Une leçon du COVID : le renouveau des phénomènes d’emprise à consonance sectaire

Une leçon du COVID : le renouveau des phénomènes d’emprise à consonance sectaire
Publié le 6 février 2023

Isolement et inquiétude : ces mots-clés du Covid ont provoqué un regain des mouvances à consonance sectaire. Les apôtres auto-proclamés de l’enrichissement rapide ou du coaching santé/alimentation/bien-être ont profité de la crise sanitaire : 4000 signalements pour dérives sectaires ont été traités par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires en 2021, une hausse sans précédent. En mars 2023 se tiendront les premières assises des dérives sectaires et du complotisme. Pour Marc Samson, ce sera l’occasion d’adapter la réponse de l’Etat aux mécanismes du discours de séduction de plus en plus insidieux que développent des mouvements d’un nouveau genre, sans consonance religieuse, revendiquant la simplicité naturelle des solutions miracles qu’ils promettent à tous les maux du monde, mais prônant en réalité des modes de vie qui, se donnant pour simplement « alternatifs », peuvent s’avérer dangereux. Un risque croissant pour la santé publique et l’intérêt général.

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Il y a plus de vingt ans, la mobilisation parlementaire qui avait suivi les massacres des membres de l’Ordre du Temple Solaire a permis à la France de se doter d’outils pour lutter contre les dérives sectaires : la loi About-Picard, votée le 12 juin 2001 et la création, le 28 novembre 2002, de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). 
La Miviludes, organe initialement interministériel désormais rattaché depuis 2019 au ministère de l’Intérieur, célèbre cette année son vingtième anniversaire, avec à son actif 14 rapports et 7 guides d’information qui soulignent la diversité des dérives sectaires, qui concernent toute la société et tout le territoire, les victimes étant de tous âges et de tous milieux. 
  
Dans son dernier rapport, publié au début du mois de novembre 2022, la Miviludes pointe l’augmentation continue, d’une année sur l’autre, du nombre de saisines qui lui sont adressées : + 33 % entre 2020 et 2021, et + 86 % entre 2015 et 2021.

Source : Miviludes, rapport novembre 2022

Les 4 020 saisines (émanant essentiellement de particuliers s’estimant victimes) comptabilisées pour l’année 2021 représentent un record : la mission sonne l’alerte.  Ce rapport alerte également sur l’évolution du phénomène sectaire, de plus en plus atomisé et mouvant. En complément des « multinationales de la spiritualité » comme la scientologie ou les Témoins de Jéhovah, on assiste, depuis la crise Covid, à deux phénomènes préoccupants. D’une part, la prolifération de multiples structures, souvent de petite taille, dans les domaines notamment de la santé, du bien-être et de l’alimentation. D’autre part, la démultiplication des « gourous 2.0 » œuvrant sur les réseaux sociaux et leurs convergences de plus en plus fortes avec les thèses complotistes et promeuvent l’enrichissement rapide à travers des mécanismes d’embrigadement dans des systèmes financiers pyramidaux qui reposent sur un rapport modifié au travail et à la marginalité. Deux tendances nouvelles qui découlent en ligne plus ou moins directe de la crise sanitaire, ou qui ont été accélérées par elle.

Ventes multi-niveaux et promesses d’enrichissement rapide et exponentiel

Les systèmes de vente multi-niveaux ne sont pas nouveaux. On appelle vente multi-niveaux une structure de réseau de vente dans laquelle les revendeurs peuvent parrainer de nouveaux vendeurs afin d’être partiellement rémunérés par une commission sur les ventes effectuées par leurs recrues. Ce qui change aujourd’hui, c’est la cible : des jeunes gens de 16 à 25 ans, séduits par l’idée de devenir « trader » pour leur propre compte et de s’enrichir en toute autonomie, notamment par les crypto-monnaies. Ces réseaux proposent des « formations en ligne » présentées comme « éducation financière ». Ils encouragent ces jeunes adultes à rompre avec leur cadre familial et à quitter leurs études au profit d’une entreprise présentant un haut risque de perte financière. Ces systèmes utilisent les ressorts de la manipulation mentale et de l’addiction au jeu.

L’isolement social et le temps disponible liés au confinement et à la crise sanitaire ont incité les sociétés de vente multi-niveaux à être particulièrement présentes sur les réseaux sociaux. Guidés dans leur navigation par des mots-clés liés à la performance, à la richesse et au bonheur, les internautes qui ont l’illusion d’être libres dans leurs choix de navigation ont été en réalité « ciblés » à leur insu, grâce à une communication extrêmement soignée avec une maîtrise du marketing digital.

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Ces systèmes ciblent des publics différents : l’éducation financière et le trading pour les jeunes hommes, les compléments alimentaires pour les personnes souhaitant perdre du poids ou les sportifs, les produits de beauté pour les femmes, etc. Les membres du réseau sont invités à prendre un statut d’auto-entrepreneur ou de vendeur à domicile indépendant. Le principal danger vient du fait que les techniques de manipulations utilisées dans ces réseaux conduisent les membres à dépenser leur épargne, leurs économies ou leurs revenus, voire à vendre leurs biens. La Miviludes insiste sur les risques de ces promesses de revenus importants et « passifs », dans un contexte social difficile de crise sanitaire et de difficultés d’insertion professionnelle en particulier. Les jeunes recrutés peuvent également être convaincus de prendre part à un réseau élitiste, uniquement accessible à ceux qui seraient assez malins pour avoir décelé les failles d’un système économique décrit comme injuste et sans perspective d’avenir. Au-delà du préjudice financier, ce phénomène est d’autant plus inquiétant qu’il encourage les membres du réseau à un engagement et un épuisement total.Ces systèmes semblent s’accompagner d’une forme de cyber-harcèlement à double visée : il s’agit à la fois d’une arme de séduction et d’une technique d’affaiblissement et de sujétion.

Dans un registre proche, la Miviludes s’inquiète de l’essor, notamment à la faveur de la crise sanitaire, de réseaux de femmes appelés « tisseuses de rêve  », « mandalas de femmes  », « cercle d’abondance  », qui ont fait l’objet de 11 signalements en 2021. Le « cercle  », appelé « mandala  », se présente comme un réseau d’entraide, de soutien et de solidarité entre femmes pour se libérer et parvenir à réaliser leurs rêves. Tous les rêves sont présentés comme réalisables : il suffit de faire un « don » à une femme du réseau.

Le premier contact se fait par « soufflage  », autrement dit par le bouche-à-oreille ou par message audio sur des applications de messagerie instantanée. Le message oral explique les grandes lignes du système : pour entrer dans le cercle, il faut faire un don d’un montant minimum pré-fixé. Il faut ensuite assister à des rendez-vous hebdomadaires virtuels afin de s’entraider et recevoir à son tour huit fois la somme versée. Afin de séduire un public, majoritairement de femmes, en quête de spiritualité et de bien-être, les échanges au sein du groupe sont présentés comme des « expériences magiques et merveilleuses » au travers d’activités de méditation, de yoga et de discussions sur les énergies.Le but annoncé est d’être « connectée à son cœur  », « d’être moins seule car reliée aux autres  », « de brûler ses peurs pour s’empuissancer ».

Sous couvert des principes d’économie solidaire et alternative, de soutien moral, d’entraide, de bienveillance, de non-jugement, de dons, d’acceptation et d’harmonie, les femmes sont invitées à entrer dans un système financier pyramidal qu’on appelle de Ponzi.  Une fois entrée dans le cercle, la femme semble subir des pressions majeures et ne peut plus sortir sous peine de culpabilisation permanente puis de harcèlement.

A l’origine de cette explosion des dérives sectaires qui ciblent des individus isolés en quête de conditions d’« enrichissement » marginalisées, autonomes et à domicile : la pandémie de Covid-19 qui a, estime la Miviludes, « déstabilisé de nombreuses personnes en perte de repères », enrichi les possibilités offertes par les réseaux sociaux, et, c’est une hypothèse, déplacé les lignes de la marginalité et de l’insertion en matière de travail. Toujours selon le rapport, ce phénomène est le « reflet d’une véritable crise sociale teintée d’isolement, de questionnements, de colères et de craintes ».

Ce même constat explique, selon la Mission, une explosion plus préoccupante encore : celle des phénomènes d’emprise qui se développent autour des thématiques de la santé et du bien- être.

Les dérives des promesses à connotation sectaire en matière de santé et de bien-être

Santé, bien-être, alimentation : ces thématiques favorisent des pratiques d’emprise dans une société fragilisée par la crise sanitaire. Si la Miviludes alerte sur ce sujet depuis plus d’une dizaine d’années, la crise du Covid a confirmé l’urgence d’agir sur ce terrain.  Désormais, la santé, et singulièrement les pratiques de soins non-conventionnelles, concentrent 25% des saisines reçues en 2021 (soit 744 saisines).

Dans la ligne de mire de la Miviludes, trois priorités de santé publique : les promesses de certains praticiens, qui incitent leurs adeptes à renoncer aux traitements pharmaceutiques ; les discours axés sur le régime alimentaire, avec parfois des prescriptions risquées pour l’équilibre nutritionnel ; et enfin, dans le contexte Covid spécifique, la méfiance revendiquée envers les recommandations des autorités sanitaires (masques et surtout vaccins).

Les dérives sectaires du domaine santé/bien-être prospèrent, à la faveur de la crise sanitaire, sur un terreau complexe : elles ont pour elles l’atout malsain de n’être ni tout à fait pareilles, ni tout à fait différentes, à la fois des pratiques médicales non-réglementées de tous types, et du complotisme assumé. Ces proximités les nourrissent, tout en les rendant insaisissables.

Pratiques de soins non-réglementées

Les médecines alternatives, d’abord. Leur caractère non-réglementé, et leur propension à promettre à chacun de trouver enfin le sens de sa vie, la source de son énergie, la santé naturelle, l’immunité boostée, l’épanouissement sexuel, etc., leur ont offert un boulevard commercial avec la crise sanitaire et son cortège d’inquiétudes, d’isolement et de vulnérabilités. C’est ce que pointait en avril 2022 l’Inserm dans une note intitulée « Dérives sectaires en santé : une période de crise ? » en lien avec l’impact de la crise sanitaire : « En théorie, le risque de dérives sectaires peut concerner tous les types de soins, y compris ceux dispensés par des praticiens formés à la médecine académique. Cependant, « ce risque est majeur dans le domaine des médecines alternatives [acupuncture, hypnose, ostéopathie, sophrologie… ndlr.] », souligne Bruno Falissard, qui a coordonné plusieurs rapports thématiques de l’Inserm sur ces pratiques. Et pour cause : « En plus d’être mal évaluées, voire pas du tout, ces approches ne sont pas réglementées, ni standardisées. Résultat, n’importe qui peut se prétendre thérapeute et appliquer des idées ou protocoles de soin plus ou moins fantaisistes. Ce qui accroît le risque d’emprise. » D’après la Miviludes, il existe désormais plus de 400 pratiques non-conventionnelles à visée thérapeutique ; et 4 Français sur 10 y recourent, dont 60 % parmi les malades du cancer. Rappelons que, depuis 2010, l’Inserm a produit pas moins de 12 rapports thématiques évaluant l’efficacité et les risques de plusieurs pratiques non-conventionnelles à visée thérapeutique (mésothérapie, chiropratique, décodage biologique, ostéopathie, auriculothérapie, acupuncture, jeûne, hypnose, kinésiologie, étiopathie, cryothérapie du corps entier et sophrologie), qui concluent le plus souvent à un faible niveau de preuves d’efficacité selon les critères de la recherche médicale, mais aussi au manque de travaux dans ces domaines.

Deuxième terreau propice pour les dérives sectaires du bien-être en période de crise sanitaire : la proximité de certains de ces courants avec la défiance envers les autorités sanitaires, la médecine académique, l’industrie pharmaceutique et donc, de là, avec le complotisme (du refus vaccinal au déni même des dangers du Covid). La Miviludes s’attache systématiquement à circonscrire le périmètre de sa mission sans empiéter sur la liberté de croyance et la liberté d’expression, et elle exclut de son champ de compétences la lutte contre le complotisme en tant que tel. Pour autant, elle note, à la faveur de la crise sanitaire, qu’« il existe de nombreux groupes sectaires qui s’appuient sur des théories du complot pour exercer leur emprise. La frontière entre dérive sectaire et complotisme est donc ténue et il apparait parfois difficile de distinguer ces deux mouvances pour des personnes non aguerries  ». N’est-ce pas Rodolphe Bacquet, défenseur de ce qu’il nomme « l’aventure de la santé naturelle » au sein du site « Alternatif bien-être » qui a porté la pétition « Non au passe vaccinal  » début janvier 2022, avec plus d’un million de signatures ?

Enfin, l’impact de la crise sanitaire se lit aussi dans les méthodes de prosélytisme utilisées par les groupes d’obédience sectaire : pour la Miviludes, « si la crise sanitaire a continué à jouer un rôle de catalyseur des peurs et frustrations de chacun, elle a toutefois aussi contraint certains groupes à caractère sectaires à revoir leurs méthodes de prosélytisme. Le porte-à-porte et les grandes réunions n’étant plus une option durant les périodes de confinement, le recrutement s’est davantage fait par téléphone, mail ou courrier. Les réseaux sociaux ont continué à jouer un rôle central dans l’atomisation du phénomène sectaire en constituant un vecteur de propagation pour un ensemble diffus de microgroupes, de nébuleuses informes de personnes, plus ou moins liées autour de méthodes et de doctrines qui ne se rencontrent qu’épisodiquement voire parfois ne se connaissent pas ». C’est là, probablement, que se joue le point d’inquiétude majeure aujourd’hui, et singulièrement s’agissant des médecines dites douces : l’identification des pratiques à risque d’emprise « se complexifie donc à mesure que le paysage sectaire est lui-même plus vaste, plus segmenté et plus mouvant ». Une importante particularité de l’offre sectaire contemporaine tient au fait que, au-delà des groupes et individus, ce sont parfois des pratiques qui unifient ces communautés. La dérive sectaire est alors invisible et peut frapper en tous lieux puisque ces communautés ne sont pas fondées sur l’autorité d’un meneur spécifique mais uniquement sur un ensemble de méthodes. Pour la Miviludes, « cela se confirme particulièrement dans le domaine de la santé en ce qui concerne les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique. Ces méthodes sont très différentes les unes des autres, tant par les techniques employées que par les fondamentaux théoriques ou les références idéologiques invoquées ».  Si la maladie est un point d’entrée facile pour les mouvements à caractère sectaire, toute dérive thérapeutique n’est pas forcément sectaire. Un médecin peut croire fortement à une thérapie non éprouvée, complémentaire ou alternative, mais qui ne porte pas de danger en soi. Les pratiques non conventionnelles deviennent sectaires lorsqu’elles essaient de faire adhérer le patient à une croyance, à un nouveau mode de pensée visant à l’exclure de toute forme de rationalité et à créer les conditions de son isolement. Prétextant l’inutilité des traitements conventionnels, le pseudo-praticien va demander au patient d’avoir toute confiance en lui car il affirme être le seul à détenir la « méthode miracle  » apte à le guérir.

Or la vulnérabilité à l’égard de ces promesses est le lot commun de beaucoup de nos concitoyens. En 2019, une enquête de l’Institut Harris Interactive pour Santéclair indiquait que 86 % des Français avaient une bonne ou une très bonne image des médecines douces, 36 % considéraient ces médecines efficaces pour soigner les petits maux et, chiffre inquiétant, 9 % des personnes interrogées considéraient ces médecines efficaces pour soigner des pathologies graves. Seuls 2 % des personnes interrogées en avaient une très mauvaise image. Il n’est naturellement pas question de considérer qu’en avoir une mauvaise image a priori est la position désirable. Toute dérive thérapeutique ou toute pratique non conventionnelle n’est pas en soi sectaire.Néanmoins, elles sont régulièrement utilisées pour placer sous emprise un individu en perte de repère. Et le risque est là, qui englobe à la fois l’intérêt de la personne (risque pour sa santé, son régime alimentaire, son accès aux soins vitaux) et l’intérêt général (défiances, marginalisations).

Sectes et dérives sectaires : quelles définitions et quelles évolutions des concepts ?

Il n’existe pas dans notre droit de définition ni de la religion ni de la secte. Une approche par les buts et les effets de certains groupements peut en revanche être envisagée en reprenant les termes du second alinéa de l’article 223–15–2 du code pénal, qui indique qu’il s’agit « d’un groupement qui poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités ».

Au terme de « secte » est préféré, jusque dans l’intitulé de la Miviludes, le terme de « dérive sectaire », notion définie dans une circulaire de 2011 comme « les atteintes portées par tout groupe ou tout individu, à l’ordre public, à la sécurité ou à l’intégrité des personnes par la mise en œuvre de techniques de sujétion, de pressions ou de menaces, ou par des pratiques favorisant l’emprise mentale et privant les personnes d’une partie de leur libre arbitre ».

Le terme même de « secte », qui est d’abord un concept théologique, renvoie historiquement à la vigilance exercée par les cultes majoritaires eux-mêmes, à l’égard de groupes minoritaires perçus par les religions comme transgressifs et dangereux. Au milieu du XXe siècle encore, les Églises historiques s’intéressaient au « phénomène des sectes » en tant que défi pastoral et les étudiaient de façon critique dans une perspective classique d’apologétique ; en revanche, selon une communication de l’historien des religions Jean-François Mayer à l’Académie des sciences morales et politiques, « les États de droit européens ne percevaient pas « les sectes » comme un défi social ou politique, d’autant plus que le terme est sans valeur juridique : ils pouvaient prêter attention à des groupes ou à des membres de ceux-ci, mais toujours en tant que cas spécifiques, en tant que groupes individuels, et non comme imprécise catégorie embrassant une variété de mouvements sans le moindre lien entre eux, mais supposés présenter des problèmes ayant quelque chose en commun ».

Comment expliquer l’évolution qui a conduit à la création, en 2002, de la Miviludes et de son périmètre large d’observation et de prévention des « dérives sectaires » ? En France et dans d’autres pays occidentaux (Allemagne, Etats-Unis) on voit émerger dans les années 1970 les premières associations de défense de familles mobilisées face à des conversions radicales et soudaines de jeunes gens dans des mouvances de type Krishna, Enfants de Dieux, etc. En France, les premières missions parlementaires et rapports datent du début des années 1980 avec, au niveau européen, le tournant important du rapport Cottrell au Parlement européen en 1984, puis, pour notre pays, les étapes clés du rapport Gest-Guyard en 1995 (création d’un observatoire ancêtre de la Miviludes) et de la loi About-Picard de 2001 pour réprimer les « abus d’ignorance et de faiblesse ». 

La perception d’une nécessité d’intervention spécifique de l’État n’a pas été identique d’un pays à l’autre : la France, la Belgique et l’Autriche sont les seuls pays à avoir structuré une action publique dédiée à la lutte contre les sectes. Le principe de la liberté religieuse et l’obligation, pour l’Etat, de ne discriminer aucune croyance, compliquent le travail de définition du périmètre des phénomènes contre lesquels il s’agit de lutter. Le sociologue français Etienne Ollion a finement décrit le processus de requalification et de sécularisation du terme de « secte » dans les deux décennies qui ont conduit à la construction de la Miviludes et de son cadre d’action actuel. Il montre que ce processus, qui est le fait d’une multiplicité d’acteurs sans réel auteur propre, a consisté à écarter la consonance religieuse du sujet pour le remplacer par une consonance purement psychologique du phénomène d’emprise ou de manipulation mentale.

Yoga et méditation : 160 signalements en 2020

Parmi les pratiques de bien-être en vogue qui représentent un risque de dérives sectaires, la Miviludes pointe le lien entre crise Covid, perte de sens pour une partie de nos concitoyens isolés ou vulnérables, et une augmentation constatée des pratiques susceptibles d’engendrer des dérives sectaires autour notamment du yoga, de la méditation, des pratiques dites « New Age » et des promesses diverses de « reconnexion avec son énergie intérieure ». Parmi les signalements qui ne cessent d’augmenter dans les domaines de la santé et du bien-être, le yoga et la méditation jouent un rôle significatif, avec 160 signalements en 2020, soit plus du double de 2017.

Source : Le Monde (Décodeurs), d’après Ministère de l’intérieur

Comme le signalait un article récent des Décodeurs du Monde, le monde du yoga, en raison de la proximité de certains de ses courants avec les thèses complotistes, est aujourd’hui scruté de près outre-Atlantique, à la suite de nombreux scandales mêlant abus sexuels et financiers. Récemment, le mouvement QAnon a bénéficié de relais importants auprès des cercles yogiques, des comptes influents du monde du yoga ayant commencé à utiliser les réseaux sociaux pour inviter des complotistes et partager leurs idées. Ce QAnon « pastel », qui reprend les codes esthétiques d’Instagram et des comptes bien-être, aurait séduit des millions de nouveaux « followers », selon des calculs s’appuyant sur l’outil de mesure CrowdTangle. En France aussi, pointe cet article du Monde, « des jonctions entre militantisme et yoga s’opèrent, à l’image du sunyoga, « méthode qui permet de se connecter au divin grâce au soleil » et qui « inactiverait » le coronavirus. Parmi les membres et dirigeants de la branche française, plusieurs militent ouvertement contre les vaccins et le passe sanitaire et partagent sur les réseaux sociaux des messages de « gilets jaunes », mais aussi du leader d’extrême droite Florian Philippot, du réanimateur controversé Louis Fouché, ou de La France insoumise… La dénonciation de complots supposés, en particulier ceux liés à « Big Pharma », et des encouragements à l’insurrection contre la « dictature sanitaire » cohabitent ainsi avec des appels à l’harmonie intérieure, la solidarité et à la cohésion sociale face à la crise provoquée par le Covid-19 ».

Ce n’est pas souvent le cas, mais yoga et méditation peuvent parfois être associés à une prise de distance à l’égard de la médecine académique, voire à des pratiques s’affichant comme « soins » alternatifs (magnétisme, hypnose, sophrologie, médecine ayurvédique, etc.), à des techniques de développement personnel (communication non violente, pensée positive, etc.) ou encore à des systèmes de croyance (astrologie, chamanisme, énergies vibratoires, « reconnexions intérieures » en particulier « sexuelles », etc.). En outre, la Miviludes surveille de près, sur la base d’une série de plaintes, les réseaux internationaux de « tourisme spirituel » en Amazonie, véritable narco-tourisme « néo-chamanique » qui promeut la consommation, en complément du yoga, de substances hallucinogènes dangereuses, potentiellement létales, et classées en France comme produits stupéfiants : une pratique contre laquelle les ambassades de France de plusieurs pays amazoniens mettent également en garde les voyageurs depuis des années. Le constat est partagé par le renseignement territorial, qui souligne, dans un rapport signé conjointement de la police, la gendarmerie et la Miviludes que « la multiplication des lieux de retraite ou de stage de yoga, de méditation ou d’initiation chamanique génère une augmentation du risque de dérives sectaires ». Du yoga « givré » au sunyoga, en passant par le yoga suspendu, ou le yoga tantrique à connotation sexuelle (skydancing) : c’est un créneau porteur, et non réglementé. Les promesses de réalisation personnelle jouxtent la critique des autorités sanitaires et le discours antivaccin, tout en promettant des solutions miracles à tous les maux.

Comprendre la dérive thérapeutique à caractère sectaire : quelques exemples

Le travail de la Miviludes est de repérer, parmi ces praticiens et pratiques non-conventionnelles, celles qui présentent un risque de dérive sectaire, en tentant une définition simple : « La dérive thérapeutique devient sectaire lorsqu’elle essaie de faire adhérer le patient à une croyance, à un nouveau mode de pensée ». On retient que le thérapeute tend à se faire gourou dès lors qu’il propose non seulement de soigner, mais aussi de changer radicalement de mode de vie. Il se présente comme le détenteur d’une vérité cachée, réprimée ou opposée aux acquis de la connaissance. Tous ceux qui se mettent en travers de son chemin sont accusés soit de retarder la guérison, soit même d’être à l’origine de la maladie : le patient n’a d’autre choix que de soumettre ses proches (y compris ses enfants) à ce nouveau mode de vie, ou bien rompre avec eux et s’isoler. Isolé, il sera d’autant plus facilement la proie d’une demande d’adhésion inconditionnelle qui passera par des contributions financières – la vente d’ouvrages, la participation à des stages payants ou à des retraites coûteuses, le parcours vers d’autres praticiens déviants (du psychothérapeute au sexothérapeute, du coach bien-être au sophrologue puis à l’acupuncteur, etc.).

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La dérive thérapeutique à caractère sectaire s’accompagne donc d’un mécanisme d’emprise mentale destiné à ôter toute capacité de discernement au malade et à l’amener à prendre des décisions qu’il n’aurait pas prises autrement. Le danger consiste d’abord et avant tout dans l’isolement du patient, qui rompt avec son entourage (s’il ne le convertit) et, surtout, se coupe des milieux de soins conventionnels, et y compris de traitements vitaux s’il est malade. Parmi les « méthodes naturelles de soins », la mieux identifiée aujourd’hui en France est la méthode « Hamer », qui détourne probablement des centaines de patients atteints de cancer de leurs soins chaque année. La Miviludes a eu à de nombreuses reprises à traiter des théories de Ryke Geerd Hamer condamné en 2004 à trois ans de prison ferme pour escroquerie et complicité d’exercice illégal de la médecine, suite à la plainte déposée par un homme dont l’épouse atteinte d’un cancer du sein était décédée du fait du refus de traitements éprouvés. La méthode préconisée par ce médecin allemand exclut tout simplement le recours aux traitements conventionnels pour soigner le malade. Cette prétendue « nouvelle médecine » repose sur le postulat selon lequel toute maladie est la résultante d’un choc psychologique intense et d’un conflit intérieur non résolu. Les malades du cancer sont particulièrement ciblés par un certain nombre de pratiques répertoriées qui professent l’ingestion de substances diverses (urinothérapie, jus de citron, cure de jus de légumes, bicarbonate de soude, etc.).

D’autres méthodes repérées par la Miviludes privilégient l’hygiène alimentaire et le rééquilibrage du régime, en particulier à travers le jeûne ; ces pratiques, notamment lorsqu’elles sont imposées aux enfants au sein des familles, peuvent mettre la santé en danger et font déjà l’objet d’un nombre conséquent de poursuites judiciaires. Citons un exemple concret : en 2021, la Miviludes a traité 54 saisines relatives à Thierry Casanovas, qui se présente comme un naturopathe, adepte du jeûne et du régime alimentaire cru et possède une chaîne YouTube rassemblant 558 000 abonnés et comptant plus de 80 millions de vues.Il est proche de personnalités en vue de la mouvance naturopathe et du déni du Covid, en particulier Jean-Jacques Crèvecœur ou Silvano Trotta, une figure majeure de la lutte contre la politique de prévention du Covid. « Pape du crudivorisme et du jeûne », conseiller municipal de la commune de Taulis, cet homme n’hésite pas à affirmer dans ses vidéos, que, lui « ministre de la Santé », le coronavirus « serait réglé rapido : bain froid et jeûne pour tout le monde, un petit jus de carottes et vas-y que je t’envoie ». Ses préconisations naturophiles à base de jus de légumes et de publicités pour une marque d’extracteur en particulier (300 euros pièce), à consonance de simple arnaque (350 euros le week-end detox) paraissent à certains plutôt inoffensives ou, au pire, de l’ordre de la simple ruse mercantile. Avec en tout plus de 600 saisines reçues à la Miviludes, la majorité des internautes qui se sont manifestés auprès de la Mission interministérielle à son sujet l’ont fait en raison des propos qu’il a tenus, notamment dans ses vidéos portant sur la prise en charge des personnes atteintes de cancer ou bien encore atteintes de maladies chroniques (diabète, hypertension artérielle, etc.) et sur la politique vaccinale. Il incite les personnes à remettre en cause les pratiques thérapeutiques médicales, expliquant par exemple que la chimiothérapie est toxique et inefficace, et conduisant certains de ses adeptes les plus fragiles à renoncer à leurs traitements vitaux, ou à s’affaiblir gravement du fait du jeûne.

On aura aussi en tête la nébuleuse des théories du « rééquilibrage de l’énergie », par exemple, la médecine énergétique et le biomagnétisme qui disent permettre de nettoyer l’organisme de déchets énergétiques et favoriser une libre circulation des énergies dans l’organisme. Sans compter les pratiques dites « New Age », autour du chamanisme, du reiki (imposition des mains), de la Gestalt-thérapie (met l’accent sur la conscience de ce qui se passe dans l’instant présent, ici et maintenant, aux niveaux corporel, affectif et mental, indissociables), la kinésiologie (rupture avec des habitudes de vie jugées néfastes, au profit de choix naturels et authentiques comme l’alimentation biologique, les médecines douces, les thérapies non-médicamenteuses), etc. Rappelons que derrière leur discours en apparence sympathique, proche de la nature et, pourquoi pas, inoffensif, ces pratiques peuvent conduire certains adeptes vulnérables à se radicaliser au point de mettre en danger leur santé ou celle de leurs enfants.

Bien-être et « développement personnel » : l’impact du Covid sur la santé mentale

Beaucoup de ces pratiques ont en commun de mettre en avant un mot en apparence savant : « holistique », une qualité que l’on prêtera à ces méthodes pour l’attention qu’elles prétendent porter à la personne et à son développement personnel, par opposition aux présupposés technicistes et déshumanisés de la médecine académique, façonnée pour une société individualiste en perte de sens. Atteindre la « meilleure version de soi-même », à l’écart des scories d’une enfance malheureuse ou d’une sexualité frustrante, exploiter son « plein potentiel », devenir son « propre leader », autant de promesses que vantent des entrepreneurs aux titres et diplômes variés, souvent sans reconnaissance d’un organisme officiel, et qui rencontrent un succès grandissant. Il ne s’agit plus de vénérer une divinité, un chaman ou un guérisseur, mais un idéal de soi. Cet idéal ne serait accessible qu’au travers de l’enseignement d’un « expert », qui ne se présente pas forcément comme guide gourou, mais simplement comme coach inspiré, détenteur d’une méthode miracle pour s’affranchir de ses défauts, de ses regrets, de ses échecs, de ses contraintes, etc.

La crise sanitaire a accentué cette vision du bien-être et du développement personnel comme marché. Gardons en tête ici que, selon Santé publique France, 3 millions de Français souffrent actuellement de troubles psychiques sévères. La crise sanitaire a sensiblement impacté la santé mentale des individus, tant dans leur vie professionnelle que personnelle. L’isolement, la peur et la remise en question de l’organisation du travail, ont conduit bon nombre de personnes à vouloir évoluer, voire à changer de vie, pour compenser un sévère mal-être. La technique de séduction est toujours la même : les premiers contacts sont gratuits, et servent à installer le postulat suivant : l’homme détient en lui les clés de son propre développement ; les obstacles à son épanouissement sont en lui ; il a la compétence en lui de libérer « ses blocages », « ses traumatismes », « ses croyances » ou ses « peurs » hérités parfois depuis l’enfance, et qui l’empêchent de progresser, d’être heureux, confiant, épanoui dans son travail, sa famille et sa sexualité. En face, la rhétorique de la certitude, émaillée de citations en apparence savantes de termes abscons dont nul ne peut naturellement mesurer la progression puisqu’ils sont vides de sens (« harmonisation bio-energétique », « intelligence émotionnelle », etc.), de messages simplissimes sur le bonheur et de témoignages de convertis heureux, vend sans peine la promesse d’une spontanéité énergique retrouvée que, miracle de simplicité, « vous ne soupçonniez même plus » alors que « chacun possède en soi les clés » d’une vie, c’est le Graal, « apaisée et vibrante ». Ces dispositifs de formation et de coaching conduisent à un enfermement des membres dans un système qui relève de l’impasse. Les individus perdent alors le contrôle de leur vie. Ils se retrouvent dans une situation où ils sont incapables de réagir par eux-mêmes. Ces éléments sont propres à caractériser une situation d’emprise mentale. À l’issue de ces formations (on parle ici de stages dont le coût, banalement désormais, tourne autour de 1000 euros le week-end minimum), les stagiaires se retrouvent à devoir choisir entre devenir eux-mêmes les apôtres du système ou bien faire face, pour certains, à l’endettement, à un sentiment de culpabilité et à une confiance en soi totalement détériorée.

Ces pratiques de marchandisation du développement personnel sont, certes, extrêmement diverses, et beaucoup d’entre elles sont proposées par des praticiens sincères qui ne se reconnaîtraient en aucun cas dans le vocabulaire de la dérive sectaire, ni même de l’emprise mentale. Pourtant, dès lors que c’est moins d’un soin que d’un changement du mode de vie et de penser tout entier qu’il s’agit, ces pratiques méritent la vigilance collective. Outre leur coût souvent prohibitif et leur tendance au prosélytisme (le patient est invité à convertir son conjoint, sa famille, ses enfants), leur consonance commune réside surtout dans le vocabulaire et la rhétorique qu’elles exploitent : méthode personnelle, inspirée, révolutionnaire, unique, novatrice, aux promesses infinies pour redonner sens à la vie, au travail, à la famille, à la sexualité, en quelques stages d’épanouissement et de reconnexion avec soi-même et avec la nature.

Toutes ces théories ont largement bénéficié des sentiments d’isolement nés chez certains de nos concitoyens avec le confinement et la crise sanitaire. Le refus de l’ obligation vaccinale, qui, chez les enfants, constituait déjà de longue date un élément important de repérage par les médecins et infirmiers d’éventuelles dérives sectaires dans les familles, s’est imposé comme un symbole dans le discours de certains praticiens non-conventionnels, coachs bien-être ou naturopathes :  la valeur « santé » thématisée comme une connexion personnelle avec ses énergies vitales naturelles à l’écart de toute injonction médicale ou étatique s’est totalement banalisée dans l’espace public. 

Que faire aujourd’hui ?

Pour lutter plus efficacement contre les risques de dérive, nous disposons de pistes concrètes et d’outils éprouvés. Il est temps d’accélérer !

En matière d’évaluation scientifique des pratiques non-conventionnelles, d’abord. Même si l’Inserm a déjà produit de nombreux rapports et analyses, l’urgence est à développer des évaluations ambitieuses de ces pratiques alternatives que le grand public assimile à des médecines « douces ». Samir Khalfaoui, conseille santé à la Miviludes, plaide pour la réactivation, par le ministère de la Santé, d’une structure qui évaluerait les pratiques à risque ou prometteuses : le Groupe d’appui technique sur les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique, qui impliquait l’Inserm. Créé en 2009 et dissout en 2020 (suite à un décret sur la suppression des commissions administratives à caractère consultatif), « ce groupe a rendu d’excellents travaux sur l’évaluation de ce type d’approches », commente-t-il. En attendant, pour améliorer la prévention des risques sectaires, le gouvernement a lancé en 2021 un appel à projets national doté d’une enveloppe d’un million d’euros.

En matière de repérage, ensuite, et, corollaire, de méthodes de sensibilisation auprès du grand public. La Miviludes a construit en 2013 avec les agences régionales de santé une grille de repérage des risques de dérives sectaires qui est très utilisée par de nombreux services de l’État.

Source : Miviludes, rapport novembre 2022

Cette grille présente des apports méthodologiques très importants, en assumant de caractériser comme problématiques des paramètres d’ordre rhétorique dont les charlatans font bel et bien tout leur miel : esthétique pastel douce ; profusion de témoignages invérifiables ; langage pseudo-scientifique (« enérgétique », « vibratoire », « cosmique », « conscience », « quantique », « holistique », etc.) tout en dénigrant la technique et en revendiquant le caractère simple et naturel de la solution « miracle » proposée ; titres à consonance médicale de professions inventées ou non-réglementées (« psycho-praticien ») ; promesses mirifiques touchant au sens même de la vie, à la « reconnexion » avec les énergies vitales, la sexualité, la guérison, etc.

Enfin, la Miviludes a également proposé en 2012 un outil de repérage et de sensibilisation très utilisé par les services de l’Etat, mais qui mériterait de meilleurs relais médiatiques et nécessiterait d’être reformulé pour devenir accessible au grand public : le Guide santé et dérives sectaires. Le constat de départ est simple : 400 pratiques à visée thérapeutique non-conventionnelles répertoriées, plus de 3000 médecins « en lien avec une mouvance sectaire », plus de 4000 praticiens « psy » sans formation aucune ni inscrits sur aucun registre. La réglementation, depuis 2004 et surtout 2010, de l’usage du titre de psychothérapeute a constitué une avancée importante, même si le contrôle demeure probablement insuffisant et, surtout, la connaissance de ces règles totalement méconnue du public, ce qui annule pour partie son intérêt.

Quelles pistes pour agir plus efficacement demain ?

Le travail d’observation de la Miviludes et de ses partenaires du renseignement et de la gendarmerie notamment, et le traitement des milliers de signalements, ne permettent cependant pas une action suffisamment efficace au regard des risques décrits ici. Car il y a loin du signalement à une condamnation par la justice. En 2020, seuls vingt signalements ont débouché sur un recours, par la Miviludes, à l’article 40 du code de procédure pénale (qui oblige tout fonctionnaire à signaler des faits lui paraissant relever de la justice) et ne peut être actionné que lorsqu’il y a possibilité de qualifier une mise en danger de la personne. Chacun se souvient de la construction du siège de l’Eglise de scientologie, à Saint-Denis, qu’aucune mobilisation judiciaire des acteurs de la lutte contre les dérives sectaires en 2020 n’a réussi à freiner.

La frontière entre liberté de penser et repérage des pratiques à risque demeure une difficulté constante de l’action publique dans notre domaine. Marquée à sa création en 2002 par une série d’affaires retentissantes (scientologie, Mandarom, Temple solaire…), la Miviludes a connu un passage à vide dans les années Hollande-Valls pendant lesquelles priorité était donnée à la lutte contre la radicalisation. Depuis son rattachement au ministère de l’Intérieur en 2019, elle retrouve davantage de visibilité, alors que la crise sanitaire a engendré la « prolifération de nouveaux acteurs, plus discrets, maîtrisant le web et ses codes, sachant contrôler les esprits, en exploitant les peurs, la perte de repères », comme l’affirme Christian Gravel, président de la Miviludes. Son souhait, affiché en ouverture du rapport commenté ici, de veiller « scrupuleusement à distinguer ce qui relève de la liberté de conscience des dérives porteuses de préjudices pour les victimes » est déjà assis sur des outils de veille et d’alerte dont la méthode est explicite et publique. Il faut maintenant mieux les expliquer et les faire connaître au grand public, pour accroître la vigilance collective. La secrétaire d’État chargée de la citoyenneté, Sonia Backès, présidera en mars 2023 les premières assises des dérives sectaires et du complotisme ; espérons qu’elles permettront de mieux appréhender les évolutions du phénomène sectaire pour en déduire des réponses adaptées.

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