Réhumaniser la fin de la vie ?

Réhumaniser la fin de la vie ?
Publié le 17 janvier 2024
  • Journaliste, autrice du livre A vous je peux le dire. Ecouter les mots de la fin (Flammarion, 2022), tiré de son expérience de visiteuse bénévole auprès de personnes en fin de vie ; membre du groupe de réflexion sur le champ lexical de la fin de vie initié par le ministère de la santé.
La fin de (la) vie est à l’agenda de ce quinquennat. Le sujet comporte deux volets, dont hélas, parce qu’ils motivent chacun de puissants militantismes de fait antagonistes, le débat public peine encore à penser la complémentarité essentielle: la possibilité d’être aidé à mourir d’une part, et le développement des soins palliatifs d’autre part. Dûment traités de façon conjointe par la Convention citoyenne sur la fin de vie que le Président installait il y a un peu plus d’un an, ces deux volets feront ensemble l’objet d’un projet de loi dont l’examen au Parlement ne cesse d’être repoussé par l’exécutif. En attendant, les pistes pour développer les soins palliatifs au sein d’une nouvelle stratégie décennale viennent de faire l’objet d’un rapport très attendu. Elsa Walter, journaliste et bénévole auprès de personnes en fin de vie, détaille ici l’intérêt du changement de paradigme dessiné dans ce rapport, mais plaide aussi pour aller résolument plus loin, y compris en regardant en face le continuum nécessaire qu’il faudra construire entre les soins palliatifs et la future possibilité d’être aidé à mourir.
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Sur le rapport Chauvin préfigurant la stratégie décennale des soins palliatifs

Nous mourons mal en France : à l’échelle de chaque famille nous en faisons l’expérience ; de rapports en avis, nos institutions en dressent le constat. C’est un problème structurel et multidimensionnel, à la fois médical, social et culturel, qui touche autant à l’intime qu’au collectif. Le manque de moyens alloués aux soins palliatifs est symptomatique du malaise de notre société face à la mort et de sa difficulté à considérer la fin de vie comme un temps essentiel à l’échelle de chaque existence. Cette « culture thanatophobe », couplée aux progrès de la médecine, a entraîné une surmédicalisation de la fin de vie au détriment de la dimension humaine et de la relation de soin, qui n’est d’ailleurs pas prise en compte dans les modes de financement de l’activité hospitalière et médico-sociale. Le manque de personnels et de matériels, l’extension des déserts médicaux et la coordination insuffisante des parcours de soins ont été encore aggravés par la crise sanitaire liée à la Covid-19 qui a rendu plus évidente la déshumanisation de la fin de vie, de la mort et du deuil.

C’est dans ce contexte de prise de conscience accrue du mal-mourir que le président de la République a lancé en septembre 2022 un débat national sur la fin de vie, sur la base de l’avis 139 du Comité consultatif national d’éthique qui développait des propositions sur « deux volets d’égale importance » : le renforcement des mesures de santé publique dans le domaine des soins palliatifs d’une part ; les conditions éthiques d’une ouverture du droit à l’aide active à mourir d’autre part. L’attention médiatique se focalise essentiellement sur ce deuxième aspect, pour des raisons contraires et complémentaires : il s’agit d’une attente forte et récurrente d’une large majorité la population française attachée à ses droits et libertés ; mais les voix d’opposition – bien que minoritaires chez les citoyens comme parmi des soignants –  se font entendre avec plus de virulence. Deux conditions sine qua non pour enfoncer le débat dans un clivage théorique entre soins palliatifs et aide active à mourir, qui n’a de sens que sous le prisme d’idées dogmatiques tant il est l’opposé de la réalité du terrain : celle notamment des pays où la légalisation de l’aide active à mourir s’est accompagnée d’un renforcement de l’accès aux soins palliatifs, car l’accès à ce droit est toujours conditionné à un accès effectif aux soins palliatifs. Cette polarisation sur ce point occulte le consensus qui existe par ailleurs sur la nécessité de renforcer les soins palliatifs et, au-delà, de repenser en profondeur l’accompagnement des personnes en fin de vie, de réfléchir à la place qui leur est faite dans la société. Opposants et défenseurs du droit à l’aide à mourir s’accordent sur un impératif fondamental : celui de réhumaniser la fin de vie.

« Il nous faut bouger pour plus d’humanité », déclarait Emmanuel Macron en lançant le débat national. La notion d’humanité, qui implique à la fois la compassion pour les malheurs de la personne humaine et la reconnaissance de son aptitude à se déterminer librement et par elle-même, s’est en effet retrouvée au cœur de tous les travaux menés depuis lors pour envisager l’évolution du cadre légal et de gouvernance de la fin de vie : ceux de la Convention citoyenne, qui formulait en mars 2023 des propositions pour « garantir le respect du choix et de la volonté des patients » ; ceux de la mission d’évaluation parlementaire de la loi Claeys-Leonetti qui appelait au même moment à renforcer et parfaire les dispositifs garantissant le respect de la volonté des malades ; ceux de l’instance de réflexion stratégique mise en place en juin 2023 et pilotée par le Pr. Franck Chauvin qui a publié en décembre 2023 son rapport « Vers un modèle français des soins d’accompagnement ».

Le rapport Chauvin préfigure la stratégie décennale 2024-2034 qui constituera, à côté du projet de loi très attendu, l’autre volet du nouveau « modèle français » d’accompagnement de la fin de vie annoncé par le président de la République le 3 avril dernier. Mais après le plan quadriennal 2002-2005, le programme national 2008-2012, le plan 2012-2015, le plan 2015-2018 et le plan 2021-2024, alors qu’aucun de ces plans n’a permis de résoudre l’inégalité d’accès aux soins palliatifs ni l’inadaptation du cadre d’accompagnement aux besoins des patients, nous pourrions être tenté de nous interroger : encore un énième plan ? ou bien les prémisses d’une « petite révolution » que la ministre appelle de ses vœux ?

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À la lecture de ces travaux, l’expression gouvernementale ne semble pas illégitime : c’est bien un changement de paradigme que ce rapport dessine dans la manière d’envisager la fin de vie, pour la considérer dans toutes ses dimensions sociale, humaine, relationnelle, et pas uniquement dans sa dimension médicale. Cela se traduit par des mesures visant à favoriser l’interdisciplinarité des équipes, des formations, mais aussi à reconnaître les « soins d’accompagnement » comme une discipline de recherche à part entière. Cela ouvre, au-delà de la reconnaissance, des perspectives de progrès. Les « soins palliatifs » qui incarnent cette dimension médicale deviennent en effet une partie d’une démarche plus globale rassemblée sous le terme de « soins d’accompagnement ». Cette évolution lexicale  apparaît pertinente en ce qu’elle exprime deux besoins fondamentaux des personnes en fin de vie : celui d’être soutenu tout en restant libre. Accompagner, aller de compagnie avec quelqu’un, désigne la fin de vie comme un chemin qu’il nous faut reconnaître et valoriser. Mais plutôt que de prendre la personne par la main pour lui indiquer la route ou l’orienter vers l’itinéraire qui nous semblerait être le meilleur pour elle, il s’agit de marcher à ses côtés en la laissant libre de choisir le rythme de son pas et de décider, par et pour elle-même, du bout du chemin.

Poursuivant le chemin de reconnaissance des droits des malades ouvert en 2002 par la loi Kouchner, ce rapport érige la volonté des personnes en valeur cardinale. Des mesures sont proposées pour renforcer les dispositifs existants permettant de recueillir ces volontés et pour en créer de nouveaux – mesures qui devront être précisées et étayées. Le champ des réponses possibles est élargi, avec la création d’un nouveau type de structures intermédiaires favorisant l’écoute et le bien-être des personnes en fin de vie mais aussi de leurs proches aidants, avec également une attention particulière pour les populations vulnérables qui sont précisément ciblées.

Il est toutefois à regretter que le champ d’intervention de l’instance chargée de préfigurer ce plan décennal ait exclu d’emblée de son champ d’action l’ouverture du droit à l’aide active à mourir, qui n’est donc pas traité dans son rapport. Dans la mesure où la volonté gouvernementale affichée est d’inclure l’ouverture de ce nouveau droit dans un « continuum de soins entre les soins palliatifs et l’aide à mourir » , il aurait été bienvenu que ces travaux puissent justement expliquer comment ce droit pourrait être mis en pratique au sein du nouveau modèle d’accompagnement. De même, dans l’esprit d’un continuum de soins évoqué par le gouvernement qui envisage l’aide à mourir comme une ultime solution de soin pour faire cesser les souffrances inapaisables, il aurait semblé plus logique que la communication sur les deux volets de forme (stratégie décennale et projet de loi) comme de fond (soins d’accompagnement et aide à mourir) soit réalisée en même temps. Un chiffrage budgétaire du plan décennal préfiguré aurait également pu être esquissé afin de mesurer plus concrètement son applicabilité.

Sans être exhaustive sur l’ensemble des sujets qui y sont traités, cette note se concentre sur l’analyse des mesures du rapport Chauvin qui semblent porter le changement de paradigme dans la manière de regarder la fin de vie et de l’accompagner dans sa dimension humaine, en formulant des propositions pour les implémenter sur le terrain et aller plus loin.

1. Écouter et respecter les volontés des personnes malades

Ceux qui écoutent les confidences des personnes gravement malades ou en fin de vie, comme les bénévoles d’accompagnement, savent combien il est fréquent qu’elles expriment des regrets ou de la colère au sujet de questions restées sans réponse, de volonté exprimées qui n’ont pas été entendues, ou bien qu’elles n’ont même pas osé formuler face à une autorité médicale et à un engrenage curatif qui impose souvent plus qu’il ne propose, qui valorise l’action, « le faire à tout prix au détriment de l’accompagnement, concourant à l’oubli du sujet ». Si ce problème ne concerne pas – ou de manière très marginale – les services de soins palliatifs qui prêtent une attention particulière à l’écoute des patients, il est à noter que seulement 19 % des patients qui décèdent en milieu hospitalier (soit la moitié des décès) finissent leur vie dans une unité de soins palliatifs ou dans un lit identifié soins palliatifs (LISP). On meurt donc beaucoup dans des services de soins curatifs comme la cancérologie, où les chimiothérapies sont parfois poursuivies pour des patients condamnés à court terme qui n’ont parfois pas été informés de leur pronostic. Pour pouvoir choisir les conditions de sa fin de vie et exprimer ses volontés, le préalable indispensable pour la personne gravement malade est donc d’avoir un accès effectif et transparent aux informations qui concernent son pronostic.

Le rapport Chauvin rappelle les recommandations de la Convention citoyenne sur le respect fondamental du libre arbitre des personnes et la prévalence de leurs choix, même quand ils vont à l’encontre de l’avis des médecins. Ce point essentiel pourrait être réaffirmé dans la loi en des termes plus explicites (par exemple en mentionnant le « libre-arbitre »).

a) Un changement de paradigme au cœur de la relation soignant-soigné

Ce changement de paradigme qui ambitionne de placer, au cœur de la relation de soin, la volonté de la personne malade, ne pourra se faire sans un changement de posture médicale qui devra s’extraire de la verticalité soignant-soigné et sortir du « paternalisme consistant à prendre la décision à la place du patient » évoqué par le CCNE dans son avis 139.  Cela implique une évolution profonde – une révolution ?  – dans la manière d’enseigner la médecine, pour que les futurs médecins apprennent à regarder l’humain dans toutes ses dimensions (sociale, culturelle, philosophique, …) avant de s’intéresser à la mécanique corporelle. S’il prévoit la création d’une nouvelle discipline universitaire en soins d’accompagnement, interdisciplinaire et interprofessionnelle, et l’intégration de cette discipline dans la formation de l’ensemble des professions de santé, le rapport ne semble pas traiter cette question précise du changement de paradigme dans la philosophie générale qui sous-tend l’enseignement de la médecine. Se pose également la question de la formation des soignants exerçant actuellement : comment organiser une formation continue suffisamment conséquente pour qu’elle impacte réellement les pratiques des soignants, dans le contexte de tension des métiers que nous connaissons ?

b) Les directives anticipées, un outil de recueil des volontés à parfaire  

Un seul dispositif de recueil écrit des volontés existe déjà dans la loi : les directives anticipées. Les évolutions qu’elles pourraient nécessiter ne sont pas traitées dans le rapport, alors qu’il est d’avis partagé que ce dispositif est à revoir : d’une part, parce qu’il est méconnu des citoyens, il est nécessaire de généraliser l’information médicale, par exemple en prévoyant qu’une première consultation chez un nouveau médecin traitant puisse faire l’objet d’une information générale sur les droits des patients, en incluant les directives anticipées. D’autre part parce qu’elles sont peu compréhensibles et méritent d’être éditorialisées pour en dégager le sens commun en l’épurant du vocabulaire compris uniquement par la sphère médicale. Également parce qu’elles devront être complétées à la fois pour y inclure le droit à l’aide à mourir une fois la loi votée, et pour rendre effectif certains autres droits méconnus aujourd’hui et mal appliqués. Par exemple le droit inverse à celui d’être informé, celui d’être tenu dans l’ignorance, n’est parfois pas respecté car méconnu. Le citoyen pourrait choisir dans les directives anticipées d’être informé ou non sur son pronostic vital, et du degré d’information qu’il souhaite obtenir. Enfin, elles pourraient être rendues contraignantes (là où elles sont actuellement seulement opposables), et les exceptions qui permettent à l’équipe médicale de s’en affranchir devraient être mieux circonscrites (notamment en délimitant les types de situations où elles pourraient être considérées comme « manifestement inappropriées » ou « non conformes à la situation médicale », qui sont les termes actuels de la loi).

2. Informer et anticiper pour mieux accompagner

Accompagner les personnes en fin de vie dans l’exercice de leurs droits exige non seulement de bien les informer mais aussi de les amener à anticiper davantage les situations potentielles à venir. Soulignant l’importance de ces deux préalables, le rapport propose de nouvelles modalités d’information et d’anticipation de la fin de vie, sous deux aspects complémentaires : celui des situations individuelles ; celui de l’acculturation collective à l’échelle la société.

a) Discuter pour prévoir

Pour accompagner individuellement chaque situation, il est envisagé de créer un « plan personnalisé d’accompagnement » et un nouveau métier de « gestionnaire de parcours » visant à garantir la mise en œuvre effective du plan. Deux catégories de personnes seront bénéficiaires de ce dispositif : celles affectées par une pathologie « à un haut degré de prévisibilité » et celles « pour lesquelles les chances de rémission sont élevées ». Il serait nécessaire de clarifier pour le grand public ce que signifie une « pathologie à un haut degré de prévisibilité » : s’agit-il de la prévisibilité du caractère incurable de la pathologie ? S’il s’agit d’autre chose et que les personnes atteintes de pathologies incurables n’entrent pas dans cette catégorie (et a fortiori pas dans la deuxième), il paraît indispensable de les inclure prioritairement dans les bénéficiaires des consultations permettant d’établir les futurs plans personnalisés d’accompagnement.

Pour mettre en place ce plan personnalisé d’accompagnement, le rapport prévoit la création de « discussions accompagnées » (il mentionne aussi des « discussions anticipées » : il faudra préciser s’il s’agit exactement de la même chose et si oui, choisir l’un ou l’autre des deux termes). Les discussions accompagnées offrent un cadre plus clair à l’expression par le professionnel de santé de l’information de la personne sur ses droits et au recueil de ses volontés.

b) Intégrer la dimension sociale et existentielle de la fin de vie

Ces discussions accompagnées seront menées par un professionnel de santé spécialisé dans la pathologie en question. Or le rapport mentionne qu’elles n’ont pas vocation à couvrir uniquement les évolutions de la prise en charge médicale, mais aussi les besoins médico-sociaux ou sociaux de la personne. Afin de garantir la prise en compte de ces aspects dans le plan personnalisé, il pourrait être envisagé la possibilité d’associer un tiers non-soignant dès la première consultation de discussion accompagnée, qui pourrait être le gestionnaire de parcours. Mais le rapport prévoit que ce nouveau métier prendra du temps à être créé (identification des profils, recrutement, formation) et fixe pour horizon celui de la stratégie décennale. C’est pourquoi dans l’attente de la création de ce métier, il pourrait être envisagé d’associer aux discussions accompagnées les assistants sociaux déjà rattachés aux services hospitaliers, et par-là même d’envisager une évolution de ce métier pour renforcer son rôle d’écoute et de lien communicationnel entre les personnes hospitalisées et les équipes soignantes.

Dans le cas de pathologies incurables, il pourrait être opportun d’élargir ces discussions accompagnées et les plans personnalisés d’accompagnement qui en découlent au-delà des volets médicaux-sociaux et sociaux, pour prendre en compte la dimension existentielle du temps de la fin de la vie, qui peut amener à des besoins en accompagnement philosophique ou spirituel qui pourraient être exprimés à cette occasion (la spiritualité à l’hôpital étant envisagée uniquement sous le prisme des aumôniers religieux, il apparaît nécessaire, dans un État laïc et un société sécularisée, de créer un statut d’aumônier laïc – cf infra).

c) Renforcer l’obligation d’information pour garantir un choix éclairé

Mais au-delà de l’information sur les droits des patients, il est nécessaire de mieux garantir l’effectivité de l’obligation d’information du médecin sur le pronostic, car les personnes malades sont souvent les moins bien informées sur leur propre pronostic. En l’état actuel de la loi, l’obligation d’information est mise en balance avec une marge d’appréciation conséquente laissée au médecin, qui peut décider seul de tenir dans l’ignorance une personne sur son pronostic grave, « dans l’intérêt du malade et pour des raisons légitimes ». Dans le contexte de tabou autour de la mort que nous connaissons dans les services de soins curatifs, cette marge d’appréciation est souvent avancée pour ne pas informer la personne en toute transparence.  Cela questionne sur le plan éthique : est-ce aux médecins de décider seul de ce que le patient est capable ou non d’entendre, de prendre cette décision lourde de conséquences sur la base d’une interprétation d’une attitude, quand aucune volonté explicite de ne pas être informé n’a été exprimée ?

Il apparaît nécessaire de renforcer l’effectivité de l’obligation d’information des médecins en imposant dans la loi des conditions strictes d’exception à cette obligation. Par exemple, la loi belge impose, pour autoriser le médecin à retenir des informations par-devers lui à un patient qui n’aurait pas demandé à être tenu dans l’ignorance, trois conditions : que ces informations soient susceptibles de causer un préjudice grave à la santé du patient, qu’il ait préalablement consulté un confrère, que cette rétention soit temporaire.

d) Parler de la mort en collectivité pour dépasser le tabou

S’il est souvent difficile de trouver les mots pour parler à une personne en fin de vie, c’est parce que le tabou autour de la mort infuse partout dans la société, bien au-delà des murs des hôpitaux. Vécue à l’abri des regards collectifs, la mort ne nous est plus familière. Moins nous la connaissons, plus nous en avons peur. Quand la mort arrive dans une conversation, souvent le malaise s’installe, les yeux se détournent. Alors nous évitons de la verbaliser, car à l’origine de tout tabou se trouve le langage.

L’anticipation de la fin de vie à l’échelle individuelle nécessite de sortir du tabou à l’échelle de la société. Il s’agit de changer collectivement notre regard sur la mort, de la réintégrer dans nos vies pour mieux la vivre – et mieux vivre. C’est en ce sens que le rapport prévoit de sensibiliser les jeunes, dont 500 000 mineurs sont des proches aidants, à la question de la fin de vie dans le cadre du parcours éducatif en santé de l’enfant prévue par la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école et dont le principe a été réaffirmé dans la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Partant du constat que les jeunes peuvent être confrontés à la mort dès leur plus jeune âge de différentes manières et se posent souvent eux-mêmes des questions sans trouver forcément d’espace d’échange et de réflexion (le sujet de la mort est souvent évité au sein des familles), cette mesure éducative apparaît primordiale. Le rapport évoquant à la fois la conception et la diffusion de « deux programmes d’éducation sanitaire adaptés » et des interventions extérieures (notamment par les associations et via le service sanitaire des étudiants), il sera nécessaire de préciser le cadre de ces deux aspects et la manière dont ils se coordonneraient. Il faudra également veiller à ce que cette nouvelle mission de l’école puisse être absorbée à l’échelle de chaque établissement par un système éducatif dont l’efficacité organisationnelle est régulièrement questionnée.

Certains acteurs associatifs réalisent déjà des interventions en milieu scolaire sur la sensibilisation aux questions de la fin de vie, de la mort et du deuil – une démarche qui pourrait être structurée et généralisée. Le rôle des acteurs de la société civile paraît en effet particulièrement nécessaire pour changer en profondeur le regard de la société sur la fin de vie et la finitude, et devra être au cœur de ce dispositif. Il s’agira de mettre en place au sein des écoles un dialogue horizontal entre citoyens de tous âges, dans une approche qui devra mettre l’écoute des élèves au cœur de ces interventions. Il est envisagé de mobiliser le service sanitaire des étudiants en santé, qui seront eux-mêmes acculturés à la question de la fin de vie à travers cette expérience. Cela implique un effort conséquent de formation de ces étudiants pour les outiller sur ce sujet complexe et sensible. Il faudra veiller à sélectionner des étudiants émotionnellement capables, suffisamment matures et se sentant eux-mêmes légitimes pour animer des interventions en milieu scolaire de ce type. La piste des interventions animées par des bénévoles associatifs, et les moyens qui pourront y être alloués, ne devront pas se voir minorés par la mobilisation du service sanitaire en santé.

S’il est primordial de penser à l’éducation des générations futures, il l’est tout autant de penser à celle des adultes d’aujourd’hui. Le rapport, en mentionnant la nécessité d’un effort pédagogique auprès des familles pour leur expliquer la nécessité de développer de tels programmes, anticipe de potentielles réactions mitigées des parents d’élèves, liées à la difficulté voire la réticence des adultes à aborder le sujet de la mort. Avec pour conséquences, une méconnaissance de leurs droits et des situations d’autant plus mal vécues qu’elles sont entourées de silence. C’est pourquoi il apparaît nécessaire de réfléchir à développer des mesures pédagogiques équivalentes adaptées à destination des adultes, qui pourraient être concrétisées par des interventions en milieu professionnel, mais aussi par des campagnes d’information du grand public de grande ampleur, dans les lieux publics, les administrations, les médias.

Il sera également nécessaire d’atteindre les populations les plus vulnérables qui font par ailleurs l’objet de mesures spécifiques dans le rapport – qui estime qu’elles « méritent encore plus d’accompagnement dans l’accès aux droits, à l’information et à une prise en charge qui se doit d’être aussi adaptée à la spécificité de leurs besoins », en les listant comme suit : « les personnes isolées âgées, en situation de grande précarité, de handicap et notamment les personnes handicapées vieillissantes, les personnes souffrant de troubles psychiatriques, les personnes détenues, les migrants ». Cela pourra se faire à travers des dispositifs d’information spécifiques à co-constuire au cas par cas avec les administrations prenant en charge ces populations ciblées.

3. Renforcer le rôle de la société civile pour redonner une existence sociale aux personnes en fin de vie

Pour sortir de la vision médico-centrée de la fin de vie, le rapport esquisse une série de mesures visant à renforcer le rôle de la société civile auprès des personnes gravement malades. Au-delà de l’objectif affiché d’améliorer leur qualité de vie, nous pouvons espérer que cette amélioration de la reconnaissance et des moyens donnés à la société civile pour se tenir aux côtés de ceux qui vont bientôt mourir soit moteur d’une prise de conscience sociétale de l’importance du temps de la fin de la vie à l’échelle de chaque existence. Comme nous accordons une valeur particulière à la naissance et aux premières années de la vie, nous devons poser un regard valorisant sur l’autre extrémité de la vie et la vivre pleinement, collectivement, sans en avoir peur. Cette peur, liée au tabou, a pour conséquence la solitude des personnes en fin de vie. Solitude physique, relationnelle, émotionnelle qui les isole, les attriste et les angoisse.  

Le rapport propose de reprendre le modèle canadien des « communautés compatissantes » pour créer dans les territoires des « collectifs d’entraide », rassemblements d’individus engagés qui œuvrent ensemble à améliorer le bien-être des personnes confrontées à la fin de vie, au deuil ou à une perte significative au sein de leur famille. Développés par les collectivités territoriales, ils rassembleraient des personnes issues de divers organismes communautaires, groupes citoyens, milieux de travail, écoles et lieux de culte.

Il s’agira des préciser plus concrètement leurs missions, leurs leviers d’actions, de définir les fonctions et les rôles des membres de ces collectifs, leurs modalités d’interactions avec les équipes soignantes, pour leur donner une place effective dans la prise en charge globale de la personne. Il s’agira également de définir en quoi elles se distinguent des associations de bénévoles d’accompagnement en fin de vie et comment elles en seraient complémentaires.

a) Valoriser le bénévolat d’accompagnement à travers des mesures réellement incitatives

Les bénévoles d’accompagnement ont une fonction définie depuis la loi Kouchner de 1999, qui les considère comme des acteurs des soins palliatifs. En offrant une oreille attentive, bienveillante et non jugeante aux personnes gravement malades, ces anonymes permettent souvent de libérer des paroles, questionnements, doutes ou volontés les plus intimes car, à la différence des échanges avec les soignants ou les proches, il n’y a avec eux aucun enjeu médical ou émotionnel. Ils sont des visages de la société civile qui témoignent au nom du corps social, par leur présence leur attention et leur intérêt, de la valeur des personnes en fin de vie au sein de la communauté humaine et citoyenne. En cela ils constituent des remparts contre la mort sociale des personnes en fin de vie, et participent à redonner du sens à ce temps de vie. Ils peuvent aider les personnes qui le souhaitent à cheminer sur leur propre finitude, à verbaliser ce qu’il est parfois difficile de dire à ses proches ou à ses médecins quand eux-mêmes sont pris dans la logique de surmédicalisation et de survie liée au tabou de la mort. Ce type de bénévolat exigeant un investissement personnel considérable, à la fois en termes de disponibilité hebdomadaire, de temps de formation et de suivi, d’implication sur la durée, les bénévoles sont en majorité des retraités et leur nombre décroît d’année en année – d’autant plus significativement depuis la crise sanitaire. La pénurie de bénévoles et les difficultés à en recruter de nouveaux sont régulièrement exprimées par l’ensemble des associations.

Le rapport prévoit des mesures spécifiques pour développer ce bénévolat, le rendre plus attractif et facilement accessible, à travers une reconnaissance et une valorisation notamment par l’acquisition de trimestres de retraites supplémentaires (il faudra déterminer le ratio) et la possibilité de bénéficier d’un congé d’action d’intérêt public de 120 heures par an sans perte de rémunération, ainsi qu’une aide fiscale aux entreprises mettant en place ce congé d’action. Si cette mesure facilitera l’accès à ce bénévolat aux salariés, elle laissera de côté tous les travailleurs indépendants. Il faudra réfléchir à une mesure de valorisation équivalente pour cette catégorie professionnelle.

Par ailleurs le rapport prévoit la création d’une aide fiscale en passant la déduction possible des frais réels engagés par les bénévoles de 66% à 75%, et en permettant d’y adjoindre les coûts de formation non pris en charge dans leur totalité́ par les associations. Le principe même de cette aide interroge : comment se fait-il que le bénévole ne soit pas systématiquement et intégralement remboursé de ses frais réels engagés (par exemple pour ses déplacements vers ses lieux d’intervention) et qu’il doive jusqu’à présent payer lui-même une partie de ses formations ? En d’autres termes, comment se fait-il qu’un bénévole, qui offre de son temps et de son énergie à la société, doive débourser de son propre argent pour effectuer cette démarche altruiste et citoyenne ? Alors que les citoyens qui souhaitent donner de l’argent pour des causes d’intérêt général y sont largement incités par des dispositifs de déduction fiscale très attractifs, force est de constater que ceux qui souhaitent donner de leur temps ne sont pas logés à la même enseigne. Il sera indispensable de valoriser le don de temps à la même hauteur que le don d’argent.

Au-delà des aides directes aux bénévoles, l’objectif fixé par le rapport de doubler le nombre de bénévoles d’ici 10 ans devra nécessairement passer par un renforcement des financements publics aux associations. Le rapport de la mission d’évaluation parlementaire de la loi Claeys-Leonetti indiquait d’ailleurs déjà en mars 2023 que les financements publiés attribués aux actions d’associations entre 2015 et 2021 s’élèvent à 322 726 euros et sont notoirement insuffisants.

b) S’appuyer sur les bénévoles pour faciliter la communication

S’agissant du lien entre les bénévoles et les équipes soignantes, le rapport se réfère à l’annexe 9 de l’instruction ministérielle 2023.13 du 21 juin 2023, qui évoque la collaboration avec les professionnels de santé  « dans un esprit de partenariat». Dans les faits, cet esprit de partenariat est à géométrie variable d’un service à un autre. Si les services de soins palliatifs sont les plus acculturés à la présence des bénévoles, dans les services de soins curatifs il n’est pas rare que des soignants ne connaissent pas l’existence de ce type de bénévolat et puissent être surpris par leur présence. C’est pourquoi il sera nécessaire de les y acculturer dans le cadre des formations à l’accompagnement généralisées à tous les professionnels de santé, potentiellement à travers l’intervention de bénévoles ou représentants des associations au cours des formations.

Dans l’esprit de la stratégie décennale préfigurée qui tend à renforcer à tous niveaux la collaboration entre soignants et non-soignants, la participation des bénévoles aux réunions d’équipes pourrait être envisagée. Ils sont en effet parfois les seuls à disposer d’informations qui permettraient d’améliorer le bien-être du patient. S’ils sont tenus au devoir de confidentialité, ils peuvent en revanche demander au patient son accord pour partager ces informations avec l’équipe soignante dans son intérêt.

Par ailleurs, le plan personnalisé d’accompagnement intégrant, au-delà de sa dimension médicale, une dimension sociale et de réflexion personnelle qui peut être favorisée par l’accompagnement bénévole, il pourrait être envisagé la possibilité d’associer les bénévoles d’accompagnement aux discussions accompagnées dans certains cas.  

c) Étendre le bénévolat hors-les-murs de l’hôpital

L’action des associations de bénévoles demeure particulièrement délicate à domicile. Pour la faciliter juridiquement, il conviendrait de leur permettre de signer des conventions d’accompagnement avec la famille ou le médecin traitant de ville. Mais cela reste complexe à mettre en place en pratique, car les bénévoles doivent être identifiés et se coordonner avec les soignants du périmètre. Cet aspect pourrait faire l’objet d’une coordination avec les collectifs d’entraide prévus dans le rapport, qui seront des acteurs territoriaux de proximité. Par ailleurs, il pourrait être envisagé la généralisation des accompagnements par téléphone (qui sont déjà pratiqués à la marge au sein de certaines associations), à travers une ligne d’écoute nationale.

Au-delà des accompagnements individuels, les associations d’accompagnement ont un rôle clé à jouer pour aider l’ensemble de la société à dépasser le tabou existant et contribuer à libérer la parole sur la fin de vie et la mort. Il sera nécessaire d’aider les associations qui se portent volontaires à mettre en place des lieux collectifs d’échange ouverts à tous les citoyens, dans un double objectif d’information sur leurs droits et de réflexion partagée. Afin de garantir une information objective et non-biaisée sur l’ensemble des droits qui seront ouverts aux patients dans la prochaine loi, et en particulier l’aide à mourir, il conviendra de s’assurer que les valeurs de ces associations soient en accord avec les termes de la future loi, et de les y acculturer. Il s’agit d’un point de vigilance non négligeable dans le paysage associatif actuel, encore marqué par un militantisme parfois virulent contre l’aide à mourir.

d) Faire émerger de nouvelles formes de bénévolat

Le rapport introduit la création d’un nouveau type de bénévolat, le bénévolat de service, qui apparait essentiel pour permettre notamment le maintien à domicile de personnes nécessitant des soins d’accompagnement. De même, les maisons d’acompagnement nécessiteront le développement du bénévolat de service reposant sur l’engagement solidaire de la population. Il s’agira d’en préciser les contours, de délimiter son champ d’action par rapport au bénévolat d’accompagnement, et d’allouer les moyens nécessaires à son implémentation.

Et le bénévolat direct ? Près de 10 millions de citoyens, soit 18% de la population des 15 ans et plus, déclarent donner du temps gratuitement auprès d’une ou plusieurs personnes, en dehors du cadre familial et sans passer par une association ou un autre type d’organisation. Là où le bénévolat associatif décroît, le bénévolat direct est en constante augmentation, notamment chez les jeunes – particulièrement ciblés, justement, dans le rapport Chauvin. Il conviendra de réfléchir à la manière d’accompagner ce type de bénévolat, de leur fournir des ressources en termes de formation mais aussi d’écoute, tout en respectant leur choix d’inscrire leur action en dehors des contraintes associatives.

4. Reconnaître les métiers émergents de l’accompagnement qui participent à la réhumanisation de la fin de vie

Le rapport estime que l’approche interprofessionnelle par des soignants et des non-soignants est fondamentale à la prise en charge de la complexité de l’accompagnement de fin de vie et doit être développée. S’il sera nécessaire d’acculturer la sphère médicale à la présence du non-médical, il le sera tout autant de reconnaître les métiers émergents de l’accompagnement. Ce volet n’étant pas développé par le rapport, nous proposons ici de mettre en lumière trois métiers émergents pour lesquels il nous semblerait nécessaire de définir un statut et une place dans la coordination globale des soins d’accompagnement.

a) Les patients-partenaires

Formés sur les composantes médicales et thérapeutiques des maladies, sur l’ingénierie des projets de recherche et sur les compétences relationnelles liées à l’accompagnement des malades, les patients-partenaires pourraient devenir un trait d’union précieux entre les équipes soignantes et les personnes hospitalisées pour des malades graves. Depuis 2010, l’Université des Patients rattachée à Santé Sorbonne Université a diplômé 350 patients. Associer les compétences des professionnels et l’expérience des usagers permet une prise en compte globale de la situation de la personne malade et de ses besoins, qui favorise un accompagnement personnalisé et ciblé de sa pathologie – en ligne avec les recommandations du rapport. Ce métier pourrait, comme les bénévoles, les assistantes sociales, les psychologues, faire partie des fonctions non-médicales pouvant être associées aux « discussions accompagnées » tripartites. Certains patients-partenaires sont aujourd’hui salariés de services hospitaliers, mais cela reste marginal.

Leur statut pourrait être consolidé et renforcé juridiquement, également dans le but d’éviter les dérives. En effet selon l’INSERM un nombre croissant de personnes indépendantes déclarent sur Internet une expertise qu’aucune formation n’atteste, sans appartenir à une association ni dialoguer avec le monde de la santé. Pour cette raison, les associations demandent que la notion de « patient-partenaire » soit mieux définie.

b) Les accompagnantes de la fin de vie et du deuil

Le plus souvent des femmes, ces accompagnantes ont pour mission d’offrir de l’assistance aux personnes gravement malades et en fin de vie, à leurs proches, ainsi qu’aux personnes endeuillées dans le respect de leur appartenance sociale et de leurs croyances. Elles interviennent à domicile, à l’hôpital ou en institution, sur demande de la personne ou de la famille. Ce métier a vu le jour au Canada et en Suisse ; il commence à s’implémenter en France à travers l’Institut deuils-doulas de fin de vie (IDDFV) certifié Qualiopi qui a formé en 3 ans environ 150 accompagnantes. Une association professionnelle a été créée pour structurer la profession, la faire connaître et déterminer son cadre éthique dans le but d’éviter les dérives. Actuellement des auxiliaires de vie et des infirmières ayant effectué cette formation pratiquent l’accompagnement à la fin de vie à travers le dispositif des chèques emploi service. Celles qui ne sont pas soignantes par ailleurs exercent le plus souvent sous le statut d’auto-entrepreneur.

Ce métier pourrait être reconnu, un cadre juridique fixé, et la formation existante évaluée pour potentiellement être intégrée dans le cadre de la nouvelle discipline universitaire des soins d’accompagnement à la fin de vie. Les accompagnantes pourraient notamment être rattachées aux « collectifs d’entraide », ces rassemblements d’individus engagés qui œuvreront ensemble à améliorer le bien-être des personnes confrontées à la fin de vie.

c) Les aumôniers laïcs

Dans notre État laïc et sécularisé, une partie des concitoyens qui ne sont pas attachés à un culte en particulier expriment des besoins spirituels. Nous devons prendre en compte ces besoins auxquels les aumôniers religieux, salariés des hôpitaux rattachés à un organisme de culte, ne peuvent répondre. Il existe en France une initiative en matière d’aumônerie laïque, portée par une aumônière actuellement en fonction au CHU de Bordeaux et rattachée à la Fédération protestante de France qui reconnaît son appellation d’ « aumônière laïque ». Elle a importé cette pratique de l’accompagnement spirituel laïc du Canada d’où elle est originaire. Docteure en théologie, elle est l’auteure d’un mémoire, qui dessine en ces termes l’accompagnement spirituel laïc : « Dans le cadre hospitalier, le patient est soigné par les professionnels de la santé et il est accompagné par l’aumônerie cultuelle ou l’accompagnement spirituel laïque selon son choix, y compris les deux ensemble. Ce n’est pas du soin, c’est de l’écoute relationnelle ; l’accompagnateur spirituel n’est pas un soignant, mais il contribue au projet de soin de l’organisation, collabore avec la famille, le patient, et les soignants ; il participe au parcours soignant. Ceci dit, il est soumis au code du travail sur la confidentialité et au secret partagé en institution. ».

Pour répondre à ces demandes d’accompagnement spirituel non religieux exprimées par des personnes en fin de vie, il pourrait être envisagé de créer un statut d’aumônier laïc.

CONCLUSION

Réhumaniser les situations de fin de vie, c’est avant tout écouter les premiers concernés. En érigeant en valeur cardinale la volonté des personnes, le rapport préfigurant la stratégie décennale sur les soins d’accompagnement nous autorise à espérer que demain, les fins de vie se vivront mieux dans notre pays en étant mieux anticipées et réellement choisies.

Mais il est impossible d’évoquer ici la question du choix sans donner de l’écho aux voix de ces malades atteints de pathologies incurables, en proie à des souffrances inapaisables qui demandent à avoir, justement, le choix du moment de leur mort et qui souhaitent légitimement être aidés à ce que cette mort, qui arrive parfois très lentement du fait de l’allongement du temps de la fin de vie entraîné par avancées techniques et scientifiques de la médecine, se passe dans les meilleures conditions pour eux – conditions qu’ils sont les seuls à pouvoir les déterminer, avec l’accompagnement des soignants et des non-soignants. Si la volonté des personnes se retrouve bien au cœur de la stratégie décennale, celle-ci ne pourra faire plus longtemps l’impasse sur la préfiguration d’une mise en œuvre concrète du droit à l’aide à mourir.  

Réhumaniser la fin de vie, c’est aussi considérer les plus urgemment concernés comme des personnes, et non pas seulement comme des patients ou des malades. C’est leur permettre de faire revivre leur identité sociale trop souvent écrasée par un système hospitalier à bout de souffle, où les soignants sont, selon les mots du CCNE, « contraints de consacrer prioritairement leur temps à la technique, au détriment de l’écoute ». C’est également reconnaître la dimension existentielle du temps de la fin de la vie, un temps de réflexions profondes, de recherche de sens et parfois de bouleversements intérieurs, qui nécessite un accompagnement fraternel par l’ensemble de la société civile. La question des moyens qui seront alloués aux acteurs associatifs reste déterminante pour engager une dynamique nouvelle d’entraide.

Réhumaniser la fin de vie, c’est enfin tenter de lui refaire une place au cœur de la vie et de la cité. C’est considérer que la question de la finitude, qui fait partie de notre condition d’humains, n’a pas à être subie et peut être appréhendée avec plus de sérénité. Il faudra, pour cela, la sortir collectivement du silence.


Synthèse des recommantions

1. Renforcer l’obligation d’information pour garantir un choix éclairé des personnes

Constat : Les malades graves sont souvent les moins bien informés sur leur pronostic, ce qui entrave leur liberté de choix et d’expression de leurs volontés. La garantie d’une information transparente et adaptée est un préalable essentiel au nouveau modèle d’accompagnement qui érige la volonté des personnes comme valeur cardinale.

Proposition : renforcer l’obligation d’information des médecins en imposant des conditions strictes à l’exception de rétention d’informations :

  • Les informations cachées au patient doivent être susceptibles de causer un préjudice grave à sa santé
  • La décision de rétention d’information doit être prise en collégialité
  • La rétention d’information doit être temporaire.

2. Faire des directives anticipées un outil efficace d’expression des volontés

Constat : Seul outil dispositif de recueil écrit des volontés, les directives anticipées sont mal connues, complexes et lacunaires. La nécessité de les faire évoluer sur le fond et la forme fait consensus.

Propositions : 

  • Faire connaître ce dispositif en prévoyant que toute première consultation chez un nouveau médecin traitant puisse faire l’objet d’une information générale sur les droits des patients, incluant les directives anticipées.
  • Les compléter pour y inclure la possibilité de choisir d’être informé, ou non, sur son pronostic vital, et y intégrer les éventuels nouveaux droits ouverts par la future loi
  • Les rendre contraignantes et mieux circonscrire les exceptions qui permettent de s’en affranchir
  • Adapter leur champ lexical pour les rendre compréhensibles par tous

3. Intégrer les dimension sociale et existentielle de la fin de vie dans le « plan personnalisé d’accompagnement »

Constat : Le « plan personnalisé d’accompagnement » esquissé par le rapport pour accompagner et mieux anticiper les fins de vie sera réfléchi dans le cadre de « discussions accompagnées » qui, menées uniquement entre le patient et son médecin spécialiste, ne permettraient pas d’intégrer pleinement les dimensions non-médicales de l’accompagnement. 

Proposition : associer aux discussions accompagnées un tiers non-soignant, pour recueillir les besoins non-médicaux du patient (accompagnement social, psychologique, spirituel…). Ce tiers pourrait être le gestionnaire de parcours, l’assistant social, le psychologue, le patient-partenaire, le bénévole d’accompagnement…

4. Favoriser le bénévolat et les initiatives de la société civile en leur donnant les moyens d’agir  

Constat : Le rôle des acteurs de la société civile est essentiel pour accompagner la dimension sociale de la fin de vie et changer le regard de la société sur ce sujet tabou. Mais en l’absence de mesures réellement incitatives la pénurie de bénévoles d’accompagnement s’aggrave, tandis que de nouvelles formes d’engagement citoyen se développent.

Propositions :

  • Aligner les incitations fiscales aux bénévoles sur celles prévues pour les dons pécuniers, afin que le don de temps soit valorisé à la même hauteur que le don d’argent.
  • Établir des équivalences pour les professionnels indépendants aux mesures envisagées dans le rapport pour inciter les salariés (congé d’action public notamment). 
  • Étendre le bénévolat hors-les-murs des structures de soins, en permettant aux associations de signer des conventions d’accompagnement avec les familles ou les médecins traitants de ville, en lien avec les collectifs d’entraide envisagés par le rapport.
  • Généraliser les accompagnements par téléphone, à travers une ligne d’écoute nationale.
  • Aider les associations à mettre en place des lieux collectifs d’échange sur la fin de vie ouverts à tous les citoyens, dans un double objectif d’information sur leurs droits et de réflexion partagée
  • Accompagner le développement du bénévolat direct (forme d’accompagnement spontanée et gratuite en dehors du cadre familial et d’un engagement associatif) en mettant à disposition des possibilités de formation et d’écoute, accessibles en dehors de toute contrainte associative.

5. Reconnaître les métiers émergents de l’accompagnement qui participent à la réhumanisation de la fin de vie

Constat : L’approche interprofessionnelle de l’accompagnement de la fin de vie par des soignants et des non-soignants dessinée par le rapport doit inclure les métiers émergents de l’accompagnement.

Propositions : définir un statut et une place dans la coordination globale des soins d’accompagnement aux métiers émergents :

  • Favoriser les embauches des patients-partenaires aux sein des structures de soin et leur ouvrir la possibilité d’être associés aux discussions accompagnées
  • Fixer un cadre juridique au métier d’accompagnante de la fin de vie et les intégrer aux « collectifs d’entraide »
  • Créer un statut d’aumônier laïc pour répondre aux demandes d’accompagnement spirituel non religieux exprimées par certains patients.
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