Marine Le Pen et le Covid : deux ans d’incohérences

Marine Le Pen et  le Covid : deux ans d’incohérences
Publié le 11 avril 2022
Face à la pandémie, la candidate du Rassemblement national affirmait en novembre 2021 qu’elle aurait fait « radicalement différemment sur l’intégralité de la crise sanitaire ». Quels principes l’auraient donc guidée ? A coup sûr, ni les fondamentaux de la santé publique, ni la solidarité nationale avec les plus fragiles, ni encore la confiance dans la parole des experts. Son opposition à la stratégie de l’exécutif est pavée de préférences systématiques en faveur du charlatanisme et axée sur la décrédibilisation des autorités.

Dernière position en date : l’opposition brutale à la vaccination des enfants.

La candidate du Rassemblement national, en janvier dernier sur France Inter, avait qualifié celle-ci de « forme de maltraitance » à l’égard des plus jeunes. Mardi 22 mars, lors de l’émission La France dans les yeux sur BFMTV, elle a confirmé qu’elle y était « fondamentalement opposée », et n’aurait elle-même « pas fait vacciner ses enfants » s’ils avaient été plus jeunes. « Ils n’ont aucun risque de développer une forme grave du Covid ». « Je suis navrée de le dire […] je pense qu’énormément de parents sont comme moi » – ce en quoi elle a probablement hélas raison, puisque seuls 4% des 5–11 ans ont été vaccinés depuis l’ouverture de la campagne pédiatrique le 20 décembre 2021. La décrédibilisation à laquelle elle se livre sur la foi d’arguments erronés n’en est que plus grave.

Pour justifier son opposition, la candidate martèle deux arguments qui sont tous deux orthogonaux avec les évidences scientifiques. Le premier consiste à invoquer un risque d’effets secondaires : toutes les données de pharmacovigilance illustrent au contraire la parfaite sécurité de la forme pédiatrique du vaccin Pfizer, par exemple chez les presque 10 millions d’enfants de 5–11 ans vaccinés aux Etats-Unis pour lesquels la pharmacovigilance est disponible.

Son deuxième argument consiste à invoquer le déséquilibre de la balance bénéfice/risque en faisant valoir une innocuité de l’infection par Sars-Cov-2 chez les enfants : une position que contesteraient volontiers les plus de 20.000 familles françaises qui ont traversé l’épreuve d’une hospitalisation de leur enfant pour Covid (14.784 âgés de 0–9 ans et 9.413 10–19 ans hospitalisés depuis mars 2020). Elle s’est d’ailleurs également opposée systématiquement au port du masque obligatoire pour les enfants et a critiqué la fermeture des classes au premier cas, par exemple en novembre 2021 sur BFMTV.  Seul bémol accordé par Marine Le Pen : le vaccin se justifierait pour les enfants fragiles. Là encore, les données européennes et françaises sont formelles : si le risque de faire une forme grave est certes accru chez les enfants qui souffrent de certaines comorbidités, pour autant la très grande majorité des enfants hospitalisés pour un syndrome multisystémique aigu (un « PIMS ») n’avaient aucune comorbidité.

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Mais les positions fallacieuses de Marine Le Pen sur la vaccination vont bien au-delà du seul enjeu des enfants. L’équation qu’elle cherche à résoudre est de se poser en défenseuse des non-vaccinés, sans pour autant s’assimiler aux réseaux antivax. Ainsi se dit-elle favorable à la vaccination tout en s’opposant au passe sanitaire puis au passe vaccinal. Mais l’argument qu’elle mobilise porte en réalité un coup sévère à la légitimité de la vaccination dans l’opinion : elle martèle que le vaccin ne protège pas contre l’infection et, de là, n’est qu’un outil de prophylaxie individuelle, non un instrument de santé publique. « En matière de protection collective, la vaccination ne fonctionne pas » a-t-elle ainsi avancé par exemple à l’Assemblée le 3 janvier dernier. Si le bénéfice individuel de la vaccination et du rappel pour éviter les formes graves lui paraît réel, au point qu’elle n’hésite d’ailleurs jamais à se dire elle-même dûment vaccinée avec rappel, en revanche l’intérêt de la vaccination en tant qu’instrument de réduction de la circulation virale lui semble absolument absent, ce qui la conduit à dénier au vaccin son utilité du point de vue de l’intérêt collectif. De là, elle infère que toute stratégie d’obligation vaccinale, ou même d’incitation à la vaccination via le passe, est purement illégitime. Dès novembre, s’emparant de l’infection de Jean Castex, elle affirme ainsi sur France inter : « Moi je suis vaccinée. Je pense que le vaccin est utile pour empêcher les formes graves du Covid. Ça, c’est une certitude. Mais la vraie question, c’est : est-ce que le vaccin peut empêcher la circulation du virus ? Je pense qu’aujourd’hui la réponse est non. Donc à quoi sert le passe sanitaire, à part à laisser la population sous une forme de contrainte qui est en même temps inutile et disproportionnée ? ». Et c’est ce qu’elle répète, en accusant l’exécutif de « mensonge » et en invoquant même une supposée littérature scientifique en février : « Toutes les études montrent que le vaccin protège des formes graves mais n’empêche ni la contamination ni la transmission du virus ». Cette assertion est erronée, et de très nombreuses publications disponibles au tout début de l’année 2022 confirmaient au contraire l’efficacité de la vaccination contre l’infection, aussi bien pour Delta que pour Omicron, même si en effet dans des proportions moindres qu’on aurait pu l’espérer, et moins rassurantes que pour la protection des formes graves. Il faut d’ailleurs se souvenir de l’extrême prudence de l’exécutif, au lancement de la campagne début 2021, pour rappeler que des données étaient encore attendues sur la protection contre l’infection, avant que des données positives soient diffusées au printemps.

En novembre, au moment où Marine Le Pen arguait à l’envi de l’infection de Jean Castex pour dénoncer l’inefficacité du vaccin, la baisse de l’immunité après deux doses face à Delta était effectivement reconnue, raison pour laquelle la recommandation de rappel était étendue aux plus de 40 ans. Le scénario de référence retenait généralement une efficacité vaccinale (2 doses) contre l’infection passant de 80% à 50% après 6 mois et remontant grâce au rappel à 95% (85% après 6 mois en moyenne). En décembre, ces données étaient nuancées avec Omicron, tout en maintenant des taux de protection intéressants chez les vaccinés avec rappel ; les hypothèses retenues par l’équipe de modélisation de Pasteur à fin décembre 2021 à partir de la littérature internationale disponible dessinent ainsi un consensus scientifique sur les taux suivants :

On est très loin, donc, d’un intérêt nul de la vaccination pour freiner la circulation virale. Et même si les estimations les plus récentes amènent à situer plutôt cette protection désormais autour de 50% chez les vaccinés avec rappel face à Omicron, il reste que, comme l’a dit Bruce Toussaint qui animait l’émission La France dans les yeux le 22 mars sur BFMTV, « 50%, c’est pas rien quand même, Marine Le Pen ».

La candidate du Rassemblement national utilise pourtant ce même argument de l’absence de protection vaccinale contre l’infection pour s’opposer également à la vaccination obligatoire des soignants, qu’elle qualifie d’« absurdité » et d’« injustice », arguant même qu’elle serait « illégale ». Elle a assuré, ce mardi 22 mars sur BFMTV, qu’elle réintégrerait les soignants non-vaccinés si elle est élue, au motif que leur « travail ne met pas en danger » les patients du fait de l’absence de protection des vaccinés contre l’infection et la transmission. Elle s’est également dite favorable au versement des salaires qui n’ont pas été touchés par les soignants suspendus, jugeant qu’il n’y avait « aucune raison sanitaire » à l’interdiction pour les soignants non-vaccinés d’exercer leur profession. Bien au contraire, le consensus scientifique s’appuie au moins depuis le printemps 2021 sur des données produites en vie réelle qui attestent de la réduction, tant des infections que des transmissions causées par des professionnels de santé lorsqu’ils sont vaccinés. La protection des patients, fragiles, fait naturellement partie des impératifs de la déontologie médicale, et les professionnels de santé sont du reste bien sûr soumis à d’autres obligations vaccinales. 

De fait, la candidate du Rassemblement national cherche toujours à combiner la critique sur l’inutilité des mesures avec une critique de leur caractère attentatoire aux libertés, comme par exemple sur BFM en novembre. Lors de ses interviews successives sur ce sujet, elle défend une stratégie fondée sur le choix individuel et volontaire du masque et du vaccin, sans recourir à aucune contrainte. Aux questions des journalistes qui en infèrent sa volonté de « laisser circuler le virus », elle répond par divers arguments ; on notera qu’elle considère que « la vraie question ce n’est pas les contaminations mais les gens qui sont en risque de décès » (BFM le 24/11/21), qu’elle considère qu’en Suède, sans mesures restrictives, « ils se portent très bien » (idem), ou encore, en réponse à une question de Ruth Elkrief qui lui demandait pourquoi elle se refusait à encourager les Français à se faire vacciner, que « les Français comprennent très bien » qu’en se vaccinant ils se protègent personnellement contre le risque de formes graves sans qu’il soit besoin de les y inciter. Au total, elle n’hésite pas à considérer que la liberté serait « gravement menacée » par la lutte contre l’épidémie, et en particulier par le passe sanitaire, affichant par exemple en juillet son soutien à une tribune de Loïc Hervé et François-Xavier Bellamy affirmant que « La liberté est « aujourd’hui gravement menacée » et qu’il y a « un défi de civilisation » face « aux modèles autoritaires qui triomphent ailleurs dans le monde ». Dans une vidéo du 21 juillet 2021, elle a fustigé le passe sanitaire comme une violation des libertés, « enrôlant certains citoyens comme surveillants » : « jamais notre pays dans son histoire contemporaine n’a connu une telle atteinte aux libertés individuelles ». Pour elle, « la vaccination doit rester un choix personnel, qui laisse à chacun le droit d’apprécier au regard de sa situation la balance risque-avantage ». Et la candidate ne craint pas l’emphase, affirmant : « une personne positive à l’isolement chez elle disposera de moins de droits qu’un terroriste islamiste assigné à résidence », sans qu’on comprenne du tout à quoi il est fait référence en l’espèce puisque l’isolement n’a jamais été obligatoire dans notre pays, à la différence de certains de nos voisins.

« Sur les questions sanitaires, Marine Le Pen se trompe totalement » : étonnamment, c’est de son propre camp qu’est portée la critique contre la candidate du Rassemblement national, en la personne de Robert Ménard, et singulièrement sous l’angle de son attachement proclamé aux libertés individuelles. Sur Europe 1 en janvier, celui-ci a affirmé que le passe vaccinal était « la bonne réponse » pour lutter contre le Covid-19, et qu’il était même favorable à la vaccination obligatoire. Fustigeant les arguments centrés sur la défense des libertés individuelles de la part de ses alliés, il a évoqué son expérience acquise à Reporters sans frontières en matière de « dictatures », n’hésitant pas à taxer de « stupidité » l’opposition de Marine Le Pen au passe sanitaire au nom des libertés : « Du côté de mon propre camp, ceux qui disent ça et qui applaudissent (Vladimir) Poutine en disant que c’est un grand homme, il faut être un tout petit peu moins stupide ».

En pratique, l’objectif de la candidate est de tenir les deux bouts d’un électorat qui se trouve profondément divisé : selon l’enquête du Cevipof et Ipsos-Sopra Steria dans sa vague de décembre 2021 pour Le Monde, près de la moitié (47%) des électeurs potentiels d’extrême-droite déclaraient « ne pas comprendre » voir « condamner » les « antivax » et les anti-passe sanitaire. A l’inverse, la candidate a parfois conforté la tentation complotiste de l’autre moitié de son électorat : en mars, lors de la première vague, Le Pen plaidait qu’« en démocratie, on a le droit de douter ». « Que des gens s’interrogent pour savoir si ce virus est d’origine « naturelle » ou s’il ne peut pas avoir échappé d’un laboratoire est une question de bon sens » a-t-elle notamment affirmé. Au même moment, l’eurodéputé Gilbert Collard, dans un podcast vu plus de 300.000 fois sur youtube, n’avait pas hésité à évoquer, jouant sur des sous-entendus antisémites quasi explicites, un lien imaginaire entre Agnès Buzyn, son époux Yves Lévy et l’élaboration d’un laboratoire de type « P4 » à Wuhan, « ville où le Covid-19 a soudainement surgi ».

La première conséquence de cette division de son électorat, c’est qu’elle conduit sans doute Marine Le Pen à naviguer à vue, au prix parfois de vraies contradictions. Il ne faudrait pas oublier, par exemple, qu’elle s’est prononcée fortement en faveur de l’obligation vaccinale pour les soignants, sur LCI, en septembre 2020. Mais la difficulté de cadrer avec son électorat divisé sur le sujet la conduit aussi à privilégier tout bonnement les attaques ad hominem contre l’exécutif (par exemple contre la « violence » des propos du Président de la République au moment du vote parlementaire sur le passe vaccinal) ainsi que les invocations générales de la nécessaire protection des libertés, comme lors du choix de son affiche de campagne en septembre 2021 avec pour slogan « Libertés, libertés chéries ». Un thème qu’elle a aussi pu décliner s’agissant de la « liberté de prescrire  » en matière de traitements du Covid, réclamant l’accès à la chloroquine en mars 2020 – et affichant encore tout récemment son soutien de fait à Didier Raoult : n’a-t-elle pas tenu à faire savoir qu’un santon à son effigie décorait sa crèche de Noël ?

Cet attachement proclamé à la défense des libertés publiques posé en étendard de la gestion du Covid n’est pas l’apanage de l’extrême-droite française et a concerné de nombreux partis européens d’extrême-droite durant la crise : comme le notait récemment Pawel Zerka dans Le Grand continent, « la façon dont la liberté est détournée par l’extrême droite (…) est un phénomène commun en période de Covid-19, avec des exemples concrets en France, au Pays-Bas, en Allemagne aussi bien qu’en dehors de l’Europe comme au Brésil ou aux États-Unis ».

La critique contre l’exécutif avait d’emblée, dès 2020, un objectif électoral ; en mai 2020, au moment du déconfinement, elle se prononçait contre l’ouverture des écoles avant les grandes vacances. S’agissait-il d’une position raisonnée appuyée sur la prudence exprimée de fait par certains experts ? A l’évidence, le registre mobilisé était plutôt celui de la peur délibérément agitée pour mieux mobiliser une opinion inquiète. Se défendant de tout alarmisme, la candidate faisait surtout valoir un échec selon elle du Gouvernement, arguant sur France Inter : « Objectivement, je pense que la crise aurait pu être très largement mieux gérée par Donald Trump. Mais on ne résume pas une politique à cette situation de la crise sanitaire. Sinon M. Macron va évidemment renoncer à se présenter à nouveau, compte tenu des erreurs majeures qui ont été commises en France, qui a quand même le nombre de morts le plus important d’Europe ». Une assertion strictement fausse, puisqu’à l’époque la France occupait le sixième rang d’Europe en nombre de décès par million d’habitants.

Mais la décrédibilisation systématique de la parole publique reste le trait le plus constant de la stratégie de Marine Le Pen face à la pandémie, avec des accusations répétées contre les « mensonges » du Gouvernement. Par exemple, le 30 mars 2021, elle affirmait sur France Info : « on n’a pas eu de masques, on n’a pas eu de tests, en revanche on a eu des bobards ». Se félicitant d’avoir « réussi à convaincre le gouvernement » de « territorialiser les mesures », elle adjurait le gouvernement d’« arrêter de faire la fine bouche » et d’« acheter des vaccins russes » car « pour des raisons géopolitiques refuser de les acheter et d’en faire bénéficier les Français c’est une décision lourde en termes de conséquences ». Un mois plus tôt sur twitter, elle écrivait aussi : « Travaillons en bonne intelligence avec la Russie et ne laissons pas l’idéologie antirusse ruiner nos capacités de vacciner nos compatriotes ! ». Rappelons que le vaccin russe Spoutnik V n’est reconnu ni par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ni par l’agence européenne du médicament (EMA), les personnes ayant reçu ce vaccin devant donc recevoir un schéma vaccinal complet à ARNm pour être considérées comme vaccinées.

Encadré : Les inégalités devant le virus… et devant la désinformation

Aujourd’hui, 1250 patients Covid sont admis chaque jour à l’hôpital. Le poids de la non-vaccination reste majeur. Selon la DREES, en février 2022, les 7 % de personnes non vaccinées dans la population française de 20 ans ou plus représentaient 26 % des admissions en hospitalisation conventionnelle avec Covid, 33 % des entrées en soins critiques avec test RT-PCR positif, et 34 % des décès après hospitalisation. Or la DREES a aussi publié récemment avec le troisième volet de son enquête EPICOV des données marquantes sur les inégalités sociales qui frappent l’accès à la vaccination, soulignant que la non-vaccination concerne davantage les non-diplômés que les diplômés bac+5 (70% vaccinés versus 79%), les ouvriers que les cadres (65% vaccinés versus 83%), les plus pauvres que les plus riches (55% des 10% d’adultes dont le niveau de vie est le plus faible avaient eu recours à la vaccination contre 88% parmi les 10% les plus aisés).  

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Mélanie Heard

Responsable du pôle Santé de Terra Nova