Quelques propositions concernant l’industrie du médicament

Quelques propositions concernant l’industrie du médicament
Publié le 8 juin 2023
La politique du médicament doit traiter deux sujets prioritaires ; l'innovation d'une part et la disponibilité des médicaments génériques passés dans le domaine public d'autre part. Dans les deux cas, les relations entre pouvoirs publics et industrie pharmaceutique doivent avoir en perspective la situation des malades, confrontés à des risques de coûts prohibitifs ou de pénurie.
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Depuis la fin du XXe siècle, notre système de soin solidaire souffre de la politique menée par l’industrie pharmaceutique. Les innovations thérapeutiques sont mises sur le marché à des prix très élevés totalement déconnectés des investissements engagés pour leur mise au point et pour leur production. De plus, elle se désintéresse des médicaments passés dans le domaine public qui, jugés peu rémunérateurs, subissent de fréquentes pénuries dont pâtissent les malades. L’industrie semble avoir pour principal souci sa rentabilité financière, les malades étant réduits au statut de banals consommateurs.

1. Les innovations thérapeutiques

Le prix des innovations ne dépend ni des dépenses engagées pour le recherche et le développement (R&D), ni de l’efficacité supposée des produits mais essentiellement de l’estimation de ce que le marché est apte à payer. Il n’est nullement tenu compte du travail et des investissements fournis en amont par les structures publiques qui fournissent l’essentiel de la recherche. Cela est par exemple le cas des anticorps monoclonaux anti PD-1 et anti CTLA-4 issus des recherches de Tasuku Hondo et James Allison. En oncologie, le séquençage des tumeurs, largement financé par des fonds publics, offre gracieusement aux industriels les cibles à atteindre. En outre, le temps de développement clinique est de plus en plus court car ce n’est plus la survie qui est utilisée comme gage d’efficacité mais des critères intermédiaires d’obtention rapide : réponse clinique, imagerie, correction d’une anomalie moléculaire. Ainsi de nombreux produits sont mis sur le marché rapidement après des essais de phase II voire de phase I. Les bilans financiers des Big Pharmas montrent qu’en règle générale moins de 15% des chiffres d’affaire sont consacrés à la recherche et développement (R&D) alors que les marges bénéficiaires excèdent habituellement 20% de ceux-ci.

C’est le plus souvent aux Etats-Unis, où l’industriel impose ses prix sans négociations avec les pouvoirs publics, que s’effectue la première mise sur le marché des innovations thérapeutiques. En France, le Comité Economique des Produits de Santé (CEPS), sous la double tutelle des ministères de la santé et de l’économie a pour mission de négocier le prix des traitements avec l’industriel en tenant théoriquement compte de l’évaluation par la HAS de leur efficacité (SMR et ASMR). Mais un prix ayant déjà été défini aux Etats-Unis, les marges de négociation sont limitées et les discussions, excluant les représentants des médecins comme des malades au prétexte du « secret des affaires », se déroulent dans une grande opacité. On peut observer que des négociations de ce même type existent dans les grands pays européens et que les prix retenus ne varient que très peu d’un pays à l’autre.

En cas d’Autorisation de Mise sur le Marché obtenue précocement (AMM octroyée rapidement après des essais comportant un nombre limité de malades), des modalités de révision à la baisse des prix sont prévues lorsqu’une évaluation faite par l’industriel à 5 ans ne montre pas, dans la vraie vie, une efficacité thérapeutique aussi favorable qu’espérée, ce qui est très fréquent. Malheureusement, une étude de la Cour des Compte constate que trop souvent, du fait des réticences de l’industriel à les fournir, les résultats de ces évaluations ne sont pas disponibles.

Recommandation 1 – Innovation thérapeutique

  • Obtenir au niveau international que les prix des innovations soient, comme il y a une trentaine d’année, déterminés en fonction des dépenses de R&D des industriels en déterminant précisément la part des financements publics dans la recherche d’amont.
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A court terme, intégrer au nom de la démocratie dans le CEPS des représentants professionnels de santé et des malades.

A moyen terme, faire évoluer la réglementation afin d’obtenir une négociation des prix non plus au niveau national mais au niveau européen avec l’espoir qu’une négociation de concert sera plus efficace.

Recommandation 2 – Evaluation post AMM

  • Faire évoluer la réglementation afin que l’évaluation post AMM de l’efficacité des traitements soit financée par l’industriel titulaire de l’AMM mais conduite par les pouvoirs publics.

2. Les médicaments passés dans le domaine public

Vingt ans après le dépôt du brevet un médicament tombe dans le domaine public et devient « généricable ». En France, les prix des génériques bénéficient d’une décote immédiate d’environ 60% par rapport au princeps. Il y a en oncologie une quarantaine de médicaments le plus souvent très anciens qui, tombés dans le domaine public, ont des prix raisonnables. Ils constituent encore l’essentiel des protocoles de chimiothérapie et sont qualifiés de Médicaments d’Intérêt Thérapeutique Majeur (MITM). Ce sont ces MITM, que l’on retrouve dans toutes les spécialités de la médecine (cancérologie, anesthésie réanimation, infectiologie, neurologie…) qui sont pénalisés par des ruptures de production et d’approvisionnement avec comme conséquence des épisodes de pénurie d’autant plus graves qu’il n’existe pas de traitement alternatifs possibles. Il y a encore une vingtaine d’année les laboratoires détenteurs de l’AMM assuraient toutes les phases de leur fabrication ce qui garantissait un approvisionnement pérenne. Mais ces MITM, contrairement aux produits innovants, rapportent peu et les industriels afin de conserver une profitabilité satisfaisante ont transféré, pour des raisons de moindre coût, la production de principes actifs en Chine et en Inde où les salaires sont bas et les normes sociales et environnementales médiocres. Quant au façonnage, permettant d’obtenir le produit fini, il est le plus souvent sous-traité. Conséquence de ces nouvelles pratiques, on observe depuis une quinzaine d’années des épisodes de ruptures d’approvisionnement de ces MITM liées soit à des malfaçons des principes actifs soit à une désorganisation du façonnage qui par souci d’économie se fait à flux tendu. Ainsi la moindre rupture d’approvisionnement a pour conséquence une pénurie pouvant durer de longs mois et dont les malades sont les principales victimes. La réapparition du produit sur le marché s’accompagne fréquemment d’une augmentation parfois majeure de son prix. Ces phénomènes de tensions et de pénuries, limités à quelques dizaines de cas par an avant 2010, se sont multipliées avec 2200 épisodes observés en 2021 et plus de 3000 en 2022.

Devant la crainte de tensions, certains pays, comme l’Allemagne récemment, décident d’augmenter de façon unilatérale le prix de MITM afin de continuer à être approvisionnée au détriment des pays en concurrence. L’extension de cette pratique à d’autres pays risque d’induire une spirale ascendante des prix qui ne peut que bénéficier à l’industrie pharmaceutique qui a vu là l’intérêt pour elle de telles pratiques. Le Leem (Entreprises du médicament) constatant « le manque d’attractivité du marché pharmaceutique français » vient d’ailleurs de prôner cette pratique en France.

Pour éviter que la moindre rupture d’approvisionnement ait pour conséquence une pénurie, il convient que l’industrie cesse de travailler à flux tendu. Cela a été entendu par les pouvoirs publics qui ont demandé que des stocks de certains produits correspondant à 2 mois de consommation soient constitués mais cela reste insuffisant. Compte tenu des durées de certaines pénuries, il conviendrait que des stocks correspondant à au moins 4 à 6 mois de consommation soient imposés. La relocalisation de la production des principes actifs est, par ailleurs, nécessaire. D’autant que des entreprises de synthèse pharmaceutique qui pour beaucoup assuraient ce travail avant d’en être privées au bénéfice d’entreprises asiatiques sont déjà présentes sur le territoire national. Ainsi par la voix du Sicos (Syndicat des industries chimie fine et biotech) elles se sont manifestées et ont dit leur capacité à assumer cette tâche sur les installations toujours existantes. Il serait cependant déraisonnable d’envisager la création ex-nihilo de nouvelles lignes de production dont on ne pourrait espérer le fonctionnement avant une dizaine d’années.

Compte tenu du désintérêt manifesté par l’industrie pour des produits jugés par elle peu rémunérateurs, il convient de définir une nouvelle politique de production originale. Cela est le cas aux Etats-Unis ou des centaines puis plus de mille établissements de santé, lassés des multiples épisodes de pénuries, ont décidé de la création d’une structure coopérative (Civica-RX) organisant la production de MITM à prix coutant. On pourrait sur ce modèle créer un Etablissement Français du Médicament (EFM), établissement public qui, fonctionnant comme donneur d’ordres, organiserait la production de MITM avec l’aide des structures de chimie et celles de façonnage, qui sous-traitent actuellement pour l’industrie. Ce partenariat public-privé permettrait la production de médicaments « non-profit ». Comme il s’agit de produire des centaines de MITM de toutes spécialités, l’EFM serait un modèle à reproduire dans les autres pays dans le cadre d’une coopération européenne.

Recommandation 3 – Lutte contre les pénuries

  • Imposer aux industriels au moins 4 mois de stocks des produits finis sur le territoire français

Recommandation 4 – Etablissement Français du Médicament

  • Relocaliser la production des principes actifs des MITM au profit des entreprises de chimie fine existantes
  • Créer un Etablissement Français du Médicament (EFM), donneur d’ordres organisant (dans le cadre d’un partenariat public – privé) la production de MITM avec l’aide des structures de chimie fine et de façonnage et les distribuant à prix coûtant. Cet établissement pourrait être le premier étage d’une fusée devant être complétée par des établissements du même type situés dans les autres pays européens.

3. Liens entre l’industrie pharmaceutique et les praticiens de la santé

La formation continue post universitaire et la plupart des congrès et réunions scientifiques organisées par les sociétés savantes sont largement financées par l’industrie pharmaceutique pour laquelle cela représente un remarquable espace de marketing. Les voyages et les séjours à l’étranger à l’occasion de congrès internationaux sont régulièrement pris en charge par des industriels ce qui occasionne des liens d’intérêts voire de futurs conflits d’intérêts.

Recommandation 5 – Limiter les liens d’intérêts

  • Imposer que les sommes consacrées par les industriels à ces activités soient versées à des organisations publiques en charge de la formation continue (universitaire ou non).
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Le Collectif de Professionnels et de Patients pour la Refondation de la Santé est un collectif de 76 professionnels de ville et d'hôpital (médecins et paramédicaux) et de patients engagés pour la refondation de la santé