Ainsi naquit la NUPES, Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale. En quelques jours a surgi l’acronyme de la discorde. Cette union de la gauche et des écologistes, qui semblait impossible pendant la campagne présidentielle, s’est nouée sans difficultés juste après. Et très vite aussi, des voix se sont élevées contre elle. Le clivage entre ceux qui la soutiennent et ceux qui s’y opposent, a une forte dimension générationnelle. Au point que certains défenseurs de l’accord revendiquent cette rupture entre générations comme l’un des aspects positifs de l’union. Ils sont enfin débarrassés des éléphants. Byebye boomer. Les millenials prennent le pouvoir. Peut-on trouver une signification politique à ce clivage ?
Il est vrai que les vieux kroumirs de la gauche et de l’écologie sont particulièrement remontés contre cette soumission de leurs partis à la France insoumise. Bernard Cazeneuve annonce son départ du Parti Socialiste dans ces termes : « l’indépendance de la nation n’a jamais signifié la rupture de ses alliances militaires ni l’accommodement avec des régimes autoritaires ou des dictatures, sur notre continent ou sur d’autres » et « la réorientation des politiques de l’Union ne saurait se traduire par la destruction du projet européen qui permettrait à d’autres de décider, à notre place, de notre destin
». François Hollande fustige un accord électoral qu’il considère comme une reddition, Jean-Christophe Cambadélis et Stéphane Le Foll sont à l’unisson et actent « la fin du parti socialiste
». Du côté des écologistes, Daniel Cohn Bendit, José Bové et Jean-Paul Besset signent dans Le Monde une tribune (L’accord des Verts avec la France insoumise est une escroquerie) qui commence ainsi « N’avez-vous pas honte, camarades d’Europe Ecologie-Les Verts ? Passer un pacte avec les souverainistes de La France insoumise, ouvrant la voie du renoncement à d’autres mouvements de pensée qui ont construit le progrès humain à travers les âges, revient, à nos yeux, à sacrifier l’essentiel : le principe démocratique ; son universalité et son intangibilité.
»
Il est tout aussi vrai que les responsables du PS qui appartiennent à la génération suivante, éprouvent un sentiment de libération à l’égard de la tutelle des éléphants et ne s’en cachent pas. Olivier Faure dit par exemple, lors du Grand Jury LCI-RTL-Le Figaro du 8 mai : « On ne parle que des barons, pas des gens modestes… ceux-là se foutent de savoir ce que pense tel ou tel éléphant
». Et Pierre Jouvet, le négociateur PS de l’accord, s’emporte : « Si la gauche en est là aujourd’hui, c’est de la faute de qui ?… Qui a fait que la gauche qui était aux responsabilités, qui avait tous les pouvoirs, s’est retrouvée écroulée ? Ce n’est pas la responsabilité de ma génération ! Je dis aux éléphants : laissez-nous faire, vous avez sabordé le parti quand il était au plus haut niveau. Maintenant ça suffit, laissez-nous avancer !
» »
Le conflit de générations est donc très clairement posé, du moins du côté des millenials. Comment l’interpréter ?
Une première différence saute aux yeux : les boomers sont des « anciens ». Ancien Premier ministre, ancien Président de la République, anciens ministres, anciens députés européens, ils ont fait leur vie et ne sont plus partie prenante. Les millenials, eux, sont au mieux députés sortants et plus souvent aspirent à le devenir. Ils en ont marre d’attendre et l’élection présidentielle a réduit spectaculairement leurs perspectives d’accès au pouvoir. Ils ont une carrière politique à construire. Ils considèrent que cet accord est une condition de leur survie politique. Banale divergence d’intérêts donc, mais cela ne suffit pas à expliquer le haut-le-cœur ressenti par les boomers. Il y a plus.
La seconde différence est aussi une affaire d’âge. C’est l’expérience vécue du « socialisme réel ». Les boomers sont nés entre 1943 et 1960, leur formation politique s’est faite au contact du totalitarisme soviétique, la question de la frontière entre social-démocratie et communisme était au cœur de tous les débats. L’idée que le contrôle total de l’Etat sur l’économie débouche sur la dictature était devenue évidente à gauche, après des décennies de confrontations et d’invectives. Et il était admis également que l’économie administrée n’apporte ni la prospérité, ni la réduction des inégalités. La social-démocratie européenne de l’après-guerre s’est construite sur ce socle. Les générations entrées en politique après la Chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’empire soviétique, n’ont pas la même culture et leur perception de la frontière entre démocratie et totalitarisme est beaucoup plus floue. Le populisme de gauche, la percée des démocraties illibérales, l’assimilation du libéralisme au néo-libéralisme ont déplacé les lignes et créé une confusion idéologique. L’oubli a fait le reste. Le goulag ? Quel goulag ? Pour la nouvelle gauche, la liberté n’est plus une vertu cardinale, et l’Etat de droit pèse parfois moins lourd qu’une souveraineté populaire réduite à l’expression du suffrage et des majorités du moment. Dans le texte de Bernard Cazeneuve, comme dans celui de Jean-Paul Besset, José Bové et Daniel Cohn Bendit, la guerre en Ukraine occupe une place fondamentale, alors qu’elle est totalement absente de l’accord signé par le Parti Socialiste et les Verts avec la France Insoumise. Un silence assourdissant.
Un dernier élément doit être pris en compte. C’est l’affaiblissement de la place du programme dans la négociation d’un accord. Le « programme » de la NUPES est sorti plusieurs jours après la signature des accords d’investiture entre les partis, qui ont occupé la plus grande partie des négociations. Le statut du « programme » ressemble de plus en plus à celui des Conditions Générales d’Utilisation (les fameuses « CGU ») que nous passons notre temps à accepter, sans les lire, pour accéder aux applications de nos smartphones. Pour la plupart des utilisateurs, valider des CGU n’est pas consentir, et personne ne réfléchit vraiment aux conséquences considérables de ces validations. Il suffit pour s’en convaincre de mesurer l’incroyable désinvolture de Julien Bayou, le patron d’Europe Ecologie Les Verts, à l’égard