En quelques interviews, les dirigeants de LR ont rompu avec la tradition républicaine de leur mouvement, au profit d’une ligne populiste et illibérale désormais clairement assumée.
Dans Le Point, Laurent Wauquiez affirme vouloir lutter contre « l’idéologie de la déconstruction » qui plongerait le pays dans la « décadence ». Il propose de supprimer toutes les autorités administratives indépendantes comme l’Arcom, qui régule les médias, l’Anses, qui régit la sécurité sanitaire, l’Autorité de la concurrence ou la Commission nationale informatique et libertés (Cnil), pour se débarrasser de l’Etat de droit, accusé d’entraver l’expression de la volonté populaire. Il dénonce une « administration politisée » qui s’est « autonomisée du politique », et utilise, comme Donald Trump, le vocable de « l’Etat profond » censé désigner les élites dissimulées qui gouverneraient le pays.
Dans le JDD, Eric Ciotti, Laurent Marleix et Bruno Retailleau font par ailleurs des propositions sur l’immigration qui s’alignent sur celles du Rassemblement National et de Reconquête. Ils souhaitent modifier la Constitution pour organiser un référendum sur l’immigration, faisant ainsi écho à la proposition de Marine Le Pen, lors de la campagne présidentielle. La portée d’un référendum sur l’immigration est particulière : celui-ci aurait sans doute pour objet les conditions d’entrée des étrangers sur le sol national, mais son effet serait beaucoup plus large puisqu’il conduirait à remettre en cause des droits fondamentaux affirmés dans notre constitution et dans la Convention européenne des Droits de l’Homme. Tel serait bien l’objectif réel d’un tel vote : changer notre constitution et, surtout, déroger aux engagements internationaux de la France sur des sujets comme le droit d’asile ou le regroupement familial, garantis par des traités internationaux. Finalement, un référendum sur l’immigration serait utilisé comme un instrument de mise en cause de la primauté de la norme juridique européenne sur la norme nationale, une manière de refuser tout encadrement juridique de la décision politique.
Il s’agit bien d’une rupture et non d’une simple évolution des positions du parti qui a longtemps été le grand parti de gouvernement de la droite française. Quelles qu’aient été les variations du parti gaulliste sur l’Europe, c’est la première fois qu’il assume pleinement une posture clairement illibérale et anti-européenne, semblable à celles de Viktor Orban ou de Marine Le Pen.
Ces prises de position sont explicitement présentées comme le signe d’une unité retrouvée du parti, après la cacophonie des élus LR lors du vote de la loi sur les retraites. Et si le message est celui d’un défi lancé au Président de la République, elles signent surtout l’abandon de l’idée d’un gouvernement de coalition avec les partis macronistes et l’esquisse d’une alliance entre droite et extrême-droite pour la prochaine présidentielle. La direction des Républicains a donc tranché le nœud gordien du choix entre participation et opposition, malgré le fait que ses députés aient voté près de 70% des textes présentés à l’Assemblée nationale par le gouvernement d’Elisabeth Borne, et que les sympathisants LR soient 48% à se montrer favorables à une alliance entre les deux forces politiques.
L’électorat LR éparpillé façon puzzle
Les Républicains sont confrontés, comme le parti socialiste à gauche, à un effondrement de leurs résultats électoraux depuis l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République en 2007. Celui-ci avait obtenu 31,18% des suffrages au premier tour en 2007 et 27,2% en 2012 ; François Fillon fit 20% en 2017, Valérie Pécresse 4,78% en 2022, et Laurent Wauquiez est crédité en moyenne de 6% des intentions de vote pour la présidentielle de 2027, par les différents instituts de sondage. Cette évolution est confirmée par les résultats et les intentions de vote aux européennes en faveur des Républicains : 20,81% en 2014, 8,48% en 2019, et une prévision de 8% selon l’IFOP en 2024. Le constat est sans appel : malgré une certaine résistance aux élections locales, LR décroche.
La stratégie qui vient d’être choisie est clairement celle d’une concurrence frontale avec le RN sur son thème de prédilection, l’immigration, et ses corollaires, la préférence nationale, la remise en cause des traités européens et du droit international. Avec cette stratégie, LR peut-il améliorer son potentiel électoral, ou va-t-il au contraire continuer à le dégrader, au risque de devenir un parti marginal dans l’arc politique français, voire à terme un petit satellite du RN ?
Pour répondre à cette question, il faut bien sûr prendre en compte le fait qu’un sympathisant républicain sur deux est favorable à la participation au gouvernement, mais surtout revenir à ce qui distingue fondamentalement l’électorat LR de l’électorat RN, pour constituer le socle de l’identité politique de LR. L’enquête Fractures françaises d’Ipsos pour Le Monde et le Cevipof permet d’identifier les spécificités de cet électorat (tableau 1).
Tableau 1 – Attitudes politiques selon la proximité partisane
Ensemble | LREM | LR | RN | Reconquête | |
Libéralisme culturel, humanisme | |||||
Rétablir la peine de mort | 48 | 34 | 55 | 82 | 68 |
Le régime démocratique est irremplaçable, c’est le meilleur système possible | 70 | 89 | 78 | 50 | 58 |
Immigration, Islam | |||||
Il y a trop d’étrangers en France | 66 | 56 | 88 | 95 | 98 |
La religion musulmane est compatible avec les valeurs de la société française | 40 | 44 | 24 | 17 | 8 |
Egalité, justice sociale | |||||
Il faut renforcer la protection des salariés | 49 | 26 | 24 | 54 | 29 |
Plus il y a de riches et plus cela profite à l’ensemble de la société | 41 | 59 | 63 | 40 | 61 |
Pour établir la justice sociale, il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres | 59 | 42 | 30 | 58 | 27 |
Ouverture au monde | |||||
La mondialisation est une menace pour la France | 59 | 28 | 55 | 82 | 81 |
Pour réduire le nombre de chômeurs il faut réduire le nombre d’immigrés | 41 | 26 | 46 | 73 | 79 |
L’appartenance de la France à l’Union européenne est une bonne chose | 57 | 92 | 68 | 26 | 21 |
Les deux électorats sont proches sur l’immigration et l’islam, mais sur toutes les autres attitudes politiques, les distances sont nettes, voire spectaculaires. La divergence des sensibilités politiques apparaît clairement sur les questions économiques et sociales où les sympathisants RN expriment leur préférence pour l’égalitarisme et le développement de l’Etat-providence ; et sur le libéralisme culturel, où les sympathisants LR sont beaucoup plus proches des centristes que de l’extrême-droite. Mais c’est sur l’Europe et l’ouverture au monde que le clivage est le plus sensible. L’attachement à l’Europe de l’électorat LR rend problématique la stratégie de rupture choisie par les dirigeants du parti, à mesure qu’apparaîtront les conséquences de cette rupture pour la construction européenne et la place de la France dans l’UE.
Un suicide politique ?
On voit bien quel est le calcul politique qui sous-tend le nouveau positionnement de LR : l’union de la droite et de l’extrême-droite, la volonté de tracer une forte démarcation avec la macronie, l’espoir de reconquérir l’électorat LR qui a rejoint Éric Zemmour ou Marine Le Pen, la perspective de Matignon en cas de victoire de celle-ci à la présidentielle de 2027, voire la chimère que Laurent Wauquiez puisse la détrôner en quatre ans, pour devenir le champion des droites unies. Mais ses dirigeants semblent avoir fait l’impasse sur l’essentiel : la réaction de leur socle électoral à une stratégie d’opposition frontale à l’Union européenne et de ralliement à l’illibéralisme. Car une fraction significative de leur électorat ne les suivra pas sur ce chemin.
Ils risquent en outre de s’aliéner un peu plus l’électorat de centre-droit qui leur fut toujours nécessaire pour accéder au pouvoir et qui les a déjà partiellement abandonnés au profit de la macronie. La droite de gouvernement allait hier de Simone Veil à Charles Pasqua, d’Alain Juppé à Philippe Séguin, de Jean-Pierre Raffarin à Nicolas Sarkozy. Sa force résidait dans sa capacité à réunir ces diverses sensibilités autour de quelques convictions fortes – dont la construction européenne et la confiance dans l’économie de marché. Elle achève aujourd’hui de rompre la matrice de sa puissance passée et s’aventure dans une course à la radicalisation qui risque de la condamner à un petit réduit politique.
On peut légitimement se demander si le calvaire électoral de LR ne va pas se poursuivre, tant le RN a construit une base électorale solide et difficile à atteindre, tandis que Reconquête fixe toujours un électorat plus radical politiquement et plus libéral économiquement. Rompre avec ses racines et oublier ses électeurs est la pire des solutions pour un parti politique. Abandonner la République quand on se dit républicain est un choix hasardeux.