Fonction publique : les mécomptes de Valérie Pécresse

Fonction publique : les mécomptes de Valérie Pécresse
Publié le 13 janvier 2022
  • Experte des transformations numériques de l’action publique, enseignante vacataire à l’Ecole d’affaires publiques de Sciences Po Paris
La candidate du parti Les Républicains, Valérie Pécresse, a annoncé, comme une mesure phare de son programme, l’ambition de réduire le nombre de fonctionnaires. Cet objectif chiffré de 200 000 est-il réalisable ? Pour le savoir, il faut d’abord faire un état des lieux des trois fonctions publiques : fonction publique d’Etat, fonction publique territoriale et fonction publique hospitalière.

En proposant de supprimer 200 000 postes de fonctionnaires, Valérie Pécresse a rallumé le débat qui avait occupé une partie de la campagne de 2017, lorsque François Fillon proposait un choc thatchérien avec un projet de suppression de 500 000 emplois publics contre 120 000 pour le candidat Emmanuel Macron dont 50 000 dans la fonction publique d’Etat.

Pour ce faire, la candidate LR souhaite chasser les emplois jugés inutiles dans « l’administration administrante » de l’Etat et des collectivités territoriales, un « comité de la hache » (sic) s’occupant par ailleurs d’identifier les « structures para-étatiques » surnuméraires (estimées à 500 sur 1500) et de mener à bien la simplification administrative. La bureaucratie des administrations centrales à Paris est clairement dans son viseur. Elle précise par la même occasion que certains secteurs seront épargnés et même renforcés. Elle prévoit ainsi de créer 50 000 postes dans des services publics consacrés à des missions essentielles : Education nationale, police, justice (greffiers notamment), hôpital (soignants uniquement)… Au total, le bilan de son quinquennat devrait être de –150 000 postes. Et ce, sans modifier le périmètre de la fonction publique, c’est-à-dire sans abandonner au secteur privé telle ou telle mission aujourd’hui réalisée par le secteur public.

Avec quelle méthode ? Ses porte-parole, en particulier Othman Nasrou, précisent qu’aucun fonctionnaire ne sera licencié. Comme Nicolas Sarkozy en son temps, la candidate s’appuiera sur le non-remplacement des départs pour supprimer des doublons entre Etat et collectivités locales, tirer partie des gains de productivité liés à la dématérialisation et augmenter la durée de travail effective à 35 heures dans les collectivités territoriales.

Ce projet est-il réaliste ?

Première observation : contrairement à une idée encore très répandue, l’emploi public n’est pas dans une croissance incontrôlée. En 2019, il représente en France 19,8 % de l’emploi total (soit un emploi sur cinq) pour environ 300 milliards d’euros de masse salariale (cotisations comprises) pour l’ensemble des trois « versants » de la fonction publique. En 2019, les administrations publiques rassemblaient ainsi 5,6 millions d’actifs (5,2 millions en équivalents temps plein), dont 2,5 millions dans la Fonction publique d’Etat (FPE, 44%), 1,9 dans la Fonction publique territoriale (FPT, 35%) et 1,2 dans la Fonction publique hospitalière (FPH, 21%).

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Au total, les effectifs des administrations publiques ont progressé de +0,4% entre 2009 et 2019 : 0,0% dans la FPE, +0,7% dans la FPT et +0,8% dans la FPH. Et depuis 2017, soit la première année du quinquennat, ils sont restés stables : 0,0% dans la FPE, –0,1% dans la FPT et +0,2% dans la FPH (principalement du fait des établissements d’hébergement pour personnes âgées). De fait, si Emmanuel Macron a renoncé à son ambition initiale de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires dont 50 000 dans la FPE, son mandat n’a pas été marqué par une explosion de l’emploi public.

Non seulement la FPE ne présente aucun dérapage, mais elle voit certains ministères perdre des effectifs depuis 2017 : –3% pour l’économie, les finances et l’industrie ; –4,1% pour le logement, les transports et le développement durable ; –1,4% pour les établissements publics à caractère administratif (EPA). Et c’est dans la FPT qu’on observe les croissances les plus marquées, en particulier dans les régions (+7,3% depuis 2017 et +8,6% depuis 2012).

En outre, entre 2009 et 2019, la population nationale a augmenté de 2,54 millions d’habitants (+3,9%). Logiquement, le nombre d’emplois publics pour 1000 habitants, c’est-à-dire le taux d’administration, a donc diminué. Il était de 88,5 agents publics pour 1000 habitants en 2015. En 2019, hors militaires et contrats aidés, il tombait à 73,4 pour 1000.

Enfin, les effectifs de la fonction publique ont, dans l’ensemble, progressé moins vite que l’emploi total. De 2017 à 2019, celui-ci a en effet augmenté de 2,5% tandis que les effectifs de la fonction publique stagnaient, comme on l’a vu.

Deuxième observation : tous les agents de la fonction publique ne sont pas fonctionnaires au sens du statut général de la fonction publique, c’est même de moins en moins le cas. En 2019, sur 5,6 millions d’emplois publics, seuls 3,8 millions sont occupés par des fonctionnaires titulaires. Les contractuels ont en effet beaucoup progressé (+5,2% en 2019 par rapport à 2018) : ils sont aujourd’hui 1,1 million contre 840 000 en 2017, soit 20% de l’emploi public contre 13% il y a dix ans. Les fonctions publiques emploient même aujourd’hui en moyenne plus de CDD (17%) que le secteur privé !

Ce recours plus fréquent aux contractuels en général et aux CDD en particulier est-il une bonne ou une mauvaise chose ? D’un côté, il représente un gain de flexibilité et devrait satisfaire les adversaires d’une croissance à long terme des effectifs de la fonction publique. Mais, de l’autre, il complexifie la gestion des ressources humaines à plusieurs égards : au-delà de la précarité souvent dénoncée, comment garantir l’égalité salariale entre fonctionnaires et contractuels, sur des compétences nouvelles ? Notamment dans le champ informatique, certains contractuels bénéficient de niveaux de rémunération bien plus importants que les fonctionnaires sous statut. Par ailleurs le passage du CDD au CDI, après 6 ans exercé sur une fonction, pousse souvent les administrations à ruser pour éviter une surcroissance des effectifs à moyen terme. De même, le renouvellement des contractuels est fortement découragé et ralenti. Si bien que l’administration y perd : les savoirs, les pratiques, les connaissances partent avec les contractuels non renouvelés ou non pérennisés, et il est sans cesse nécessaire de former des agents ou d’en recruter de nouveaux. Stratégiquement, c’est discutable.

De plus, l’évolution des effectifs et de la masse salariale ne dit pas tout. Leur maîtrise se traduit aussi par l’accélération de la délégation de l’action publique au secteur privé. Selon une note du collectif « Nos Services Publics », l’externalisation représente 160 milliards d’euros par an, sans compter les « coûts d’agence » induits par la gestion des achats au secteur privé, ni les « coûts de maintenance » liés à une forte dépendance de l’action publique à de nouvelles compétences. La question de l’évolution du périmètre d’action de la puissance publique n’est pas nouvelle, nous l’interrogeons fréquemment depuis la révision générale des politiques publiques, et la crise sanitaire que nous vivons depuis presque deux ans nous invite à débattre collectivement avant de décréter des horizons de réductions d’effectifs ou de dépenses. Derrière le choix ou non de l’externalisation (ou la délégation), nous devons prendre en compte des paramètres plus structurels, comment les enjeux de souveraineté ou de sécurité, qui ne se manifestent pas uniquement sur le plan technologique.

Troisième observation : « l’administration administrante » ciblée par la candidate LR ne représente qu’une faible part des emplois publics. Si l’on considère uniquement l’emploi civil de la fonction publique d’Etat (c’est-à-dire en dehors de l’armée et de la gendarmerie qui représentent 16% de cet effectif), les services nationaux qui regroupent les administrations centrales et les directions d’établissements publics représentent 7,3% de l’effectif, soit 161 400 personnes dont 65 000 dans les administrations centrales à proprement parler et un peu plus du tiers en dehors d’Ile-de-France, selon le rapport annuel de la DGAFP. Si l’on y ajoute les personnels des rectorats, des préfectures et de l’administration territoriale de l’Etat, on arrive à un total de 310 000 emplois environ.

A moins de l’amputer des deux tiers et d’escompter un choc de productivité de 200% en cinq ans, ce gisement d’emplois publics ne suffira donc pas à satisfaire les ambitions de Valérie Pécresse.

Quatrième observation : le moyen du non-remplacement des départs risque aussi de s’avérer insuffisant. Pour réaliser 200 000 suppressions de poste par ce moyen et sur un quinquennat, il faudrait un rythme annuel de 40 000 départs par an. En 2020, dans la FPE, on en a compté 42 640. Mais ces départs englobaient des agents de terrain comme les enseignants et non seulement des postes de bureau. La méthode du non-remplacement des départs pourrait s’avérer très dysfonctionnelle dans ces conditions.

Au total, il est douteux que Valérie Pécresse parvienne à mener à bien son projet. Il est même douteux qu’il faille le mener à bien. En revanche, cela ne signifie pas qu’aucune action visant à rendre les services publics plus performants ne doive être entreprise. Si l’on veut réellement réduire « l’administration administrante », il faut même commencer par investir dans une amélioration de sa performance : une administration plus productive en interne, et surtout une administration plus proche et facilitante auprès de ses bénéficiaires. Il serait ainsi par exemple utile de mieux outiller les fonctions supports – justement celles qui gèrent les ressources humaines et les achats – et sont bien souvent le plus victimes de processus bureaucratiques vecteurs d’une forte pénibilité de leur travail et d’une perte de sens. Le sentiment – bien réel – d’éloignement du service public, tant « physique » avec la disparition de guichets, que « numérique », avec la dématérialisation croissante des services publiques, doit être pris en compte. Cela implique de (re)-configurer les services publics, et donc l’organisation des ressources humaines, qui, derrière le guichet d’une maison France Services ou derrière une plateforme d’accès aux aides sociales, doivent prendre en compte une diversité de situations d’usagers, pour limiter au maximum les inégalités d’accès aux services publics.

Cette recherche de performance doit enfin prendre en compte de nouveaux impératifs, et en premier lieu ceux de la démocratie et de l’incertitude. Outre la crise des gilets jaunes et l’actuelle crise sanitaire, la transition écologique nécessite de penser la fonction (ou l’action) publique à l’aune du « nouveau régime climatique ». En montrant que le changement climatique induit de nouvelles inégalités, de nouvelles manières de considérer le territoire et le vivant, Bruno Latour espère que sera inventée autre gestion des ressources publiques, humaines et territoriales. Cela viendra sans doute avec de nouvelles compétences, et à plus court terme avec de nouvelles capacités données aux acteurs du terrain au sein des administrations déconcentrées et des établissements publics dans les territoires. Cela ne viendra sûrement pas si la réorganisation des administrations fait perdre toute capacité d’agir aux agents publics, comme le relate une enquête de Reporterre au sein du ministère de la Transition écologique.

Au total, brandir des objectifs chiffrés de suppression de postes n’est sans doute pas la bonne méthode. Il est improbable que l’on puisse en cinq ans supprimer 200 000 postes de fonctionnaires dans « l’administration administrante » par le seul moyen du non-remplacement des départs. On ferait mieux de se demander ce qui est attendu de la fonction publique sur ses trois versants (FPE, FPT et FPH) et comment la rendre plus efficace et alignée avec les défis qui s’ouvrent à nous.   

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Mathilde Bras