Emmanuel Macron veut engager le « réarmement démographique » de la France. Les mots ne sont pas anodins : nos enfants sont donc censés devenir des armes au service de l’avenir du pays. En reprenant cette antienne traditionnelle de la politique française, le Président de la République pense sans doute qu’il joue sur du velours : sa conviction est qu’un tel discours est susceptible de plaire à un électorat de plus en plus conservateur et inquiet des bouleversements du monde tout en engageant en même temps une action qui, si elle était couronnée de succès, rendrait effectivement un grand service au pays et serait durablement portée à son crédit.
Mais est-ce si sûr ? Cette politique d’un autre temps est-elle vraiment adaptée à la situation de notre pays ? Et si au contraire, le niveau relativement soutenu de la natalité française était une des causes majeures des importantes difficultés rencontrées par notre société et notre économie au cours des dernières décennies ? Et si la baisse récente de la natalité correspondait finalement à une évolution positive et souhaitable qu’il serait inutile, voire dangereux, de chercher à contrecarrer ? C’est ce que nous allons nous efforcer de montrer.
Un peu d’histoire de la démographie française
Il faut, comme toujours, prendre un peu de recul pour bien mesurer les enjeux du débat actuel. Jusqu’au XIXe siècle, la France avait été la grande puissance démographique de l’Europe. Selon les travaux d’Angus Maddison1, elle comptait, en 1500, 15 millions d’habitants contre 12 pour l’Allemagne et seulement 4 pour la Grande Bretagne. En 1700, on dénombrait encore 21 millions de Français contre 15 pour l’Allemagne et 9 pour la Grande Bretagne. Mais en 1850, l’Allemagne, avec 34 millions d’habitants, faisait désormais jeu égal avec l’Hexagone (36 millions), et le Royaume Uni avait vu sa population s’accroître très rapidement pour atteindre 27 millions d’âmes. Et en 1900, les 54 millions d’Allemands, dépassaient nettement les 41 millions de Français et même les Britanniques étaient devenus plus nombreux qu’eux.
Pour des raisons qui sont probablement liées en premier lieu à une sécularisation plus avancée de leur société, les Français avaient entamé en effet leur transition démographique dès le XVIIIe siècle, beaucoup plus tôt que leurs voisins, parvenant bien avant le déploiement des méthodes contraceptives modernes à limiter efficacement le nombre des naissances. Pendant 150 ans, le différentiel d’évolution démographique avec nos voisins a été spectaculaire et a fait perdre à l’Hexagone son statut de seule grande puissance démographique du continent.
Cette relativement faible croissance de la population a eu des conséquences politiques et économiques négatives importantes. Elle contribue tout d’abord à expliquer la perte du premier empire colonial français en Amérique du Nord, où, malgré les alliances passées avec les populations indiennes autochtones, les colons originaires de l’hexagone ont été submergés par l’afflux constant des anglosaxons, poussés à émigrer par la surpopulation croissante des îles britanniques (compte tenu de la productivité agricole de l’époque) et la misère qu’elle causait. Tandis que nos rois ne parvenaient pas à attirer outre-Atlantique les habitants d’une « Douce France » dont la population n’augmentait que très progressivement. Ces difficultés avaient contribué à la perte du Canada français en 1763 puis de la Louisiane en 1803.
Pendant tout le XIXe et la première moitié du XXe siècle, cette faible croissance démographique avait aussi été vue comme une des causes majeures du retard pris d’abord sur le Royaume Uni en termes de développement de l’empire colonial et de la puissance industrielle, puis par la suite sur l’Allemagne. La France restant encore très rurale alors que l’Allemagne et le Royaume Uni s’urbanisaient plus vite. Ce gap démographique croissant avec l’Allemagne s’est accompagné d’une succession de déboires militaires en 1871, en 1914 et en 1939-40, que seule l’intervention des Etats-Unis avait permis de pallier dans les deux derniers cas.
Cette relative stagnation de sa population est aussi à l’origine d’une autre spécificité française qui marque encore aujourd’hui puissamment le pays bien que ses habitants n’en aient généralement pas conscience : la France n’est jamais devenue un pays d’émigration massive contrairement à tous ses voisins où la forte pression démographique a poussé les habitants à chercher fortune ailleurs. Même quand elle a développé de nouveau un empire colonial important dans la seconde moitié du XIXe siècle, la France n’a jamais réussi à y attirer les habitants de l’Hexagone en quantité significative. Pour les peupler, elle a dû souvent avoir recours à des expédients, notamment en y envoyant des bagnards et en particulier les milliers de condamnés suite à la Commune de Paris de 1871 déportés en Algérie ou en Nouvelle-Calédonie comme le fut notamment Louise Michel. Même en Algérie, principale colonie dite de peuplement, il n’y avait guère au moment de l’indépendance du pays qu’un million de Français pour dix millions d’Algériens.
Très peu de Français sont partis également vers les Etats Unis, contrairement au flot massif de Britanniques bien sûr mais aussi d’Irlandais, d’Allemands, d’Italiens, de Néerlandais, de Norvégiens, de Suédois… qui y ont émigré pour y tenter leur chance. En Europe, tout le monde ou presque a dans sa famille un « oncle d’Amérique », mais ce n’est pas le cas pour la plupart des Français. On ne peut pas comprendre la différence d’attitude à l’égard des Etats-Unis et de l’OTAN entre la France et les autres pays Européens après la Seconde Guerre mondiale, si on n’a pas cette donnée fondamentale en tête.
Cette faible émigration française au XIXe et au début du XXe siècle contribue aussi à expliquer pour une bonne part les difficultés structurelles du commerce extérieur français au cours des dernières décennies : chez la plupart de nos voisins, on avait fait déjà depuis plusieurs générations l’expérience d’aller vendre son savoir-faire dans des pays étrangers où l’on n’était pas le maître. C’est une expérience que les Français ne possédaient généralement pas au moment où la mondialisation a commencé à se développer. Après la décolonisation, il ne s’agissait plus en effet, d’imposer aux étrangers l’achat de ses produits sous la menace de ses canons et de ses baïonnettes…
Le retournement nataliste
Après la Première Guerre mondiale, ces déboires politiques et économiques répétés ont conduit la classe politique française à adopter progressivement des politiques publiques natalistes pour changer la dynamique démographique du pays. Avec notamment une loi votée en 1920 par la chambre « Bleu Horizon » qui interdit toute publicité pour les méthodes contraceptives et renforce les sanctions concernant l’avortement. Ces politiques étaient bien sûr portées de manière particulièrement agressive par la droite nationaliste et revancharde, défenseuse de l’église et des valeurs familialistes, mais elles faisaient malgré tout l’objet également d’un consensus politique assez large. Elles figurèrent notamment parmi les éléments non négligeables de continuité entre les politiques publiques menées sous le Maréchal Pétain et par la IVe République dans l’immédiat après-guerre.
Elles se sont traduites en particulier par la mise en place d’un système fiscal favorable aux familles nombreuses avec l’introduction du quotient familial pour le calcul de l’impôt sur le revenu, la distribution d’allocations familiales généreuses sans conditions de revenu associées à de nombreux autres avantages sociaux et la mise en place plus précoce qu’ailleurs de structures d’accueil collectives des jeunes enfants au fur et à mesure que l’emploi féminin se développait.
Combinées à l’optimisme qui a caractérisé les « Trente Glorieuses » et à la croyance dans l’avènement d’un monde toujours meilleur grâce au progrès technique, ces politiques ont entretenu et accéléré le rebond démographique amorcé dans l’immédiat après-guerre. Elles ont permis en l’espace de quelques années une inversion spectaculaire de tendance avec une croissance démographique nettement plus importante en France que chez ses voisins.
La fin de l’exception française
C’est cette nouvelle exception française, inverse de celle qu’on avait connue tout au long du XIXe et au début du XXe siècle qui est probablement en train de disparaitre avec la baisse rapide du nombre des naissances enregistrées ces dernières années. Alors que naissaient encore plus de 800 000 enfants par an entre 2005 et 2012, ce chiffre est tombé en dessous de 700 000 en 2023. Et l’indice de fertilité conjoncturel qui avait déjà décroché du seuil magique de 2 enfants par femmes depuis une dizaine d’années, a accéléré sa chute dernièrement pour passer en dessous de 1,7 en 2023, se rapprochant désormais à grands pas de la moyenne européenne qui se situait à 1,53 enfants en 2021.
Ce niveau est désormais loin de permettre un renouvellement des générations. Il devrait donc engendrer à terme une baisse de la population française et un vieillissement accéléré de celle-ci avec son cortège de malheurs annoncés : déséquilibre des comptes sociaux, moindre dynamisme économique, perte de puissance politique… D’où le tocsin sonné par Emmanuel Macron et son appel au « réarmement démographique ». Pourtant, cette normalisation représente plutôt probablement une bonne nouvelle pour la France.
Malthus a fini par avoir raison
Tout d’abord, ce ralentissement démographique répond notamment à une profonde inquiétude écologique du fait du changement climatique et de la perte de biodiversité. Si l’avenir est sombre et que la croissance démographique contribue à l’assombrir davantage à quoi bon faire des enfants ? Une telle inquiétude est – malheureusement – parfaitement rationnelle de nos jours.
Elle est déjà ancienne. Au tournant du XVIIIe et du XIXe siècle, constatant l’explosion démographique spectaculaire engagée alors au Royaume Uni, le Révérend Thomas Malthus en avait déduit que les collectivités humaines se préparaient un avenir catastrophique avec famines et misère à la clef, donnant ainsi son nom à une doctrine, le malthusianisme, opposée aux idées natalistes en vogue aux XIXe et XXe siècles. Pendant deux siècles, l’histoire lui avait cependant donné tort. La hausse de la productivité agricole était parvenue à suivre la croissance exponentielle de la population et à éviter le plus souvent les famines prévues par Malthus. Et on avait assisté au contraire, en dépit d’une croissance démographique spectaculaire, à une hausse sans précédent du niveau de vie des populations humaines malgré les guerres terribles qui ont aussi marqué ces deux siècles.
Mais au début du XXIe siècle, Malthus est probablement en train de prendre une revanche tardive. La production supplémentaire qui a permis d’accompagner la croissance démographique et la hausse des niveaux de vie a en effet eu comme corollaire une profonde dégradation du climat et de notre environnement. Pour nourrir ces flux croissants de production, nous avons prélevé sur les stocks naturels bien davantage que ce qui pouvait être renouvelé dans une foule de domaines. Nous avons aussi rejeté en masse dans la nature des plastiques et des produits chimiques qui empoisonnent notre environnement tout en transformant en profondeur la composition chimique de l’atmosphère en y renvoyant, en deux siècles seulement, le carbone qui avait été emprisonné pendant des millions d’années dans les replis de la croute terrestre.
Et cette dégradation accélérée entretient indéniablement un rapport étroit avec une croissance démographique spectaculaire au cours des dernières décennies. En 1960, il y avait 3 milliards d’être humains sur la terre. En 2024, nous sommes plus de 8 milliards, près de trois fois plus en moins de 70 ans… Il existe bien sûr des inégalités formidables en matière de pollution et de dégradation de notre environnement entre les différentes sociétés humaines, mais cette croissance démographique globale joue un rôle majeur dans le caractère insoutenable de la dynamique actuelle.
Bien que cette dimension soit généralement assez peu présente dans le débat public à ce sujet, la question démographique est centrale en réalité dans le débat croissance/décroissance. Pour ne pas avoir à se serrer trop fort la ceinture et à renoncer à trop de biens et de services afin de garder une planète vivable pour nous et pour les autres espèces qui nous entourent, rechercher une décroissance de la population humaine est probablement une des voies les plus prometteuses : à impact environnemental donné, la décroissance démographique peut permettre de limiter la décroissance économique (par tête). Plus tôt cette décroissance démographique sera engagée et plus rapide elle sera, mieux ce sera pour les humains eux-mêmes et pour la planète. Si nous ne la mettons pas en œuvre par nous-mêmes elle risque de toute façon de nous être imposée dans des circonstances dramatiques par les famines et les guerres causées par la dégradation de notre environnement.
Si on partage une telle analyse, et elle semble difficile à contredire au niveau global, la fin de l’exception démographique française de la seconde moitié du siècle dernier, avec la redescente rapide du nombre d’enfants vers la moyenne européenne de 1,5 enfants par femme, est en réalité une contribution utile à la sauvegarde de la planète et de l’humanité. Et, a contrario, la volonté d’inverser la tendance à travers des politiques publiques incitatives pourrait, dans le contexte actuel, aisément être qualifiée d’irresponsable.
La France ne sera plus jamais une « grande puissance »
En faveur de tels politiques natalistes, c’est cependant surtout la question de la « grandeur de la France » qu’on mobilise généralement et le lien qui existe entre la population d’une nation et sa puissance politique, sa capacité en particulier à disposer d’une armée nombreuse susceptible de conquérir des territoires ou de dissuader des envahisseurs. En utilisant l’expression de « réarmement démographique », Emmanuel Macron reprend clairement à son compte cette antienne nationaliste traditionnelle.
Il n’est cependant pas forcément illégitime en effet de poser cette question. Si la baisse de la population humaine mondiale parait souhaitable pour des raisons écologiques, la dynamique qui peut conduire à un tel résultat pose un problème classique en théorie des jeux : le premier qui commence ou celui qui va plus vite que les autres, risque d’y perdre en termes de poids politique par rapport à d’autres dont la population continuerait de croitre ou baisserait plus lentement.
Et cette question du poids politique de la France dans le monde continue de travailler intensément un pays qui vit souvent encore dans la nostalgie d’un passé glorieux largement fantasmé entre Louis XIV, les Lumières, la Révolution Française, Napoléon Bonaparte et le drapeau français qui flotte aux quatre coins du globe. Malgré la disparition de l’empire colonial, le Général de Gaulle avait réussi l’exploit de perpétuer ce mythe au cours des dernières décennies. Et du coup, l’idée que la France pourrait ne plus être une « grande puissance » à l’avenir suscite toujours l’effroi dans un pays où beaucoup continuent manifestement de penser que nous aurions naturellement vocation à guider le monde.
Il faut bien mesurer cependant tout le ridicule d’une telle prétention. La France pèse aujourd’hui 0,8 % de la population mondiale et elle devrait en représenter 0,7 % en 2050. Que ce ratio soit au final dans vingt-cinq ans de 0,75 % grâce au « réarmement démographique » ou de 0,65 %, parce que la tendance actuelle se sera poursuivie et accentuée, ne change quasiment rien à l’affaire : la France pèse désormais moins de 1 % du monde. Elle n’est plus réellement depuis longtemps déjà et ne sera très probablement plus jamais une « grande puissance » à l’échelle mondiale. Et il serait grand temps que les Français, et leurs dirigeants, acceptent enfin de prendre acte de cet état de fait et cessent d’entretenir une nostalgie fumeuse qui ne peut que mener à prendre des décisions erronées et à nourrir les fantasmes de l’extrême droite.
De plus, les tendances démographiques sont d’ores et déjà identiques quasiment partout ailleurs avec 1,6 enfants par femme aux Etats-Unis, 1,5 en Russie, 1,3 en Chine et au Japon, 1,1 en Corée du Sud… La France n’encourt donc aucun risque de se retrouver déclassée démographiquement par rapport aux pays qui comptent aujourd’hui dans le monde parce qu’elle n’aurait plus « que » 1,7 enfants par femme en moyenne. Il en va de même par ailleurs au sein de l’Union Européenne où l’Allemagne se situe à 1,6 enfants par femme, l’Italie à 1,3 et l’Espagne à 1,2.
La forte natalité française nous a coûté cher
Mais surtout, contrairement à ce que la plupart de nos concitoyens imaginent, et visiblement nos dirigeants également, le surplus de naissances qu’a connu la France jusque très récemment, loin d’avoir été un atout, a été en réalité une des causes majeures des difficultés économiques et sociales, et donc politiques, plus importantes qu’ailleurs qu’a connues le pays au cours des dernières décennies. Avec notamment une désindustrialisation poussée et une forte dégradation de sa balance commerciale, une hausse des déficits et de la dette publique, concomitante à une dégradation des services publics, le tout accompagné d’une montée continue de l’extrême droite.
Comment est-il possible de soutenir une telle thèse ? C’est assez simple à comprendre en réalité : toutes ces chères têtes blondes (ou brunes), produiront certes très probablement des richesses dans vingt ans mais en attendant elles coûtent cher. Il faut les nourrir, les loger, les habiller, les soigner, les éduquer, leur trouver un emploi… Dans les pays où les enfants sont nombreux, les actifs subissent une ponction supplémentaire sur leurs revenus pour les entretenir, qu’il s’agisse de dépenses privées ou publiques. Et cela pousse notamment les coûts de production à la hausse.
On insiste beaucoup dans le débat public sur le nombre de retraités que chaque actif doit entretenir et on s’inquiète de la dégradation de ce ratio du fait de l’arrivée à l’âge de la retraite des générations nombreuses du baby-boom combinée à l’allongement de l’espérance de vie. C’est ce qui sert à justifier chacune des multiples réformes successives des retraites. Mais en réalité, sur le plan économique, ce n’est pas ce ratio qui compte mais celui du nombre des jeunes inactifs ET des retraités rapportés au nombre de personnes d’âge actifs qui doivent les nourrir grâce à leur activité économique. Et à ce compte-là, la France est en fait l’un des pays d’Europe les plus mal placés. Parce qu’elle a déjà une population âgée non négligeable mais surtout une population jeune nettement plus importante que la plupart de nos voisins.
Contrairement à ce que beaucoup s’imaginent, le travail de chaque Français d’âge actif doit en effet nourrir nettement plus d’inactifs chez nous qu’en Allemagne, pays auquel nous aimons tant nous comparer. Du côté des plus de 65 ans la situation est similaire entre les deux rives du Rhin mais ce sont les jeunes qui font la différence. Cela se traduit forcément par un coût du travail plus élevé et/ou un niveau de vie des salariés inférieur pour pouvoir financer les dépenses privées et publiques supplémentaires qui en résultent. On a l’habitude de considérer que le faible dynamisme démographique de l’Allemagne contemporaine est un désavantage pour le pays mais ce n’est pas le cas : toutes ces dernières années, cela lui a fourni au contraire un avantage compétitif significatif par rapport à la France.
Pour poursuivre avec cet exemple, l’Allemagne dépense selon Eurostat 4,5 % de la richesse créée chaque année dans le pays pour l’éducation contre 5,2 % pour la France. Pourtant les enseignants allemands sont beaucoup mieux payés que leurs homologues français, deux fois plus dans le secondaire. Mais ce paradoxe s’explique : quand il faut éduquer 700 000 jeunes par génération dans un pays de 84 millions d’habitants, cela coûte, à dépense égale par élève, un tiers de moins que quand il faut en prendre en charge 800 000 dans un pays de 68 millions d’habitants. Et, dans ces conditions, il n’est guère surprenant non plus que les résultats scolaires soient meilleurs chez nos voisins dans les comparaisons internationales même si de nombreux autres aspects interviennent bien entendu également.
De plus quand il s’agit d’intégrer 700 000 jeunes chaque année au sein d’une population employée de 46 millions de personnes comme c’est le cas en Allemagne, la tâche est nettement plus aisée à réaliser qu’en France où il s’agit de trouver chaque année un emploi à 800 000 jeunes pour 28 millions de postes de travail. Il n’est donc pas très surprenant que le chômage des jeunes soit de longue date plus faible en Allemagne qu’en France même si beaucoup d’autres facteurs entrent aussi en ligne de compte.
Par ailleurs, quelle que soit la qualité des structures d’accueil collectives mises en place, et elles restent souvent insuffisantes en France, le fait d’avoir des familles nombreuses reste un obstacle significatif à l’emploi des femmes, dans la mesure où la division sexuée du travail domestique perdure. Ce qui contribue également à diminuer le potentiel économique du pays. Contrairement à ce que beaucoup de nos concitoyens imaginent, la France n’est pas en effet un des pays champions de l’emploi des femmes en Europe : pour le taux d’emploi des femmes de 20 à 64 ans la France est 19ème sur les 27 pays de l’Union.
La gangrène de la rente foncière
n pays qui, comme la France, connait un dynamisme démographique plus important que ses voisins, est enfin forcément aussi un pays qui connait davantage de difficultés en matière de logement. Il n’est donc pas étonnant que la France soit à la fois un des pays d’Europe où les prix du logement aient le plus augmenté depuis 2000 et un des pays où ce prix soit le plus élevé, bien qu’elle soit pourtant également un des pays les moins densément peuplés. Un logement en France coûte aujourd’hui deux fois plus cher en moyenne qu’en Italie ou en Espagne…
Le prix très élevé du foncier qui résulte notamment de notre croissance démographique est en réalité un des handicaps les plus importants en matière de compétitivité que subit notre économie : il freine l’implantation et le développement des entreprises du fait du prix des terrains et des bureaux en même temps qu’il pousse à la hausse le coût du travail pour que les salariés puissent faire face à cette dépense contrainte majeure. La rente foncière a de tout temps été le pire ennemi de l’activité productive et notre dynamisme démographique a contribué à la maximiser.
De plus, cette pression démographique en matière de logement a aussi des conséquences environnementales désastreuses : elle joue un rôle majeur dans le phénomène d’artificialisation des sols qui fait perdre au pays depuis des décennies maintenant l’équivalent d’un département en terres agricoles tous les dix ans, menaçant ainsi de priver la France d’un de ses avantages comparatifs les plus importants. Au cours de ce siècle, les terres agricoles devraient en effet devenir une ressource clef. Quand nous serons sortis des fossiles, c’est la biomasse qui servira à produire non seulement l’alimentation dont nous auront toujours autant besoin mais aussi désormais des carburants, des substituts aux plastiques, des fibres textiles, des matériaux de construction…
Bref, il ne fait guère de doutes que loin d’avoir été un atout, le dynamisme démographique maintenu en France au cours des dernières décennies a plutôt contribué à approfondir la grave crise économique, sociale et politique que traverse le pays. Et qu’en conséquence, l’idée de s’engager dans une politique de « réarmement démographique » est aussi absurde que dangereuse.
On peut accueillir plus de migrants
Fort bien me direz-vous. C’est vrai qu’à court terme avoir de nombreux enfants coûte cher mais à long terme une société en décroissance démographique c’est quand même bien une société où la part des personnes âgées et inactive est en hausse constante et cela va finir par poser des difficultés considérables à la société et à l’économie françaises.
La réponse est oui. Une société en décroissance démographique est une société où une proportion importante de la richesse produite doit servir à fournir un revenu et des services à des personnes âgées nombreuses et incapables de travailler. C’est une mutation considérable à laquelle il faudra pourtant se faire parce que c’est souhaitable et même indispensable si on veut limiter les dégâts que notre espèce a occasionnés sur la planète et permettre à nos descendants de survivre.
Ce sera cependant le cas également dans quasiment tous les pays au cours des prochaines décennies. Il n’en résultera donc pas un désavantage particulier pour l’économie française. Enfin, pour pallier ou plutôt limiter cet inconvénient bien réel, il existe une solution simple que nos voisins ont déjà utilisée beaucoup plus que nous au cours des dernières années : l’immigration. Celle-ci est aussi en même temps un moyen d’atténuer les graves difficultés que rencontrent les pays qui sont encore en retard en matière de transition démographique.
Sur ce plan nous avons beaucoup de marge. Nous sommes actuellement un des pays d’Europe occidentale où la proportion de celles et ceux qui sont nés hors du pays, 12 % actuellement contre 18 % en Allemagne, est la plus faible. Nous sommes aussi un des pays qui a reçu le moins d’immigrés depuis dix ans. Deux fois moins que l’Espagne et l’Italie et quatre fois moins que l’Allemagne.
Nos voisins sont en train de résoudre ainsi les difficultés créées par leur déficit démographique passé… En termes d’intégration, l’immigration pose bien entendu des difficultés qui nécessitent des dépenses particulières supplémentaires pour que les choses se passent bien mais contrairement aux enfants, les immigrés arrivent généralement dans nos pays à l’âge adulte. Ils mobilisent donc malgré cela nettement moins de dépenses publiques et privées pour être intégrés à notre économie.
Malgré tous les discours anti-immigrés qui se développent actuellement en Europe et la politique absurde de « Forteresse Europe » qu’ils induisent, tous les gouvernements européens, y compris celui de Giorgia Meloni en Italie et celui de Viktor Orban en Hongrie, développent en pratique des politiques visant à attirer de plus en plus d’immigrés dans leur pays.
Bref, le « réarmement démographique » est une bêtise tant du point de vue de la planète que de celui des intérêts du pays.