Édito

Trump, un choix assumé par les Américains

Publié le 8 novembre 2024
La large victoire personnelle du candidat républicain est complétée par les bons résultats de son camp. Trump à la Maison Blanche, ce n’est plus un accident sans lendemain. C’est le fruit d’une stratégie de plusieurs années, qui a convaincu d’avantages d’électrices et d’électeurs qu’il y a huit ans. De leur côté, les Européens ne semblent pas mieux préparés qu’en 2016 à lui faire face.
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Cette fois-ci, c’est en toute connaissance de cause que les électrices et électeurs américains ont choisi Donald Trump comme 47e président des Etats-Unis. En 2016, c’était un nouveau venu qui brisait les codes politiques traditionnels, sans expérience politique locale ni véritable attache partisane. Voter Trump, c’était sauter dans l’inconnu. En 2024, c’est un revenant qui ne s’impose pas seulement grâce au système déformant des grands électeurs mais qui gagne le vote populaire (avec 2 millions de voix d’avance sur sa rivale), ce qui n’était pas arrivé à un Républicain depuis 2004 (réélection de George W. Bush). En outre, Trump ne l’emporte pas seulement à titre personnel, il fait gagner son camp, qui sera désormais majoritaire à la Chambre des Représentants et au Sénat, soit un alignement complet des pouvoirs fédéraux.

« It’s the economy, stupid! »

Pourquoi les électeurs l’ont-ils préféré à Kamala Harris ? Certainement pas pour ses qualités morales. Pour 60% d’entre eux, Trump est dépourvu des qualités morales d’un chef d’Etat. La moitié pense même qu’il n’a pas la capacité mentale de gouverner. Pour autant, parmi les 60% d’Américains qui pensent qu’il n’est ni honnête ni digne de confiance, un tiers ont tout de même choisi de voter pour lui. Inversement, moins de la moitié des électeurs déploraient un manque de qualités morales chez Kamala Harris. Mais c’est le leadership qui a fait la différence : un peu plus de la moitié de l’électorat voit en Trump un homme fort. C’est ce qui creuse l’écart avec Harris1.

La hiérarchie des préoccupations des Américains a également joué. Les électeurs des deux camps ne partageaient pas les mêmes priorités. Pour les Démocrates, les enjeux principaux étaient la défense de la démocratie, c’est-à-dire la crainte de basculer dans un régime autoritaire (pour deux tiers des électeurs) et les droits des femmes (pour 11%) puis la santé (8%) et le changement climatique (7%). Pour les Républicains, c’était l’économie (39%) et les migrations (20%). « It’s the economy, stupid », la phrase de John Carville, le conseiller de Bill Clinton en 1992, pour expliquer sa victoire face à George Bush, est toujours valable.

La frontière avec le Mexique a cristallisé la question migratoire. La stratégie de Biden à ce propos a manqué de lisibilité. Il a semblé dans un premier temps encourager les arrivées. Puis, il a défendu le mur construit par Trump. Il a ensuite transmis le dossier à sa vice-présidente, qui ne s’est pas imposée sur le sujet.

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Mais c’est l’inflation qui a le plus motivé les électeurs en faveur des Républicains. La sortie de la crise du Covid a été marquée par une forte inflation aux Etats-Unis, culminant à 8% pour l’année 2022. Les ruptures d’approvisionnement, le rebond de la demande après les confinements, amplifié par le plan de relance particulièrement vigoureux voulu par Joe Biden2, et la pénurie de main d’œuvre dans certains secteurs ont provoqué une brutale hausse des prix, affectant les biens de consommation de tous les jours, le prix de l’essence puis les loyers et les services. L’inflation est redescendue autour de 3% en 2024. Mais, dans le « panier de la ménagère », les prix n’ont pas baissé, et l’impression qu’on « vivait mieux avant » a bénéficié à Trump. Neuf électeurs sur dix se disaient préoccupés par les prix de l’alimentation, huit sur dix par leurs dépenses de santé, le prix du logement et de l’énergie.

L’alliance des minorités ne fait plus une majorité

Enfin, la stratégie de coalition des minorités qui avait fait le bonheur des Démocrates par le passé s’est beaucoup essoufflée. Pour remporter le vote populaire, Donald Trump a gagné des voix auprès de catégories qui n’avaient pas voté pour lui en 2016. Il a ainsi progressé de 10 points chez les moins de trente ans, tandis que Harris, avec 55%, fait moins bien que Biden auprès de cette classe d’âge en 2020 (60%). Harris fait un bon score auprès des électrices (54%) mais c’est sensiblement le même résultat que Biden. Surtout, Trump progresse auprès des minorités censément acquises aux Démocrates, surtout les Latinos, catégorie dans laquelle sa progression est la plus forte (19 points). Parmi les Afro-Américains, Harris recueille huit voix sur dix. Mais c’était neuf sur dix pour Biden. Au final, le droit à l’avortement n’a compté que pour 11% de l’électorat et le masculinisme affiché de Trump n’a pas découragé les électrices blanches qui ont voté à 52% pour lui. Le « gender gap » se confirme en revanche parmi les minorités puisque les femmes noires ont voté à 92% et les Latinas à 61% pour Harris. Bref, l’identity politics fonctionne encore un peu mais elle paie beaucoup moins qu’avant.

Toutes ces indications des enquêtes post-électorales montrent une large victoire qui donne une nouvelle assise pour la présidence Trump. Son arrivée à la Maison Blanche n’est plus, comme en 2016, une bifurcation hasardeuse destinée à rester isolée. C’est le fruit d’une stratégie de plusieurs années, qui n’a négligé aucun moyen et qui s’est ouvertement affichée. Ses effets iront au-delà du parti Républicain, déjà profondément transformé par l’emprise trumpienne.   

L’Europe face à son destin

En Europe aussi, cette victoire donnera du crédit à un style de campagne et de gouvernement vers lequel les extrême-droites et même les partis conservateurs penchaient déjà. En Hongrie, Victor Orban montre la voie et il pourrait inspirer de nombreux apprentis populistes à travers le continent. C’est pourquoi la réponse européenne aux pressions du nouveau président américain risque de se faire en ordre dispersé. De nombreux pays européens atlantistes, l’Allemagne et l’Italie en premier lieu mais aussi tous les anciens pays du bloc de l’Est, n‘ont jamais envisagé de contradiction entre le projet européen et l’alliance atlantique. Au contraire, l’Europe signifiait pour eux un ancrage occidental, confirmé par l’appartenance à l’Otan, considérée comme complémentaire à l’appartenance aux institutions européennes. L’idée d’un conflit de loyauté ne leur avait jamais traversé l’esprit. A présent qu’il se dessine, de quel côté penchera la balance ?

Le projet de Trump vis-à-vis de l’Europe est clair : il négociera des accords bilatéraux, dans le style transactionnel qu’il privilégie, faisant valoir un rapport de force sans concession. Cela vaudra aussi bien en matière commerciale que militaire. L’isolement de la France dans son plaidoyer pour une industrie de défense européenne simplifie déjà la tâche sur le terrain des accords militaires : la disponibilité « sur étagère » des armes américaines est un atout de poids face à une filière industrielle à construire. L’entente avec la Russie risque de se faire au détriment de l’Ukraine mais aussi des Européens : c’est dans leur dos, entre Moscou et Washington, que risque de s’écrire la nouvelle architecture de sécurité du continent.

En matière commerciale, la menace d’une augmentation des droits de douane ouvre un champ de négociation pratiquement sans limite pour le Président américain qui vise aussi bien les Airbus ou les vins français que les grosses cylindrées allemandes. A l’inverse, des rétorsions européennes communes contre son premier partenaire commercial seront un facteur de discorde entre les Etats membres. L’excédent commercial de l’UE vis-à-vis des Etats-Unis s’élève à 155 Mds € en 20233. Un recul des échanges signifiera un contrecoup difficile pour la plupart des pays européens, mais inégalement partagé en fonction des secteurs d’activité. Ce sont autant d’occasions de querelles internes au moment où les équilibres de l’Union sont en train de bouger du fait de la crise politique intérieure simultanée de l’Allemagne et de la France. Alors qu’il faudrait faire bloc et donner l’impulsion à une nouvelle stratégie continentale, à Berlin comme à Paris, on ne voit pas qui pourrait prendre les initiatives et décisions qui conviennent dans les mois à venir.


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