Ni réarmement, ni désarmement : la liberté de choisir !

Ni réarmement, ni désarmement : la liberté de choisir !
Publié le 7 mars 2024
Sommes-nous trop nombreux ? Cette inquiétude ancienne est reprise dans l’éloge de la décroissance démographique défendue par William Desmonts. Ses arguments sur les effets bénéfiques du recul des naissances peuvent être confrontés à des situations de pays où la baisse de la population est déjà une réalité. Mais, surtout, n’oublions pas que la procréation fait l’objet de revendications et de luttes sociales, en particulier féministes, pour défendre un droit personnel à la liberté de choix.
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Dans son plaidoyer en faveur du « désarmement » démographique, William Desmonts décrit tout d’abord l’exception française dans l’histoire démographique récente de l’Europe. Sa thèse est que la baisse récemment observée de la natalité en France correspond à une sortie de l’exception française en Europe. Cette partie de son argumentation est convaincante. Le fait est bien établi : la France a changé de régime démographique dès le début du XVIIIe siècle, bien avant le reste du continent. Au XXe siècle, à nouveau à l’inverse du mouvement général, elle a maintenu une natalité relativement élevée (autour du seuil de renouvellement des générations, à 2,1 enfants par femme) là où ses voisins connaissaient des chutes brutales. Mais la France semble désormais tendre vers la condition commune, avec une érosion peut-être irrésistible du nombre de naissances. Ce recul, pour l’auteur, ne devrait nullement nous inquiéter mais ouvrirait la perspective d’une heureuse décroissance démographique. Conclusion : le Président de la République a tort de s’inquiéter d’un possible déclin démographique français, il devrait au contraire s’en réjouir !

La contestation du traditionnel plaidoyer nataliste donne à l’auteur l’occasion d’utiles rappels historiques et permet de combattre des clichés éculés sur le lien entre démographie et puissance. Son argument principal consiste à s’inquiéter des impacts, notamment environnementaux, de la croissance démographique. Le rappel des chiffres a de quoi marquer : en 1800, la planète comptait 1 milliard d’habitants, elle a franchi le cap des 8 milliards en 2022. Comment penser que nous pourrions continuer sur cette tendance ? Il y a là, incontestablement, de quoi nourrir l’éco-anxiété de futurs parents… Et l’auteur d’appeler de ses vœux une prochaine décroissance démographique pour éviter la catastrophe environnementale. Ce faisant, il suggère que nous serions toujours actuellement dans la phase de croissance des deux derniers siècles ou même des 70 dernières années. Or, ce n’est pas le cas. Certes, la population mondiale croit toujours mais à un rythme désormais beaucoup plus lent. Le taux de croissance de la population mondiale qui approchait les 2 % dans les années 1960 est passé en dessous de 1% en 2020 et tombera à 0,5% vers 2050 d’après les prévisions de l’institut national des études démographiques (INED), ce qui signifie que le nombre d’habitants sur terre va progressivement se stabiliser vers la fin du siècle, selon les scénarios, entre 9 et 12 milliards d’habitants, autour de 10 milliards dans le scénario intermédiaire. Autrement dit, on pourrait regarder le sujet tout autrement. Non pas tenir les yeux rivés sur le passé de l’augmentation prodigieuse du siècle écoulé mais considérer que nous avons déjà devant nous la perspective d’une stabilisation, déjà commencée, de la population mondiale.

La « décroissance de la population mondiale » que l’auteur appelle de ses vœux n’est donc pas acquise mais le ralentissement de sa croissance est un fait établi et désormais quasi universel. C’est dû au fait que la population augmente lors des phases de « transition démographique », quand les pays passent d’un régime combinant forte fécondité et forte mortalité (où la population stagne) à un régime combinant faible natalité et faible mortalité (où la croissance démographique est également faible). Entre ces deux états où naissances et décès s’équilibrent à peu près, la baisse de la mortalité liée au développement et aux progrès de santé, concomitante de la réduction plus lente du nombre de naissances entraîne une forte croissance, temporaire, de la population. Or, la transition démographique est phénomène universel, achevé dans les pays développés et désormais entamé partout, y compris en Afrique. C’est en effet aujourd’hui là où la transition démographique est arrivée en dernier (en Afrique et dans la partie de l’Asie qui va du Kazakhstan à l’Afghanistan et au Pakistan) que se joue la croissance démographique mondiale. La population chinoise, pour sa part, après avoir largement contribué à la croissance de la population mondiale (660 millions d’habitants en 1960, 1,4 milliards en 2023), commence à reculer et a déjà perdu 2 millions d’habitants entre 2022 et 2023 d’après les statistiques chinoises. De façon moins spectaculaire, le continent européen est lui aussi en recul. Même s’il existait un risque de « surpopulation » mondiale, celui-ci ne viendrait pas de l’Europe et encore moins de la France. Les démographes n’emploient d’ailleurs pas ce terme de surpopulation aujourd’hui et attirent plutôt l’attention sur un autre phénomène à l’œuvre : le vieillissement général de la population (part des personnes de 65 ans ou plus dans la population), en raison de la diffusion générale du modèle de la famille réduite et de l’allongement de la durée de vie. C’est un autre sujet intéressant de choix collectif à anticiper : comment s’organiser dans ces sociétés vieillissantes ?

En ce qui concerne l’impact environnemental qui inquiète William Desmonts, on voit les limites du retour au raisonnement de Malthus : contrairement aux prédictions de ce dernier, l’humanité a pu passer de 1 à 8 milliards tout en assurant des gains de qualité de vie (recul des famines, de la pauvreté, des épidémies mortelles…). Et nous ne serions pas capables de réussir la même chose entre 8 et 10 milliards ? Beaucoup d’indicateurs écologiques montrent une pression excessive sur les ressources naturelles, sans parler même des effets multiples et inévitables du changement climatique. Mais le défi n’est pas celui du nombre en tant que tel, c’est celui de la localisation, de l’organisation collective et des modes de vie.

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Pour étayer sa thèse des effets bénéfiques de la décroissance démographique, l’auteur propose un raisonnement économique qu’on pourrait qualifier de « dividende démographique à l’envers ». Le dividende démographique est un effet de la transition démographique : quand le nombre des naissances baisse et que les nombreux enfants d’hier sont en âge de travailler, le marché du travail bénéficie d’une situation optimale où les actifs sont beaucoup plus nombreux que les inactifs, jeunes et vieux. Cette situation est favorable à des phases de décollage ou de rattrapage économique. L’auteur nous propose la stratégie inverse : moins d’enfants pour peser moins sur les actifs qui ont déjà la charge du soutien aux plus âgés. Le phénomène ne peut être que temporaire, comme l’est d’ailleurs le dividende démographique. Les classes d’âges creuses se succédant, les actifs seront de moins en moins nombreux et auront du mal à financer à la fois la formation des jeunes, si peu nombreux soient-ils, et la retraite des vieux. Cela ne peut donc être qu’un mirage temporaire. A moins de piocher, comme le suggère l’auteur, dans une réserve de main d’œuvre déjà formée à l’étranger et qui ne viendrait que pour participer à la vie active, opérant ainsi un transfert de richesse des pays du Sud vers le Nord.

Pour savoir si la baisse de la population produit des effets bénéfiques, il suffit de regarder là où elle est déjà à l’œuvre. La population italienne baisse : l’Italie comptait 60 millions d’habitants en 2014, 59 en 2022. Les démographes anticipent le chiffre de 47 millions seulement en 2070. Cette baisse améliore-t-elle la situation du logement ? Certainement pas. L’accès des jeunes au logement est particulièrement difficile en Italie pour des raisons de typologie et de localisation : les jeunes ménages ont du mal à se loger dans les villes dynamiques où se trouvent les emplois. Les grands appartements familiaux ne sont pas adaptés à leur budget ni à leur mode de vie. Résultat : deux jeunes italiens sur trois vivent chez leurs parents. William Desmonts indique qu’un logement en France coûte deux fois plus cher aujourd’hui en moyenne qu’en Italie. Mais comment expliquer que les jeunes italiens quittent le foyer parental en moyenne à 30 ans contre 23 ans en France ? C’est que le prix moyen est un indicateur grossier qui intègre des zones dépeuplées peu attractives où les loyers sont faibles. Il ne donne pas une idée précise de la distorsion entre offre et demande de logement sur les marchés en tension des grandes villes du Nord de l’Italie. La difficulté d’accès des jeunes au logement limite leur mobilité géographique, réduit leurs opportunités d’études longues et leur ambition professionnelle, ce qui pèse à la longue sur la compétitivité de l’économie italienne.

L’argument écologique relatif à l’impact de la pression démographique sur l’artificialisation des sols est également incomplet. L’artificialisation des sols ne reflète pas exactement le besoin de logement. En effet, on observe qu’elle se produit aussi bien dans des communes en croissance démographique que dans des communes en décroissance. En France, des villes en recul démographique, comme Saint-Etienne, Limoges, Cherbourg, Tarbes, Tulle… poursuivent leur étalement. Elles développent un type d’aménagement à la fois défavorable au centre-ville et peu économe des ressources naturelles par extension de la ville sur son environnement immédiat. A l’inverse, des villes démontrent qu’il est possible de gagner de la population sans pour autant s’étendre au détriment des espaces naturels, agricoles ou forestiers (Calvi, Mirepoix, Serre-Ponçon, Trièves…). Les déterminants d’un bon aménagement de l’espace sont complexes : il ne s’agit pas seulement de compter les habitants et d’en déduire des mètres carrés à occuper. Entrent en ligne de compte les aspirations des ménages, l’obsolescence des bâtiments, la typologie de l’offre (petits logements, pavillons…), les contraintes de mobilité, la situation du marché du travail…

Au final, indépendamment de l’évaluation des effets bénéfiques d’une hausse ou d’une baisse de la population, il faut rappeler que, pour un nombre toujours croissant de personnes à l’échelle mondiale, la reproduction relève d’un choix personnel. La maternité n’est plus un destin imposé par la nature ou l’ordre social. L’évolution de la population dépendra donc de la capacité des ménages, et particulièrement des femmes, à exercer leurs droits, en particulier les droits à la santé sexuelle et reproductive. Il est difficile d’évoquer l’évolution démographique sans mentionner les luttes des femmes, partout dans le monde, pour la liberté de disposer de leur corps. Cette notion, dans les textes internationaux, va désormais au-delà du libre choix de procréer. Elle concerne un ensemble plus vaste de droits, interdépendants les uns des autres, sans lesquels il n’y a pas de choix autonomes ni d’égalité réelle : l’accès à l’éducation et à l’information, l’accès aux systèmes de soin, l’accès aux méthodes contraceptives, à l’avortement légal et sûr, la protection contre les violences sexuelles telles que le viol, les mutilations génitales féminines, les mariages d’enfants, les mariages forcés… Plutôt que de spéculer sur les avantages et inconvénients d’un désarmement ou d’un réarmement démographique, rappelons l’importance de miser sur l’éducation, l’accès à la santé et la réalisation des droits personnels, encore si souvent limités pour les femmes, y compris en Europe et en France.

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Marc-Olivier Padis