Édito

Retrouver l’équilibre

Publié le 24 novembre 2023
Après le vote du Sénat, le projet de loi sur l’immigration (« Pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ») défendu par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, arrive en discussion à l’Assemblée nationale. La version amendée par les sénateurs, empreinte d’idéologie et de surenchère démagogique, doit être profondément revue par les députés s’ils veulent faire œuvre d’apaisement et défendre l’intégration.

Présenté au départ comme « équilibré », ce texte a été notablement durci par les sénateurs sur des points importants. Il reprend par exemple des propositions directement issues du programme du Rassemblement national, comme la condition de résidence de cinq ans (Titre 1 A, article 1 N) avant que les étrangers réguliers puissent toucher les allocations familiales (pour lesquelles ils cotisent à travers leur salaire), une application directe de la préférence nationale qui est au cœur du projet d’extrême-droite depuis ses origines. Il propose également la suppression de l’Aide médicale d’Etat (AME) au motif que celle-ci serait trop généreuse et, par conséquent, un facteur d’attraction pour les migrants.

On n’est pas obligé d’être bête en plus d’être méchant : les inconvénients d’une telle décision seraient nombreux comme le montre ici la directrice générale de France Terre d’Asile Delphine Rouilleault : dégradation de l’état de santé des migrants en situation irrégulière, désorganisation de notre système de santé et particulièrement de l’hôpital… En se consacrant plus particulièrement à la question du coût de la prise en charge des personnes en situation irrégulière, Mélanie Heard complète cette critique en comparant les situations européennes. Les comparaisons européennes ont pu servir d’argument, en particulier à la Fondation pour l’innovation politique, pour critiquer l’AME. Mais en réalité, s’il est vrai que le système français est plus « généreux » qu’ailleurs, c’est une qualité morale qui s’avère aussi rentable pour les finances publiques, en évitant les retards au diagnostic et le recours aux services d’urgences.

Plus généralement, l’idée que l’immigration menacerait notre Etat providence, brandie par la droite conservatrice dans le sillage de l’extrême-droite, ne résiste pas plus à l’analyse. Un examen des chiffres est à cet égard instructif, comme l’a montré Thierry Pech en réponse à une note de la Fondation pour l’innovation politique. Revenir aux données revient à constater que la contribution de l’immigration à l’Etat-providence apparaît très faible dans toutes les enquêtes, qu’elle soit jugée positive ou négative. Pas de quoi, en tout cas, menacer les comptes de la nation.

Dans le contexte de tensions internationales, le Rassemblement national joue plus que jamais la carte de la normalisation, au point que certains sont prêts à lui accorder des brevets de républicanisme irréprochable. Il est vrai que pendant ce temps le ministre de l’Intérieur affiche une surprenante désinvolture vis-à-vis des règles de l’Etat de droit et que le parti « Les Républicains », désorienté et sans boussole, renonce à ses valeurs d’origine en espérant reconquérir son électorat, comme le constatait déjà Jean-Louis Missika au début de l’été.  Pourtant, le commentaire politique qui se limite aux jeux d’apparence néglige l’essentiel : l’examen des programmes politiques. La Grande Conversation avait mené l’exercice pour la campagne présidentielle et les législatives. Notre dossier à ce sujet rappelle quelques évidences : qu’il s’agisse de l’Etat de droit, du logement, du climat, des relations internationales ou de l’Union européenne… l’extrême droite n’a pas changé ! 

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