La surélévation est une densification douce

La surélévation est une densification douce
Publié le 6 mars 2024
Solution originale pour développer des projets immobiliers tout en rénovant l’ancien, sans consommation de foncier, la surélévation est une pratique ancienne, ancrée dans les paysages urbains. Elle peut aujourd’hui répondre aux besoins de rénovation du patrimoine et de création de logements dans les centres urbains par la contribution à une densification douce, soucieuse de l’environnement.
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Depuis toujours, les villes ont grandi en ajoutant un ou plusieurs étages à leurs bâtiments, bien souvent en milieu occupé. La surélévation agit par touche, sans excès, elle peut être menée en respectant le patrimoine et les formes urbaines. Parmi ses nombreux avantages, elle permet la création de nouveaux mètres carrés au plus près des besoins (zones denses avec une proximité des transports et équipements), en favorisant le développement de la végétalisation et la protection de la biodiversité.

De plus, au-delà de son impact sur la réduction de l’étalement urbain, la surélévation contribue au « Zéro Artificialisation Nette » (ZAN) des territoires, objectif inscrit dans la loi Climat et Résilience de 2021, en préservant les espaces naturels, agricoles et forestiers. En production immobilière classique, la surface moyenne artificialisée par logement dans l’habitat collectif est de 437m² 1.

La vente du droit à construire, lié à la surélévation, permet également de contribuer au financement des travaux de rénovation énergétique du bâtiment surélevé. Il s’agit donc d’un atout pour l’amélioration des performances des bâtiments alors que de nombreux copropriétaires ne sont pas en capacité de financer ces travaux. Par ailleurs, la quasi-totalité des projets de surélévation nécessite la présence d’un ascenseur. S’il n’existe pas, il est ainsi créé à cette occasion ce qui permet aussi de rendre les logements existants plus accessibles, et notamment de faciliter le maintien à domicile des personnes âgées. Pris en charge par l’opérateur réalisant l’opération, ces travaux sont, sans surcoût pour les copropriétaires.

Enfin, les opérations de surélévation, systématiquement couplées à une rénovation de l’existant, permettent de requalifier des patrimoines voire des quartiers complets en favorisant le recours à des solutions hors-site et bas carbone. A titre indicatif, nous avons analysé, depuis 2017, plus de 17 000 adresses et identifié plus de 3000 projets potentiels sur l’ensemble du territoire national représentant près de 35 000 logements à développer.

Histoire de la surélévation

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Dans l’histoire des villes, la norme a longtemps été celle de la surélévation, plutôt que de l’étalement urbain. Au Moyen-Âge, les remparts et les murs qui les protégeaient empêchaient cet étalement. Les villes se construisaient alors sur elles-mêmes avant d’aller chercher des terrains vierges plus loin. Comme l’écrit François Loyer, historien de l’art et de l’architecture : « Dans une ville dont les limites restaient fixées par l’éloignement des distances, au rythme de la marche à pied, le procédé primordial de densification restait la surélévation, dès que l’occupation des sols avait atteint ses limites. »2

Des réglementations sur la hauteur des bâtiments existaient dès le XVIIe siècle, témoignant de la tendance à la surélévation du bâti. Par exemple, la place Dauphine à Paris, créée à cette époque, est composée d’immeubles ayant été surélevés plus d’une fois. Plusieurs facteurs expliquent cette préférence pour la surélévation au fil des siècles, parmi lesquels l’évolution des réglementations en faveur de l’élévation du bâti et l’intérêt économique que confèrent de tels travaux. L’augmentation de la demande de logements due à la croissance de la population a orienté les choix urbanistiques vers la surélévation. Grâce aux progrès techniques, ajouter des étages devient plus simple en raison des matériaux utilisés (bois, métal ou béton armé à partir de 1920).

Enfin, les évolutions urbanistiques et réglementaires furent aussi des accélérateurs de surélévation. L’exemple parisien est caractéristique, avec une évolution progressive et homogène des formes urbaines jusqu’à la fin du XIXe siècle, notamment pour les hauteurs verticales des façades. C’est à partir du règlement d’urbanisme de 1884 que les évolutions des parties supérieures, combles et toitures, ont fait naître les premières disparités et problématiques de voisinage entre bâtiments construits à des époques distinctes.

La modification des profils autorisés en toiture (1884) puis la règle de hauteur proportionnelle à la largeur de la rue (1902) et l’arrivée massive de l’ascenseur vont conduire à un exhaussement massif des constructions. Durant la première moitié du XXe siècle, les bâtiments atteignent une hauteur maximum de 30 mètres, proche des 31 mètres habituellement observés de nos jours. Sur l’ensemble des permis de construire déposés entre 1876 et 1939 à Paris, 18 % concernent des surélévations, avec un pic à 23 % entre les deux guerres3.

Les dépassements des plafonds de hauteur, caractéristiques du règlement de 1967, ont conduit à plus de démolitions que de surélévations à proprement parler, notamment à cause dela liaison que faisait ce règlement entre la hauteur des bâtiments et leur retrait par rapport à l’alignement de la rue.

Le plan d’occupation des sols (POS) de 1977 réinterroge le bâti existant et opère un retour à des formes urbaines plus homogènes tout en limitant les constructions par un coefficient d’occupation du sol (COS) adapté aux tissus constitués. Le Plan local d’urbanisme (PLU) de 2006 prolonge ce retour à la ville et au paysage urbain constitué en privilégiant les gabarits contrôlés issus du tissu existant et un zonage simplifié où le COS est généralement de 3 (surface constructible = 3 x la surface de la parcelle). C’est avec la suppression du COS en 2014 due à la loi ALUR, augmentée de dérogations possibles en adossement d’immeubles mitoyens plus élevées, que la surélévation redevient une opportunité pour beaucoup de propriétaires, notamment à Paris.

Le nouveau « PLU Bioclimatique » de Paris devrait contribuer à favoriser le mouvement croissant de la transformation des toitures. Le toit est le principal échangeur thermique du bâtiment, sa transformation est indispensable pour lutter contre les îlots de chaleur et rafraîchir les bâtiments. Aller plus loin dans l’obligation de végétaliser les toits, dans l’intégration de système de production d’énergies renouvelables et de leurs usages mixtes, publics et privés, sont autant de pistes à développer.

Les freins à la surélévation

Le mode de détention des immeubles limite la possibilité de les surélever. La plupart des projets sont portés par des mono-propriétaires. Mais, avec environ 28 % des logements en copropriété, et des taux bien plus importants dans les grandes villes, les barrières à la surélévation sont considérables.

Les évolutions juridiques ont assoupli les règles, en transformant le droit de veto de certains copropriétaires en droit de priorité, et en abaissant les majorités en zone de préemption urbaine. De là sont nés les premiers projets de surélévation, perçus d’abord comme une aubaine financière, avant d’apparaître comme une source de financement de la rénovation globale en copropriété.

Au-delà des freins administratifs et juridiques, pour faciliter l’acceptation du principe de la surélévation, il convient de changer les représentations. La densification n’est pas synonyme de proximité, de compacité à tout prix. Surélever n’est pas sur-occuper, bétonner ou construire des immeubles de grande hauteur, mais optimiser l’espace qui est à notre portée.

Quand on ajoute 5 à 10 logements lors d’une opération de surélévation, l’impact sur la densité existante est quasiment nul. Il s’agit bien d’une densification douce. Par exemple, si une collectivité décidait de valoriser les potentiels d’une rue comportant 100 bâtiments, seul 10% d’entre eux seraient éligibles, pour produire une cinquantaine de logements. Cela représenterait une augmentation de 0,025%4 sur la densité bâtie existante avec pour principal bénéfice la création de nouveaux logements au plus près des besoins, là où il n’existait plus aucune opportunité. C’est pour cette raison que les villes ont toujours privilégié la surélévation et continueront à le faire.

La création de logements et la rénovation globale par la surélévation

La surélévation n’est pas anecdotique. Il existe un espace urbain non exploité et pourtant disponible pour servir les objectifs essentiels à la vie urbaine tels que la création de nouveaux logements, la rénovation énergétique des bâtiments ou l’aménagement de toitures végétalisées. Et cela concerne tout particulièrement le secteur du logement social et de la copropriété.

Par sa configuration, le patrimoine des bailleurs sociaux est particulièrement bien adapté à la surélévation. Il est indispensable de coupler une opération de surélévation à une rénovation du bâtiment existant, pour apporter aux locataires une amélioration de leur qualité de vie. Il serait donc utile de généraliser l’audit des potentiels de surélévation des bailleurs sociaux dans le cadre de leur Plan de Stratégie Patrimoniale (PSP). Par exemple, sur 2200 immeubles de logement social étudiés sur la ville de Lyon, 13% sont disponibles à la surélévation, dans le cadre des règles urbaines en vigueur, ce qui représente un potentiel de 3 000 logements à créer. À ce jour, la création de 350 logements a été engagée, dont 100 sont en chantier avec l’appui financier de la Métropole, au titre de la sobriété foncière.

Par extrapolation, l’analyse du patrimoine d’une cinquantaine de bailleurs sociaux sur l’ensemble du territoire, montre que 10% des résidences sont, en l’état actuel des règlements d’urbanisme, éligibles à la surélévation, représentant un potentiel de 50 000 nouveaux logements sociaux, sans achat de foncier.L’enjeu est de mobiliser en priorité ce foncier « immédiat » dans les 5 prochaines années combiné aux opérations de rénovation sur les étiquettes énergétiques dégradées d’ici à 2030. Il faudrait ainsi rendre obligatoire l’analyse des potentiels de surélévation avant toute opération de réhabilitation pour favoriser la mutualisation des coûts et l’acculturation du secteur de la construction à cette nouvelle démarche. C’est cependant un vecteur de croissance non négligeable pour des entreprises qui font face à la raréfaction des constructions neuves en développant un savoir-faire spécifique mêlant construction neuve et réhabilitation.

Le secteur de la copropriété peut s’inscrire dans la réalisation de ces objectifs. Longtemps boudés par les investisseurs et les architectes, car complexes et chronophages, les projets en copropriété se limitent souvent à des travaux mineurs tels que des ravalements de façade, alors même que la rénovation par la surélévation peut être une source d’innovation et de création architecturale.

Le financement de la rénovation énergétique est, à ce jour, très complexe. Les banques ne sont pas capables d’octroyer des prêts collectifs permettant l’étalement de l’effort financier d’une rénovation lourde. Les dispositifs d’aides sont généralement individualisés, liés aux revenus des propriétaires, attractifs pour certains mais pas pour tous, leur impact est difficile à mesurer. Or, quand cela est possible, valoriser le bien commun d’une copropriété en exploitant un droit à bâtir résiduel peut apporter une aide essentielle au lancement d’un programme de rénovation énergétique globale.

700 000 copropriétés sont recensées en France, dont 300 000 dans les grandes métropoles. On estime que 30 000 d’entre elles sont surélevables ce qui permettrait de produire près de 150 000 logements.  

Cependant, un projet de surélévation en copropriété est un montage complexe qui se déroule en plusieurs assemblées générales. Cela se formalise par la cession d’un droit à construire sous forme d’un lot transitoire de copropriété, qui augmente mathématiquement le nombre de tantième existant. Il en résulte une baisse de charges générales automatique par l’accroissement du nombre de lots.

Appartenant à tous les copropriétaires, le foncier aérien permet par sa valorisation de participer au financement de tout ou partie des travaux de rénovation de l’immeuble qui sont menés en même temps que ceux de la surélévation de l’immeuble pour bénéficier d’économies d’échelle sur les frais, honoraires et échafaudages.

En proposant un tel schéma, débouchant sur un permis de construire unique de rénovation et surélévation, la garantie financière d’achèvement que porte le promoteur est étendue aux travaux sur l’immeuble, ce qui est une sécurité complémentaire pour les copropriétaires.

L’évaluation du droit à construire, est abordé à rebours, en fonction de la valeur immobilière générée par la vente des droits à construire, c’est-à-dire des futurs biens qui seront créés en toiture.

Après comptabilisation de tous les coûts et recettes, en limitant la marge nette promoteur à 10%, le delta résultant revient à la copropriété pour financer ses travaux de rénovation en compensation de la création des nouveaux appartements sur son toit.

Les opérations de rénovation par la surélévation génèrent un double avantage pour l’opérateur immobilier. D’une part une augmentation de son chiffre d’affaires par l’intégration des travaux de rénovation globale. D’autre part, n’ayant pas de portage foncier, le taux de rendement interne des fonds propres de l’opération est nettement amélioré par rapport à une opération classique.

Malgré tout, nous recensons aujourd’hui peu d’opérateurs immobiliers qui savent réaliser de petits projets (5 à 10 logements), qui savent gérer des travaux en milieu occupé et qui apportent une expertise pour la rénovation globale de l’existant.

La rénovation globale par la surélévation a un potentiel considérable, mais la transformation du secteur immobilier n’est pas encore au rendez-vous, tant il est ancré dans des opérations de volume, la construction hors sol, la réhabilitation lourde, voire la démolition-reconstruction.

Au global, la vente du droit à construire correspondant, pourrait permettre d’apporter un financement de la rénovation énergétique à hauteur de 4.5 milliards d’euros5 en complément des aides gouvernementales et locales. De plus, une partie de ces 30 000 opérations de surélévation intégreront, la création d’un ascenseur, améliorant ainsi l’accessibilité des logements existants.

Passer de l’expérimentation à la généralisation

L’exploitation des données géographiques permet aujourd’hui de construire automatiquement une donnée jusqu’alors inédite : la mesure du foncier aérien6. C’est sur cette modélisation qu’a été conçu le service que nous opérons. Cette application reconstitue en 3D la morphologie des bâtiments existants. Croisée avec la donnée réglementaire, elle permet de valider, en un clic, un potentiel de surélévation sur une adresse donnée.

Cet outil intéresse aujourd’hui les collectivités locales dans la perspective de la relecture de leurs plans locaux d’urbanisme. La question de savoir combien de mètres carrés sont réalisables en application des règles d’urbanisme est souvent posée aux élus. C’est une question complexe parce que les PLU ne sont pas faits pour cela au départ, pensés plutôt pour contrôler et mettre en application une politique urbaine, mais négligeant leurs applications réelles sur les bâtiments existants.

C’est pourquoi, nous avons travaillé sur une analyse à grande échelle des territoires, au service des collectivités locales, comme l’Eurométropole de Strasbourg. Nous avons conduit une étude portant sur l’ensemble des bâtiments, quel que soit le type de propriété. Nous avons ainsi détecté un gisement considérable de valorisation des droits à construire en surélévation du bâti existant cochant la case ZAN, la case rénovation énergétique bien sûr, mais également la case création de logements au plus près des besoins, au regard des investissements portés par la collectivité en matière de transports en communs, bref un large gisement de co-bénéfices.

Il existe même un potentiel de surélévation dans les secteurs patrimoniaux des villes françaises. Pour la métropole de Nice, nous avons travaillé avec l’architecte des bâtiments de France et avec l’appui de la collectivité. Nous avons ainsi partagé tous les potentiels détectés en 3D, issus de notre logiciel. Dans le Secteur de Protection Renforcé (SPR) de la ville, nous avons passé en revue 200 bâtiments. Alors que la règle prévoit que la surélévation est interdite, sauf avis contraire des ABF, nous avons identifiés 60 bâtiments, qui ont été retenus, un chiffre conséquent pour une ville dense comme Nice. Avec une taille moyenne de projets permettant la création de 5 à 7 logements, ce sont plus de 350 logements qui sont devenus autorisables. Cela reste, certes, limité, mais intéressant en cœur de ville.

La connaissance de ces gisements permet ainsi de contacter ensuite différents types de propriétaires, les copropriétaires, les propriétés tertiaires et les bailleurs sociaux. Pour les collectivités, la surélévation offre l’opportunité de vraiment bâtir « la ville sur la ville », avec une valorisation de l’investissement public.

Fers de lance de la croissance française, le bâtiment et l’immobilier sont entrés en crise. En parallèle, l’aspiration des citadins à des aménagements plus « verts » est toujours plus forte : partout, sont mises en place des politiques urbaines en faveur de la sobriété, de la rénovation et de la biodiversité. La surélévation peut s’intégrer à ce changement de paradigme et redonner un peu d’oxygène au secteur de la construction.

Partage de l’espace, partage des charges, partage des gains : tel est le triptyque propre à la surélévation, avec un intérêt tout particulier, à ce jour, pour les copropriétés et les bailleurs sociaux. Afin de prouver que le foncier aérien et les toits peuvent contribuer à rendre la totalité de l’espace urbain habitable et accessible au plus grand nombre.

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Didier Mignery