Les Républicains à l’Assemblée nationale: entre le marteau et l’enclume

Les Républicains à l’Assemblée nationale: entre le marteau et l’enclume
Publié le 21 septembre 2023
Qui sont les députés Les Républicains à l’Assemblée nationale et comment ont-ils investi le travail parlementaire ? Comment gérent-ils leurs relations avec la majorité (relative) ? Au-delà des critiques rituelles, font-ils office de supplétifs ou bien se rangent-ils clairement dans une attitude d’opposition ? Sur l’autre front, quelles sont les digues qui séparent encore les LR des élus du Rassemblement national et comment résistent-ils à la force d’attraction qu’exerce sur eux et sur leur électorat le parti de Marine Le Pen ? Enfin, comment l’étau stratégique dans lequel se trouvent les députés LR transforme-t-il leur corpus doctrinal ? Nous avons essayé de répondre à ces différentes questions dans une nouvelle étude inédite, après celle que nous avons réalisée sur le groupe RN, sur les LR au Parlement.

En privant le camp présidentiel d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale, les élections législatives de 2022 ont redonné au Parlement une centralité qu’il n’avait pas connue depuis plusieurs décennies. C’est pourquoi il importe de scruter le comportement des différents groupes parlementaires pour observer les recompositions à l’œuvre dans le champ politique. C’est ce que nous avions fait, voici quelques mois, en enquêtant sur le groupe des députés d’extrême-droite (RN) à l’Assemblée nationale. Nous poursuivons aujourd’hui cette entreprise avec le groupe Les Républicains. 

Fort de 62 élus, celui-ci pèse numériquement moins que celui du RN (88 élus). Mais sa position est beaucoup plus stratégique en raison de sa capacité d’apporter au gouvernement et à sa majorité relative les voix qui lui manquent pour « passer » ses textes ou, au contraire, s’y opposer. D’où les attentions continuelles dont il fait l’objet de la part de l’exécutif. 

« Faiseur de rois », le groupe LR n’en reste pas moins dans une situation inconfortable et même périlleuse pour l’avenir de sa famille politique : pris entre l’expansionnisme incessant de l’aile droite du macronisme et la franche montée en puissance de l’extrême-droite, il voit son espace politique se réduire à vue d’œil. Si l’on en juge par les tendances à l’œuvre ces dernières années, le pronostic vital de cette famille politique est engagé. 

Dans les pages qui suivent, nous tentons de répondre à plusieurs questions. Qui sont les élus LR à l’Assemblée nationale et comment ont-ils investi le travail parlementaire ? Comment gèrent-ils leurs relations avec la majorité (relative) ? Au-delà des critiques rituelles, font-ils office de supplétifs ou bien se rangent-ils clairement dans une attitude d’opposition ? Sur l’autre front, quelles sont les digues qui séparent encore les LR des RN et comment résistent-ils à la force d’attraction qu’exerce sur eux et sur leur électorat le parti de Marine Le Pen ? Enfin, comment l’étau stratégique dans lequel se trouvent les députés LR transforme-t-il leur corpus doctrinal ? 

1. Le profil socio-démographique des députés LR

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Avec 62 députés, les LR sont aujourd’hui à leur étiage historique. Ils ne forment que le quatrième groupe parlementaire à l’Assemblée nationale. Une situation inhabituelle pour cette famille politique qui, en d’autres temps et sous d’autres dénominations (RPR, UMP, etc.), a longtemps été l’une des deux principales forces politiques du pays. De fait, aujourd’hui, avec 11% des sièges et cinq fois moins de députés qu’en 2007, les LR ne sont plus la première force d’opposition et n’incarnent plus l’alternance « naturelle » à la majorité en place. Comme le montre le graphique ci-après, l’histoire de cette famille politique à l’Assemblée nationale depuis quinze ans évoque une descente en piqué.

Le chamboule-tout des élections de 2022

Le groupe LR a perdu 41 de ses 103 sièges lors des élections législatives de 2022. Mais ces pertes globales cachent des trajectoires et des mouvements très singuliers.
19 anciens députés ont été battus, dont des figures comme Guillaume Larrivé ou Julien Aubert (qui a ensuite fondé son propre mouvement souverainiste « Oser la France » sur un créneau pas si éloigné de celui de Nicolas Dupont-Aignan).
Un quart des anciens élus (24 exactement) ne se sont pas représentés, soit parce qu’ils ont pris leur retraite, soit parce qu’ils ont mis fin à leur carrière politique, soit encore – pour quatre d’entre eux – parce qu’une condamnation en justice les avait rendus inéligibles (Julien Ravier, Bernard Perrut, Bernard Brochand et Jacques Cattin). L’un de ces députés LR qui ne se sont pas représentés, Jean-Luc Poudroux, a par ailleurs apporté son soutien à Marine Le Pen dont il a intégré l’équipe de campagne pour la présidentielle de 2022.
15 nouvelles recrues ont par ailleurs rejoint le groupe LR en 2022, parmi lesquels quelques héritiers locaux adoubés par leur « vieux » mentor (dans le Rhône, le Jura) et deux médecins qui ont bénéficié de leur notoriété acquise pendant la crise du Covid (Philippe Juvin, Yannick Neuder).
Enfin, les LR sont sortis perdants du marché des transferts : 7 des élus LR ont changé d’affiliation pour rejoindre les différents groupes qui composent la majorité (dont Robin Reda, Eric Woerth, Constance Le Grip ou Damien Abad) alors qu’un seul élu a rejoint les amis d’Eric Ciotti et d’Olivier Marleix (il s’agit de Meyer Habib, élu sous l’étiquette LR mais qui siégeait chez les Constructifs).
On le voit, les élections législatives de 2022 ont été l’occasion de nombreux bouleversements qui, au-delà des pertes elles-mêmes, ont profondément modifié la physionomie du groupe et ses ancrages.

C’est en outre un groupe vieillissant : l’âge moyen des élus LR est de 52 ans, soit deux ans de plus que la moyenne de l’Assemblée et dix de plus que les Français dans leur ensemble. Ce n’est cependant que le cinquième groupe le plus âgé de l’Assemblée derrière LIOT (58 ans), le RN (57 ans), le Modem et les Socialistes (55 ans).

L’âge s’accompagnant en général d’un surcroît d’expérience, ce sont aussi plus souvent des professionnels de la politique : 47 des 62 députés LR ont déjà été députés dans le passé et 100% d’entre eux avaient déjà eu une expérience politique avant les dernières élections législatives (contre 85% en moyenne dans les autres groupes). Le groupe LR n’accueille donc aucun néophyte à proprement parler. C’est le groupe dont les élus ont en moyenne passé le plus grand nombre d’années en politique (20 ans de mandat en moyenne que ce soit comme député, maire, conseiller municipal, président d’intercommunalité ou président de département…) – 92% d’entre eux ont déjà un mandat local ou territorial

Les leaders les plus expérimentés de cette famille politique ne siègent pourtant pas (ou plus) au Palais Bourbon : le groupe LR, hier refuge de nombreux anciens membres du gouvernement, ne compte ainsi plus qu’un seul ancien ministre dans ses rangs (Nicolas Forissier, ancien secrétaire d’Etat chargé de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche et des Affaires rurales du gouvernement Raffarin de 2004 à 2005.). Les Laurent Wauquiez, Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse ont privilégié d’autres mandats (régionaux en l’occurrence), donnant parfois le sentiment que le véritable leadership se situe en dehors des murs de l’Assemblée. Alors qu’il brandit volontiers sa « compétence gestionnaire » et sa « culture de gouvernement » pour se démarquer du RN, en pratique le groupe LR s’est vidé des figures susceptibles d’incarner cet avantage de l’expérience.

Reflet d’une sociologie politique un peu datée, le groupe est également très peu féminisé : seules 29% des députées LR sont des femmes contre 38% en moyenne dans les autres groupes. Sur 11 groupes constitués, le groupe LR est le 8e par le taux de féminisation. Même si la part de femmes a augmenté depuis 2012 (elle n’était que de 15% en 2012…), chez les LR, la politique reste avant tout une affaire d’hommes et même d’hommes d’âge mûr.

Plus largement, les députés LR sont les moins représentatifs de la diversité sociale du pays. Si l’on en juge par « l’indicateur de Rose » qui compare le pourcentage de députés issus des différentes catégories professionnelles avec le pourcentage de la population dans ces mêmes catégories, les LR arrivent… bons derniers ! Leur score de représentativité sociale calculé par Datan est en effet le plus bas de l’ensemble des groupes du Palais Bourbon. De fait, 44% des députés LR étaient issus des cadres et professions intellectuelles supérieures (contre 50% de l’ensemble des députés), 29% du monde des auxiliaires politiques et anciens collaborateurs parlementaires (contre 20% de l’ensemble des députés), 11% des professions intermédiaires, 8% des artisans, commerçants et chefs d’entreprise, 3% des agriculteurs, 2% des employés et… 0% des ouvriers.

2. Une sociologie électorale en déclin

Cette situation résulte des choix du parti lui-même (notamment des choix d’investiture) et des choix personnels de ses membres, mais aussi des dynamiques électorales qui travaillent le pays depuis une dizaine d’années. Celles-ci dessinent les contours d’un électorat de plus en plus âgé et rural.

Au premier tour de la présidentielle de 2022, la candidate LR, Valérie Pécresse, qui a réuni 4,8% des suffrages exprimés, a fait ses meilleurs scores chez les plus de 70 ans (10%), les retraités (9%) et les cadres (6%). Selon un sondage sortie des urnes d’Ipsos, au premier tour des législatives de 2022, les candidats LR-UDI-DVD qui ont réuni 13,6% des suffrages exprimés ont fait également leurs meilleurs scores chez les plus âgés (19% chez les plus de 70 ans contre 6% chez les 25-34 ans et 10% chez les 18-24 ans).

Du point de vue de leurs implantations géographiques, ils se retirent peu à peu sur des territoires de moyenne ou faible densité. Par rapport à leurs résultats aux législatives de 2017, les LR ont connu en 2022 des pertes importantes dans le Centre Val-de-Loire, l’Alsace, la Lorraine, et des pertes modérées dans la Sarthe, la Mayenne, le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône. Ils arrivent à se maintenir et enregistrent quelques rares conquêtes essentiellement dans des départements ruraux et peu peuplés (Corrèze, Cantal, Aveyron, Lot, Lozère…), des circonscriptions qui se situent pour l’essentiel le long de la « diagonale du vide ».

De façon encore plus frappante, en dehors de Nice, les LR ne comptent plus aucun élu dans les circonscriptions des grandes villes du pays : Paris, Lyon, Marseille, Lille, Nantes, Toulouse, Bordeaux… En Ile-de-France (12 millions d’habitants), la situation est particulièrement marquante : les LR n’ont plus aucun élu dans les circonscriptions de la capitale, ils n’en ont plus que deux en Petite couronne et deux autres en Grande couronne.

Carte des circonscriptions LR en 2022. Source  : https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives/cartes-resultats-des-legislatives-2022-quelles-sont-les-circonscriptions-gagnees-perdues-et-conservees-par-ensemble-la-nupes-le-rn-et-lr_5209672.html

Ce bilan est en grande partie le résultat de l’étau stratégique dans lequel se trouvent les LR : placés sous le feu croisé des centristes de la majorité (Ensemble, Horizons…) et de l’extrême-droite (RN, Reconquête), ils ont peu à peu perdu une grande partie de leur électorat au profit de ces deux familles de sensibilité. Témoin de cette situation, les circonscriptions perdues en 2022 par rapport aux législatives de 2017 l’ont été, dans l’immense majorité des cas, au profit soit du RN, soit de la majorité macroniste. Au profit du RN dans le Centre Val-de-Loire, les Hauts-de- France, l’Ile-de-France et la région Sud. Et au profit de la majorité dans les mêmes régions et l’Alsace

Ces pertes reflètent bien la position des LR, qui peinent à affirmer leur identité politique entre le RN et la majorité. Du temps de sa splendeur, ce parti agrégeait au contraire d’importantes composantes centristes aussi bien que des figures d’une droite nationale intransigeante sur les questions régaliennes. Autrefois, l’alliance RPR/UDF, puis l’UMP désignaient en effet un conglomérat de familles politiques : les démocrates-chrétiens, les libéraux, les gaullistes, les nationaux-conservateurs s’y retrouvaient selon des configurations variables. Pour le dire autrement, c’était à la fois le parti d’Alain Juppé, d’Alain Madelin, de Philippe Séguin et de Charles Pasqua. Ce conglomérat a volé en éclat d’abord avec la création du Modem et l’émancipation de l’UDI, puis avec le macronisme qui a réussi à fédérer progressivement une large partie du centre-droite. L’espace politique des LR a ainsi dramatiquement rétréci pour se réduire essentiellement au segment national-conservateur, sur lequel il est à présent concurrencé par Reconquête et le RN. Non seulement la capacité de rassemblement du parti s’est effondrée, mais il n’a plus le monopole d’incarnation et de représentation de la famille politique aujourd’hui dominante en son sein.

3. Comportement politique à l’Assemblée

Dans un tel contexte, l’Assemblée nationale aurait pu être un lieu de combat et de reconstruction pour les LR. En dehors de quelques épisodes très médiatisés, ce n’est pas vraiment le cas. Si l’on examine tous les votes en séance publique (soit 2 519 votes au moment où nous écrivons), le taux de participation moyen des LR est de 16%, soit un tiers de moins que la moyenne des autres groupes, qui est de 24%.

Si l’on se concentre sur les votes solennels en séance publique (c’est-à-dire les votes concernant les textes de loi dans leur ensemble, ceux dont les médias se font le plus souvent l’écho et pour lesquels le jour et l’heure du scrutin sont connus à l’avance, favorisant la présence des parlementaires dans l’Hémicycle), la participation des LR monte à 78%, mais elle est encore inférieure à la moyenne des autres groupes (80%) et loin derrière Horizons (90%) ou La France insoumise (86%).

Et si l’on se concentre sur les votes en séance publique et qui ont un lien avec les domaines de spécialisation du député (sur des textes précédemment examinés en commission), le taux de participation des LR tombe à 22% (contre 38% en moyenne), loin derrière Horizons (54%), Renaissance (49%) ou encore le RN (49%). C’est ici le plus bas score de tous les groupes parlementaires en dehors des non-inscrits. L’ensemble de ces données traduit un sous-investissement de la participation aux scrutins.

Naturellement, le travail parlementaire ne se réduit pas aux votes. Si l’on considère l’activité en commission, le tableau d’ensemble dessine un investissement médiocre et en général inférieur à la moyenne : un député LR a prononcé en moyenne 82 interventions en commission ces douze derniers mois (7e rang derrière LFI, PS, Verts, Renaissance, Modem, LIOT…) ; 14 députés LR (soit 22% du groupe) pointent même parmi les 150 députés de l’Assemblée nationale les moins actifs en commission et seuls 5 LR y sont intervenus plus de 150 fois (contre 10 chez les socialistes, 11 chez LFI, 22 chez Renaissance…). La vie des commissions où se concentre le travail de fond sur les textes ne semble pas passionner les LR, ce qui peut traduire une baisse des compétences techniques du groupe.

L’activité de rédaction et de dépôt d’amendements est en revanche beaucoup plus prisée par les LR. Ces douze derniers mois, un député LR a déposé en moyenne 246 amendements (seuls les insoumis, les socialistes et les écologistes font davantage) et il en a co-signé 2240 (seuls les précédents et le RN font davantage). Au total, les LR qui représentent 10,5% des sièges sont responsables de 17% des quelque 87 000 amendements déposés ces douze derniers mois. Mais un député LR n’a vu en moyenne que 100 amendements parmi ceux qu’il a déposés ou signés être finalement adoptés : sur l’ensemble des groupes, seul le RN a un score inférieur. Au total, le rendement de cet investissement reste faible. Il est bien sûr difficile d’examiner un à un les innombrables amendements déposés par les LR pour en apprécier la qualité, mais il est probable qu’une grande partie d’entre eux participe d’une stratégie d’obstruction ou d’encombrement.

Il est un domaine toutefois où les LR « surperforment » : les propositions de loi. Ils en ont déposé 300 (31% du total) depuis 12 mois. Plus des deux tiers de ces textes concernent la « restauration de l’autorité », la sécurité ou l’immigration : port de l’uniforme à l’école, suspension des allocations familiales aux parents d’enfants délinquants, responsabilisation des familles sur l’absentéisme de leurs enfants, interdiction des signes religieux dans les CFA, texte sur la « reprise de contrôle » sur l’immigration, résolution visant à restreindre l’accès à l’Aide Médicale d’Etat… Les questions économiques sont étonnamment rares dans cette liste. En revanche, dans la catégorie « divers », on trouve quelques curiosités : une PPL visant « la préservation des activités traditionnelles et usages locaux des actions en justice de voisins sensibles aux bruits et aux odeurs » (l’exposé des motifs cite notamment « le chant du coq, le tintement des cloches, les odeurs d’animaux vivant dans un environnement rural ») ; une autre pour interdire les « compétitions de gifles en France » (sic) ; une autre encore pour nationaliser le boulevard périphérique parisien.

Au total, sans être inactifs, les députés LR n’apparaissent pas très investis dans le travail parlementaire.

En outre, l’examen des votes des membres du groupe révèle des problèmes de cohésion en leur sein. Depuis le début de la présente législature, le taux de cohésion du groupe est de 0,84. Plus ce score est proche de 1, plus le groupe est uni quand il s’agit de voter en séance publique. 0,84 est le score d’un groupe relativement peu soudé : il signifie qu’en moyenne une dizaine des 62 députés LR se désolidarisent des consignes de vote du groupe. Pour information, le score de la moyenne des autres groupes est de 0,94. Le taux de cohésion des LR a même baissé depuis la précédente législature où il était de 0,87. Selon le site Datan qui le mesure depuis 2012 (entre temps, l’UMP a disparu au profit des LR en 2015), il n’a même jamais été aussi bas depuis 11 ans, y compris lors des votes solennels.

Cette faible cohésion du groupe est le reflet de ses hésitations politiques et idéologiques. Les votes solennels sur les 14 textes portés par le gouvernement entre juin 2022 et juin 2023 en donnent une bonne illustration : Olivier Marleix a soutenu les textes du gouvernement dans 70% des cas quand Eric Ciotti n’a approuvé que 4 de ces 14 textes (il n’a pas pris part au vote dans 7 cas sur 14). Aurélien Pradié, quant à lui, n’a voté « pour » qu’une seule fois (il était absent dans 86% des cas…). Au total, sur 62 membres, 13 ont soutenu 10 ou plus des 14 textes, et 13 moins de 5. Cette dispersion témoigne des divergences internes d’engagement d’abord (« sécher » est souvent la solution privilégiée) et d’opinion ensuite.

Le texte relatif à l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution fournit un bon exemple de la dispersion des troupes et des divergences de fond qui peuvent les parcourir : sur les 22 députés LR ayant participé au scrutin, on compte 13 pour, 7 contre, 2 abstentions. Ni Eric Ciotti, ni Olivier Marleix n’ont fait le déplacement, pas plus que les futurs jeunes « frondeurs » Pierre-Henri Dumont ou Aurélien Pradié, pourtant prompts à se mobiliser sur les questions sociétales (notamment sur les violences intrafamiliales pour le second).

Ce manque de cohésion traduit aussi une crise de leadership qui a éclaté au grand jour lors de la motion de censure transpartisane contre la réforme des retraites du 20 mars 2023 : alors même que la consigne de la présidence du groupe était de ne pas la soutenir et que le groupe LR du Sénat (majoritaire) avait approuvé la réforme, cette motion de censure a été votée par 19 élus LR (soit 30% du groupe), dont Aurélien Pradié et ses proches.

4. Le problème de la différenciation avec la majorité

L’analyse des votes et des proximités des LR en fonction des enjeux soulevés par les textes soumis au Parlement depuis juin 2022 fait clairement ressortir la problématique idéologique centrale de ce groupe et plus largement de cette famille de sensibilité : comme le PS à gauche, les LR sont pris entre le marteau de la radicalité (le RN) et l’enclume de la culture de gouvernement (les organisations du centre qui composent la majorité actuelle). Ils sont peu ou prou dans la situation de l’âne de Buridan à égale distance d’un seau d’avoine et d’un seau d’eau : ils ont besoin des deux pour survivre mais tout ce qui les rapproche de l’un les éloigne de l’autre. Concrètement, ce qui fait leur différence avec le RN (leur libéralisme économique, pour l’essentiel) est précisément ce qui les pousse dans les bras de la majorité ; et réciproquement, ce qui fait leur différence avec la majorité (leur intransigeance sur les sujets régaliens) est précisément ce qui les pousse dans les bras du RN.

Alors qu’il voue aux gémonies le macronisme dans les discours officiels, depuis 2022, dans 63% de l’ensemble des votes, le groupe LR a épousé la même ligne que la majorité. Ce qui est presque deux fois plus que lors de la précédente législature (35%). Ce score est d’autant plus significatif que, parmi les députés LR à qui il arrivait de soutenir la majorité sous la précédente législature, certains ont été battus en 2022 et d’autres ont rejoint Renaissance, Horizons ou LIOT, comme on l’a vu plus haut.

Si l’on se concentre sur les 14 scrutins solennels portant sur des projets de loi dans leur ensemble depuis le début de la législature à la fin juin 2023, les LR avaient soutenu la majorité dans 53% des cas, s’y étaient opposés dans 12%, s’étaient abstenus dans 3% et n’avaient pas pris part au vote dans 32% des cas. Parmi l’ensemble des groupes d’opposition, le groupe LR est celui qui soutient le plus souvent le gouvernement. Parfois le ralliement de ces députés a été obtenu au prix de concessions gouvernementales qui sont alors revendiquées comme autant de victoires éclatantes. Parfois, il a été plus spontané. Mais les résultats sont là : les LR ont voté la première loi budgétaire rectificative de juillet 2022, la loi LOPMI, la réforme de l’assurance-chômage, la loi de programmation militaire ou encore le plan de relance du nucléaire. Au total, s’ils sont loin d’avoir formalisé un quelconque contrat de coalition avec elle, les LR apparaissent comme des partenaires contrariés ou des alliés fantômes de l’actuelle majorité. Et il y a fort à parier qu’en dépit de leurs efforts de démarcation, cette situation perdure, comme le suggèrent les nombreux efforts récents du gouvernement pour obtenir les suffrages des amis d’Eric Ciotti et de leur électorat (interdiction de l’abaya à l’école, débat sur l’uniforme, etc.).

Sur les questions économiques en particulier, les LR peinent à se démarquer des macronistes qui reprennent d’ailleurs souvent une partie de leurs propositions historiques. C’est notamment le cas sur la défiscalisation des heures supplémentaires, la volonté de relâcher les filets de sécurité de l’assurance chômage quand l’emploi est dynamique, le souci de faire baisser les prélèvements obligatoires ou encore les annonces d’une plus grande rigueur budgétaire après les années du « quoi qu’il en coûte ». Le macronisme mord clairement sur la philosophie économique qu’avait pu incarner en son temps un Nicolas Sarkozy et qui demeure la doctrine dominante des LR. Il faut dire, en outre, que certains textes économiques déposés par la majorité répondaient à des urgences conjoncturelles (soutien au pouvoir d’achat dans un contexte inflationniste) qu’il aurait été difficile et même dangereux de contester.

Du coup, les LR cherchent à se démarquer du gouvernement en affichant une plus grande radicalité dans ces domaines. Tout en votant ses textes ou en refusant de soutenir les motions de censure des autres oppositions, ils déplorent ainsi des politiques « en arrière de la main », durcissent leur antifiscalisme, exigent des efforts beaucoup plus francs sur la maîtrise du déficit et de la dette publics ou la valorisation du travail contre l’assistanat.

A propos de la loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat de juillet 2022, Stéphane Viry, député LR des Vosges, déclare ainsi en Commission des affaires sociales :

« On aurait pu espérer une baisse significative des taxes, notamment sur les carburants. Seuls les chèques semblent apporter une réponse, très coûteuse, à la perte de pouvoir d’achat. Que faire alors des taxes, des taxes sur les taxes, de la pression fiscale, devenue insoutenable pour certains ménages ? (…) Les Français paient des taxes à l’État, et l’État leur verse des chèques avec lesquels ils vont payer de nouvelles taxes : c’est un serpent qui se mord la queue. »

Les LR défendaient ici une mesure qui avait été portée par Marine Le Pen durant la campagne présidentielle : baisser les taxes sur les carburants de façon à ce que « le prix à la pompe ne dépasse pas 1,50 euros du litre ». Pour ce faire, ils soutiennent en particulier la suppression de la TVA sur la TICPE. 

Dans le cadre du même débat, les LR demandent également la défiscalisation totale des heures supplémentaires afin d’augmenter le salaire net et de faire en sorte « qu’il apporte plus que l’assistanat ». Ils réclament également la baisse de la CSG sur les pensions des 8 millions de retraités aisés qui continuent à payer un taux supérieur au reste de la population.

Ayant néanmoins voté ces textes « par esprit de responsabilité » et pour éviter d’ajouter « le chaos au chaos », selon leurs expressions consacrées, les LR s’adjugent volontiers leurs avancées. Ainsi, sur la première loi de finances rectificative de juillet 2022, Véronique Louwagie, députée de l’Orne et membre de la Commission des Finances, verse au crédit de son groupe « les 230 millions d’euros qui aideront 3 millions de foyers à se chauffer au fioul », le doublement de l’indemnité carburant pour les salariés, l’accroissement du plafond de la défiscalisation des heures supplémentaires et la monétisation des RTT, l’élargissement et la généralisation de la carte Vitale biométrique pour lutter contre les fraudes aux fausses cartes Vitale, et même la remise de 20 centimes de TotalEnergies sur le litre d’essence couplée à la ristourne de 30 centimes consentie par l’Etat (« au total, Les Républicains ont obtenu une baisse de 50 centimes par litre ») ! Le tout en exprimant un regret insolite compte tenu des dépenses dont ils viennent de se féliciter : « nous n’avons obtenu aucune réponse quant à la diminution des dépenses publiques ».

Lors du premier examen du projet de loi de finances 2023, c’est Olivier Marleix qui exprime l’intransigeance des LR et tente de convaincre de leur plus grande rigueur en matière budgétaire :

« Nous ne partageons pas votre recours systématique à la dette. Vous n’aimez pas que l’on vous rappelle les chiffres, mais la réalité dépasse l’entendement. D’après le budget que vous nous présentez pour 2023, l’État dépensera 500 milliards d’euros, alors qu’il n’encaissera que 345 milliards de recettes. Le déficit de votre budget atteint donc 155 milliards d’euros, c’est-à-dire qu’un tiers de la dépense de l’État est financé par de la dette supplémentaire, tandis que le stock de dette dépassera les 3 000 milliards d’euros. »

Et il ajoute :

« Nous ne partageons pas non plus vos choix concernant la fiscalité. Vous méprisez le travail, qui est la valeur essentielle du lien social. Vous ne prévoyez rien pour cette classe moyenne accablée d’impôts de toutes sortes, qui prend son véhicule pour aller travailler, qui cherche à accéder à la propriété mais se voit refuser des crédits, et qui, peu à peu, ne voit plus le bénéfice de son travail. »

Le même Olivier Marleix devra cependant expliquer dans la foulée pourquoi son groupe ne soutiendra pas la motion de censure déposée contre le gouvernement sur ce même texte (« Donner encore davantage de notre pays l’image d’un bateau à la dérive n’est pas l’intention du groupe Les Républicains: spéculer sur l’effondrement du pays est le calcul de ceux qui préfèrent le désordre – on l’a vu jusque dans notre assemblée –, pas le nôtre »). Si les textes budgétaires sont l’occasion de vérifier qui est dans l’opposition, et qui dans la majorité, alors les LR se retrouvent à chaque fois dans un entre-deux indéfinissable. Une ambiguïté que le RN et les autres oppositions s’emploient à souligner avec force.

Mais la contrainte politique de la distinction avec la majorité peut aussi les conduire à se déchirer quand elle l’emporte sur l’exigence de cohérence. Ce fut le cas sur la réforme des retraites. La proposition du gouvernement était en effet parfaitement conforme à ce qu’ils avaient toujours défendu en la matière – le groupe LR du Sénat lui accorda d’ailleurs son soutien après quelques amendements. Mais, devant l’impopularité croissante de la réforme, une partie de leurs homologues de l’Assemblée nationale préféra lui opposer des exigences nouvelles et toujours plus élevées, de telle sorte qu’il devenait de plus en plus improbable pour le gouvernement d’obtenir le soutien des députés LR. Sous la houlette d’Aurélien Pradié, un petit tiers du groupe se rallia d’ailleurs à la motion de censure déposée par le groupe LIOT le 20 mars 2023 (voir encadré).

Les dissidents du 20 mars 2023

19 députés LR ont voté pour la motion de censure transpartisane déposée par le groupe LIOT le 20 mars 2023. Ce groupe de dissidents est un rassemblement assez hétéroclite : il compte des proches d’Eric Ciotti (Dino Cinieri), de Laurent Wauquiez (Jean-Pierre Vigier, Fabrice Brun, Isabelle Valentin) ainsi que des députés habitués à voter les amendements RN (Maxime Minot, Fabien di Filippo…). Hormis Aurélien Pradié qui a conduit la fronde, ils se sont peu exprimés dans l’enceinte du Parlement, réservant l’essentiel de leurs commentaires aux médias.
Le point de discorde concernait essentiellement les carrières longues, comme indiqué dans le courrier adressé par Aurélien Pradié le 8 mars 2023 à Bruno Retailleau :
« Pouvons-nous affirmer que tous les travailleurs en carrières longues, qui débuteront avant leurs 21 ans, n’auront pas à faire plus de 43 annuités ? La réponse est, à ce stade, clairement non, puisque ceux qui débutent à 14 ans feront 45 annuités et ceux qui débutent à 16 et à 18 ans en feront 44. Cette loterie, qui donnerait aux travailleurs ayant commencé avant 21 ans un traitement différent selon leur âge de début de carrière, est ubuesque. Personne ne peut ni l’expliquer sérieusement ni le justifier politiquement. (…) Ne pas tout faire pour corriger cette injustice serait à mon sens condamner la réforme toute entière. Il s’agit là de reconnaissance de l’effort et du travail. »
C’est sous le signe de la valeur du travail et de l’exigence de justice sociale que Vincent Descoeur, député du Cantal, place sa critique lors d’une intervention en hémicycle en février 2023 :
« Je profite de l’examen de cet amendement pour regretter que le Gouvernement ait fait le choix d’une réforme qui obéit à une logique purement comptable, alors même qu’il s’agit d’un enjeu sociétal, qui pose la question de notre relation au travail et aurait dû donner lieu à un débat sur la durée de cotisation, le temps de travail mais aussi et surtout sur le partage de l’effort demandé entre ceux qui travaillent dur et ceux qui travaillent moins. »
Pierre Cordier, député des Ardennes, fait valoir de son côté que « la pénibilité au travail n’a pas suffisamment été prise en compte » et que le temps de cotisation défavorise les femmes par rapport aux hommes. Isabelle Valentin, députée de Haute-Loire, dénonce quant à elle des « économies [faites] sur le dos des gens qui ont toujours travaillé ».
Ces députés ont ainsi donné le sentiment de réveiller les accents du gaullisme social, étiquette qui leur a été quelquefois accolée ou qu’ils ont eux-mêmes brandie. Une grande partie d’entre eux ont d’ailleurs accordé leur soutien à des PPL transpartisanes comme celle contre les déserts médicaux qui visait à réguler l’installation des médecins en fonction des besoins de chaque territoire (cosignée par plus de 200 députés tous groupes confondus), ou pour la revalorisation des retraites des salariés agricoles. Aurélien Pradié était intervenu lui-même très tôt dans les débats en commission des affaires sociales sur la déconjugalisation de l’Allocation Adulte Handicapé (AAH) avec des accents qui ne trompent pas : « Le traitement des perdants n’est pas un détail. Près de 50 000 de nos concitoyens sont concernés, plus peut-être demain ».
Ces dissidents ne se sont pourtant pas constitués en collectif autonome ou en courant organisé après avoir violé les consignes de vote de leur groupe. Ils ne se sont même pas mobilisés sur la PPL concernant le partage de la valeur – sujet sur lequel on pouvait penser que des gaullistes sociaux seraient motivés. Alors que le groupe avait appelé à soutenir ce texte, seuls 4 députés LR sur 62 ont fait le déplacement pour l’approuver.
Non seulement les dissidents du 20 mars ont immédiatement rejoint le courant central de leur groupe sur les questions régaliennes (ils ont tous co-signé l’ensemble des textes sur l’immigration déposés par le groupe au printemps 2023), mais ils n’ont pas trouvé de véritable leader. Leur « meneur », Aurélien Pradié, démis de ses fonctions de vice-président du parti par Eric Ciotti, s’est peu investi à l’Assemblée : il n’a participé qu’à 63% des votes solennels (contre 78% en moyenne dans le groupe et 80% dans l’ensemble de l’assemblée) et à 7% de l’ensemble des 2 519 votes en séance publique (contre respectivement 16% et 28%) sur les 40 semaines d’activité parlementaire de la première année de la législature, il n’a été présent que 26 semaines, et sur les 59 réunions de la commission des lois il n’a pris part qu’à 11 d’entre elles. Et il ne semble pas s’appuyer sur un travail parlementaire de fond pour tracer son propre sillon, mais plutôt sur de nombreuses interventions médiatiques, en évoquant la création de son « propre espace de réflexion » ou en enjoignant sa famille politique de redevenir « une droite populaire », persuadé qu’un « récit national se refondera aussi sur les réponses apportées à toutes les blessures du quotidien des Français ». Enfin, comme les autres, il se rallie aux propositions d’Eric Ciotti sur l’immigration, se contentant simplement de dénoncer des propos outranciers de certains de ses camarades peu après les émeutes de l’été 2023 :
« A chaque fois que ma famille politique a porté des propositions courageuses, je les ai toujours soutenues. En revanche, je n’accepte pas les propos de Bruno Retailleau sur la « régression ethnique » pour évoquer les émeutiers. (…) Ni Charles Pasqua ni Philippe Séguin n’auraient toléré de tels propos. Ils auraient été fermes sur le rétablissement des valeurs et de l’ordre républicains, mais jamais ils n’auraient basculé dans un réveil de guerre des races. »
Bref, le groupuscule sécessionniste de mars 2023 est très loin d’avoir pris son envol.

5. Le problème de la différenciation avec le RN

Avec le RN, la proximité se joue principalement sur les enjeux régaliens : sur l’immigration, l’autorité, la sécurité, les positions des LR sont de plus en plus difficiles à distinguer de celles des députés d’extrême-droite. Mais elles sont, à leurs yeux, le marqueur principal de leur appartenance à une opposition résolument de droite, comme le souligne Olivier Marleix dans une tribune publiée dans le Monde au moment des débats sur les propositions de loi présentées par les LR lors de leur niche parlementaire :

« On considère que les Français attendent des mesures assez radicales en matière d’immigration, et on ne peut pas laisser le RN apparaître comme le seul parti qui aurait un peu de volonté sur ce sujet ».

Le député LR de la Loire Antoine Vermorel-Marques est plus explicite encore :

« Si on lâche sur les sujets migratoires et régaliens, c’est qu’on a été absorbé par la majorité. C’est notre différence principale avec eux ».

Sur la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (dite Lopmi), l’essentiel des 1200 amendements déposés le sont par les LR et le RN, dont de nombreux amendements identiques en faveur de la hausse du budget ou de moyens supplémentaires pour les forces de l’ordre… A l’arrivée, 54 députés LR sur 62 votent en faveur d’un texte qui avait déjà été adopté au Sénat, aux côtés des députés RN et de la majorité. Olivier Marleix se justifie : « On n’a jamais dans notre histoire voté contre des moyens supplémentaires pour les forces de l’ordre ». Les élus de droite ont également réussi à faire adopter certaines dispositions, notamment le doublement des places en centres de rétention administrative pour les étrangers en situation irrégulière.

Même jeu sur la loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite. La loi est votée quasiment à l’unanimité par la majorité, le groupe RN et le groupe LR (fait rare, les LR se mobilisent quasiment tous pour voter : ils sont 58 à voter pour, aucun ne s’abstient). Les députés LR et RN se mobilisent fortement dans les discussions du texte, et déposent de nombreux amendements – là encore souvent identiques à ceux du RN.

Les deux groupes se retrouvent également sur le terrain de leur croisade contre l’Aide médicale d’Etat. Véronique Louwagie, députée LR de l’Orne, a réalisé un rapport parlementaire sur le sujet qui a donné lieu à une proposition de résolution– signée par tout le groupe. Le texte fait mention d’un « dérapage complètement incontrôlable de l’AME », d’un « scandale démocratique », d’une « injustice sociale ». Il faut noter que cette proposition de résolution des LR ressemble à s’y méprendre à la proposition de loi déposée sur le même sujet juste avant fin mai par le groupe RN, qui visait à supprimer l’AME, pour créer une « aide d’urgence vitale ». Cette proposition de résolution, soumise au vote le 7 juin 2023, a été rejetée par l’Assemblée mais l’intégralité des députés d’extrême-droite présents dans l’Hémicycle a voté pour. 

La journée d’initiative parlementaire des LR (« niche parlementaire ») le 1er décembre 2022 est l’occasion de souligner leur radicalité en matière régalienne. Parmi les quatre PPL retenues, deux concernent les questions migratoires et sécuritaires : une proposition de loi pour assouplir les conditions d’expulsion des étrangers « constituant une menace grave pour l’ordre public », et une autre pour créer une juridiction spécialisée sur les étrangers délinquants. Les débats sont houleux sur ces deux propositions. Soucieux de marquer les LR « à la culotte », les députés RN prennent soin de voter pour. Ces deux PPL seront néanmoins rejetées. Les LR eux-mêmes n’y croyaient d’ailleurs pas suffisamment pour se mobiliser : ils ne sont que 44 votants sur 62 en début de la journée, puis 20 et finalement 14 en fin de journée. Mais qu’importe : il s’agissait surtout de marquer leur différence avec la majorité tout en parlant à l’électorat du RN.

Ces derniers mois, les LR ont néanmoins tenté de prendre le leadership sur les questions migratoires, en prévision des débats qui accompagneront le prochain projet de loi du gouvernement sur le sujet à l’automne 2023. Après les divisions sur la réforme des retraites, il s’agit de serrer les rangs et de faire l’unité du groupe et du parti autour de propositions radicales. Ils ont durci leur position au risque de briser leur doctrine historique sur l’Europe tout en revendiquant une compétence « gestionnaire » qu’ils contestent au RN. C’est ce qu’Eric Ciotti appelle, d’une expression qui frise l’oxymore, la « radicalité gestionnaire ».

Entre mai et juin 2023, le groupe LR a ainsi déposé au Parlement cinq propositions de lois ou de résolution sur l’immigration, toutes co-signées par l’ensemble du groupe :

  • Une proposition de loi constitutionnelle relative à la souveraineté de la France, à la nationalité, à l’immigration et à l’asile : elle propose de modifier la Constitution pour organiser un référendum sur l’immigration, faisant ainsi écho à la proposition de Marine Le Pen, lors de la campagne présidentielle​ ;
  • Une proposition de résolution relative au dérapage du coût pour l’État de la couverture santé des étrangers en situation irrégulière et des demandeurs d’asile provenant de pays d’origine réputés sûrs et au nombre d’étrangers en situation irrégulière ;
  • Une proposition de résolution appelant à la dénonciation, par les autorités françaises de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
  • Une proposition de loi pour reprendre le contrôle de la politique d’immigration, d’intégration et d’asile ;
  • Une proposition de loi visant à empêcher l’acquisition automatique de la nationalité française à 18 ans par le droit du sol pour tout enfant de parents étrangers ayant fait l’objet d’une condamnation ;

La proposition de loi constitutionnelle constitue un point de rupture pour les LR qui, en assumant pleinement une posture illibérale et anti-européenne, se détournent du long héritage de la droite de gouvernement en la matière. Le référendum sur l’immigration qu’ils proposent serait utilisé comme un instrument de mise en cause de la primauté de la norme juridique européenne sur la norme nationale, et permettrait de déroger aux engagements internationaux de la France sur des sujets comme le droit d’asile ou le regroupement familial.

Qualifié de « copié-coller éhonté des propositions de Marine Le Pen » par le Rassemblement national, qui propose de rebaptiser les Républicains « Les Recopieurs », ce virage acte l’unité autour d’une ligne souverainiste qui prépare à la fois le débat parlementaire sur le projet de loi relatif à l’immigration et la campagne pour les élections européennes qui se profile en juin 2024.

Il n’est pourtant pas évident que ce durcissement fasse l’unanimité dans la galaxie de la droite de gouvernement. Le groupe Union Centriste du Sénat allié des LR s’est empressé de déposer en juin sa propre proposition de loi sur l’immigration, « visant à instaurer une stratégie migratoire efficace, crédible et respectueuse des engagements de la Nation ». Les LR devront compter sur leurs alliés au Sénat pour défendre leurs positions, mais beaucoup d’entre eux ne proposent pas de déroger aux traités européens et sont favorables à la création d’un titre de séjour des métiers en tension, comme l’a expliqué le sénateur UDI Philippe Bonnecarrère :

« Pour nous, il n’est pas envisageable de déroger aux traités européens. Par ailleurs, nous partageons l’idée du gouvernement de créer un titre de séjour « métiers en tension », car il est nécessaire à nos yeux de lutter contre le travail clandestin tout en évitant de créer un appel d’air et un afflux de demandes. Il nous semble important qu’il y ait la possibilité de régulariser des personnes en situation irrégulière qui travaillent dans des secteurs en tension comme l’hôtellerie, la restauration ou le bâtiment par exemple, où les employeurs ont des difficultés à embaucher. C’est du pragmatisme. »

Alors qu’Olivier Marleix a agité la menace d’une motion de censure sur ce texte, on se demande comment pourraient réagir les derniers alliés centristes des LR. Ceux-ci ne seront-ils pas à nouveau condamnés à perdre sur leur gauche ce qu’ils espèrent gagner sur leur droite ?

6. L’écologie introuvable des LR

Les LR se retrouvent également aux côtés des RN dans plusieurs combats contre les politiques environnementales. Le temps n’est plus où les conservateurs se réfugiaient dans le climatoscepticisme : ils ne contestent plus ni le fait du réchauffement ni la responsabilité humaine à ce sujet. Mais leur opposition s’est déplacée sur le terrain des déclinaisons opérationnelles de la transition écologique. Leur discours consiste à dire en substance : « oui, il faut agir, mais pas comme ça et surtout pas au détriment du mode de vie des classes moyennes et populaires et du monde rural ». De fait, ils votent régulièrement avec les amis de Marine Le Pen contre l’éolien terrestre et cherchent à éloigner au maximum l’éolien offshore, notamment en défendant de conserver la distance de 25 miles nautiques entre le littoral et les éoliennes offshore, ou encore en plaidant pour imposer l’avis de l’architecte des Bâtiments de France lorsque les projets éoliens sont proches de bâtiments protégés (au nombre de 46 000 dans notre pays…). Tout ce qui est de nature à empêcher, compromettre ou ralentir le développement de l’éolien trouve les élus de droite et d’extrême-droite parfaitement alignés. Les LR ont voté la totalité des amendements RN sur l’éolien. Cette alliance s’est prolongée jusqu’aux saisines du Conseil constitutionnel des deux groupes LR​​ et RN​​ qui ont été déposées le même jour (le 6 février 2023) et rédigées dans les mêmes termes. Pour cause : l’une et l’autre proviennent de la même note juridique dont elles reprennent parfois jusqu’aux fautes d’orthographe.

Déjà sous la précédente législature, les députés LR et ceux du RN – alors non-inscrits – s’étaient presque unanimement abstenus sur l’ensemble des dispositions de la loi Climat et résilience. Sous la présente législature, ce n’est plus l’abstention qui domine mais l’hostilité. Les députés LR ont ainsi apporté leur soutien au RN en votant pour la PPL visant à supprimer les Zones à faibles émissions (ZFE), « un choix du bon sens » selon le député LR Nicolas Ray lors de la niche parlementaire du RN le 12 janvier 2023. Les LR étaient certes en petit contingent à cette occasion : 7 votants sur 62 députés, dont le président de groupe Olivier Marleix.

Le groupe LR est resté campé dans sa posture de lutte contre « l’écologie punitive », pendant toute sa première année de législature. Les députés LR ont qualifié les ZFE ou l’objectif du Zéro artificialisation net (ZAN) tour à tour comme des « politiques publiques hors-sol » voire « ruralicides », le député LR Marc Le Fur appelant même de ses vœux la « fin des sottises ». Ils sont également prompts à rejeter les politiques de transition écologique dans le champ de la « décroissance ». L’intervention de Vincent Rolland à propos de la PPL visant à accompagner les élus locaux dans la mise en œuvre du ZAN (finalement adoptée avec le soutien des LR) réunit l’ensemble de ces commodités rhétoriques :

« L’objectif ZAN relève d’une logique sous-jacente que nous commençons à bien connaître, celle de la décroissance – une logique dont il est facile de prévoir les conséquences : la mort de la ruralité, l’entrave aux initiatives de développement, le renforcement des inégalités entre les zones rurales et les pôles urbains et jusqu’à l’explosion des coûts du logement. »

Un seul député LR sur 62 semble se distinguer de l’ensemble de ses collègues : le « Monsieur Ecologie » du groupe, Antoine Vermorel-Marques, député de la Loire, 30 ans. Convaincu que la droite « a besoin de construire une matrice écologique à droite », il promeut « des mesures gagnantes pour la planète et pour l’individu ». Il est notamment co-rapporteur d’une mission flash sur le suivi des engagements de la France dans les COP qui plaide pour la mise en place d’une vraie politique de planification écologique, un renforcement du rôle du Parlement dans le suivi des politiques menées et une formation accélérée des députés sur les enjeux écologiques. Ministre de la Transition écologique dans le shadow cabinet présenté par Eric Ciotti en mai 2023, Antoine Vermorel-Marques rédige pour les Etats Généraux de la droite un fascicule de dix pages pour jeter les bases d’un discours écologique de droite. Il sera un des seuls élus LR à ne pas participer au vote contre le projet de loi ENR du gouvernement en décembre 2022. A ce stade, Antoine Vermorel-Marques reste pourtant l’exception qui confirme la règle. Au lieu de chercher sur ce terrain encore peu travaillé à droite, une ligne et des idées nouvelles (alors même que le RN promet de s’y employer très prochainement), ses collègues emboîtent volontiers le pas à un nouvel écolo-scepticisme qui, sans mettre en doute la réalité du réchauffement climatique, son origine anthropique ou encore le déclin de la biodiversité, organise pied-à-pied la résistance au changement sur la plupart des dossiers. Une opposition qui croise de plus en plus les débats européens. Témoin, l’opposition conjointe des élus français du PPE au Parlement européen et des députés LR au texte pour la restauration de la nature défendu par la Commission européenne. Figurant dans le Pacte vert, cette priorité politique se décline en objectifs concrets : pour 2030, engager la restauration de 20% des terres et des espaces marins en Europe ; pour 2050, améliorer l’ensemble des zones abîmées par la pollution ou l’exploitation intensive, qu’il s’agisse des prairies, des forêts ou des cours d’eau. Les députés Eric Ciotti, Olivier Marleix ou Ian Boucard ont récemment cosigné, avec l’eurodéputé François-Xavier Bellamy, une tribune dans le Figaro sur le risque de « décroissance » que représenterait ce texte. François-Xavier Bellamy a notamment attaqué « une vision fantasmée de la nature », un « rêve rousseauiste », qui veut « faire disparaître la trace de l’homme ».

7. La transition énergétique

Les débats sur la transition énergétique suscitent le même mélange d’écolo-scepticisme et d’euroscepticisme. Si tout le monde, à droite, est d’accord pour relancer le nucléaire, voire pour en faire l’instrument quasi-exclusif de la transition énergétique, en revanche sur les ENR comme sur le marché européen de l’électricité, les LR critiquent fortement les positions gouvernementales et joignent là encore leurs voix à celles du RN. La députée Véronique Louwagie, lors du débat budgétaire, résume la position de son groupe :

« Madame la Première ministre, la seule solution consiste à décorréler le plus rapidement possible le prix de l’électricité et celui du gaz, et de sortir du mécanisme européen qui nous entraîne dans une dérive sans nom ».

Olivier Marleix martèlera cette position, appelant le gouvernement français à imiter l’Espagne en la matière. Il en reprend les principaux arguments en janvier 2023 dans une tribune du Figaro au titre douteux : « Non à une capitulation de plus face aux exigences des Allemands ».

Olivier Marleix estime en effet que le marché européen de l’électricité est contraire aux intérêts français. L’origine du problème, selon lui, réside dans son fonctionnement qui fait que le prix de l’électricité sur le marché de gros Spot est déterminé par les coûts de production de la dernière centrale appelée, en l’occurrence le plus souvent une centrale à gaz. Résultat, toujours selon Olivier Marleix, les Français paient leur électricité nucléaire au prix du gaz dont ils sont pourtant moins dépendants que beaucoup de leurs voisins, notamment allemands. D’où la proposition de réclamer pour la France une « exception énergétique » à l’instar de ce qu’a obtenu l’Espagne qui souhaitait pouvoir plafonner les prix de l’électricité.

En réalité, ce « système ibérique » est beaucoup moins vertueux qu’il n’y paraît : non seulement le consommateur ibérique doit payer le coût réel d’équilibrage via une taxe sur sa facture, mais ce système engendre des « fuites » (l’Espagne étant connectée à la France, cette dernière peut en théorie importer de l’électricité à un prix subventionné par le consommateur espagnol !) et il incite à brûler plus de gaz pour fabriquer de l’électricité qu’à actionner d’autres moyens, ce qui était exactement le contraire de ce qu’il fallait faire en pleine crise gazière (au deuxième semestre 2022, le recours aux centrales à gaz espagnoles a été 40% supérieur à la même période en 2021).

Insuffisamment instruits des effets réels du système ibérique ou alors de mauvaise foi, les députés LR ont néanmoins continué à plaider en sa faveur. Olivier Marleix a également continué à déclarer que les entreprises françaises payent un prix de marché de 500€/MWh alors que le coût de production du nucléaire domestique est autour de 50 €/MWh, confondant les prix de gros affichés par les marchés et le prix de détail payé sur une facture d’électricité dans lequel un prix régulé du nucléaire est bien intégré.

8. L’Europe

Comme on l’a vu au détour des développements précédents, la position des LR sur les questions européennes s’est considérablement durcie : désir d’affirmer par référendum la supériorité de la norme constitutionnelle sur le droit européen, volonté de s’affranchir des engagements internationaux en matière de migration, volonté de sortir du marché européen de l’électricité, attaques contre le Green Deal… Texte après texte, le centre de gravité des LR semble s’éloigner de l’Union Européenne telle qu’elle se construit aujourd’hui. Nul besoin d’être grand clerc pour voir se dessiner par touches successives un nouveau logiciel idéologique sur l’Europe autour duquel s’organisera très probablement la proposition des Républicains pour les élections européennes de 2024.

A l’échelle de leur histoire collective, ce « bougé » est peut-être la rupture la plus stratégique de la période. Il ne s’est pas préparé dans le travail parlementaire. LR n’a pas été très présent dans les travaux de la commission des affaires européennes. Aucun député LR n’y a été impliqué dans la production d’avis ou d’observations sur les projets ou les propositions de loi. Le seul texte notable sur lequel LR s’est mobilisé concerne une proposition de résolution « visant à faire respecter le droit international dans le secours des migrants en Méditerranée », déposé par le groupe à l’Assemblée après l’affaire de l’Ocean Viking (les LR jugeaient que le fait d’avoir accueilli ce navire en France et non dans le port le plus proche créait un précédent regrettable contraire au droit international en vigueur).

Cette réorientation des LR sur les questions européennes s’est préparée à l’extérieur du groupe, notamment sous la houlette de Michel Barnier dont les états de service européens sont apparemment irréprochables. Représentant de l’UE dans les négociations post-Brexit avec le Royaume-Uni, durant lesquelles il tenta de faire respecter le droit et les intérêts des Européens, celui-ci a clairement changé de pied lors de la primaire présidentielle des Républicains en 2021. Il a notamment prôné à cette occasion la possibilité de contourner les traités européens pour retrouver notre pleine souveraineté juridique. Lors des journées parlementaires des LR à Nîmes le 9 septembre 2021, il déclarait ainsi :

« Nous ne pouvons pas [mettre en place un moratoire sur l’immigration] sans avoir retrouvé notre pleine souveraineté juridique, en étant menacés en permanence d’un arrêt ou d’une condamnation de la Cour de justice européenne ou de la Cour européenne des droits de l’homme, ou d’une interprétation de notre propre institution judiciaire ».

Grand inspirateur des LR en matière européenne, il rejoint en juillet 2023, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, la critique du marché européen de l’électricité porté par Olivier Marleix et s’élève contre l’abandon du vote à l’unanimité au Conseil européen sur les décisions de politique étrangère et celles qui touchent à la sécurité. En mai 2023, sur France Culture, il apporte par ailleurs son soutien aux différents textes proposés par Les Républicains sur l’immigration en rappelant sa volonté de créer un « bouclier constitutionnel » :

« Il faut avoir un bouclier constitutionnel pour être capable de prendre des mesures d’intérêt national, et parfois de sécurité publique. Des mesures que des jurisprudences européennes, parfois nationales, celle de la Cour de justice, de la Convention européenne des droits de l’homme, celle du Conseil constitutionnel, celle du Conseil d’État dont j’ai fait partie, nous empêchent de prendre ».

Partagé dans des termes voisins par Edouard Balladur dans une note rédigée pour la Fondapol, « L’Europe et notre souveraineté », ce raidissement souverainiste a donc reçu l’onction des figures tutélaires de la droite de gouvernement sur ce sujet.

La PPL des LR pour « reprendre le contrôle de l’immigration » n’est pas sans rappeler le fameux « take back control » cher aux Brexiters et au UKIP de Nigel Farrage en Grande-Bretagne que Michel Barnier a dû affronter dans un passé pas si lointain…

La question européenne qui aura longtemps été une digue entre la droite républicaine et l’extrême-droite n’est manifestement plus un obstacle infranchissable : non seulement le RN a remisé ses propositions de sortie de l’euro, voire de Frexit, mais les LR sont désormais prêts à adopter une ligne de confrontation directe avec Bruxelles sur de nombreux sujets. Il n’y a plus qu’à croire Michel Barnier lui-même pour espérer que la jonction entre ces deux familles n’aura pas lieu :

« Venant d’où je viens, du mouvement gaulliste – et on sait avec quelle violence l’extrême droite française dont est issue Madame Le Pen et tous ses amis ont fait preuve à l’égard du général de Gaulle et du gaullisme – il n’y a aucune faiblesse, aucune compromission possible. »

9. Que reste-t-il du gaullisme ?

Les LR sont coutumiers de ce genre de profession de foi gaulliste comme garantie morale contre de prochaines apostasies. Ils multiplient volontiers les serments solennels de cette nature, comme Antoine Vermorel-Marques :

« Mon premier souvenir politique, c’est le 21 avril 2002. J’ai 9 ans et je vois le regard de mes parents devant la télé. Pour moi, ça ne sera jamais l’extrême droite. Jamais. »

Aurélien Pradié joue sensiblement la même musique après l’élection de Giorgia Meloni en Italie en septembre 2022 alors que certains de ses amis regardent avec bienveillance l’arrivée au pouvoir d’une extrême-droite jugée assagie :

« En regardant l’Italie, certains se disent que le seul avenir de la droite française est de devenir sous-fifre des agités. C’est la fascination morbide de ceux qui, chez nous, n’y croient plus. Ils ont perdu l’exigence du gaullisme. Moi j’y crois. »

Philippe Bas, sénateur LR, abonde dans une veine plus chiraquienne :

« La #France n’est pas l’#Italie : les héritiers de De Gaulle ne mêleront jamais leur voix à celle des héritiers de Pétain. Les héritiers de Jacques Chirac ne s’allieront jamais à ceux de Jean-Marie Le Pen. Tout nous oppose et d’abord une certaine idée de la France et de notre nation »

En réalité, la mémoire du général De Gaulle risque d’être un bien faible saufconduit quand on sait avec quelle ferveur les représentants actuels du RN invoquent son œuvre et sa mémoire. La référence à l’homme du 18 juin est en effet constante chez tous les députés RN quand il s’agit de justifier leurs positions en matière de relations internationales ou de légitimer leur souverainisme (même si leur lecture du gaullisme géopolitique est souvent erronée), tout comme le recours au référendum au titre de l’article 11 de la Constitution pour faire adopter le principe de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct en 1962. Les députés RN prétendent également relever l’étendard du gaullisme social en rendant régulièrement hommage à ses figures les plus respectées, à commencer par Philippe Séguin à propos duquel le député RN Alexandre Loubet écrivait récemment :

« Il avait vu juste avant tout le monde sur la dérive anti-démocratique de la construction européenne dès Maastricht. Dérive qui s’illustra une nouvelle fois avec la violation du référendum de 2005 par l’UMP et le PS. Hommage à Philippe Séguin et son discours du 5 mai 1992. »

Ce dont les gaullistes du camp des LR pourraient avoir la nostalgie aujourd’hui, c’est sans doute celle d’un homme dont le logiciel bonapartiste sut composer avec les autres sensibilités des droites françaises, qui ne céda jamais aux sirènes de l’autoritarisme, qui, tout en cultivant un constant souci d’indépendance, ne manqua jamais à ses alliés atlantiques, jeta les bases de l’intégration européenne et scella l’amitié franco-allemande, qui sut négocier la sortie du bourbier colonial et les indépendances en affrontant les partisans de « l’Algérie française » et les ancêtres de l’extrême-droite actuelle, et qui, tout en conduisant des politiques conservatrices dans de nombreux domaines, ne perdit jamais de vue la question sociale et entretint un Etat fort. Loin des hommages aussi creux que muséographiques, ce gaullisme-là semble bel et bien mort chez les LR. Et avec lui, la capacité de rassembler les diverses obédiences de la droite de gouvernement sur une ligne républicaine et européenne.

Conclusion

Avec 62 élus sur 577, les LR sont à leur étiage historique au Palais Bourbon. Menacés sur leur gauche par les forces centristes de la majorité et sur leur droite par la progression continue de l’extrême-droite, ils sont pris dans un étau stratégique à la fois sur le plan électoral et sur le plan idéologique.

Leur activité parlementaire est le strict reflet de ce dilemme. Tiraillés entre la tentation de convoler avec une majorité dont les idées – notamment économiques – ne sont pas très éloignées des leurs, et l’appel d’une radicalité aujourd’hui incarnée essentiellement par le RN sur l’ensemble des questions régaliennes (sécurité, immigration, etc.), les votes, amendements et propositions des LR dessinent un profil paradoxal et confus.

Cette confusion s’est illustrée encore très récemment à l’occasion de la participation de deux parlementaires LR réputés proches de la majorité, Alexandre Vincendet et Virginie Duby-Muller, à la rentrée politique du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin en présence de membres du gouvernement le 27 août à Tourcoing. Le maire LR de Neuilly-sur-Marne Zartoshte Bakhtiari a pris la plume pour écrire au président Eric Ciotti afin de dénoncer une « absence de loyauté » et un « sabotage de l’intérieur » des deux députés dont il réclamait l’exclusion, précisant dans son courrier « Je m’interroge donc sur la loyauté de ces parlementaires LR qui ont frayé avec ceux auxquels nous sommes censés nous opposer. Les électeurs n’ont pas élu des députés LR face à des candidats de la majorité pour finalement se retrouver avec de pâles copies… » Symptôme de l’ambiance de soupçon qui règne aujourd’hui chez les LR…

D’un côté, on peut décrire le groupe LR à l’Assemblée nationale comme un partenaire contrarié et honteux de la majorité. Désireux de « jouer le jeu », ils ont approuvé plus de la moitié des textes déposés par le gouvernement durant la première année de la législature. Et, quand ils ne l’ont pas fait, ils se sont souvent abstenus ou absentés et ont refusé de soutenir les motions de censure déposées par d’autres groupes. Ils ont certes monnayé leurs soutiens en échange de contreparties et de concessions, mais, à la fin, les faits s’imposent : dans 63% de l’ensemble des votes en séance publique, les LR ont voté avec la majorité.

De l’autre, ils ont âprement lutté pour ne pas abandonner le terrain de l’extrémisme aux amis de Marine Le Pen. Ils ont ainsi considérablement durci leurs positions sur l’immigration ou l’Europe, au risque de briser leur matrice républicaine et de renier le long héritage de leur famille politique au profit d’une ligne souverainiste et illibérale qui se distingue de plus en plus difficilement de celle des populistes européens.

Ils ont également emboîté le pas à l’écolo-scepticisme du RN : renonçant à construire un corps de doctrine et un bagage programmatique nouveau sur l’un des enjeux majeurs du siècle, ils ont souvent rejoint un chœur d’élus réfractaires et prêts à flatter toutes les formes de mécontentements locaux, sectoriels ou corporatistes.

Ils ont payé ces hésitations de déchirements internes et d’une crise de leadership qui a éclaté au grand jour lors de la réforme des retraites. Ce jeu de concurrence sur un double front tourne à la déroute intellectuelle pour les amis d’Eric Ciotti. La tendance historique amorcée il y a maintenant une dizaine d’années n’est en rien enrayée : elle vire à présent à la crise d’identité collective. Une crise d’autant plus vive qu’en dépit d’une position stratégique à l’Assemblée, les LR n’investissent que médiocrement le travail parlementaire et ne font les efforts nécessaires pour mettre en place un nouveau corps d’idées et de doctrine.

Quelle sera l’étape suivante ? Plusieurs scénarios sont envisageables mais la pente la plus forte, si l’on extrapole les forces à l’œuvre ces dernières années, risque de conduire les LR au dernier stade de l’effondrement : un parti guère plus puissant que l’actuel PS, dont l’essentiel des modérés aura rejoint le Centre et dont la majorité des élus, poursuivant la ligne impulsée par Eric Ciotti, ralliera une union des droites dominée par le RN. Cette bascule du côté de l’extrême-droite a déjà commencé à se dessiner dans les arbitrages les plus récents. Alors que le débat sur l’immigration leur donnait l’occasion de soutenir la régularisation des travailleurs immigrés en situation irrégulière dans les secteurs en tension tout en marquant leur intransigeance sur l’immigration illégale, ils ont préféré s’y opposer catégoriquement, au risque de se couper des milieux économiques concernés et de favoriser le maintien du travail au noir. C’est exactement le contraire de ce que fait le gouvernement Meloni en Italie, par exemple, qui vient d’ouvrir la porte à une nouvelle immigration légale de travail tout en continuant à alimenter une politique – largement inefficace au demeurant – d’opposition à l’immigration illégale. 

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Thierry Pech

Annalivia Lacoste