Édito

Les mots et les choses

Publié le 10 novembre 2023
L’immigration est un sujet particulièrement sensible aux excès rhétoriques et aux surenchères politiques. Mais, au-delà des postures, les textes de loi ont des conséquences réelles sur les parcours de vie, sur les corps et les conditions d’existence. Il faut s’en souvenir alors que débute un long débat parlementaire sur les migrants. Sur les réseaux sociaux également, dans un monde réputé dématérialisé, une ivresse des invectives prévaut au point qu’il semble parfois que toute expression semble légitime, sans règles de civilité, en toute impunité. A-t-on entamé en Europe le début d’une démarche de régulation ?

Le début des travaux parlementaires sur un nouveau texte de loi portant sur les migrations ne présage rien de bon. Le gouvernement est mis au défi de démontrer qu’il peut encore tenir un équilibre dans sa majorité entre des sensibilités venues d’horizons politiques différents ou, en d’autres termes, que le dépassement des anciens clivages entre la gauche et la droite est encore en marche. Or, sur ce sujet, le ministre de l’Intérieur semble, pour sa part, guère préoccupé d’équilibre. Des déclarations récentes s’éloignaient déjà nettement des principes généraux de notre droit, comme l’avait relevé Thierry Pech. D’autre part, la volonté de la droite de mettre en cause l’Aide Médicale d’Etat (AME), comme l’a voté la majorité sénatoriale le 8 novembre, participe d’une volonté de surenchère permettant de tester les équilibres parlementaires.

Ces petits calculs parlementaires finissent par perdre de vue les effets concrets des textes de loi. Ainsi, comme le rappelle fermement Delphine Rouilleault, directrice générale de France Terre d’Asile, mettre fin à l’Aide Médicale d’Etat reviendrait immédiatement à créer davantage de problèmes qu’à en résoudre : outre le risque sanitaire global que cela représente pour la population, cette décision conduirait à saturer l’hôpital public et à augmenter le coût de la prise en charge des personnes qu’il faudrait quand même soigner, mais trop tard, au titre de l’aide médicale d’urgence qui serait mise en place en remplacement. Que des arguments appuyés sur des données objectives reconnues, défendus par différentes bords politiques, comme le montre le rapport commun de Patrick Stefanini et Claude Evin, ne parviennent pas à réfréner la surenchère des sénateurs, cela donne une idée de la dérive idéologique du parti dit « républicain ».    

S’il ne suffit pas d’opposer des faits et des données médicales pour éviter l’idéologisation du débat sur les migrations, les récits de vie peuvent peut-être apporter un éclairage qui ramène l’attention au niveau de l’expérience humaine. C’est pourquoi nous avons publié cette semaine la réflexion d’Afi Affoya sur son parcours personnel. Elle relate notamment ce qui se passe pour une personne, en l’occurrence présente en France en situation légale, touchée néanmoins, suite à une erreur administrative, par une mesure d’obligation de quitter le territoire français (OQTF). La volonté d’intégration des immigrés, qu’on met constamment en doute en inventant de nouvelles mises à l’épreuve du désir de s’intégrer, n’est qu’un moment, explique-t-elle, du rapport complexe qui se crée entre un migrant et la société d’accueil. Le chemin de l’apaisement et de l’acceptation passe par des moments de revendication identitaire qui ne sont qu’une phase d’une dialectique complexe.

Dans l’actualité, deux sujets conduisent à nous intéresser aux politiques européennes. Le premier est lié à la flambée de controverses et de désinformations depuis les massacres perpétrés par le Hamas en Israël le 7 octobre dernier et la réplique d’Israël dans la bande de Gaza. Une étude de Newsguard montre que les comptes certifiés sur le réseaux social X (anciennement Twitter) sont à l’origine de trois-quart des contributions fausses ou sans fondement sur ce réseau. Le dispositif prévu pour contrer les fakenews et redonner de la crédibilité à ce média ne remplit donc pas sa mission et se révèle même trompeur en donnant de fausses labellisations de confiance. Dans ce contexte, que peut-on attendre du Digital Service Act européen, censé représenter le premier pas vers une régulation des grandes plateformes internationales ?

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L’autre sujet européen de la semaine, lié celui-ci à la guerre d’agression russe contre l’Ukraine, concerne le marché européen de l’électricité. Le choc sur les prix de l’électricité, dépendants du marché du gaz, a poussé certains responsables politiques, comme Olivier Marleix, le président du groupe LR à l’Assemblée nationale, à demander à sortir la France du marché européen de l’électricité. Cette inspiration n’a pas été suivie d’effet et c’est, à l’inverse, la position française proposant une meilleure régulation des marchés pour les consommateurs qui a heureusement prévalu dans les négociations européennes. Cet accord européen, explique ici Nicolas Goldberg qui avait plaidé en ce sens dans une note de Terra Nova, renforce les capacités d’investissement dans les nouvelles énergies tout en protégeant les consommateurs contre de fortes variations des prix sur les marchés. Mais il place aussi le gouvernement devant ses responsabilités désormais en matière de politique d’énergie.

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