Moins de Parisiens, mais plus de Grands-Parisiens : la densité en Île-de-France

Moins de Parisiens, mais plus de Grands-Parisiens : la densité en Île-de-France
Publié le 6 avril 2023
🇬🇧 Cet article est disponible en anglais.
Comment interpréter la baisse de la population parisienne ? Faut-il s’en inquiéter ? Non, répond Jean-Louis Missika car Paris intra-muros n’est qu’une partie de l’unité urbaine qui forme le cadre de vie réel des habitants et qui, elle, est toujours en croissance. Ni exode, ni hémorragie, donc, mais une question de densité. Face à la surdensité de Paris (ville la plus dense d’Europe), la diversité des situations dans le reste de l’unité urbaine invite à repenser les politiques d’urbanisation.
Écouter cet article
00:00 / 00:00

L’INSEE a publié des chiffres montrant que près de 75 000 habitants avaient quitté Paris entre 2014 et 2020. Beaucoup d’interprétations de ce chiffre ne tiennent pas compte de son contexte. Pour qu’elles soient intelligibles, les données démographiques doivent s’analyser dans la longue durée. Il faut aussi étudier le territoire précis sur lequel elles sont collectées. Il faut enfin rapporter ces données à la densité de population sur le territoire concerné.  

La démographie n’est pas une science de court terme. Elle repère des tendances lourdes dont les causes sont multiples. Il y a plus d’habitants à Paris en 2020 qu’il n’y en avait en 1999. Entre 1968 et 1999, la population parisienne n’a cessé de diminuer, elle a ensuite augmenté entre 1999 et 2013, puis diminué de nouveau entre 2013 et 2020. Et si on élargit la période étudiée, Paris comptait près de 3 millions d’habitants au début du XXe siècle et a donc perdu 760 000 habitants en un siècle, soit un quart de sa population initiale (tableau 1).

Evolution de la population de Paris intra-muros de 1921 à 2020

Sources : Dénombrement de la population, 1921, décret du 28 décembre 1921, Ministère de l’intérieur, Paris, 1921, p.730, René Mossé, « La population de Paris d’après le recensement de 1931 »Journal de la société de statistique de Paris, n°75 (1934), p. 152-168, et INSEE.

La longue durée

Depuis quarante ans, la population parisienne oscille donc autour d’une moyenne de 2,2 millions d’habitants, et selon l’INSEE, cette situation devrait durer jusqu’en 2050. Dans une note intitulée La population de Paris à l’horizon 2050, l’Institut estime que Paris compterait 2 233 000 habitants en 2050, un niveau proche de celui de 2013. La note précise « qu’en 2050, selon les différents scénarios démographiques envisagés, la population parisienne serait comprise entre 2 155 300 et 2 325 400 habitants… La baisse démographique amorcée depuis 2011 se prolongerait jusqu’au milieu de la prochaine décennie. La population parisienne s’élèverait ainsi à 2,18 millions d’habitants en 2024. Puis, la capitale renouerait avec la croissance démographique pour retrouver, en 2050, son niveau de 2013. » Une stabilité sur la longue durée de la population parisienne qui contraste avec l’évolution de celle de la Petite couronne qui, sur la même période, augmenterait de 15 % et celle de la Grande couronne qui croîtrait de 17 %. La baisse de la population parisienne, amorcée en 2013, s’explique par un solde migratoire négatif qui n’est pas suffisamment compensé par l’excèdent naturel des naissances sur les décès.

Abonnez-vous à notre newsletter

En un siècle, Paris s’est donc dédensifié et les causes en sont multiples. La principale est la diminution de la taille des ménages, elle-même due à la baisse de la natalité et à la hausse des séparations et des divorces. On est ainsi passé d’un mode de vie où, dans un appartement, il y avait souvent une chambre pour deux, voire trois enfants, à un autre où, dans deux appartements différents, il y a deux chambres pour le même enfant. La taille des ménages est passée de 2,35 personnes en 1954, à 1,87 en 1999, et elle est restée à ce niveau jusqu’en 2019 . Un peu plus de la moitié des ménages sont composés d’une seule personne, et les familles monoparentales sont passées de 7,5 % des ménages en 2008, à 8,3 % en 2019.

Si l’on trouve davantage de familles avec enfants en petite et grande couronne qu’à Paris, c’est d’abord en raison de la différence de taille des logements. Plus de la moitié des logements parisiens ont une ou deux pièces, moins d’un sur quatre dans le reste de l’Ile de France. Cette différence dans la taille des logements explique pourquoi les familles sont « chassées » de Paris vers la Banlieue, lors de la naissance d’un deuxième ou d’un troisième enfant. Comme le remarque l’Apur : « En fait, si l’immobilier est cher, c’est, entre autres choses, parce que la demande qui vient de la croissance naturelle de la population est plus forte que l’offre qui résulte de l’évolution du parc. Ce n’est donc pas la cherté de l’immobilier qui conduit à l’émigration, mais la démographie qui contribue à la cherté ».

La deuxième cause de la dédensification est la diminution du nombre de résidences principales à Paris (tableau 2). Entre 1968 et 2019, leur nombre a baissé de 15 194, tandis que le nombre de résidences secondaires croissait de 103 218, et celui des logements vacants de 79 396. Autrement dit, les 167 421 nouveaux logements créés entre 1968 et 2019 n’ont pas bénéficié aux Parisiens, à cause de la vacance et des résidences secondaires. Ce phénomène s’est accéléré au cours des dix dernières années, avec le développement des plateformes de type Airbnb. On constate une hausse spectaculaire (+55 %) des résidences secondaires et logements occasionnels entre 2008 et 2019. Si l’on ajoute aux 120 295 logements vides, les 131 320 logements répertoriés comme résidences secondaires, c’est comme si deux grands arrondissements de Paris, le 16ème et le 17ème par exemple, n’accueillaient aucun Parisien.

Répartition du nombre de logements à Paris selon le statut de résidence entre 1968 et 2018 (en milliers)

Source : Insee

Source : Insee

Les territoires pertinents

Quand on s’intéresse aux tendances démographiques urbaines, la question à poser est celle du territoire pertinent. Le fait qu’une famille déménage de Paris à Pantin est mesuré statistiquement parce qu’il existe une frontière administrative entre les deux villes, mais l’aire urbaine, le bassin d’emploi, l’espace et le mode de vie, les moyens de transport sont exactement les mêmes. Cela veut dire que le territoire administratif de la ville de Paris n’est pas pertinent. C’est l’espace d’activité économique, le bassin d’emploi et la continuité urbaine qui comptent. Le périmètre significatif est l’unité urbaine de Paris, qui désigne, selon l’Insee, l’ensemble des communes ayant une continuité de bâti autour de la ville de Paris. Cette unité urbaine regroupe 10 858 874 habitants en 2020 sur une superficie de 2 853,5 km², soit 24% de la Région Ile de France. Elle est la plus peuplée de l’Union européenne.

C’est la bonne échelle pour juger du rayonnement d’un territoire et du lien entre croissance économique et dynamisme démographique. A l’intérieur de cette zone économique, les mouvements de population sont un indicateur des choix ou des contraintes de parcours résidentiels des familles et des entreprises, mais pas de l’attractivité du territoire. Ce n’est pas parce que Paris intramuros perd 75 000 habitants que le Grand Paris est en perte de vitesse. Au contraire, son attractivité est croissante depuis 2008 comme le montrent tous les classements internationaux disponibles, de même que son évolution démographique. En une décennie, Paris a perdu des habitants, mais la Seine Saint Denis en a gagné (le département comptait 1 700 000 habitants en 2020). Et l’Unité urbaine, tout comme l’Île de France, ont crû de 0,4% par an, entre 2013 et 2018 (tableau 3).

Le paradoxe parisien est qu’aucun des trois territoires administratifs existants n’est pertinent. Ni la ville et ses 2,1 Millions d’habitants, ni la Région (12 Millions) ni même la Métropole du Grand Paris (6,7 Millions), ne correspondent à cette Unité urbaine de Paris de 11 millions d’habitants qui couvre la zone dense, c’est-à-dire la partie de l’Ile de France qui n’est ni rurale, ni rurbaine. Même les notions de Petite couronne (départements 92, 93, et 94) et de Grande couronne (départements 77, 78, 91, et 95) sont trompeuses puisque les 5,4 millions d’habitants de la Grande couronne se partagent entre l’Unité urbaine (4 millions) et l’Ile de France rurale (1,4 million). L’Ile de France est la cinquième région agricole du pays, et 75% de son territoire est rural, au sens de l’Insee. Cette inadéquation entre territoire administratif et territoire économique et démographique est un handicap pour la métropole, car l’une des causes de sa mauvaise gouvernance.

Répartition de la population francilienne par aires géographiques en 2019 (en millions)

Source : Insee

Variation de la population 2013/2018 (%/an)

Source : Insee

Les densités souhaitables

Enfin, si l’on veut comprendre les dynamiques démographiques de l’agglomération et en tirer des enseignements pour une politique d’aménagement du territoire, il faut s’intéresser aux différences de densité à l’intérieur du territoire étudié. Existe-t-il une répartition souhaitable de la population métropolitaine sur son territoire ? Et comment l’atteindre ? La densité de Paris est de 20 641 habitants au km2 (25 200 si l’on ne compte pas les bois de Boulogne et de Vincennes). C’est la ville la plus dense d’Europe et la 7ème ville la plus dense du monde. Et même sur le petit territoire parisien (105 km2), on constate des différences notables d’un arrondissement à l’autre. Le 11ème arrondissement est le plus dense avec 39 566 ha/km2 – ce qui le place juste derrière Manille (46 178) ! – tandis que le 16ème arrondissement est le moins dense avec 10 111 ha/km2. Cette diversité se retrouve dans les communes avoisinantes. Certaines d’entre elles sont plus denses que Paris tandis que d’autres ont une densité très faible. La Petite couronne a une densité moyenne de 7 077 ha/km2 et l’Unité urbaine de Paris de 3 790 ha/km2. Mais ces moyennes cachent des écarts considérables. C’est ce qui rend si complexe la question de la densification, qui se pose différemment d’un quartier ou d’une banlieue à l’autre. A quoi s’ajoute l’écart entre la réalité et le ressenti qu’éprouvent les habitants qui sont déjà là.

Densité des différentes aires géographiques d’Ile-de-France (en hab./km2)

Source : Insee

20 000 (Paris), 7 000 (Petite couronne), 3 700 (Agglomération) : il faut avoir ces chiffres de densité à l’esprit pour comprendre les enjeux de la dynamique du Grand Paris, qu’il s’agisse de cohésion sociale, de couture urbaine ou de développement économique. Paris est très dense et ne peut pas se densifier davantage. C’est d’ailleurs ce que montrent les projections de l’Insee : en 2050, Paris aura à peu près le même nombre d’habitants qu’en 2013 ou qu’en 1982, soit une quasi-stabilité sur près de 70 ans.

En revanche stabilité ne veut pas dire immobilisme, il faut continuer à transformer Paris en privilégiant la réhabilitation du bâti plutôt que la démolition-reconstruction. Et si l’on souhaite donner une forme urbaine au Grand Paris, il est indispensable d’aménager les portes de Paris en les transformant en places du Grand Paris, nouvelles centralités pour une métropole polycentrique. Pour cela, il faut effacer la frontière du Périphérique et briser le monopole de la voiture pour la circulation en surface. Les projets d’aménagement autour du Périphérique provoquent de violents conflits, mais il faut remettre les choses à leur place : le projet de Bercy Charenton qui a été abandonné pour cause de « densification excessive » prévoyait la construction de 4 000 logements, soit une hausse de 0,0028% du nombre de logements à Paris. La densité du projet était de moins de 11 500 ha/km2 à comparer aux 15 600 ha/km2 de la ville de Charenton, qui le jouxte. La question que l’on doit se poser est : quelle est la densité minimale pour créer une continuité urbaine et un espace de vie entre Paris et sa banlieue, et effacer l’autoroute urbaine qu’est le Périphérique ? Le paradoxe est que maintenir le vide revient à sanctuariser l’autoroute. De ce point de vue, le cas de la Porte de Montreuil est exemplaire. Voilà un espace urbain qui fait à peu près la même taille que la Place de la République. Que serait la Place de la République sans constructions autour d’elle ? La réponse est simple : un terrain vague, un délaissé urbain, propice à la délinquance.

Une fois franchi le Périphérique, la densité de la Petite couronne est une véritable mosaïque. Le potentiel d’un territoire est souvent mis à mal par les coupures, qu’elles soient physiques comme une autoroute urbaine, un faisceau ferré, un fleuve, un aéroport, ou institutionnelles comme un découpage administratif. C’est dans ces zones frontières que les territoires souffrent, comme Paris avec son Périphérique. Ce patchwork de la proche banlieue est le fruit d’un manque de connexions entre les territoires, de la multiplication des frontières infranchissables et d’une absence de politiques coordinatrices à l’échelle de la zone dense. Dans les années 1960, quand la politique des villes nouvelles est lancée, l’Etat fait l’impasse sur la Petite couronne et crée ex-nihilo cinq villes en Grande couronne, Evry, Cergy-Pontoise, Marne-La-Vallée, Sénart et Saint-Quentin-en-Yvelines. L’attractivité de la région parisienne est durablement décrite comme reposant sur un archipel composé de Paris, de La Défense, et de ces nouvelles centralités en Grande couronne, occultant le rôle de la Petite couronne. Malgré leur proximité avec Paris, ces territoires ont été exclus des effets d’agglomération et ont été traités comme des territoires servants, dont la mission était d’accueillir tous les services urbains dont Paris ne voulait pas s’encombrer : cimetières, usines de traitement des déchets, garages à bus, garages à bennes, fourrières, etc. Fort heureusement, la dynamique urbaine spontanée a fini par rattraper la planification étatique, et la proche banlieue a connu des succès spectaculaires, comme le développement de la Plaine Saint- Denis.

Cette histoire explique la complexité de la mise en œuvre d’une politique visant à mieux équilibrer les densités entre les territoires de la métropole. Ce rééquilibrage permettrait de lutter contre l’étalement urbain qui contribue à l’artificialisation des sols, incite à un usage intensif de l’automobile, participe au délitement du lien social et finalement au réchauffement climatique. Le mouvement des gilets jaunes était aussi le symptôme d’un étalement urbain incontrôlé et même encouragé, générateur de relégation et d’abandon. Cela veut dire qu’à l’échelle du grand Paris, la densification est une nécessité, tant pour la préservation des terres agricoles et des espaces verts que pour une mobilité décarbonée. Cela relève autant de l’urgence climatique que de la cohésion sociale.

Cette densification doit être menée dans le respect de toutes les formes urbaines existantes sans les détruire, et en particulier le paysage des pavillons qui fait partie de l’identité de la Métropole. Une étude récente a montré que l’on pouvait densifier le pavillonnaire sans le défigurer à condition de le faire avec délicatesse et en partenariat avec les propriétaires de pavillons. Là aussi les statistiques sont essentielles. L’habitat individuel représente la partie la plus importante de l’espace urbain dans le Grand Paris, 93 000 hectares soit 36% du territoire. Les 1,4 millions de petits propriétaires sont âgés majoritairement de 55 ans et plus, et 50% des maisons sont occupées par seulement une à deux personnes, à cause du départ des enfants. Dans une note de La Grande Conversation, intitulée Comment le petit propriétaire d’un pavillon de banlieue peut résoudre la crise du logement, Lily Munson explique que la solution n’est pas dans la démolition du pavillonnaire en chassant les propriétaires, pour construire des immeubles qui dénaturent le paysage urbain. Elle est plutôt dans une simple intensification du pavillon de 60 à 100 m2, en partenariat avec le propriétaire, sans augmenter l’emprise foncière du bâti. Une telle stratégie représente un potentiel de 140 000 000 de m2 constructibles ! Il semble possible de densifier le Grand Paris sans le défigurer.

La mise en œuvre du Grand Paris Express est peut-être l’occasion d’améliorer la porosité et la coopération entre les villes de la zone dense, ce réseau n’est pas seulement un projet de mobilité, c’est aussi un projet d’urbanisme. En raccourcissant les distances, il va transformer les représentations spatiales et les pratiques urbaines de millions d’habitants. La proximité “parisienne”, celle que nous évaluons sans même y penser entre deux stations de métro, pourra s’étendre à l’ensemble du Grand Paris : la station du Grand Paris Express à Bagneux et la station Denfert Rochereau à Paris seront équidistantes (en temps de trajet) de la Porte d’Orléans. Ce sont, par exemple, des centaines de milliers d’étudiants qui pourront rejoindre leur Université en une demi-heure contre une heure et demie aujourd’hui. Ce n’est pas seulement un gain de temps, c’est un changement de monde. Et la densification des quartiers des nouvelles gares est une condition clé de la réussite du projet. Pour que ce nouveau réseau joue pleinement son rôle, il faut qu’il polarise des morceaux de ville dense alliant logements, activités économiques et commerciales, et il faut qu’il participe au rééquilibrage des emplois et des logements entre l’Ouest et l’Est du Grand Paris. Alors faut-il s’inquiéter de la diminution de la population parisienne ? Certainement pas. Ce serait une autre affaire si la population de l’Unité urbaine diminuait, ce qui n’est clairement pas le cas. Il faut s’inquiéter des déséquilibres de densité de population à l’intérieur de la zone dense, comme des déséquilibres emplois/logements entre les territoires, et agir pour les corriger. La densité idéale du Grand Paris est un bien commun métropolitain et devrait faire l’objet d’une gouvernance partagée à l’échelle de la métropole. Une stratégie urbaine métropolitaine est possible pour densifier sans défigurer, connecter sans uniformiser, elle réclame à la fois une volonté politique et un outil de gouvernance adapté.

Envie de contribuer à La Grande Conversation ?
Venez nourrir les débats, contredire les études, partager vos analyses, observations, apporter un éclairage sur la transformation du monde, de la société, sur les innovations sociales et démocratiques en cours ou à venir.

Jean-Louis Missika