboursement du plan de relance. Politiquement, il paraît plus judicieux de définir comment rembourser 750 milliards avant de rajouter une certaine somme au total. De plus, un refinancement signerait un pas majeur vers une transformation institutionnel de l’UE : comme tout État souverain, celle-ci pourrait à intervalles réguliers émettre de la dette, une option qui serait sans doute refusée d’emblée par la plupart des États-membres.

Enfin, l’outil souverain du défaut, mobilisable par les États dans l’impossibilité de rembourser une dette, semble non-applicable en l’état, les règlements sur l’emprunt à vingt-sept explicitant l’obligation de remboursement, permise en dernier ressort par des hausses de contributions nationales. Un tel sabordement de la crédibilité de la signature de l’UE est-il implicitement désiré par les eurosceptiques, prompts à saboter la mise en œuvre du plan de relance, dont ils exagéreront sans doute les implications budgétaires au cours des européennes –le Rassemblement National a déjà, en 2023, affirmé que la réforme des retraites fut votée comme condition du versement d’une partie des crédits auxquels la France a droit dans le cadre de ce programme- ?

Au-delà du cadre français, le remboursement du Plan de Relance pourrait bien sûr être facilité par un renoncement, de la part de certains des États-membres contributeurs, à leurs rabais sur la ressource RNB, dont une réduction de 50% par rapport au total annuel accordé dans le dernier CFP représenterait à elle seule les 3,5 milliards de PSRUE que la France devrait payer en l’absence de nouvelles ressources propres. Les décisions relatives aux ressources propres se prenant à l’unanimité du Conseil avec une opinion du Parlement Européen, mais sont ratifiés par les parlements nationaux. Elles ont donc un ancrage démocratique national.  Les rabais sont négociés lors des discussions sur le cadre financier pluriannuel tous les sept ans, ce qui justifie la réouverture de la Décision Ressource Propre à ce moment. Il reste regrettable qu’ils ne dépendent pas d’un vote du Parlement Européen, mais du bon-vouloir des exécutifs au sein de la négociation du CFP, ce qui ne les rend pas lisibles ou démocratiques à l’échelle européenne.

L’abandon des rabais nécessiterait, dès lors, un basculement des opinions publiques allemande, danoise ou suédoise, qui devraient accepter de payer une plus grande part au budget communautaire. Quelle en est à moyen terme la probabilité ? L’exécutif suédois actuel s’est montré rigoriste budgétairement, et l’Allemagne peine déjà à mettre en place ses nouvelles dépenses militaires ou écologiques. D’un autre côté, leur faible dette, leur sérieux dans les dépenses et leurs notations triple A facilitent la crédibilité de l’emprunt contracté à vingt-sept, et le débat européen y est plus ouvert et plus clair, dans les assemblées et répandu parmi les citoyens, qu’en France. Plus encore, les États-membres possèdent un certain avantage dans la négociation actuelle du CFP. Ce cadre a jusqu’aujourd’hui facilité les demandes de dernière minute – la France demandant une stabilité de la PAC, la Finlande obtenant cent millions de fonds structurels dédiés pour ses régions septentrionales dans le dernier CFP – et l’abandon des efforts budgétaires à vingt-sept : ainsi en 2020, l’abandon des rabais sur la Ressource TVA ne s’obtint que par le maintien de ces réductions sur les ressources RNB et l’augmentation de la part des droits de douanes conservée par les États-membres de 20 à 25%. Ce dernier point compense cependant les frais importants de collecte pour les États-membres comportant de nombreux ports, lieux de perceptions de ces taxes (Belgique et Pays-Bas notamment). En l’absence d’impôts européens ou de ressources propres contrôlées et perçues à Bruxelles, les États-membres qui sont payeurs en dernier ressort, tiennent les cordons de la bourse et décident en dernier lieu des montants et limites.  

L’enjeu paraît d’autant plus important que le remboursement du Plan de Relance, à partir de 2028, aura lieu en même temps que le financement normal de l’UE avec le nouveau Cadre Financier Pluriannuel suivant celui courant de 2021 à 2027. Une tentation facile serait alors de réduire ou geler les programmes traditionnels de l’UE – PAC, fonds structurels, Erasmus, Horizon Europe… – afin de réduire les contributions nationales face à la perspective des 750 milliards d’euros à payer en trente ans. Ni la Commission, ni le Parlement, ni les États-membres ne pourront, devant l’obligation juridique de remboursement, abandonner le paiement du Plan de Relance après 2028, au cœur de leur endettement commun. Ce caractère obligatoire du remboursement figurait dès la décision « ressources propres » adoptée en 2020, et cette réponse fédérale doit conserver son sérieux, en cas de réutilisation future, envers les agences de notation et les investisseurs. Toutefois, face à l’absence de solution commune, et en cas de refus de certains pays de supprimer leurs rabais, le rabot deviendra une solution facile.

Devant ces réalités, le débat sur le remboursement du Plan de Relance, dans les prochaines années, ne saurait se clore après la campagne des élections européennes et les premiers mois de la prochaine législature. Il nécessite que les gouvernements de tous les États-membres, surtout les plus forts contributeurs, informent leurs opinions publiques sur la réalité des emprunts contractés pour une bonne cause. Le défi politique reste majeur : quel exécutif se montrera assez courageux pour expliquer aux citoyens la justesse des politiques financées par le Plan de Relance (la transition énergétique, les investissements dans l’hydrogène ou les véhicules électriques, la rénovation thermique des bâtiments) ? L’emprunt décidé en 2020 était porteur politiquement, incarnait une vision à long terme pour l’UE ; son remboursement, nécessitant d’expliquer que cet échelon de pouvoir justifie désormais le paiement d’une dette, forme le terreau d’approximations et de mensonges idéal pour tous les partis antieuropéens.

4. Rembourser ou financer ?

Jusqu’à aujourd’hui, les ressources propres de l’UE n’étaient pas affectées, et le Budget communautaire se finançait autant par des droits de douane acquittés au Havre que par des impôts payés à Madrid. En imaginant une ressource affectée pour financer un nouveau programme européen, le Fonds Social Climatique, les États-membres choisissent de rendre plus visibles les financements accrus, à l’échelle du continent, des politiques publiques à venir. La question de long terme reste de savoir si le Plan de Relance demeurera une occasion unique, 750 milliards empruntés une fois et remboursés entre 2028 et 2058, ou si les 27 (peut-être plus nombreux dans les années qui viendront) émettront de nouveau de la dette commune. Or, le marché de la dette commune à 27 est limité : les investisseurs demandent des taux d’intérêts plus élevés que pour les États-membres du fait des incertitudes sur les modalités de son remboursement et la taille, de fait limitée, des 390 milliards partagés à 27 par rapport aux dettes de nombreux États-membres. Le moment fédéral et le pas de géant prônés en 2020 n’ont pas trouvé leur aboutissement, deux ou trois ans plus tard, sur les marchés financiers. L’UE touche là une limite de son identité politique : son « moment hamiltonien » de 2020 n’a pas donné lieu à un Trésor américain ou une Agence France Trésor, ni à une administration fiscale aussi étendue et puissante que dans les États-membres. À l’ambition fédérale ou étatique d’un endettement commun n’a pas correspondu une administration communautaire de la dette, même si la Commission Européenne a pu se mobiliser pour mettre en œuvre les émissions communes de dette.

Or, si les États-membres veulent réutiliser la méthode déployée pour le Plan de Relance après 2028, ils devront, auprès de leurs électeurs, assumer des ressources propres consistantes et constantes, ou leur faire comprendre des obligations d’augmentations des contributions nationales. De la même façon, si le prochain Cadre Financier Pluriannuel veut être ambitieux et en expansion – avec une PAC stable, des fonds structurels, Erasmus et Horizon en hausse –, les exécutifs européens devront assumer ses montants et les ressources afférentes. Enfin, la perspective d’un élargissement à la Serbie, la Moldavie ou la Macédoine du Nord et, à long terme, à l’Ukraine, processus que Charles Michel a qualifié auprès du Grand Continent d’ « investissement pour la paix » ne pourra pas se faire à niveaux d’investissements stables, afin d’éviter le même écueil que lors du dernier agrandissement de l’UE, 2013, où l’entrée de la Croatie se fit en même temps que l’adoption d’un CFP en baisse par rapport au précédent. Avec le courage politique et fiscal doit venir l’honnêteté envers les citoyens, qui permettra également de contrer les discours eurosceptiques profitant de la méconnaissance du Budget de l’UE pour proposer exagérations et mensonges quant à son montant ou ses demandes lors des campagnes électorales. Cependant, le débat ne peut pas demeurer caché dans la technicité, devant les montants déjà importants des contributions nationales, et leur trajectoire appelée à croître. Au processus politique de plus grande consultation des citoyens européens doit s’ajouter une acculturation, par les médias et les dirigeants politiques, de ceux-ci aux enjeux budgétaires et fiscaux de l’UE.

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Louis Andrieu

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