À l’image des précédentes conventions citoyennes (celle sur le climat en 2019 ou celle sur la fin de vie en 2022), le mandat qui leur a été confié était particulièrement large comme l’évoque la question posée par le Premier ministre, François Bayrou, dans sa lettre de saisine : « Comment mieux structurer les différents temps de la vie quotidienne des enfants afin qu’ils soient plus favorables à leurs apprentissages, à leur développement et à leur santé ? ».
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), en charge de l’organisation de ce type de dispositifs délibératifs depuis la loi organique de 20211, a ainsi accueilli les conventionnels pendant sept week-ends, du 20 juin au 23 novembre 2025. Les citoyennes et citoyens ont été tirés au sort dans toute la France et la diversité du panel a été assurée par l’équilibre de six critères socio-démographiques ainsi que le recrutement de neuf personnes par l’association ATD Quart Monde2. Afin d’aboutir à un rapport riche d’une centaine de pages, les conventionnels ont alterné des séances de délibérations en plénière à 133, en sous-groupe thématique à 30 ainsi qu’en groupe plus restreint de 10 personnes. Tout au long du processus, des auditions d’experts, de parties prenantes, et d’acteurs de terrain ont permis d’éclairer les participants sur une grande variété de thèmes allant de la chronobiologie au tourisme en passant par l’éducation populaire, la coordination des acteurs, ou encore le harcèlement3.
Le Comité de gouvernance de la Convention, présidé par Kenza Occansey, vice-président du CESE en charge de la participation citoyenne, a précisé le cadrage en excluant de la discussion la petite enfance (0-3 ans) et en affirmant que le bien-être et les droits de l’enfant devaient constituer un principe directeur de l’articulation des temps de l’enfant. Néanmoins, ce Comité, ainsi que la présidence du CESE ont adopté une posture de retrait quant au fond des débats durant toute la convention4.
Une fois réunis, les citoyens tirés au sort ont rapidement dressé un premier constat : l’organisation de la vie des enfants est trop largement déterminée par des contraintes extérieures. D’après leur rapport, le rythme soutenu, imposé par une société valorisant fortement la productivité et la performance, porte atteinte au bien-être et au développement des enfants. Ainsi, la Convention ne s’est pas limitée à réimaginer des emplois du temps. C’est l’ensemble du modèle éducatif et des temps en dehors de l’école qui ont été discutés pour repenser le contenu et l’organisation de la vie des enfants de 3 à 18 ans.
Les propositions de la Convention peuvent être appréhendées à travers trois grands axes. D’abord le modèle éducatif devrait valoriser une plus grande diversité d’apprentissage et d’autres manières d’apprendre. Ensuite, l’organisation des temps de l’enfant devrait être profondément repensée pour tenir compte de leurs besoins chronobiologiques et assurer une meilleure continuité entre les différents temps. Enfin, cette réorganisation nécessite une coordination renforcée entre les acteurs de l’enfance au sein d’un modèle de gouvernance plus participatif et stable dans le temps.
Valoriser une plus grande diversité d’apprentissage et d’autres manières d’apprendre
Une première idée essentielle portée par la Convention serait que le développement de l’enfant repose sur une diversité d’apprentissage, qui ne se limite pas aux seuls enseignements fondamentaux. Ainsi, les conventionnels ne se sont pas limités à penser l’organisation du temps, ils ont considéré que cette réflexion ne pouvait être dissociée de celle portant sur le contenu même de ces temps, adoptant de ce fait une interprétation souple de leur mandat5. Les propositions de la Convention cherchent donc à valoriser d’autres compétences comme d’autres formes d’apprentissage.
Pour cela, les conventionnels proposent d’élargir le socle commun de connaissances afin que l’école reconnaisse pleinement la diversité de savoirs, au-delà des disciplines traditionnelles. Dans cette perspective, les compétences pratiques seraient aussi valorisées que les enseignements théoriques. Les activités artistiques et sportives seraient intégrées au cœur du parcours, non comme « compléments » mais comme composantes éducatives à part entière.
Des ateliers permettraient d’acquérir des compétences de la vie quotidienne (bricolage, démarches administratives, gestion de l’argent, méthodologie ou vie citoyenne) afin de mieux préparer les enfants à leur vie d’adulte tout en luttant contre la reproduction des stéréotypes de genre. L’usage des écrans ferait aussi l’objet de nouveaux enseignements, afin d’accompagner progressivement l’enfant à une utilisation limitée et raisonnée.
De plus, des projets interdisciplinaires sur le temps long permettraient de mettre en pratique collectivement une diversité de connaissances théoriques acquises durant l’année. Par exemple, la création d’un potager permettrait d’associer des savoirs acquis en mathématiques, en chimie et en sciences de la vie et de la terre, autour d’un projet commun sensibilisant l’enfant aux enjeux écologiques. L’objectif est de redonner du sens aux apprentissages pour susciter à nouveau l’envie d’apprendre, de s’engager collectivement et de limiter le décrochage scolaire.
Pour accompagner cette diversification des apprentissages et des méthodes, les conventionnels recommandent d’ouvrir davantage l’école à d’autres acteurs et à d’autres lieux. Un vivier d’intervenants, comprenant des personnels des milieux associatifs et des professionnels locaux, pourrait être régulièrement intégré aux enseignements pratiques, contribuant ainsi à rapprocher les savoirs scolaires de la réalité quotidienne. Cette ouverture concernerait aussi les espaces car, de façon progressive à partir du collège, certains enseignements pourraient se dérouler hors de l’établissement.
Cette ouverture se traduirait également par un séjour annuel proposé obligatoirement par les établissements scolaires. Il s’agirait de voyages éducatifs dédiés à des projets collectifs, conçus en lien avec les équipes pédagogiques et les acteurs d’un territoire afin de prolonger les apprentissages à l’extérieur de l’école. Enfin, les établissements seraient davantage ouverts en dehors du temps scolaire afin que les élèves puissent travailler, s’informer et utiliser du matériel sans dépendre uniquement du cadre familial.
L’élargissement des apprentissages et des méthodes a conduit les conventionnels à repenser l’organisation des différents temps de la vie des enfants pour garantir une meilleure continuité.
Réorganiser les temps de l’enfant pour s’adapter à sa chronobiologie
La deuxième idée centrale, qui émane des travaux de la Convention, vise à réorganiser les temps de la vie de l’enfant pour favoriser une continuité entre les temps scolaires, périscolaires et extrascolaires, tout en garantissant des temps libres de qualité au service de leur bien-être et de leur développement.
Les conventionnels recommandent une réorganisation de la journée fondée sur une alternance entre les apprentissages théoriques et pratiques. Les cours théoriques seraient concentrés le matin, période de la journée durant laquelle la capacité d’attention est la plus élevée. L’après-midi serait consacrée aux apprentissages pratiques déjà évoqués : projets interdisciplinaires, ateliers de la vie quotidienne, activités sportives ou culturelles, etc.
À partir du collège, les cours ne commenceraient pas avant 9h, et les enseignements pratiques prendraient fin à 15h30. Le temps restant permettrait d’effectuer les devoirs dans un cadre serein, limitant les inégalités d’accompagnement entre les élèves. Les associations sportives et culturelles du territoire proposeraient gratuitement des activités choisies par les enfants lors d’un « forum des associations » organisé au sein de chaque établissement en début d’année. Au lycée, un enseignement théorique supplémentaire prolongerait la journée jusqu’à 16h30.
Au collège comme au lycée, la Convention souhaite réduire la durée effective des cours à 45 minutes et assurer entre chacun des pauses régulières afin de s’adapter aux capacités d’attention des enfants.
Cette nouvelle répartition de la journée conduit la Convention à adapter l’organisation du temps à l’échelle de la semaine et de l’année. Elle propose ainsi d’instaurer une semaine de cinq jours sur tout le territoire, du lundi au vendredi, de l’école élémentaire au lycée. Le mercredi suivrait la même structure que les autres journées, à l’exception de l’après-midi, qui pourrait être plus largement dédié à des apprentissages pratiques sans lien direct avec les enseignements théoriques du matin.
À l’échelle de l’année, la Convention propose de passer de trois à deux zones de vacances scolaires. Cela permettrait que certaines zones n’aient pas moins de six semaines de cours entre deux périodes de vacances, ni plus de huit semaines (contrairement à cinq ou neuf semaines aujourd’hui). Avec cette proposition, l’objectif est d’améliorer la régularité des rythmes de l’enfant tout en tenant compte des contraintes économiques et des infrastructures touristiques.
Si le volume annuel de vacances resterait inchangé, les conventionnels souhaitent que le mois de juin redevienne pleinement un temps d’apprentissage, sans départ anticipé lié aux examens des niveaux supérieurs. Par ailleurs, plusieurs propositions viseraient à fluidifier les transitions à l’échelle de l’année. L’arrivée au début du collège et du lycée ferait l’objet d’un temps d’intégration pour faciliter l’adaptation des élèves. La rentrée scolaire serait échelonnée sur une semaine et lorsque le Nouvel an serait trop proche de la fin des vacances, la rentrée de janvier serait repoussée de quelques jours afin de permettre un réel repos.
La réorganisation des temps proposée par la Convention vise également à accorder une place plus importante au temps libre, en l’améliorant et en le rendant plus égalitaire. Le matin, un accueil échelonné serait proposé pour permettre aux élèves d’arriver à leur rythme, avec des activités facultatives et un petit-déjeuner gratuit. La pause méridienne deviendrait un véritable temps de respiration : une durée minimale d’une heure et demie, dont 30 à 45 minutes entièrement consacrées au repas, dans des espaces plus agréables car agrandis, insonorisés et ouverts vers l’extérieur. Ce temps long garantirait aux enfants la possibilité de se défouler, de s’ennuyer, de se reposer ou de participer à des activités facultatives.
Pour favoriser un temps libre de meilleure qualité en rentrant chez soi, les devoirs seraient majoritairement réalisés à l’école. Cela viserait aussi à réduire les inégalités d’accompagnement dans le travail individuel liées au contexte familial. En primaire, seuls des « revoirs », sous forme de relecture ou de révisions ludiques pourraient être faits à la maison. Au collège et au lycée, la charge de travail évoluerait progressivement, mais toujours de sorte à laisser aux adolescents un temps suffisamment important pour se reposer, s’ennuyer ou profiter de sa famille.
Pour éviter que ce renforcement du temps libre creuse de nouvelles inégalités, la Convention préconise d’améliorer le cadre des aides à la parentalité, notamment en créant une charte de la parentalité en entreprise pour faciliter la conciliation entre vie professionnelle et familiale. Par ailleurs, afin d’éviter que ce temps libéré ne se traduise par une hausse du temps d’écran, les conventionnels recommandent de renforcer leur encadrement : paramétrage automatique des appareils destinés aux mineurs, interdiction des publicités ciblant les enfants sur les interfaces numériques, etc.
La mise en œuvre de cette nouvelle ambition pour l’organisation des temps de l’enfant a amené la Convention à proposer des mesures relatives à la gouvernance des temps de l’enfant.
Renforcer la gouvernance et la coordination des acteurs de l’enfance
Pour garantir la cohérence et la continuité des temps de l’enfant, la Convention propose de repenser la gouvernance en trois volets : un pilotage national renforcé, une participation accrue des enfants et des citoyens, et une meilleure coordination des actions à l’échelle locale.
La Convention estime qu’un pilotage national renforcé serait nécessaire pour garantir une politique de l’enfance globale et cohérente. Dans cette logique, elle propose la création d’un ministère de l’Enfance, regroupant des compétences aujourd’hui éclatées entre différents ministères : l’Éducation nationale, la Culture, le Sport, la Santé ou encore le Numérique. Une telle organisation permettrait d’assurer une vision d’ensemble, toujours au service du bien-être de l’enfant et non uniquement de l’élève. Ce ministère serait chargé d’une loi de programmation pluriannuelle, afin de sécuriser les moyens humains et financiers indispensables à la mise en œuvre de ces transformations. L’idée est d’éviter que des réformes structurantes ne dépendent des priorités annuelles et qu’au contraire elles puissent s’inscrire dans un horizon stable, partagé et suffisamment long pour garantir leur efficacité.
Les conventionnels souhaitent également que cette gouvernance soit plus participative, en intégrant de manière systématique les enfants, les citoyens et les professionnels de l’enfance aux décisions qui les concernent. La création d’un Conseil de l’enfance constituerait un levier essentiel : composé de jeunes et de citoyens tirés au sort, il permettrait de recueillir régulièrement leurs avis, leurs besoins et leurs attentes. Dans cette perspective, la parole des enfants serait davantage prise en compte à tous les niveaux, non seulement pour adapter les politiques publiques mais aussi pour les protéger des changements trop fréquents ou trop brutaux liés aux alternances politiques.
Cette gouvernance repensée passerait également par des Projets éducatifs de territoire (PEdT) « nouvelle génération », destinés à mieux coordonner l’action des différents acteurs à l’échelle locale. La Convention souhaite rendre ces PEdT obligatoires dans tous les territoires, portés par un comité de pilotage qui réunirait chaque trimestre les acteurs concernés. Un coordinateur de PEdT, identifié à l’échelle locale, serait chargé de sa mise en œuvre et d’assurer le lien avec le niveau national.
Par ailleurs, les conventionnels suggèrent que les établissements scolaires laissent place à des « campus des jeunes », conçus pour offrir des espaces adaptés aux nouveaux usages éducatifs : lieux modulables, ouverts, permettant autant l’étude que les activités culturelles, sportives ou citoyennes. De tels changements d’infrastructure seraient portés par un plan bâtimentaire impulsé nationalement avec des fonds engagés durablement. Enfin, un plan de mobilité jeunes viserait à réduire les trajets quotidiens à 45 minutes maximum, à améliorer l’accessibilité financière des transports ainsi qu’à favoriser l’usage des mobilités douces.
Avec ces propositions, la Convention ne se contente donc pas de repenser l’organisation quotidienne de la vie des enfants, elle esquisse également une gouvernance capable de rendre ces changements possibles. Ainsi, de la refonte du modèle éducatif à la réorganisation des temps, en passant par la restructuration de la gouvernance, elle a montré, une fois de plus, comment un tel dispositif pouvait traiter de sujets aussi vastes et complexes que clivants. Néanmoins, si certaines de ces propositions sont innovantes, d’autres peuvent avoir déjà été évoquées par d’autres acteurs, à commencer par les scientifiques. Dès lors, quel est le réel apport des travaux de cette Convention ?
Premièrement, c’est une vision d’ensemble qui est proposée par les 133 citoyens. Mises bout à bout, ces propositions forment un tout cohérent au service du bien-être de l’enfant. Comme le rappelle leur manifeste « nous ne souhaitons pas […] qu’on y pioche une unique proposition ». La force de leur rapport ne se trouve pas dans l’exhaustivité des sujets traités mais bien dans l’attention accordée aux interactions entre les différents temps de la vie des enfants et l’articulation proposée qui en découle. Une telle approche a permis d’aboutir à une vision cohérente de leurs temps, au service de leur développement.
Deuxièmement, les premiers concernés ont contribué à l’élaboration de ces propositions. La principale nouveauté de cette Convention est d’avoir donné une place importante à la participation des enfants. Un panel de vingt enfants et adolescents âgés de 12 à 17 ans ont délibéré durant six jours en parallèle de la Convention. En partant d’une page blanche pour imaginer une meilleure organisation de leurs temps, leurs réflexions ont amplement conforté les conventionnels dans leurs travaux. Ces jeunes ont vu nombre de leurs propositions reprises par les citoyens adultes. De plus, des ateliers dans les territoires durant l’été ont permis d’entendre la voix d’enfants de 6 à 12 ans vivant dans des milieux très différents, apportant des perspectives concrètes sur leurs besoins et leurs attentes.
Troisièmement, leurs conclusions visent à dépasser les clivages. Grâce à la délibération citoyenne et au tirage au sort, ce ne sont pas les intérêts d’un groupe plus qu’un autre qui se sont exprimés. La participation de 83 experts, acteurs de terrain et parties prenantes, a permis que les intérêts de tous soient entendus. Si ces citoyennes et citoyens, d’horizons et de convictions si différents, ont réussi à adopter leur rapport à la quasi-unanimité6, cela signifie que le chemin proposé peut suffisamment rassembler notre société autour d’un projet commun au service du bien-être des enfants. Comme l’explique leur manifeste « Grâce à l’enjeu mobilisateur de l’enfance, la cohésion s’est faite ».
Néanmoins, certaines critiques apparaissent depuis la publication du rapport. Derrière certaines propositions, des acteurs de l’éducation se sentent mis de côté et des experts identifient des angles morts. À ce titre, les conventionnels ont également identifié, dans la première partie de leur rapport, les conditions nécessaires à la réalisation de toutes ces propositions. Parmi celles-ci, la revalorisation des métiers de l’éducation, la réduction des effectifs des classes ou encore la refonte des programmes sont jugées indispensables.
Évidemment, ce rapport reste le fruit d’un travail de citoyens et non d’experts. C’est pourquoi, bien que jugé imparfait par certains, il ne demande qu’à être enrichi par le débat public pour que le cap fixé par cette Convention puisse réellement être atteint. Des expérimentations locales devront être menées, des évaluations de ces réformes devront être effectuées et une réelle volonté politique sera nécessaire pour porter ces différentes mesures.
Par ailleurs, de nombreux acteurs ont déjà largement adhéré aux propositions formulées par la Convention. Parmi eux, les acteurs de l’éducation populaire, de la culture et de la vie associative, semblent très bien accueillir la diversification des apprentissages portée par les conventionnels. De même, les nombreuses réactions positives de jeunes qui se reconnaissent dans cette nouvelle organisation des temps montrent que la Convention est parvenue à faire véritablement du bien-être de l’enfant la boussole de ses travaux.
Si des critiques persistent, cette troisième Convention citoyenne a, néanmoins, permis de tracer une voie cohérente et équilibrée, en proposant, dans une période de forte instabilité politique, des solutions concrètes en faveur d’un investissement dans la jeunesse à la hauteur des enjeux qui l’attendent.