Recherche en santé : sept recommandations pour une réforme urgente

Recherche en santé : sept recommandations pour une réforme urgente
Publié le 20 juin 2023
Dans cette nouvelle note sur la politique de la recherche, le Collectif de professionnels et de patients pour la refondation de la santé (CPPRS) livre un constat pessimiste sur la situation de notre pays. Ses recommandations, proches de celles établies par Alain Fischer dans son récent rapport pour Terra Nova, visent à refonder une politique ambitieuse de la recherche en biologie-santé, centrée sur la complémentarité de la science fondamentale et de la clinique, et appellent à aller au-delà des orientations annoncées autour du plan Innovation santé 2030 en cours de déploiement.
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Le Collectif de professionnels et de patients pour la refondation de la santé – liste complète des signataires ici : http://www.cpprs.fr/

La recherche scientifique est une activité humaine fondamentale. Son impact en médecine et en santé n’est plus à démontrer. Alors que grandit la conscience d’enjeux inédits pour la planète et pour le vivant, la recherche doit plus que jamais être soutenue par les pouvoirs publics et accompagnée par les acteurs économiques concernés.

La recherche médicale et en santé se décline en quatre domaines : les recherches fondamentale, translationnelle, clinique et en santé publique. Ils font appel à des compétences et des moyens en partie distincts. Il faut cependant les considérer dans leur ensemble et faire en sorte qu’ils soient étroitement associés, tant en termes de stratégie de gouvernance que d’organisation. De ce point de vue, le développement d’instituts de recherche pluridisciplinaires sur sites hospitalo-universitaires (les fameux IHU dont douze nouvelles créations viennent d’être annoncées) va dans le bon sens. Il n’est plus guère envisageable aujourd‘hui de mener des projets de recherche de façon isolée du fait de la nécessité d’interagir entre spécialistes de disciplines différentes (biologie, informatique, intelligence artificielle, statistique, …) et de disposer de plateformes de recherche ad hoc (de la génomique à la méthodologie des essais cliniques).

La recherche médicale et en santé française en déclin relatif. De nombreux indicateurs (classements divers, publications, obtention de contrats internationaux, prix, part de la France dans l’innovation médicale) convergent vers le même constat du recul relatif de notre pays face aux pays européens et au-delà. Les causes en sont connues : défaut de financement, organisation lourde et fragmentée, évaluation trop dispersée et peu efficace, place insuffisamment reconnue de la recherche en CHU, apports potentiels de la recherche en soins primaires restant à confirmer, recherche industrielle insuffisante malgré l’outil incitatif du crédit impôt recherche et sans doute, dans toute la société, des dirigeants à nos concitoyens, un défaut de culture scientifique.

Recommandation 1 – Financement de la recherche : Augmenter le budget public de la recherche scientifique et plus particulièrement en sciences de la vie/santé. 

L’Allemagne, dont le budget de recherche était analogue (en % du PIB) à celui de la France il y a 15-20 ans, a très significativement et progressivement augmenté celui-ci (d’environ 0,35 % de point de PIB contre 0 en France jusqu’à 2020) et continue de le faire. Ces financements ont été dirigés de façon stratégique vers les universités les plus performantes et ont permis au pays de faire progresser nettement ses performances. De plus, cette action s’est accompagnée d’un effort comparable du monde industriel.

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En France, l’effort doit plus particulièrement porter sur le secteur sciences de la vie/santé qui représente moins de 20% des dépenses de recherche publique contre environ 30% chez nos voisins. Salaires tout au long de la carrière (les salaires universitaires ou de chercheurs sont environ inférieurs de 25% à ceux des pays comparables : Allemagne, Grande Bretagne), infrastructures, équipements et crédits de fonctionnement, doivent pouvoir bénéficier de cet effort budgétaire

Recommandation 2 – L’Inserm acteur central en sciences de la vie/santé : Renforcer le rôle national de l’INSERM comme moteur de la recherche médicale et en santé, en la dotant de moyens supplémentaires :

L‘Inserm doit bénéficier de nouveaux moyens en tant que moteur de la recherche en santé : 

  • en permettant de mieux doter les équipes de recherche qui lui sont affiliées (en même temps qu’à une Université), 
  • en regroupant en son sein les agences thématiques (ANRS-MIE, part recherche de l’ INCa,… 
  • et en lui confiant la mission de financer la recherche clinique (programme PHRC). 

Ainsi, l’INSERM serait en situation d’élaborer une stratégie globale et d’animer ces différents secteurs de recherche en promouvant notamment l’interdisciplinarité, en évitant le fonctionnement en silo et les effets d’aubaine. L’INSERM apparaitrait comme un partenaire clairement identifié des Universités et des CHU pour construire sur le terrain cette recherche.

Une concertation avec les autres institutions en charge des recherches en science de la vie (dont le budget doit aussi être revalorisé) :  CNRS, INRAE, EPIC concernés et les institutions aux compétences complémentaires comme l’INRIA doit être développé, peut-être sur le modèle britannique du « UKRI » (UK research and innovation).

Recommandation 3 – Evaluation de la recherche : Simplifier l’évaluation des équipes de recherche 

Le principe doit être celui de l’évaluation a posteriori (ce qui signifie faire confiance !), fondée sur des indicateurs qualitatifs (contenu des publications ou autres « déliverables »), et non quantitatifs (facteur H, indice SIGAPS, nombre de citations..). Il convient également de faire en sorte que cette évaluation ne soit pas trop fréquente (5 ans environ) et soit suivie d’effets (positifs ou négatifs).

Recommandation 4 – Mesures visant à dynamiser la recherche dans les CHU

Diverses mesures sont nécessaires : 

  • Médicaliser la direction des Directions de la recherche clinique et de l’innovation (DRCI),
  • Simplifier les procédures administratives requises avant la mise en œuvre d’une recherche sur l’homme (cohortes, investigations et thérapeutiques) en évitant les doublons avec les unités de recherche clinique et les centres d’investigation clinique (bref à nouveau faire confiance et évaluer a posteriori).
  • Revoir l’indice SIGAPS qui donne une place bien trop élevée aux nombres de publications plutôt qu’à leur qualité. Interdire l’utilisation de cet indice pour évaluer les personnes (nomination, promotion), réserver son usage à l’évaluation « macroscopique » des activités des CHU.
  • Faciliter l’accès de la recherche (dans ses 4 dimensions) aux jeunes médecins, pharmaciens (chefs de clinique assistants), mais aussi personnels soignants qui le souhaitent et le peuvent par la mise en place de temps protégé (jusqu’à 80%) et des financements type « starting grants » ad hoc. Une telle mesure existe aujourd’hui de façon limitée : elle est financée par une fondation privée, elle doit être reprise et amplifiée par les pouvoirs publics. (A noter par contre que fonctionnent plutôt bien, en amont dans la formation, des programmes MD/PhD via l’Inserm et plusieurs Universités. Cependant, ces programmes ne sont, là non plus, guère financés par l’Etat.
  • Augmenter le nombre d’IHU. Les instituts hospitalo-universitaires (IHU) remplissent en principe, lorsque leur gouvernance est adéquate, les conditions évoquées en introduction nécessaires à un développement décloisonné des recherches en médecine et santé. Il convient dans la mesure du possible (en fonction de la satisfaction des critères requis) d’en augmenter le nombre, de le financer de façon durable (sous réserve d’évaluation bien sûr) et d’en fluidifier le fonctionnement tout en en contrôlant rigoureusement la gouvernance.
  • Replacer dans la gouvernance des CHU la recherche et l’enseignement à côté de la gouvernance hospitalière administrative, ce qui implique une révision de la loi HPST de 2009, de telle sorte que la stratégie des CHU ne repose pas uniquement sur une logique de soins et de rentabilité économique. Sur ce plan, le modèle néerlandais où la gouvernance est dans les faits triple (soins, enseignement, recherche) mériterait considération, voire expérimentation.
  • Développer la recherche en soins primaires, dans ses différentes dimensions, recherche clinique et recherche sociale

Recommandation 5 – Recherche en santé publique : Mettre en place un plan de développement de la recherche en santé publique. 

La recherche en santé publique en France n’atteint pas la masse critique nécessaire, malgré quelques brillantes exceptions. Il convient de la développer en dotant de budgets pérennes des équipes interdisciplinaires associant biologie et santé et sciences humaines et sociales (sociologie, psychologie cognitive et sociale, etc.) Cela passe par une politique proactive et progressive de recrutement d’universitaires dans les UFR médicales mais aussi les UFR SHS et de chercheurs. 

Il faut aussi prévoir d’augmenter le nombre de postes bi-appartenants affiliés à des CHU mais aussi à Santé publique France ou des ARS. Ce serait un signal fort pour les jeunes générations notamment d’internes, qui pour l’instant ne s’orientent guère vers ce champ disciplinaire dont on voit pourtant l’importance aujourd’hui.

Recommandation 6 – Recherche industrielle : Développer en parallèle la recherche industrielle. 

Il conviendrait d’ouvrir la possibilité d’équipes mixtes académique/industriel et de favoriser l’emploi des docteurs (PhD). L’heure est peut-être venue aussi de s’interroger sur la pérennisation du CIR pour les grosses entreprises.

Recommandation 7 – Culture scientifique : Développer la culture scientifique. 

Ce sujet essentiel mériterait un long exposé. Les grandes lignes en sont : 

  • renforcer l’enseignement de la science à l’école (du primaire à la terminale), en association avec l’éducation sanitaire ; 
  • faire en sorte que des experts soient systématiquement placés auprès des décideurs politiques (sur le modèle anglo-saxon) ; 
  • former les futurs décideurs à la culture scientifique et aux questions éthiques qui y sont liées au cours de leurs études (Instituts de sciences politiques, INSP, grandes écoles commerciales,…) ;
  • soutenir les maisons de la science et les associations qui promeuvent la culture scientifique ; 
  • engager les médias publics à donner plus de place à la culture scientifique ; 
  • développer les systèmes de veille et de réponse aux fake news ; 
  • élaborer une charte de bonne utilisation des médias par les scientifiques et médecins incluant la déclaration des liens éventuels d’intérêt ; 
  • encourager les scientifiques et médecins à parler de science dans les médias.

Lexique

  • ANRS-MIE : agence nationale de recherche sur le sida, les hépatites et les maladies infectieuses émergentes
  • CIR : crédit impôt recherche
  • CNRS : centre national de la recherche scientifique
  • EPIC: établissement public à caractère industriel et commercial
  • InCA : institut national du cancer
  • INRIA : institut national de recherche en informatique et automatique
  • INSERM :institut national de la santé et de la recherche médicale
  • PHRC : programme hospitalier de recherche clinique
  • SHS : sciences humaines et sociales
  • SIGAPS : système d’interrogation, de gestion et d’analyse des publications scientifiques
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Collectif CPPRS

Le Collectif de Professionnels et de Patients pour la Refondation de la Santé est un collectif de 76 professionnels de ville et d'hôpital (médecins et paramédicaux) et de patients engagés pour la refondation de la santé