Marine Le Pen et les droits des femmes : le risque d’une marche arrière forcée

Marine Le Pen et les droits des femmes : le risque d’une marche arrière forcée
Publié le 20 avril 2022
  • Responsable du pôle "Egalité Femmes-hommes" de Terra Nova
Depuis ses échecs aux élections présidentielles de 2012 et 2017, Marine Le Pen s’est lancée dans la conquête de l’électorat féminin, traditionnellement sous-représenté dans le vote d’extrême-droite. Axe majeur de la “dédiabolisation” du Rassemblement National, sa posture prétendument favorable aux droits des femmes est cependant en décalage avec la réalité de son programme. Cette posture entre également en contradiction avec les votes de son parti qui s’est régulièrement opposé aux avancées en faveur des femmes.

D’après une enquête de l’Ifop, une Française sur deux considère Marine Le Pen comme « féministe ». Pourtant, derrière le discours et les préoccupations affichées pour la condition féminine en France, et partout dans le monde qu’elle détaille dans une “Lettre aux françaises”, publiée le 8 mars dernier dans les colonnes du Figaro, le programme de Marine Le Pen frappe par son indigence et sa vision rétrograde des femmes. Les mesures dédiées sont d’ailleurs abordées à travers les thèmes favoris de son parti : la sécurité et la préférence nationale.

On sait que la persistance des inégalités entre les femmes et les hommes, dont les violences faites aux femmes sont le visage plus terrible, tient notamment à la persistance de stéréotypes de genre auxquels la société peine à échapper. Ils sont si solidement ancrés qu’en dépit d’avancées incontestables en la matière, ils continuent d’infuser la sphère familiale, l’école, le marché du travail. Si l’évolution est lente et imparfaite, et si beaucoup doit être fait pour progresser dans ce combat, la vision de Marine Le Pen et de son parti, par son caractère régressif, présente le risque d’un retour en arrière considérable, menaçant les droits acquis en France et en Europe.

Les femmes à la maison ? Egalité salariale femmes / hommes : le néant

“Une femme à la tête de la France, c’est une femme qui sera attentive à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes” déclarait Marine Le Pen sur TF1 le 6 avril dernier. Pourtant, cet enjeu est absent du programme (il se limite à une mesure sur la revalorisation du salaire des soignants). Les femmes ne sont évoquées que dans deux de ses 16 livrets : celui dédié à la sécurité et celui dédié à la famille. Le sujet ne semble pas inspirer la candidate, ni intéresser son parti. En témoigne l’absence de l’ensemble des députés RN de l’hémicycle lors du vote sur la récente loi Rixain visant à accélérer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Entre 2015 et 2016, la candidate alors députée européenne a d’ailleurs votécontreplusieurs résolutions du Parlement européen portant sur les droits des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes.

  • 28/04/2016 : sur l’égalité des genres et l’émancipation des femmes à l’ère du numérique.
  • 18/04/2016 : sur les femmes employées de maison, auxiliaires de vie et gardes d’enfants.
  • 19/01/2016 : sur les facteurs externes faisant obstacle à l’entrepreneuriat féminin.
  • 9/09/2015 : sur les carrières scientifiques et universitaires des femmes et plafonds de verre.
  • 10/03/2015 : sur les progrès en termes d’égalité entre les femmes et les hommes.
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En 2020, la plupart des eurodéputés RN ont voté contre une résolution visant à accélérer la réduction des écarts de salaire entre les femmes et les hommes dans les pays de l’UE. Les autres (Annika Bruna et Jean-Paul Garraud) étaient quant à eux absents lors du vote.

Dernièrement, le 4 avril 2022 l’eurodéputé RN (et président du parti) Jordan Bardella s’est absenté lors du vote de la proposition de directive visant à réduire les écarts de salaire entre les femmes et les hommes par le renforcement du principe du “salaire égal pour un travail de valeur égale”. Les autres eurodéputés RN se sont quant à eux abstenus.

Le leitmotiv nauséabond de la préférence nationale

En dépit de l’euphémisation du discours, tout dans son programme semble réduire les femmes, évoquées à travers leur “désir d’enfant”, à leur rôle de mère et d’épouse. Les mesures visant à encourager la natalité sont nombreuses mais celles-ci (notamment les allocations familiales) seront réservées aux familles françaises suivant le principe écrit noir sur blanc du “faire passer les nôtres avant les autres. Dans la même tonalité, la candidate distingue les femmes françaises des femmes étrangères : le soutien financier aux mères isolées sera réservé aux familles monoparentales françaises avec un renforcement des contrôles pour éviter les fraudes.

Violences sexistes et sexuelles : des positions mises à mal par les votes de son parti

La thématique sécuritaire étant prépondérante dans le programme, le volet de propositions destinées à lutter contre les violences sexistes et sexuelles peut sembler au premier abord assez fourni (accueil des femmes victimes dans les commissariats, jugement plus rapide des ex-conjoints violents, inscription au fichier des criminels et délinquants sexuels des personnes condamnées pour outrage sexiste). Outre l’absence notable de mesures visant à prévenir et endiguer les violences sexuelles et sexistes, cette mesure contraste avec les positions des députés RN au Parlement Européen.

En décembre 2021, l’ensemble du groupe a voté contre la résolution “Me too et harcèlement : conséquences pour les institutions de l’Union Européenne. Plus tôt, en 2016, ils ont également voté contre la Convention d’Istanbul visant à lutter contre les violences à l’encontre des femmes et des filles : un vote en totale contradiction avec ce que prétend proposer Marine Le Pen aujourd’hui.

La protection des femmes au service de l’obsession sécuritaire et anti-migratoire

Si le lien entre la sécurité des femmes et l’immigration n’est pas formellement explicitée dans son programme, on se souvient de certaines de ses déclarations publiques : en mars dernier dans sa “Lettre aux Françaises”, évoquant le harcèlement de rue, elle promet “l’expulsion des étrangers qui se livrent à ces pratiques outrageantes”. On se souviendra également de la tribune publiée par la candidate du Rassemblement National en 2016 dans l’Opinion : elle disait alors “prendre la plume comme une femme française libre” pour dénoncer “les agressions sexuelles ayant eu lieu à la Saint-Sylvestre en Allemagne et réclamer à François Hollande un “référendum sur l’accueil des migrants en France”.

Des positions très ambigües sur le droit à l’IVG

Si Marine Le Pen a officiellement rompu dès 2002 avec la position historique de son parti opposé au droit à l’IVG, la candidate reste très ambiguë sur cette question. Elle continue de s’accrocher à toute tentative visant à limiter son recours. Un article du journal Le Monde daté de 2016 rappelle que lors de sa campagne présidentielle de 2012, elle dénonçait les “avortements de confort”. Dans une vidéo diffusée par Brut en mars dernier, elle affirme : “je n’ai jamais été contre le déremboursement de l’IVG, mais en réalité pour le déremboursement des IVG multiples. En 2022, elle s’est opposée à l’allongement du délai légal pour l’IVG de 12 à 14 semaines. Bref, la vieille opposition du Front National à la loi Veil de 1975 avance à peine masquée. On se souvient d’ailleurs des propos de Jean-Marie Le Pen à ce propos (aux femmes, dans le Journal Le Parisien en 1996) : “l’affirmation que votre corps vous appartient est tout à fait dérisoire. Les accointances de la candidate avec le dirigeant hongrois Viktor Orban qui a rendu l’avortement quasi-illégal dans son pays a en effet de quoi inquiéter.

Pour conclure, il apparaît donc clairement que le discours prétendument favorable aux femmes développé par Marine Le Pen ces dernières années est une affaire de stratégie : conquérir un électorat féminin que l’on sait historiquement plus rétif à l’extrême droite. Il ne doit pas faire oublier l’ensemble des positions conservatrices prises par Marine Le Pen et son parti sur les sujets touchant aux droits des femmes.

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