Tremblement de terre aux Pays-Bas

Tremblement de terre aux Pays-Bas
Publié le 15 décembre 2023
  • Senior Research Fellow à l’Institut pour les relations internationales Clingendael à La Haye, il a été directeur des relations internationales de la Fondation Wiardi Beckman, think tank du parti travailliste néerlandais (PvdA).
Même si le leader populiste Geert Wilders est présent sur la scène politique néerlandaise depuis plus de vingt ans, personne ne s’attendait à le voir arriver en tête des élections législatives du mois dernier. Des partis politiques plus récents, qui semblaient avoir le vent en poupe, ont finalement moins progressé que prévu. Les électeurs se sont décidés dans les dix derniers jours de campagne, ce qui ajoute à l’incertitude créée par la grande volatilité de l’électorat. Les Pays-Bas seront-ils gouvernés par un populiste islamophobe ? Les négociations pour former une coalition ne font que commencer…
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Ce texte est tout d’abord paru sur le site de l’IPS 

Un tremblement de terre spectaculaire et inattendu a secoué les Pays-Bas le 22 novembre dernier. Avec une importante marge (23,4% des voix), le leader national-populiste notoirement hostile à l’Islam Geert Wilders a remporté les élections en présentant un programme partiellement anti-constitutionnel. La question est maintenant de savoir si les autres partis sont prêts à travailler avec lui et s’il pourrait ainsi devenir Premier ministre, prenant la suite de Mark Rutte, le chef de gouvernement resté le plus longtemps en poste de l’histoire du pays.

Au début de la campagne électorale, il semblait que les Pays-Bas étaient en position de rester une exception dans le mouvement de révolte anti-système qui balaie le continent, déchirant et polarisant les opinions des démocraties occidentales. Les tensions liées aux nouvelles inégalités sociales et aux nouveaux clivages favorisent presque partout le développement des mouvements populistes d’extrême droite ou nationaux-populistes conservateurs. Dans de nombreux pays européens, des partis hier marginaux s’approchent du cœur du pouvoir : en Italie, Giorgia Meloni est devenue présidente du Conseil ; en Suède, le gouvernement dépend du soutien des Démocrates de Suède ; en Allemagne, les bons résultats dans les élections régionales et les bons sondages de l’AfD confirment la progression du populisme d’extrême droite ; en France, on se demande si Marine Le Pen est encore loin de gagner la Présidence ; aux Etats-Unis, pour finir, la perspective d’un deuxième mandat de Donald Trump se dessine à l’horizon.

Les Pays-Bas semblaient jusqu’à présent à l’abri de ces tendances mondiales. Pourtant, un sentiment de défiance politique et de malaise social s’exprimait, avant tout parmi les habitants des régions périphériques et les moins diplômés, à travers la progression de deux nouveaux venus, le parti du Nouveau contrat social (NSC) et le mouvement agriculteur-citoyen (BBB). Ces deux partis plongent leurs racines dans la démocratie chrétienne et se sont implantés dans des régions éloignées du centre de gravité politique du pays. Le mouvement agriculteur-citoyen s’était imposé en mars dernier lors des élections sénatoriales lors d’une victoire-éclair, dans les suites d’un mouvement de colère des agriculteurs contre un projet de réduction drastique des émissions d’azote décidé dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.

Sortant de nulle part, en août dernier, le NSC a été fondé par le député chrétien-démocrate dissident Pieter Omtzigt. Celui-ci s’est trouvé sur le pied de guerre, en conflit avec le Premier ministre sortant Mark Rutte, après avoir révélé plusieurs scandales comme par exemple le scandale des allocations familiales qui a représenté pour de nombreux citoyens comme une gifle prise en pleine figure. Omtzigt, tel un Robin-des-bois défendant la veuve et l’orphelin, les laissés pour compte, les invisibles et les victimes de programmes publics défaillants, est devenu très populaire. Pendant de longues semaines, son parti a fait la course en tête des sondages. L’« anti-Rutte » semblait sur le point de remplacer Rutte.

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Mais rien de tel n’advint. La nuit des élections donna des résultats bien différents. Malgré un bon score (20 sièges et 12,8 % des voix) à la chambre basse, le parti de Pieter Omtzigt n’était pas en tête mais c’est Geert Wilders qui est apparu, à la surprise générale, vainqueur des élections (37 élus, 23,5% des voix). Wilders siège depuis vingt ans au Parlement, entouré d’un service de protection personnelle plus important que celui de la famille royale néerlandaise, en raison de fatwas lancées contre lui depuis le monde musulman.

Ce politicien très controversé (y compris aux Pays-Bas) a également surclassé Frans Timmermans, le président de la coalition rouge-verte réunissant le parti travailliste (PvdA) et la Gauche verte (GL). Cette coalition s’impose tout de même clairement comme le deuxième groupe du Parlement (25 élus, 15,4% des voix), en partie parce que de nombreux électeurs et électrices progressistes ont adopté un vote tactique quand il est devenu clair, dans les tous derniers sondages, que c’était Wilders et non Omtzigt qui concentrait sur sa personne l’expression du vote anti-establishment.  

Le recul d’Omtzigt dans les derniers jours de la campagne est aussi le résultat de son comportement inconstant, de son manque évident d’appétit pour le pouvoir et de son peu d’envie de devenir Premier ministre. Le coup de grâce est intervenu lors des débats télévisés où un Wilders très à l’aise devant les caméras s’est imposé avec un slogan à la Donald Trump : « Put the Dutch back on 1 ».

La formule visait directement le thème de campagne le plus important : l’immigration. Ces dernières années, les Pays-Bas ont vu arriver sur leur sol un nombre disproportionné d’immigrants, que ce soient des demandeurs d’asile, des migrants de travail, des étudiants internationaux ou des réfugiés ukrainiens. Un consensus s’est imposé, avant tout à la droite de l’échiquier politique, pour considérer que la migration exerçait une pression excessive sur les services publics. Plus précisément, une crise rampante du logement s’est aggravée. Dans les grandes villes, il est difficile de trouver des logements abordables alors que les personnes qui ont reçu le statut de réfugié bénéficient d’un accès prioritaire à l’hébergement. C’est une des sources du ressentiment anti-système aux Pays-Bas.

Mais les scandales de l’ère Rutte y ont aussi leur part. Un fort sentiment de défiance et de malaise social parcourt des groupes sociaux les moins diplômés et les plus éloignés d’Amsterdam et de La Haye. On parle même de « Démocratie des diplômés » pour désigner les jeunes professionnels métropolitains diplômés qui se reconnaissent dans un système de valeur libéral tant sur le plan économique que culturel. On peut considérer la révolte anti-système comme un correctif conservateur à cette tendance. Toute la question est de savoir ce que cela signifie pour les Pays-Bas que ce correctif ne s’exprime pas à travers un vote conservateur mais se porte sur la personne d’un populiste xénophobe radical comme Wilders.

Celui-ci s’est montré étonnamment modéré durant sa campagne et conscient de ses responsabilités en annonçant qu’il ne prendrait pas de mesures précipitées et qu’il était prêt à mettre en veilleuse sa politique hostile à l’Islam. Désormais adouci, « le mielleux » Geert « Milders » a-t-il édulcoré son discours ? La question est dès lors de savoir dans quelle mesure cette auto-censure est crédible. Car une grande partie de ses idées, contraires aux règles de l’Etat de droit, ne peuvent pas constituer la base d’un programme de gouvernement. Un certain nombre de propositions vont à l’encontre de la liberté de conscience comme la fermeture des écoles musulmanes, des mosquées, l’interdiction du Coran et l’interdiction du port du foulard dans les bâtiments officiels. De telles mesures violeraient de manière évidente le principe constitutionnel de liberté de conscience. Pour Wilders, l’Islam n’est pas une religion mais une « idéologie détestable ».

Comme on peut le comprendre, les institutions représentatives de l’Islam aux Pays-Bas sont profondément préoccupées par ces déclarations. Wilders mettra-t-il vraiment de l’eau dans son vin ? Une coalition politique peut-elle contenir les projets de Wilders, sachant qu’il faut au moins trois partis pour bâtir une coalition ? Ou un islamophobe agressif peut-il vraiment accéder au pouvoir aux Pays-Bas ?

Pour le moment, le processus de constitution d’une coalition reste dans le brouillard. Il faut plusieurs mois aux Pays-Bas pour construire une coalition, souvent même plus d’un an. Le parti libéral-conservateur de Mark Rutte (VVD, arrivé troisième avec 24 élus et 15,25% des voix) a fait savoir deux jours après le vote qu’il ne participerait pas à un gouvernement Wilders et que, tout au plus, il pourrait soutenir un nouveau gouvernement de centre-droit, ou tolérer son existence.  Au bout du compte, il reste à voir si, au-delà du choc que constitue pour les Pays-Bas la large victoire du parti anti-système et islamophobe de Geert Wilders, celui-ci peut accéder au pouvoir. Pour le moment, je ne parierais pas là-dessus.

Traduit de l’anglais par Marc-Olivier Padis
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René Cuperus