Édito

Tous passagers clandestins

Publié le 27 octobre 2023
L’attitude du passager clandestin consiste à se faire oublier en laissant les autres porter l’essentiel d’un effort collectif. Tant qu’on n’est pas convaincu que celui-ci est équitablement réparti, c’est une attitude rationnelle. Et si chacun est convaincu que son voisin est moins sollicité que lui, l’échec collectif est garanti. Mais comment s’assurer qu’on n’est pas seul à faire l’effort ? Je veux bien prendre ma juste part mais à condition d’être sûr que ceux qui sont plus favorisés que moi prendront aussi la leur, forcément plus importante. Il faut donc trouver une manière de compter les efforts, et les rendre visibles, pour les rendre acceptables.

En matière de transition énergétique, pour le moment, prédomine sans doute majoritairement le sentiment que les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre restent à l’abri des exigences de la décarbonation : jets privés, yachts démesurés, villas surchauffées et suréclairées… Dans ces conditions, pourquoi changer ses habitudes ? Une manière de s’assurer que personne n’échappe au juste effort serait de tenir un compte individuel des émissions carbones. On comprend dès lors pourquoi cette idée peut séduire les militants de la transition verte. L’idée est pourtant beaucoup moins opportune qu’il n’y paraît explique cette semaine Benoît Cogné, qui reprend un à un les arguments en faveur de cette option et montre que d’autres solutions, plus efficaces, existent.

Sur qui doit peser l’effort de responsabilité ? On se pose aussi la question à propos des comptes de la sécurité sociale. Pour faire des économies sur les dépenses de santé, le gouvernement envisage d’accroitre le reste à charge pour les patients en augmentant les franchises. L’argument avancé en séance plénière à l’Assemblée lors de l’ouverture de l’examen du PLFSS est que cela pourrait responsabiliser les patients, en ciblant en particulier la surconsommation médicale. Or, celle-ci est loin d’être clairement établie, plaident ici Florence Jusot et Mélanie Heard. En outre, les actes remboursés sont d’abord des actes prescrits : ce sont donc aussi les comportements des professionnels qui doivent évoluer. Pour orienter les comportements individuels vers un usage raisonné de ressources limitées, comme les soins remboursés, l’incitation par les prix n’est pas le juste outil : même le débat budgétaire au Parlement devrait en avoir conscience.

La Grande Conversation s’interroge aussi cette semaine sur les récentes initiatives du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. L’attentat d’Arras dans un contexte international particulièrement tendu, après l’attaque d’Israël par le Hamas et la riposte sur Gaza, a remis en avant la crainte d’une importation des tensions proche-orientales en France. La question sécuritaire est ainsi revenue au premier plan des préoccupations politiques. La circulaire de Gérald Darmanin aux préfets leur demandant d’interdire préventivement les manifestations propalestiniennes, la volonté affichée de transgresser les règles de la Convention européenne des droits de l’homme en expulsant du territoire national des personnes qui risquent, de retour dans leur pays d’origine, de subir des traitements inhumains et dégradants, et finalement la perspective, avec la discussion prochaine au Sénat du projet de loi « Immigration et intégration », de nouvelles conditions restrictives particulièrement floues de résidence sur le territoire français : ces trois initiatives témoignent d’une volonté de déplacer les seuils de garantie de notre Etat de droit. Une manière aussi de manifester une considération désinvolte vis-à-vis des juridictions (Conseil d’Etat, Conseil constitutionnel, Cour européenne des droits de l’homme…) chargées de défendre nos normes juridiques.

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