Lutte contre les moustiques : une urgence de santé publique

Lutte contre les moustiques : une urgence de santé publique
Publié le 12 mai 2023
Le moustique tigre s’installe dans nos vies. Vecteur de maladies dont la recrudescence pourrait devenir un enjeu de santé publique majeur, il inquiète les autorités sanitaires françaises à la veille de l’été, et plus encore à la veille des jeux olympiques de l’été prochain. Comment lutter contre cette menace croissante favorisée par le changement climatique et la mondialisation ? La mobilisation des populations est décisive. Mais l’heure est aussi à penser un tournant crucial dans les moyens d’éradication : si l’ère des insecticides, auxquels les espèces deviennent résistantes, s’achève, celle des questionnements éthiques s’ouvre aujourd’hui autour des outils de modification biologique et génétique qui s’annoncent. Le tout, sur fond d’insuffisances patentes de la gouvernance de l’action publique en la matière.
Écouter cet article
00:00 / 00:00

« Quand ils nous vrombissent à l’oreille, ils ne se contentent pas de pourrir nos nuits, c’est une histoire qu’ils nous racontent : leur point de vue sur la mondialisation. Une histoire planétaire de frontières abolies, de mutations permanentes, de luttes pour survivre. L’histoire, surtout, d’un couple à trois : le moustique, le parasite et sa proie (nous, les vertébrés) » : avec le quatrième volume de son « petit traité de mondialisation » consacré aux moustiques en 2017, Erik Orsenna a fait la pédagogie d’une menace majeure pour la santé publique que renforce aujourd’hui le changement climatique.  

Une colonisation massive

Paludisme, dengue, chikungunya ou fièvre à virus Zika : les moustiques sont les vecteurs d’une série de maladies. En France métropolitaine, il existe une soixantaine d’espèces de moustiques dont seules quelques-unes piquent l’homme. Toute l’attention se concentre aujourd’hui sur deux espèces : le moustique Aedes aegypti, et le moustique tigre Aedes albopictus : originaire des forêts tropicales d’Asie du sud-est, ce dernier s’est adapté à divers environnements, et notamment au milieu urbain en profitant d’une multitude de récipients, dans lesquels il pond ses œufs. Cette espèce invasive s’est répandue sur toute la planète : aujourd’hui, seul l’Antarctique est encore préservé. Cette expansion, liée principalement au commerce international, lui vaut d’être classé parmi les espèces les plus invasives au monde grâce à son adaptabilité aux régions ayant des hivers froids. En France métropolitaine en 2023, le moustique tigre est implanté dans 71 départements.

A gauche : les 67 départements où la présence du moustique tigre est connue, et le pourcentage de communes colonisées dans chacun d’entre eux / A droite : pourcentage de la population habitant des communes colonisées par Aedes albopictus par départements en France métropolitaine au 1er janvier 2022
Source : Ministère des Solidarités et de la Santé

Ces moustiques sont les principaux vecteurs de la diffusion de virus comme ceux de la dengue, du chikungunya ou du Zika. Pour lutter contre ces maladies (arboviroses), il n’existe aujourd’hui ni vaccin recommandé ni traitement antiviral spécifique. Ainsi, le contrôle des populations de moustiques (lutte anti-vectorielle) et la prévention contre leurs piqûres restent les principales solutions pour limiter le développement de ces pathologies.

Dans un avis publié le 3 avril 2023, le Comité de veille et d’alerte sur les risques sanitaires (Covars), instance d’expertise installée en septembre 2022 à la disparition du Conseil scientifique Covid-19, prévient que des épidémies sont à craindre en France métropolitaine dans les prochaines années. Depuis 2010, le nombre de départements métropolitains colonisés par le moustique tigrea été multiplié par 10. La dengue est l’arbovirose humaine se propageant le plus rapidement dans le monde, avec une expansion continue en zone tropicale ou tempérée où sont implantés les moustiques vecteurs, exposant désormais presque 4 milliards de personnes sur tous les continents. En 2019, l’OMS considérait la dengue comme l’une des dix menaces majeures pour la santé globale, et estime actuellement le nombre de cas annuels de dengue entre 100 à 400 millions ; le plus souvent peu sévère (les formes graves surviennent dans environ 1 cas pour 1000) elle est responsable, du fait du nombre massif d’infections, d’environ 500 000 hospitalisations et 40 000 décès par an dans le monde. Les virus Zika et chikungunya, quant à eux, continuent à circuler activement et le nombre de cas augmente dans le monde. De ce fait, le nombre de cas d’arboviroses importés en métropole, en particulier avec l’augmentation des voyages, a été multiplié par 4,5 entre 2015 et 2019, et la métropole a connu 65 cas de dengue autochtone pendant l’été 2022.

Abonnez-vous à notre newsletter

Pour le Covars, on doit s’attendre à une augmentation des cas en métropole au cours des prochains étés, bien que d’amplitude difficile à anticiper, et à de nouveaux foyers de dengue, chikungunya et Zika sur l’ensemble des territoires français, territoires ultra-marins (TUM) compris. Selon l’entomologiste Didier Fontenille, l’un des auteurs de l’avis, « la hausse des cas est inéluctable en raison de l’augmentation des voyages et du changement climatique. Bientôt, tout l’Hexagone sera touché par le moustique tigre. Quant à Aedes aegypti, il est résistant aux insecticides, ce sont deux très mauvaises nouvelles ».

Les maladies virales transmises par ces vecteurs « pourraient devenir des problèmes de santé publique en métropole ». L’organisation prochaine de grands évènements sportifs, dont les JO à Paris en 2024, qui engendrent d’importantes migrations de populations, « renforce les risques de survenue de foyers de dengue, zika, et chikungunya », estime le comité. La même inquiétude avait émergé en 2016 à l’occasion des JO de Rio, avec un Brésil alors en pleine épidémie de Zika. Une campagne efficace de lutte anti-vectorielle avait permis d’éviter la dissémination dans le reste du monde. Mais si la France a un système de surveillance, de détection, et de gestion de ces maladies « performant », il reste « perfectible », en particulier en métropole, estime le Covars. Pour sa présidente, Brigitte Autran, « on n’est pas dans un scénario catastrophe, mais on doit prendre le risque au sérieux par des campagnes de prévention ou une meilleure organisation ».

Une conséquence du changement climatique

Le changement climatique en cours a des conséquences sur les maladies vectorielles. Il a un impact majeur sur les moustiques vecteurs, en modifiant les facteurs abiotiques (température, hygrométrie, régime de pluies, évènements extrêmes) et biotiques (nature et abondance des lieux de ponte et de repos, prédateurs, compétiteurs, vertébrés ou plantes disponibles pour les repas de sang ou sucrés) des niches écologiques. Ces évolutions jouent sur la survie des femelles (qui sont les vecteurs), sur le nombre de générations annuelles, sur la période d’activité, sur le taux intrinsèque d’accroissement des populations. L’effet des variations climatiques est toutefois pondéré par le fait que ces deux vecteurs sont extrêmement anthropisés, contrairement à d’autres moustiques : ils pondent dans des collections d’eau artificielles créées par les humains et se nourrissent surtout de sang humain. Leurs niches écologiques sont donc moins sensibles aux variations du climat, et leur expansion actuelle est davantage due à l’urbanisation et à leur capacité à s’adapter à des climats plus froids, voire plus secs. Le changement climatique a également un impact sur le développement des virus dans les moustiques: la durée de développement du virus dans le moustique est de 4 à 15 jours selon la température de l’insecte, qui dépend de la température extérieure, du type de virus et de l’espèce de moustique. Les virus se développent plus vite dans une fourchette de températures entre 25 et 35°C environ.

De multiples interventions de prévention

La prévention suppose d’abord un dispositif de surveillance efficace, à la fois pour la détection des cas, mais aussi pour la compréhension de la colonisation. La surveillance entomologique repose à la fois sur les remontées des particuliers (toute personne pensant avoir vu un moustique tigre dans une commune non-encore colonisée peut le signaler sur www.signalement-moustique.fr, qui constitue la principale source d’information sur la colonisation en métropole) et sur les
réseaux de pièges pondoirs (il y en avait 4 510 en 2022).

Les interventions disponibles pour lutter contre les moustiques peuvent être classées en fonction du stade vectoriel qu’elles ciblent (œuf, larve, nymphe ou adulte), du type de contrôle ou des options (physique-mécanique, environnemental, biologique, chimique, comportemental, génétique, etc.), du moyen d’application (aérien, terrestre, spatial, focal ou ciblé), et de l’utilisateur ou du niveau d’application (individu, famille, ménage, quartier, communauté, municipalité). Ces distinctions illustrent d’emblée la variété des enjeux sociaux, politiques, économiques et éthiques qui sont impliqués dans les stratégies de prévention combinant les différents modes d’intervention.

Les stratégies de lutte anti-vectorielle intégrées associent aujourd’hui différents types d’actions :

  • La lutte contre les larves de moustiques, qui peut être soit chimique (larvicides) soit mécanique (éliminer les gîtes larvaires potentiels, eau stagnante, pots de fleurs, récipients, pneus usagés)
  • La lutte contre les moustiques adultes, qui peut être mécanique (pièges) ou le plus souvent chimique (basée sur des pulvérisations d’adulticides).
  • La prévention contre les piqûres de moustiques, qui passe essentiellement par des protections individuelles Des recommandations sont faites telles que porter des vêtements amples et couvrants (ex. manches longues, pantalons), appliquer des produits répulsifs adaptés sur la peau ou les vêtements (en suivant bien les instructions) et dormir sous des moustiquaires imprégnées d’insecticides.

La doctrine générale de l’ANSES est aujourd’hui que, pour éviter l’apparition de résistance et limiter les impacts des produits sur l’Homme et l’environnement, les méthodes non chimiques sont à privilégier dans la mesure du possible. Les traitements à l’aide d’insecticides adulticides doivent rester des moyens ponctuels, destinés à éviter la propagation de la maladie autour des foyers de contamination dans un cadre bien défini, en fonction notamment du contexte épidémiologique et des conditions locales.

La fin de l’ère des insecticides ?

Dans une logique de confort plutôt que sanitaire, la lutte contre les moustiques s’est organisée en France dans les années 1960. Les produits utilisés étaient des larvicides chimiques : différents organophosphorés, dont le spectre d’action (après l’interdiction du DDT) restait encore trop large pour ne pas nuire à l’environnement. Depuis 1998, une directive européenne exige que tous les produits biocides existants soient de nouveau homologués. Peu le sont, ce qui entraîne progressivement leur disparition. Aujourd’hui, en France, très peu de substances actives sont utilisées en lutte antivectiorielle. Les traitements se concentrent essentiellement autour d’une substance active ciblant les larves de moustiques, le Bti, et d’une autre ciblant les moustiques adultes, la deltaméthrine (pyréthrinoïde de synthèse). Toutefois, en raison de l’emploi intensif des pyréthrinoïdes aussi en agriculture et médecine vétérinaire, des cas de résistances à la deltaméthrine (et plus généralement aux pyréthrinoïdes) ont été observés dans les Outre-mer et en métropole, qui se traduisent par une perte de son efficacité. L’usage répétitif d’une même substance insecticide donne de fait un avantage sélectif aux moustiques résistants qui peuvent proliférer. D’autres substances et moyens de lutte sont donc à développer. 

Des moyens de lutte alternatifs aux insecticides sont développés, faisant appel à des bactéries (modifications biologiques) ou des lâchers de moustiques rendus stériles (par modifications génétiques ou encore par irradiation). Néanmoins, ceux-ci ne sont encore qu’au stade des essais. Contrairement à l’utilisation intensive et répétée d’insecticides, la spécificité de l’intervention et son caractère durable, font des insectes génétiquement modifiés des candidats prometteurs pour le contrôle des vecteurs, mais soulève aussi encore des inquiétudes en termes d’impact sur l’environnement et la santé. Les moustiques biologiquement modifiés, en revanche, sont déjà une réalité. Les premiers moustiques porteurs de Wolbachia, une bactérie qui les empêche de transmettre les arbovirus (dengue, Zika, chikungunya…), ont été lâchés en 2019 à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, dans le cadre du World Mosquito Program en lien avec l’Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie. L’objectif de ce programme est d’obtenir, par accouplement des moustiques infectés par cette bactérie avec des moustiques sauvages, une population de moustiques Aedes aegypti incapables de transmettre les arbovirus. Enfin, la technique de l’insecte stérile consiste à élever des moustiques mâles, à les stériliser par irradiation et à les lâcher sur le terrain où ils vont s’accoupler avec les femelles sauvages qui, ne s’accouplant qu’une seule fois, n’auront donc pas de descendance. Outil de gestion des populations d’insectes en agriculture, son utilisation dans la lutte contre le moustique tigre fait l’objet de recherches expérimentales à l’Institut de recherche pour le développement depuis plus de dix ans, avec une expérimentation concluante à la Réunion en 2022.

Ces pistes font l’objet d’une réflexion prospective dont le COVARS s’est fait l’écho dans son avis du 3 avril 2023 : « Une réflexion est en cours à la DGS, à SPF, dans les ARS, à l’ANSES, chez les opérateurs, sur ces sujets : Que proposer à la place des biocides dans les prochaines années ? Dans quel cas lutter : en amont pour diminuer les populations de moustiques, ou autour des cas importés et autochtones ? Quand lutter : simple suspicion, détection, confirmation des cas ? Faut-il des cordons sanitaires « zéro moustique » autour des hôpitaux et des écoles ? Quels bénéfices-risques des stratégies actuelles ? Quels sont les coûts socio-économiques et écologiques de la lutte anti-vectorielle par rapport aux bénéfices sanitaires espérés ? ».

Des acteurs éclatés, un pilotage stratégique insuffisant

Le pilotage stratégique de la lutte contre les moustiques-vecteurs est-il à même de s’emparer aujourd’hui des innovations majeures qui se dessinent ? Empilement d’objectifs et d’acteurs depuis plus de 50 ans, le cadre institutionnel de la lutte anti-vectorielle est aujourd’hui inapproprié pour faire face aux enjeux :

  • Au lendemain de la création des premiers opérateurs publics de démoustication (OPD), la loi du 16 décembre 1964 visait à faciliter l’intervention de ces organismes interdépartementaux et, en dernière instance, à aider au développement touristique des régions concernées, dans un objectif de confort plutôt que de sécurité sanitaire ;
  • L’arrivée en 2004 du moustique tigre dans les Alpes-Maritimes et le besoin inédit depuis l’après-guerre de mesures de lutte anti-vectorielle sur le territoire hexagonal ont motivé la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. L’État se voyait confier un rôle de supervision et de définition des mesures de la lutte anti-vectorielle, avec compétence donnée aux préfets de créer des zones de lutte contre les moustiques dans les zones à risque.
  • Mais ces modifications apportées par le législateur en 2004 n’ont pas suffi à assurer clarté et efficacité dans l’organisation des acteurs de la lutte anti-vectorielle. Le dispositif mélange aujourd’hui lutte de confort, centrée autour des larves de moustiques du genre Culex proliférant en zone humide, et lutte contre les Aedes adultes en milieu urbain, sans que les responsables et financeurs soient clairement désignés.

En Outre-mer, la nécessité ancienne, et permanente, de lutter contre les moustiques à des fins sanitaires a amené chacun de ces territoires à constituer des services de démoustication, selon des modalités très variables. En Guadeloupe, à Mayotte, à La Réunion, l’État prend en charge les mesures de lutte anti-vectorielle et assure leur financement. En Guyane, la lutte est assurée par un service rattaché à la collectivité territoriale de Guyane, qui bénéficie à cet effet d’un financement de l’État. La Martinique, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française prennent en charge ces missions de façon plus autonome.

L’une des difficultés structurelles de l’action publique semble tenir à un cadre juridique qui tente de réunir en son sein des politiques sédimentées de façon radicalement différentes, dans l’Hexagone d’une part et dans l’Outre-mer d’autre part. Une mission de l’inspection générale des affaires sociales, constatait ainsi en 2016 que « la répartition des rôles entre l’État et les collectivités est complexe ». Le Haut Conseil des biotechnologies notait pour sa part en 2017 que « sur le terrain, la division entre le niveau décisionnaire au sein de l’État […] et les services chargés de la mise en œuvre (qui sont financés par les départements) conduit à une certaine ambiguïté concernant les responsabilités, rend parfois confuse la répartition des rôles, notamment en situation d’urgence, mais permet en fait de combiner une motivation régalienne avec la légitimité que donne l’action locale ».

C’est en réponses à ces constats qu’est intervenue l’évolution réglementaire de 2019, laissant toutefois le cadre législatif de 2004 malheureusement inchangé. Le décret du 29 mars 2019 confie la compétence de surveillance et de lutte anti-vectorielle aux agences régionales de santé (ARS), mais laisse plusieurs questions en suspens. Avec pour objectif affiché la simplification du pilotage national par la diminution du nombre d’acteurs impliqués dans la lutte contre les vecteurs, il confie aux ARS un rôle de surveillance entomologique et de complément aux opérateurs de démoustication en cas de crise épidémique, fait reposer la gestion des épidémies de maladies à vecteur sur le dispositif Orsec mis en place par les préfets, confie à l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) la coordination de l’expertise sur les vecteurs, et rappelle le rôle des maires dans la lutte contre l’implantation et le développement d’insectes vecteurs sur le territoire de leur commune.

Il revient aux ARS de conduire les actions de traitements (ou de travaux) dans les lieux fréquentés par les cas humains d’arboviroses détectés. L’exécution de ces mesures peut être déléguée par l’ARS à un organisme de droit public, ou, de façon inédite, à un organisme de droit privé, qu’elle habilite au préalable et qui est placé sous son contrôle.

Les maires quant à eux peuvent intervenir contre les moustiques au titre de plusieurs polices administratives, police générale (dont la salubrité publique est un des objets) et police spéciale des points d’eau. Mais en pratique, l’action des maires est souvent obérée par une expertise technique et des moyens humains et matériels trop limités pour lutter efficacement contre les moustiques vecteurs.

La portée concrète de certaines dispositions du décret, voire sa conformité aux dispositions législatives introduites en 2004, semblent sujettes à caution, comme l’a largement souligné le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale en juillet 2020. C’est pourquoi deux propositions de loi de la précédente législature ont depuis cherché à clarifier cet enchevêtrement des acteurs et des objectifs, l’une au Sénat portée par Michel Amiel (LREM) en février 2020, et l’autre à l’Assemblée, portée par Olivier Véran avant qu’il soit ministre, en juin 2019. Leur objectif est d’attribuer l’intégralité de la compétence en matière de lutte anti-vectorielle à l’État, avec transfert à l’Etat de dépenses actuellement assumées par les départements. Un tel schéma bénéficiait, comme l’avait d’ailleurs souligné la commission d’enquête en juillet 2020, d’un accueil favorable de la part des différents acteurs de la lutte anti-vectorielle.

L’une des inquiétudes que ces propositions de loi entendaient résoudre concerne la difficulté pratique de mise en œuvre des opérations de démoustication : forte saisonnalité des besoins, interventions urgentes, compétences atypiques par rapport au profil des personnels des ARS (caractère purement opérationnel des missions). Le risque majeur à anticiper concerne la capacité de réponse des organismes privés agissant par délégation des ARS en situation de multiplication des foyers épidémiques, en particulier en métropole. Dès 2019, l’ANSES appelait à harmoniser les bonnes pratiques de la lutte anti-vectorielle entre des acteurs trop variés, et à mieux évaluer la capacité de réaction des opérateurs et des ARS à une situation sanitaire exceptionnelle.

Les acteurs de la lutte anti-vectorielle expriment aussi dans leur grand majorité la crainte d’une régionalisation excessive. Ils soulignent aussi le flou introduit, dans la genèse de cette action publique, par la juxtaposition de deux paradigmes distincts : le premier historiquement, dédié aux intérêts du tourisme, centré sur la lutte contre les moustiques en général ; le second, depuis 2004, centré sur les enjeux de sécurité sanitaire liés à la diffusion d’Aedes Aegypti, pour lequel il n’existe pas de cadre législatif à jour depuis celui de 1964, et que le cadre réglementaire de 2019 n’a pas suffi à consolider en termes de répartition des compétences stratégiques et opérationnelles. Le COVARS, dans son avis du 3 avril 2023, appelle ainsi à structurer la coordination des acteurs et le pilotage stratégique national. 

Comment mobiliser les populations ?

La prévention des épidémies à venir repose pourtant en bonne part sur la mobilisation des communautés. Or, malgré le risque croissant, les comportements de prévention restent minoritaires dans la population métropolitaine.

L’implication des particuliers est indispensable pour la réduction des gîtes larvaires dans leur propriété (récupérateurs d’eau, soucoupes des fleurs, gouttières, récipients extérieurs, vases dans les cimetières), et des collectivités sur le domaine public (fontaines publiques, avaloirs d’eau pluviale, flaques de bord de ruisseaux).

Il appartient également aux individus de se prémunir contre les piqûres, par le recours aux moustiquaires de fenêtre (l’efficacité des moustiquaires de lits en revanche est modeste puisque les Aedes piquent de jour) ainsi que par l’utilisation de répulsifs cutanés (quatre molécules actuellement recommandées par le ministère) ou à pulvériser sur les vêtements, même si l’efficacité en est incomplète, et le recours aux répulsifs spatiaux (tortillons, prises électriques avec plaquettes ou flacons de répulsifs).

Une étude, menée dans le sud-est de la France entre 2011 et 2012 après détection de cas autochtones de dengue et de chikungunya sur plus de 1500 personnes, a montré qu’une majorité ne se protégeait pas contre les piqûres des moustiques : parmi les 56% des participants rapportant être parfois ou souvent piqués par les moustiques en été, seuls 40% adoptaient des comportements de réduction des risques, le plus souvent les sprays insecticides d’intérieur (20% des répondants), l’élimination des points d’eau stagnante (18%) et l’application de répulsif sur la peau (17%). Dans son avis d’avril 2023, le Covars a souligné que, contrairement à d’autres problèmes de santé publique où les comportements humains jouent aussi un rôle prépondérant (maladies coronariennes, cancers, MST, etc.), il n’existe actuellement pas d’enquêtes régulières collectant des données et suivant l’évolution des comportements, attitudes et perceptions des populations face aux maladies transmises par Aedes albopictus et aegypti, ni dans les territoires ultra-marins ni en métropole.

A l’échelle mondiale, la tendance actuelle à mieux impliquer les populations dans le design et le suivi des interventions de santé publique est majeure ; elle est particulièrement sensible s’agissant des nouveaux outils innovants (biologiques, génétiques) de la lutte anti-vectorielle. Faire sortir la science des laboratoires pour la faire pénétrer dans l’environnement a des conséquences pour les populations locales, dont les maisons et les lieux de travail, de loisirs, d’éducation etc. deviennent des laboratoires extérieurs pour tester l’efficacité de méthodes de prévention nouvelles. Il existe une longue tradition de modification du comportement des vecteurs de maladies afin qu’ils ne puissent pas transmettre d’agents pathogènes aux humains. Mais les complexités éthiques des interventions anti-vectorielles sur le terrain, en particulier autour de l’enjeu des rejets dans l’environnement, sont considérables ; l’engagement et la participation du public sont considérés par beaucoup comme des exigences éthiques essentielles qui doivent être satisfaites avant d’entreprendre des projets sur le terrain. De façon générale, l’OMS va jusqu’à considérer que le cadre éthique relevant pour les interventions anti-vectorielles relève du « consentement éclairé » des populations : même si ce sont les insectes, et non les habitants, qui font l’objet de l’intervention, la modification de l’environnement est suffisamment cruciale pour considérer qu’il serait contraire au principe éthique d’autonomie de ne pas formaliser une étape de recueil explicite du consentement des populations touchées par l’intervention.

Dans un contexte mondialisé, où les changements climatiques influent sur les principaux déterminants sociaux et environnementaux de la santé, les actions portant sur les déterminants sociaux et environnementaux des maladies à transmission vectorielle doivent être au cœur des stratégies de prévention. L’agilité des décisions locales et nationales, aussi bien que l’engagement des communautés dans la prévention, requièrent aujourd’hui d’être repensés face à la menace es moustiques vecteurs. Alors que l’anticipation de futures épidémies est à l’agenda des autorités, particulièrement dans la perspective des JO 2024, nous devons tirer toutes les leçons de la pandémie de Covid-19 quant aux critères, à l’efficacité et à la pertinence de nos décisions de santé publique.

Mélanie Heard est membre du Covars.

Envie de contribuer à La Grande Conversation ?
Venez nourrir les débats, contredire les études, partager vos analyses, observations, apporter un éclairage sur la transformation du monde, de la société, sur les innovations sociales et démocratiques en cours ou à venir.

Mélanie Heard

Responsable du pôle Santé de Terra Nova