Parmi les 17 livrets thématiques du programme présidentiel de Marine Le Pen, aucun ne concerne le logement. Les mesures sur le logement sont pourtant présentes dans son programme, mais inscrites principalement au titre du soutien aux familles et à la jeunesse (étudiants et jeunes couples). Derrière la défense familialiste de l’accès à la propriété, qui ne se distingue guère d’une politique conservatrice classique, se cache en réalité le maintien du programme le plus traditionnel de l’extrême-droite : la « préférence nationale », une mesure qui sera appliquée au logement social et au logement étudiant, d’une manière immorale, inhumaine.
La question du logement social est évoquée dès la première mesure, à propos de « l’immigration incontrôlée ». Cela laisse entendre que le logement social est débordé par les clandestins ou les immigrés sans papier. Ce qui est faux puisqu’il faut à la fois des papiers et des ressources pour accéder à un logement social. Cela revient à faire à l’ensemble des familles françaises des promesses fondées sur un raisonnement sciemment erroné, suggérant que leurs difficultés seraient dues à un détournement de notre système social au profit d’une « submersion migratoire
». Contrairement à la réputation d’humanisation et d’adoucissement que la candidate du Rassemblement national a installée au fil des mois, l’extrême droite ne se refait pas : il s’agit bien pour elle de désigner les immigrés comme la cause des difficultés sociales endurées par la majorité des ménages modestes.
Mais le programme de Marine Le Pen ne s’arrête pas là. Il ne se contente pas de stigmatiser, il prévoit aussi d’expulser.
Formulée de manière assez discrète dès le premier point de son programme (« assurer la priorité nationale d’accès au logement social
»), la mesure centrale concernant le logement social va beaucoup plus loin que de réserver aux nationaux l’« accès » au parc social. En effet, comme il est précisé dans le livret sur la famille (p. 9), au titre des mesures « visant à améliorer le quotidien des familles
», le projet de Marine Le Pen est bien de reprendre des logements à ceux qui les occupent aujourd’hui : « La mise en place de la priorité nationale permettra de remettre rapidement sur le marché les 620 000 logements sociaux occupés par des étrangers, selon les chiffres de l’Insee pour 2017
»; un chiffre dont nous n’avons pas retrouvé la source dans les documents de l’Insee de cette année-là, lesquels indiquent simplement que 31% des ménages dont la personne de référence est née à l’étranger, qu’elle soit de nationalité française ou étrangère, occupent un logement social.
Encadré : Un chiffre sorti de nulle part
Le chiffre de 620 000 logements sociaux occupés par des étrangers, qui figure dans le programme de Marine Le Pen, est assez mystérieux. Nous n’en avons pas retrouvé la source dans les documents de l’Insee de l’année 2017 auxquels renvoie la candidate sans pointer un document précis. 620 000 logements, cela ferait environ 13% du parc social français (qui comporte 4,6 millions de logements), donc un gros dixième des logements sociaux actuels. En 2017, l’Insee a bien publié des données au sujet du logement. Elles nous apprennent notamment que « 31% des ménages dont la personne de référence est née à l’étranger, qu’elle soit de nationalité française ou étrangère, occupent un logement social ». Parmi ces ménages, il est difficile d’isoler les étrangers que cible Marine Le Pen, c’est-à-dire les ménages dont aucun des membres n’a la nationalité française. En tout état de cause, plus de 80% des logements sociaux sont aujourd’hui occupés par des ménages dont la personne de référence est née en France.
Que signifierait concrètement la mise en œuvre d’une telle mesure pour les personnes concernées si Marine Le Pen était élue ? « Remettre sur le marché
» 620 000 logements consisterait tout simplement à résilier le bail de 620 000 ménages locataires et à les expulser. Cela impliquerait de les sortir de leur domicile, manu militari avec le concours de la force publique le cas échéant et à priver ainsi de logements environ 1,6 million de personnes en situation régulière sur le territoire, y compris des enfants.
Que deviendraient-ils ? Se retrouveraient-ils à la rue ou dans des camps de transit dans l’attente de leur renvoi dans leurs pays d’origine ? Marine Le Pen ne dit rien à ce sujet.
Une mesure analogue concerne le logement étudiant, où 90 000 places sont occupées par des étrangers venus légalement faire leurs études en France et régulièrement inscrits dans nos établissements d’enseignement supérieur : « Je les remettrai à disposition, prioritairement, des étudiants français
». Là encore, si les mots ont un sens, « remettre à disposition » implique d’expulser des étudiants de leur logement et de les mettre à la rue. Que deviendront-ils ? Dans ses déclarations publiques Marine Le Pen n’entre pas dans ces « détails » qui révèleraient ouvertement la brutalité de son projet, brutalité qu’elle tente de faire oublier en la revêtant d’innombrables euphémismes et autres formules balsamiques.