Autour notamment d’Edouard Couty, ancien directeur des hôpitaux et de l’offre de soins, d’Agnès Jeannet, qui participa aux cabinets Evin et Guigou aux affaires sociales avant de présider l’ANSM, ou encore de Jean Mallot et Dominique Demangel, respectivement anciens député et maire-adjoint, un groupe de 14 experts, médecins, directeurs d’hôpital, chercheurs en sciences humaines, font la liste des mesures qui font consensus auprès des acteurs du secteur mais restent pourtant, de rapports en rapports, lettre morte. Quelles solutions doivent être apportées aux problèmes bien connus que le scandale d’Orpea a récemment médiatisés ? La liste des rapports sur le grand âge est impressionnante : diagnostics, analyses et recommandations étayées sont sur la table. Mais rares sont les mesures mises en œuvre. Logique lucrative des EHPAD privés, insuffisance de l’encadrement humain, qualité des pratiques, difficultés de coordination des parcours de santé et d’autonomie des âgés, insuffisances de la prévention de la perte d’autonomie et des aides au maintien à domicile, sanitarisation des EHPAD, ampleur et inégalités des restes à charge… La mise en œuvre d’une cinquième branche de la sécurité sociale dédiée à l’autonomie n’a pas permis d’avancer sur ces défis.
Le progrès médical continu, soutenu par l’innovation et par le développement a fait exploser l’espérance de vie. Celle-ci est passée de 69,2 ans pour les femmes et 63,4 ans pour les hommes en 1950, à 85,5 ans pour les femmes et 79,6 ans pour les hommes en 2018. Début 2018, il y avait 2,1 millions de personnes de plus de 85 ans en France métropolitaine. L’Insee prévoit qu’elles seront 4,2 millions d’ici 2050. Cependant, les dernières données disponibles laissent augurer une moindre progression, voire une stagnation de l’espérance de vie dans la plupart des pays industrialisés au cours des prochaines décennies1.
La santé des ainés n’est pas seulement une question médicale, mais aussi une question sociale : le bien-être2 de la personne âgée, bien-être physique, mental et social, dépend de tout un ensemble de mesures qui appartiennent à des politiques sociales variées : le revenu, le logement, la lutte contre l’isolement, l’accessibilité aux services publics et de proximité, le transport, les aides à la mobilité etc.
Le scandale d’Orpea révélé en 2022 par le livre de Victor Castanet Les fossoyeurs a jeté une lumière crue sur la qualité de l’accompagnement des personnes âgées résidant en institution mais aussi à domicile. Il interroge sur les pratiques d’établissements privés à caractère commercial qui sont pourtant financés sur des fonds publics. Mais au-delà, il appelle une vraie réflexion sur les conditions de la bientraitance des ainés, que ce soit en établissement ou au domicile, et plus largement sur leur bien-être dans la société.
De nombreuses consultations et rapports, en particulier le rapport de Dominique Libault, ancien directeur de la sécurité sociale, en 2019, et le rapport de Laurent Vachey, inspecteur général des finances, en 2020, ont conclu à la nécessité de renforcer considérablement les moyens affectés à la prise en charge du grand âge et ont appelé à une profonde évolution des structures qui leurs sont dédiées3. Pour autant, leurs préconisations sont restées lettres mortes.
La loi du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l’autonomie a créé une cinquième branche de la Sécurité sociale dédiée à l’autonomie conformément à une promesse ancienne sans que les financements nécessaires ne soient dégagés. Les montants sont certes importants, de l’ordre de 20 milliards d’euros selon les rapports précités, mais la « procrastination budgétaire » des pouvoirs publics s’explique d’abord par des choix politiques en faveur d’autres priorités. Cette situation traduit surtout une vision péjorative du grand âge, et plus largement de la place des personnes âgées dans la société. Celles-ci sont trop souvent considérées uniquement comme des charges pour la société qu’il importe de contenir voire de réduire. Les mécanismes de relégation et d’expulsion sont à l’œuvre bien avant l’arrivée dans le grand âge, à travers les stéréotypes associés au vieillissement dans la vie sociale et professionnelle. Promouvoir le « bien vieillir » dans le respect des droits des personnes implique un changement des mentalités qu’il faudrait engager très tôt à l’école, mais aussi dans l’entreprise et plus généralement dans la vie sociale.
Le CNR « Bien vieillir »
Le volet « Bien vieillir » du Conseil national de la refondation (CNR) s’est achevé dans les temps : les rapporteurs des ateliers thématiques ont présenté leurs travaux au ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, Jean-Christophe Combe, ce mardi 4 avril. La commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale avait commencé au même moment l’examen de la proposition de loi « Bâtir la société du bien vieillir ». Saluant la richesse des contributions produites dans le cadre de la consultation, le ministre s’est félicité de la méthode « à la rencontre des citoyens ». Près de 10 000 personnes ont participé aux 11 ateliers organisés un peu partout en France, y compris dans les DOM.
Les trois groupes de travail – promouvoir la citoyenneté et le lien social ; adapter la société ; l’attractivité des métiers – ont présenté des mesures maintes fois proposées : mieux détecter l’isolement des personnes âgés ; développer des méthodes « d’aller vers » pour les personnes âgées qui ne sortent plus de chez elles ; créer un comité interministériel de la transition démographique ; adapter les logements ; renforcer la formation initiale et continue des professionnels ; etc.
Les professionnels du secteur soulignent surtout que la réforme du grand âge ne se fera pas sans moyens financiers supplémentaires. Le chiffre qui fait référence est celui avancé par Dominique Libault en 2019 : 10 milliards d’euros par an. Ce 4 avril, plusieurs participants ont souligné l’urgence d’ouvrir la question des moyens. Ainsi pour Myriam El Khomri, rapporteure de l’un des groupes de travail : « L’accompagnement des personnes âgées, ce n’est pas un travail à la chaîne, avec un nombre de personnes âgées à lever, à laver… Sortons de la tarification à la tâche, mais cela, ça demande des moyens ».
Le ministre a rappelé que la trajectoire budgétaire de la cinquième branche de la Sécurité sociale prévoit, sur la période 2021-2026, une progression des ressources de 10 milliards d’euros par an qui vont « permettre de financer les premières mesures que nous prendrons ». Il a annoncé un plan d’actions détaillé pour le mois de juin.
1. Remettre en cause la « sanitarisation » des EHPAD
L’accompagnement de la personne âgée a connu une évolution marquée par le développement des soins dans les prises en charge, jusqu’à faire des EHPAD, qui sont d’abord des lieux de vie, des structures sanitaires dans lesquelles les projets de vie ont du mal à exister. Finalement, on ne voit plus de différence entre l’EHPAD et l’USLD (unité de soins de longue durée) sous régime hospitalier. Le poids des normes doit être questionné au regard du respect de l’autonomie de la personne âgée, de même que l’équilibre entre les soins nécessaires et tous les autres actes permettant l’autonomie (culture, vie sociale, mobilités, sport, etc.). L’EHPAD est devenu un repoussoir. La majorité des personnes en situation de vulnérabilité préfèrent rester chez elles. Il faut réinventer l’EHPAD en le recentrant sur les personnes les plus vulnérables, tout en priorisant le maintien à domicile chaque fois que possible dans une logique de prévention, en y affectant les ressources financières nécessaires. Face à cette situation, comment revenir à des établissements « domiciliaires » où la personne se sente chez soi ?
La promotion de l’autonomie des personnes âgées nécessite un changement de paradigme des politiques qui leurs sont dédiées :
- Bannir le terme de « dépendance » qui ne respecte pas les droits des personnes vulnérables ;
- Veiller au respect de leur dignité et de leurs droits de citoyens. Leurs lieux de vie sont trop souvent aménagés et gérés selon les standards hospitaliers.
Il convient de revoir l’architecture des EHPAD en réduisant leur taille, en favorisant leur insertion dans la ville, la mixité des activités et services proposés avec d’autres populations et en faisant des logements des résidents de vrais chez-sois (espaces privatifs correctement dimensionnés, commodités, droit à l’intimité, présence d’effets et de mobiliers personnels). Les résidents en EHPAD doivent bénéficier aussi d’une prise en charge médicale de qualité dans le cadre d’une coordination avec l’ensemble des intervenants (hôpital de proximité, professionnels du médico-social et les familles) autour du médecin traitant. Des moyens doivent être dégagés à cet effet quand cela est nécessaire. L’articulation entre le secteur sanitaire, le médico-social et le social est problématique. Il y a des « hiatus » entre les champs où interviennent des professionnels de métiers, voire de cultures, différents. Or, avec le vieillissement, le parcours coordonné entre structure de soins et lieu de vie est un facteur déterminant du maintien de l’autonomie de la personne. Certains professionnels du médico-social proposent de transformer les EHPAD en plateformes de services dédiées aux personnes en perte d’autonomie, afin de faciliter une prise en charge graduée entre le domicile (médecin traitant, services d’aides à domicile), l’hôpital (quand c’est strictement nécessaire) et l’EHPAD (quand il n’y plus d’alternatives). Les personnes âgées doivent être pleinement actrices des décisions concernant leur accompagnement afin qu’elles se sentent en EHPAD vraiment chez elles
On ne peut que souscrire à la nécessité d’une prise en charge graduée des personnes âgées faisant appel à l’expertise de l’ensemble des intervenants (y compris les accompagnants et les équipes sociales). Cependant, il ne semble pas opportun d’en confier, a priori, le pilotage aux seuls EHPAD. Il convient de tenir compte des spécificités et dynamiques locales.
2. Réinterroger le modèle économique des établissements privés à but lucratif à la suite du scandale Orpea
Le livre Les fossoyeurs a révélé, au-delà de la question de la maltraitance qui peut survenir partout, dans tous les établissements, quel que soit leur mode de gestion (voire dans le cadre du maintien à domicile), des pratiques illégales d’optimisation financière des bénéfices.
Ce scandale soulève plusieurs questions. Tout d’abord celle du modèle économique : quels sont les leviers du profit dans un EHPAD à statut privé lucratif ? Le livre démontre qu’il s’agit de faire des économies sur toutes les charges : celles de l’hébergement (repas notamment), des soins (postes non pourvus) et sur la dépendance (rétrocession sur les marchés de protection).
La lucrativité d’un secteur financé par l’argent public doit être questionnée. En outre, les pratiques d’optimisation financière des groupes se traduisent parfois par la spoliation d’épargnants qui ont investi dans des murs qui sont amenés à changer de destination au gré des rachats et cessions.
Suite au scandale, la situation financière du groupe Orpea s’est fortement dégradée, entrainant une chute du cours en bourse et l’impossibilité de rembourser ses créanciers. L’Etat a choisi de sauver le groupe, et en définitive le modèle économique des EHPAD à but lucratif, en faisant entrer la Caisse des dépôts et consignations au capital et en lui donnant tous les pouvoirs. Nous ne sommes pas convaincus de la pérennité de cette solution qui laisse entières les interrogations sur la pertinence d’un modèle de gestion commerciale d’une activité financée sur fonds publics au regard des exigences de la bientraitance des personnes âgées.
Nous souhaitons qu’à l’avenir il ne soit plus possible de créer et gérer de nouvelles structures commerciales de prise en charge de personnes âgées vulnérables gérées sur fonds publics (via les forfaits soins de l’assurance maladie et les tarifs hébergement et dépendance fixés par les départements)4. Une concertation sur les modalités d’interdiction de création de nouvelles structures à but lucratif devrait être menée au préalable avec tous les acteurs. Les places qui ne seraient pas créées à l’avenir dans des structures commerciales seraient gérées par des structures publiques ou privées à but non lucratif, sans coûts additionnels s’agissant des forfaits soins de l’Assurance-maladie et des tarifs fixés par les conseils départementaux. Les seuls coûts additionnels seraient des coûts d’investissement pour créer de nouvelles places dans le secteur public ou privé à but non lucratif.
Les principaux groupes privés gestionnaires d’EHPAD (Orpea – Korian) cherchent déjà à se repositionner en proposant la mise en place par leurs établissements de plateformes de services destinés aux personnes âgées vulnérables qui auraient vocation à assurer la coordination des différents services (y compris publics) à l’échelle d’un territoire donné. Nous ne pouvons cautionner une telle logique de prise de parts de marché sur l’ensemble de la filière gériatrique. La coordination des services et établissements en charge des personnes âgées est par définition une activité de service public. En conséquence, une telle coordination doit être assurée par une structure soit publique soit associative investie d’une mission de service public.
La question du contrôle et de la régulation se pose aussi. Les ARS et les départements sont, comme autorités de tarification, investis de pouvoirs de contrôle étendus. Cependant, les moyens de contrôle ont été amenuisés sous l’effet des réductions de postes généralisées dans la fonction publique. Le contrôle n’a de sens que si les risques sont évalués. Les risques du secteur lucratif ne sont pas ceux du secteur non lucratif. Ils doivent faire l’objet d’une évaluation prenant en compte la spécificité de l’organisation des établissements dans le cadre de groupes.
La lutte contre la maltraitance est un sujet transversal qui renvoie à la qualité du management des établissements – qu’ils soient publics, privés lucratifs, ou privés non lucratifs, mais aussi au lien entre bientraitance, effectifs suffisants et formation des équipes.
3. Comment garantir l’égalité et la qualité des prestations dont bénéficient les personnes âgées ?
Que la personne âgée recoure à des services à domicile ou bien en établissement, plusieurs questions se posent : quel service dans une offre locale définie territorialement ? Quel tarif ? Quelle qualité du service rendu ? Quels droits en termes de prestation ou de financement ?
Depuis 2002, la question de la qualité des prestations a certes été traitée même si on peut penser qu’il faut améliorer le dispositif. La loi du 2 janvier 2002 a instauré un processus d’évaluation continue de la qualité qui a été perfectionné par la création de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) en 2006 puis par le transfert de sa mission à la Haute autorité de santé (HAS) en 2017. Les référentiels existent, ainsi que les procédures de vérification de leur mise en œuvre.
La question du pilotage du secteur par le suivi d’indicateurs a également été traitée par des textes (décret de 2003) et par le suivi de panels confié à l’Agence Nationale d’Appui à la Performance des établissements de santé (ANAP) qui dispose de remontées de questionnaires assez exhaustifs sur le fonctionnement des établissements.
Mais ces outils ne sont pas utilisés au service du pilotage du secteur. Les informations disponibles restent peu exploitées par les autorités locales de tarification.
Les objectifs et principes généraux relatifs à la qualité ainsi que la définition des moyens pour les atteindre doivent être définis au niveau national. En revanche, le contrôle de l’observance sur le terrain de ces critères relève de la compétence des ARS qui doivent disposer à cet effet des moyens nécessaires. Actuellement, la définition des orientations stratégiques et politiques à mener en matière de qualité est éclatée entre plusieurs instances : la HAS, l’ANAP, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), et la Direction Générale de la Cohésion Sociale au ministère de la santé. Cet éclatement nuit à la cohérence et à la lisibilité des politiques à mener.
Nous appelons à une clarification dans le cadre d’un débat avec l’ensemble des acteurs du secteur.
Deux questions stratégiques restent ouvertes :
- Le rapport entre la qualité des prestations et leurs tarifs
De gros efforts ont été accomplis pour informer sur les tarifs et la qualité des prestations5. Ce qui n’est pas fait, c’est le lien entre niveau de service et prix. La proposition de l’association des directeurs d’EHPAD (AD-PA) en faveur d’un système de cotation, à l’instar de ce qui existe dans l’hôtellerie, nous semble intéressante.
Il faut investir dans des outils de comparaison des services rendus et des tarifs.
- Les inégalités territoriales concernant les prestations et services rendus
Ces inégalités concernent d’abord l’offre de service, disparate selon les territoires. Le rapport Vachey donne des éléments chiffrés concernant l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), montrant son hétérogénéité selon les territoires. Le taux de recours6 pour l’APA à domicile varie de 3,6 à 13,5% pour une moyenne nationale à 7,6%. Concernant l’APA en établissement, le poids des résidents en établissement dans le total des bénéficiaires varie de 8 à 70% selon les départements. Ce sont les taux d’équipement disparates selon les régions qui expliquent ces écarts. Selon une étude de la Caisse des dépôts7, les situations de perte d’autonomie sont plus répandues au nord et à l’est, régions où la vulnérabilité économique des populations vieillissantes est en outre plus marquée. L’étude pointe aussi la question de l’accessibilité des services de soins (médecins, infirmiers, kinés), facteur crucial de la prévention des pertes d’autonomie, qui varie selon la densité de population des territoires.
Les services rendus aux personnes âgées renvoient à des logiques territoriales qui créent des inégalités entre personnes placées dans la même situation mais habitant des départements différents. Des schémas régionaux du grand âge pilotés par l’Etat ainsi que leurs déclinaisons départementales doivent fixer des objectifs concernant la mobilisation des ressources nécessaires à un rééquilibrage progressif en fonction de données démographiques, économiques et sociales propres à chaque territoire.
- Les inégalités concernent également le reste à charge
La loi d’adaptation de la société au vieillissement de 20158 permet de couvrir les restes à charge par l’APA et des crédits d’impôt pour les personnes à domicile. En revanche, le reste à charge en établissement donne lieu à une réduction d’impôts – ce qui défavorise les personnes peu ou pas imposables9 .
La DREES a établi que le reste à charge en établissement atteint en moyenne 1850€ par mois. Dans 75% des cas, ce montant est supérieur aux ressources du résident, qui doit se tourner vers l’obligation alimentaire familiale ou vers l’aide sociale à l‘hébergement (ASH), gérée par les départements et qui peut être récupérée sur succession selon des modalités qui varient selon les départements10. En outre ce reste à charge est différent selon les modes de gestion : 1580€ en EPHAD public, 1730€ dans le secteur privé non lucratif et 2260€ dans le secteur lucratif11.
La question du reste à charge renvoie au mécanisme de couverture publique ou privée ou mixte.
Nous proposons de mettre fin aux inégalités de traitement entre maintien à domicile et hébergement en établissements en appliquant à tous le régime du crédit d’impôts.
4. Garantir un même droit pour tous et partout avec un financement du reste à charge par une assurance sociale solidaire et généralisée dans le cadre de la cinquième branche de la Sécurité sociale
La large concertation opérée par la mission Libault a montré que les personnes consultées demandaient une couverture publique du reste à charge.
- Nous soutenons le principe d’une couverture publique pour garantir une égalité d’accès aux droits des personnes face à la perte d’autonomie.
Ce sujet est ouvert depuis 2008 avec l’engagement du candidat Nicolas Sarkozy de créer ce cinquième risque. Cet engagement a été concrétisé par Emmanuel Macron dans la loi du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l’autonomie, qui a entériné la création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale, dont le pilotage a été confié à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).
Ce projet est ambitieux parce qu’il est large dans son champ et ne se limite pas à la question du grand âge, mais concerne aussi celle des situations de handicap, d’incapacité et d’invalidité. Le rapport Vachey a établi un cadre qui balaie tous les champs concernés : quel périmètre ? quels financements ? quelle gouvernance ?
Concernant le périmètre, le rapport Vachey propose d’inclure dans le nouveau risque toutes les prestations qui concourent à l’autonomie de la personne quel que soit le financeur : l’Etat pour l’AAH, les départements pour l’ASH, et les prestations ou services relevant de l’Assurance vieillesse (aides à l’adaptation du domicile), des allocations familiales (Allocation pour enfant handicapé) et de l’Assurance maladie (pour les USLD et l’allocation supplémentaire d’invalidité). Le champ passerait ainsi de 27 milliards (champ actuel de la CNSA) à 42 milliards.12
Concernant la gouvernance, le rapport Vachey pointe l’enjeu d’une gouvernance forte au niveau local. Le respect d’une équité territoriale par la CNSA au niveau national ne peut s’envisager sans une gouvernance locale forte. Comme le rapport Libault, il préconise de maintenir une coordination renforcée entre les ARS et les départements en excluant ainsi les scénarios alternatifs : création de caisses de sécurité sociale destinée à l’autonomie (sur le modèle des CPAM), le tout ARS ou encore le tout département. Le rapport Vachey propose d’instaurer des contrats départementaux pour l’autonomie entre l’ARS et les départements avec l’association des communes.
Ces contrats doivent décliner un « programme commun de l’offre de service du domicile à l’établissement ». Comme le rapport Libault, il propose de supprimer la double tarification en fusionnant les sections dépendance et soins au sein d’une même section financée par la seule ARS dans un double souci de simplification en termes de gouvernance et de réduction du reste à charge ; le département conservant le pilotage de la section hébergement.
Concernant le financement, le rapport Vachey montre qu’il est possible de financer par un prélèvement sur le patrimoine le reste à charge des résidents en établissements. Le patrimoine des Français a été multiplié par 3 entre 1980 et 2015 passant de 3 500 à 10 600 milliards €. Une augmentation du taux des droits de mutations de 0,8 à 1 point apporterait ainsi un financement de près de 500 millions par an. Par ailleurs, il convient de souligner que les sommes collectées pour le compte de la CNSA par l’Etat ont été depuis de nombreuses années réaffectées à d’autres priorités (y compris les sommes prélevées dans le cadre du lundi de Pentecôte !), soit un montant de l’ordre de 20 milliards € qui permettrait de financer les créations de postes nécessaires dans le secteur médico-social.
Le président de la République avait initialement justifié l’allongement de l’âge légal de départ à la retraite par la nécessité de financer la perte d’autonomie. Les éléments de langage désormais mis en avant n’évoquent plus ce point, l’accent étant mis surtout sur le déséquilibre entre actifs cotisants et retraités. Cependant, la question du financement se posera nécessairement dans le cadre de la mise en œuvre des préconisations du Conseil national de la refondation « Bien vieillir ».
L’idée de financer le cinquième risque de la sécurité sociale par un allongement du temps de travail est une idée ancienne, complexe à mettre en œuvre et socialement injuste. Certes, un report de de 62 à 64 ans de l’âge de départ entrainerait une recette de plus de 10 milliards € en 2027 et de 18 milliards en 203013, mais prendre le chemin de la retraite pour financer la perte d’autonomie nécessiterait de créer une véritable usine à gaz pour transférer les financements vers la CNSA. En outre, ce prélèvement ne pèserait que sur les salariés, car les indépendants sont déjà aux 65 ans. Il n’est pas légitime de prélever ces sommes sur les seuls salariés cotisant pour leur retraite pour financer un droit universel à l’autonomie, commun à toute la population quel que soit son statut d’activité (salarié, indépendant, inactif).
Nous soutenons les préconisations des rapports Libault et Vachey concernant le périmètre, le financement et la gouvernance de la cinquième branche de sécurité sociale en intégrant le principe d’un remboursement progressif des montants destinés initialement à la CNSA afin d’être en mesure de créer effectivement 200 000 ETP d’ici 2030 pour les établissements et services dédiés aux personnes âgées.
5. Les insuffisances actuelles de financement contribuent à la maltraitance
Le financement des établissements repose sur une tarification des soins, de la dépendance et de l’hébergement répartie entre l’ARS, le département et les résidents. Ce système tripartite s’appuie sur des outils d’évaluation de la dépendance (le GIR) et sur la mesure de la charge en soins requise par la situation d’autonomie de la personne (le logiciel PATHOS de l’Assurance maladie). Ce système très sophistiqué a abouti à une restriction de financement caractérisée par un taux d’encadrement par résident en EPHAD bas (en moyenne, 0,6).14
La promesse d’augmenter le taux d’encadrement faite en 2006 par Philippe Bas15 n’a pas été respectée.
Nous soutenons les préconisations des rapports précités visant à atteindre un ratio d’encadrement en EHPAD de 0,8 d’ici 2030. Cependant, l’effort financier important nécessaire doit se faire en lien avec une politique RH volontariste (attractivité des métiers, conditions de travail, amélioration des rémunérations).
6. Une politique de ressources humaines à réinventer
Les données disponibles datant de 2018 sont les suivantes : 830 000 salariés dont 430 000 en établissement, 270 000 dans les services d’aide à domicile16 et 130 000 dans les services de soins à domicile.
Les difficultés se sont accrues en dépit des efforts consentis :
- Le taux d’encadrement en personnels dédié aux résidents dans les EPHAD est inférieur à la moyenne européenne ;
- Les créations nettes depuis 2017 sont très inférieures aux besoins (environ 20 000 ETP)17 ;
- De nombreux postes restent vacants.
Les carrières restent peu attractives : pénibilité, rémunérations proches du SMIC (inégalités selon les statuts et conventions collectives), peu de perspectives de carrière, pénibilité du métier (port de charge/ horaires de travail), manque de considération.
Le plan de mobilisation national en faveur de l’attractivité des métiers du grand âge proposé par Myriam El Khomri est resté lettre morte. La revalorisation des métiers de l’accompagnement au regard de ceux du soin n’a pas été engagée. Au-delà de la prime dite Ségur, qui a certes concerné finalement aussi les personnels exerçant en Ehpad, il est nécessaire de revaloriser les rémunérations18 en prenant en compte des temps de coordination et d’échange. Ce plan prévoyait également la convergence des conventions collectives EPHAD/SAAD/SSIAD ,qui figurait déjà dans le rapport Libault, ainsi que la refonte des cursus de formation initiale, le développement de la formation continue, le rapprochement des référentiels de compétence des professions d’aides-soignants et d’accompagnants éducatifs et sociaux et, à terme leur fusion, la création d’une nouvelle profession de « care management », la mise en place d’un observatoire des métiers du grand âge (permettant d’identifier les démarches de qualité de vie au travail, de les évaluer et de faire connaitre les plus pertinentes).
Il serait temps de passer à l’acte !
7. Développer la prévention du vieillissement
La prévention de la perte d’autonomie nécessite un repérage précoce des facteurs de fragilité au-delà du seul champ sanitaire (mobilité, cognitions, fonctions sensorielles, alimentation, relations sociales et affectives).
L’offre de prévention est multiple, peu organisée, sous-financée et cloisonnée en raison du grand nombre d’acteurs (caisses de retraite, assurance maladie, associations, collectivités locales).
L’accès à l’information reste difficile en dépit des dispositifs multiples existants : portail de Santé publique France, plateformes territoriales d’appui, guichets CLIC (centres locaux d’information et de coordination gérontologique), maisons départementales de l’autonomie. Les systèmes d’information restent cloisonnés. La couverture territoriale des dispositifs de coordination des acteurs pour garantir un parcours de vie et de soins pour les personnes âgées (les PAERPA) et personnes souffrant de troubles cognitif (MAÏA) est très inégale.
La question des risques liés aux hospitalisations est fréquemment évoquée (dépendance iatrogénique, infections nosocomiales, ruptures de prises en charge, dépressions, pertes de repères). Des mesures ont été prises pour limiter les hospitalisations, assurer une meilleure coordination entre les acteurs. Mais de nombreuses difficultés en restreignent la portée : différences de culture professionnelle, offre de soins en ville insuffisante (problématique des déserts médicaux), pénurie de travailleurs sociaux.
Quelles seraient les pistes pour améliorer la prévention de la perte d’autonomie ?
- Faire connaître et encourager les initiatives innovantes (appels à projet de la CNSA) ;
- Evaluer les dispositifs (développer la recherche) ;
- Réaliser des bilans d’autonomie aux différentes étapes clefs du vieillissement (bilan biologique et cliniques, cadre de vie, relations sociales et affectives) comme l’a réalisé le programme ICOPE mis en œuvre en Occitanie19 ;
- Adapter le cadre de vie au vieillissement (logements, accès aux services publics et de proximité, mobilités…) ;
- Renforcer au niveau local les liens intergénérationnels (logements partagés, logements inclusifs, accès à la culture, l’école, etc.) ;
- Mobiliser les acteurs locaux dans le cadre des schémas départementaux de l’autonomie.
8. La question des aidants
Cette question a été très longtemps l’impensé des politiques du grand âge20. On évalue le nombre des aidants à 3,9 millions de personnes et la valorisation de leur travail entre 7 et 18 milliards €21. Leur rôle est essentiel dans le maintien à domicile des personnes en perte d’autonomie.
Deux points essentiels restent non réglés à ce jour :
- La possibilité d’assurer des périodes de répit avec des prises en charge temporaire des personnes en perte d’autonomie (critères trop restrictifs des dispositifs existants)
- La nécessité d’indemniser les aidants obligés d’interrompre pour un temps leur activité professionnelle ou de la limiter.
Conclusion
La liste des rapports sur le grand âge est impressionnante : tous les sujets identifiés ont fait l’objet de diagnostics, analyses et recommandations. Mais rares sont les mesures mises en œuvre. Le traitement des sujets urgents comme celui des sous-effectifs est renvoyé à plus tard dans le cadre d’une autre réforme. Les professionnels du secteur sont ulcérés par les promesses non tenues. Ce n’est pas la restitution le 4 avril par le ministre en charge des solidarités et de l’autonomie des travaux du CNR « Bien vieillir », ni la proposition de loi débattue en commission des Affaires sociales à l’Assemblée nationale à partir du 11 avril sans aborder la question du financement, qui répondront aux attentes.
Il est urgent d’agir et de comprendre pourquoi les décisions pourtant concertées et étayées (rapport Libault) ne sont pas mises en œuvre. Il faut que les politiques et la société civile (c’est-à-dire chacun d’entre nous) s’emparent de ce sujet.