L’aide à mourir au miroir des limites du droit existant sur la sédation

L’aide à mourir au miroir des limites du droit existant sur la sédation
Publié le 7 mai 2025
Dans le débat sur la fin de vie en France, les opposants à une évolution législative sur l’aide à mourir qualifient le cadre législatif actuel de remarquable et suffisant, véritable « trésor national ». Ils évoquent notamment le cadre de la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCMD) comme soin ultime permettant selon eux de considérer toutes les situations de souffrances inapaisables en fin de vie tout en se gardant de toute intentionnalité de faire mourir. A l’inverse, les partisans d’une évolution de la loi y voient une solution insuffisante, y compris dans le cadre d’un pronostic engagé à court terme, et surtout inadaptée aux autres situations. Voir les opposants à l’aide à mourir s’emparer de cette pratique, qu’ils ont tant combattue lors de son introduction il y a quelques années, relève à tout le moins du paradoxe.

La sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCMD) ne s’adresse qu’aux situations de pronostic engagé à court terme alors que le débat actuel sur l’aide à mourir concerne des situations variées de fins de vie, notamment en termes d’imminence de survenue. Mais les questions qu’elle pose sont représentatives de l’ensemble des enjeux et éclairent certaines lignes de fracture du débat actuel.

Un historique complexe

Les grandes lois de santé des 25 dernières années signent la volonté d’augmenter et de garantir les droits des personnes malades. Certains de ces droits sont accordés de façon non conditionnelle : 1999, droit d’accéder à des soins palliatifs en fin de vie (cependant restreint de fait par les réalités de terrain) ; 2002, droit de refus de traitement (et, en miroir, devoir pour le médecin d’obtenir le consentement d’un malade dûment informé) et celui de désigner une personne de confiance ; 2005, droit de ne pas subir d’obstination déraisonnable (et, pour le médecin, interdiction d’y céder, avec là aussi des réalités de terrain complexes). D’autres droits sont, eux, soumis à des conditions : l’exemple-type est celui des directives anticipées, introduites en 2005, renforcées en 2016 en leur conférant un caractère opposable, mais avec toujours une porte de sortie médicale à travers l’appréciation possible d’un aspect « manifestement inapproprié ». L’autre droit typiquement conditionnel est celui de la demande de sédation en fin de vie.

Le droit d’accès à la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès a été introduit dans la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016. Il est destiné aux personnes atteintes de maladies graves et incurables présentant des souffrances réfractaires, dans un contexte de mort attendue à brève échéance, qu’elle résulte directement de la maladie, ou bien d’une demande (par le malade) ou d’une décision (par le corps médical) d’arrêt de traitement de maintien en vie. Il s’agit alors de plonger la personne malade dans un coma profond et irréversible jusqu’à la mort. Cette pratique se distingue, parce qu’elle est « profonde et continue jusqu’au décès », de la pratique en routine de la sédation que l’on appelle « proportionnée ». Ce droit est conçu pour garantir aux personnes concernées une fin de vie la plus « paisible » possible. Il inscrit la sédation profonde dans un nouveau cadre transformant une pratique médicale en un droit des malades, droit néanmoins conditionnel.

En effet, si le cadre légal n’en définit pas précisément les conditions d’accès, l’interprétation de la loi donnée en particulier par les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) est très stricte : il s’agit bien de soulager des douleurs réfractaires vécues comme insupportables au moment où le décès est inévitable à très court terme (de quelques heures à quelques jours). Un examen collégial est exigé pour toute demande, comme c’est le cas pour une décision de limitation ou arrêt de traitement. La HAS introduit par ailleurs une hiérarchie selon les différents types de limitation thérapeutique : un arrêt de ventilation invasive (ou « artificielle », en réanimation) devrait être précédé d’une sédation profonde et continue ; d’autres traitements, eux, ne seraient pas d’emblée concernés, du fait d’un pronostic vital engagé de façon un peu plus différée, situations où une sédation proportionnée serait alors privilégiée (dans ce cadre on peut citer les demandes d’arrêt de dialyse ou de nutrition et d’hydratation artificielle).

Dès l’origine, un malaise

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Dès 2016, l’enjeu de préciser ce qui distingue la SPCMD d’une euthanasie a posé, dans les débats parlementaires et juridiques comme dans les discussions collégiales de terrain, la plus lourde question, plus encore que l’examen méticuleux de la situation médicale, des souffrances ou d’une éventuelle ambivalence. Dans ses recommandations de bonnes pratiques de 2018, révisées en 2020, la HAS prend d’ailleurs soin de distinguer la SPCMD de l’euthanasie tant dans son intention que dans sa mise en œuvre, en précisant : « En conséquence, la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès n’est pas une réponse à une demande d’euthanasie »1. Le trouble est donc bien tel, dans ses fondations mêmes, que les textes officiels doivent rappeler sans cesse ce que la SPCMD n’est pas.

C’est à la lumière de ces frontières floues entre SPCMD et euthanasie que le cadre d’accès et de mise en œuvre de la SPCMD a d’emblée été discuté. Les premières enquêtes conduites auprès de professionnels de santé retrouvaient cette même proximité ressentie avec une pratique euthanasique2, au point de conduire certaines équipes à refuser l’accès à la SPCMD3. Une tribune rassemblant 175 professionnels de santé s’était d’ailleurs inquiétée ouvertement, dès 2015, des risques d’isolement des malades et de déresponsabilisation des médecins4 : le « risque euthanasique » y était dénoncé, associé à une « perte de relation paradox[al]e quand on sait l’importance du langage et de la relation pour le soulagement des patients. »

Le malaise éthique de la SPCMD à la française a été repris dans la littérature internationale5. Les questionnements qu’elle soulève se retrouvent dans les autres pays où les sédations profondes et continues relèvent de la seule pratique médicale et non d’un droit comme en France. Si la sédation proportionnée en réponse à une souffrance incontrôlable fait consensus, notamment dans le cadre d’urgences palliatives telles que la détresse respiratoire aiguë, en revanche la sédation d’emblée profonde, a fortiori irréversible, est beaucoup plus controversée6. Pour autant, les sédations profondes et continues en fin de vie semblent augmenter dans le monde, notamment pour des demandes de souffrances psychiques (anxiété, peur), voire existentielles7. Cette augmentation serait même plus importante dans les pays ayant dépénalisé l’aide active à mourir, notamment en Belgique et en Hollande8. Un des arguments évoqués pour en rendre compte serait l’intégration de la sédation profonde comme modalité alternative à l’aide active à mourir, pouvant être privilégiée par les personnes malades au motif qu’elle serait plus douce. Les professionnels de santé quant à eux mettent en avant la moindre charge bureaucratique et un accès médical plus large, notamment pour les personnes n’étant plus suffisamment conscientes, que ce soit du fait de l’évolution de leur maladie ou des effets secondaires des médicaments. Elle ne peut cependant répondre aux demandes d’aide active à mourir quand le pronostic vital n’est pas engagé à court terme, au risque d’être associée à des agonies prolongées, éthiquement condamnables9.

Que sait-on de la pratique sur le terrain en France ?

La réalité des pratiques de SPCMD n’est évaluable que depuis janvier 2025 : l’absence de codage spécifique dans les bases de données de santé empêchait jusqu’ici d’en recenser la fréquence. Les rares données existantes depuis août 2016, date de l’entrée en vigueur de la loi Claeys-Leonetti, proviennent donc de la recherche.

La littérature relève que le cadre d’accès le plus fréquent repose sur des décisions médicales chez des patients dans l’incapacité de s’exprimer. La SPCMD concerne ainsi 60% des décisions de limitation ou arrêt des traitements en réanimation10.

Pour les personnes en situation palliative, elle concernerait moins de 1% des personnes pour lesquelles la mort est attendue à brève échéance11. Les SPCMD sur demande de personnes malades en soutien d’un arrêt de traitement (hors support artificiel de réanimation, donc) sont les plus rares : 4 cas sur 36 SPCMD d’une enquête nationale réalisée dans 14 hôpitaux sur une semaine donnée tous services confondusen 201812, un cas sur 51 SPCMD dans une enquête de prévalence multicentrique en 2020, réalisée auprès de 5714 personnes en situation palliative de fin de vie13, 42 cas sur 135 SPCMD selon une étude rétrospective monocentrique réalisée entre janvier 2020 et décembre 202114.

Que sait-on des conditions de mise en œuvre des sédations profondes ?

La loi de 2016 prévoyait un accès en ville comme à l’hôpital. Dans la réalité, l’immense majorité des SPCMD ont eu lieu à l’hôpital15, tous services confondus16. Au domicile, les freins reposaient d’une part sur l’accès limité au midazolam, produit de référence pour les pratiques sédatives, qui n’était pas disponible en officine de ville mais soumis à une rétrocessionhospitalière jusqu’en 2022, et d’autre part sur les ressources humaines, la mise en œuvre d’une sédation continue nécessitant une disponibilité et une réactivité des acteurs de soins primaires. Enfin, l’accès à la SPCMD restait hétérogène selon les réseaux d’hospitalisation à domicile17.

La durée moyenne de survie sous SPCMD est de 72h avec des extrêmes allant de 15 mn à 14 jours18, ce qui correspond à des situations médicales différentes : les délais les plus courts sont observés en réanimation dans un contexte d’arrêt de ventilation invasive, les plus longs en situation palliative hors réanimation, après arrêt de nutrition et hydratation artificielles.

Des difficultés de mise en œuvre sont rapportées, qu’il s’agisse de difficultés d’endormissement et/ou de réveils (d’autant plus fréquents que la durée de survie est longue), difficultés en lien avec le profil pharmacologique du midazolam (sa durée d’action limitée nécessite une perfusion continue, et parfois une augmentation de la dose), plus encore si la molécule a été préalablement utilisée pour sa propriété anxiolytique (exposant à une « tachyphylaxie », ou échappement de l’effet du médicament, qui survient alors plus vite).

Et le malaise éthique sur le terrain ?

Le malaise éthique suscité par la SPCMD a très tôt fait l’objet de publications scientifiques alertant sur le risque de « mésusage » de la SPCMD dès lors qu’elle viendrait répondre à une demande d’euthanasie19, que le cadre légal d’accès à la SPCMD (souffrance réfractaire, pronostic à court terme) soit respecté ou non. Une des premières études multicentriques françaises, réalisée en milieu palliatif, retrouvait ainsi une demande initiale d’euthanasie chez 27 sur 42 (64%) des personnes malades ayant fait, ensuite, une demande de SPCMD.

Quant aux professionnels de santé, selon une enquête d’opinion réalisée en réanimation, sur les 956 répondants, 20% des médecins assimilaient la SPCMD associée aux retraits de ventilation invasive (endormir la personne, puis « arrêter le respirateur ») à une pratique euthanasique20.

Quelles leçons pour le débat actuel sur la fin de vie ?

Pour de nombreux soignants, la SPCMD reste une pratique médicale de dernier recours qui s’inscrit à l’extrême du spectre des pratiques sédatives palliatives de fin de vie. On retrouve, dans cette approche de continuité avec une pratique usuelle soumise à un strict contrôle médical, le refus originel (pour des motifs déontologiques, philosophiques, religieux, etc.) de tout geste consistant, ou apparenté à « donner la mort ». Pour certains soignants de la filière palliative, toute demande d’une personne malade ressemblant à une demande de contrôler sa mort, quand bien même il s’agirait de pouvoir décider du moment de son « endormissement », serait dès lors irrecevable. D’autres soignants, à l’inverse, considèrent qu’il s’agit d’assumer la proximité de la SPCMD avec une pratique euthanasique, revenant à consentir à la demande de la personne malade, en rupture avec le paradigme habituel de la relation de soins. Le résultat est bien, sur le terrain, une variabilité de l’examen des demandes selon les équipes soignantes (y compris au sein des structures de soins palliatifs) conduisant à une inégalité d’accès sur le territoire.

Du point de vue des personnes malades, elle peut être un moyen d’accéder à leur demande d’aide à mourir. C’est notamment le cas des demandes de SPCMD en soutien des demandes d’arrêt de traitement. Elle ne peut cependant répondre aux demandes d’aide à mourir pour les personnes dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme.

Dans le débat actuel sur la fin de vie, reconnaitre la SPCMD comme un droit des malades, certes conditionnel nécessitant de s’assurer que les critères d’accès soient bien réunis et non comme un droit-créance, serait un préalable à l’amélioration de son effectivité. Cela permettrait de lui reconnaitre sa place au sein de l’aide à mourir comme élément d’une palette de possibilités adaptées à toutes les singularités, sans tabou, frilosité ni amalgame, aux côtés de – mais distincte de – l’aide active à mourir, quelles qu’en soient les modalités.

Il est pour le moins paradoxal d’entendre aujourd’hui les opposants à l’euthanasie et au suicide assisté vanter les mérites des lois existantes, quand on se souvient que ces mêmes voix s’élevaient jadis contre la SPCMD, précisément parce qu’ils la jugeaient trop proche de l’euthanasie21.

Bibliographie

1. Guide parcours de soins (has-sante.fr)

2. Bretonnière S, Fournier V. Continuous Deep Sedation Until Death: First National Survey in France after the 2016 Law Promulgating It. J Pain Symptom Manage. 2021;62(4):e13-e19. doi: 10.1016

3. Vitale C, de Nonneville A, Fichaux M, et al. Medical staff opposition to a deep and continuous palliative sedation request under Claeys-Leonetti Law. BMC Pal Car. 2019 ;18(1) :1-4. https://doi.org/10.1186/s12904-018-0384-3

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5. Joly C, et tribune collective Figarovox de 175 professionnels de santé. Fin de vie : la proposition de loi Claeys-Leonetti risque de renforcer l’isolement des patients. Le Figaro, 9 mars 2015.

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11. Twycross RG. Response to Morita et al., Re: Defining « Continuous Deep Sedation » Using Treatment Protocol (DOI: 10.1089/pmr.2021.0058). Palliat Med Rep. 2022 Jun 7;3(1):105-106. doi: 10.1089

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19. Prampart S, Huon JF, Colpaert A, et al. Deep continuous sedation at the patient’s request until death in a palliative care unit: retrospective study. BMJ Support Palliat Care. 2023 Sep 11;spcare-2023-004551. doi: 10.1136/spcare-2023-004551.

20. Auffray L, Mora P, Giabicani M, et al. Tension between continuous and deep sedation and assistance in dying: a national survey of intensive care professionals’ perceptions. Anaesth Crit Care Pain Med 2024 Feb;43(1):101317. doi: 10.1016/j.accpm.2023.101317.

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Valérie Mesnage